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R.S. Ratner
La nécessité de revitaliser la démocratie, notamment notre système
électoral, est une priorité aux niveaux fédéral,
provincial et territorial. Tout système qui entraîne souvent
d’énormes écarts entre le nombre de votes recueillis par
les partis politiques et le nombre de sièges qu’ils gagnent
crée des distorsions dont le résultat est une parodie de
démocratie représentative. Si la réforme électorale
est actuellement au cœur des réflexions, c’est parce que
plusieurs élections ont donné un peu partout au pays le
contrôle législatif à des partis qui avaient obtenu moins
que la majorité des voix ou même, parfois, moins que certains
partis d’opposition. Le 31 mars 2004, la Commission de réforme du
droit a déposé un rapport et des recommandations au sujet des
élections nationales; par ailleurs, le Québec, l’Ontario,
le Nouveau-Brunswick, l’Île-du-Prince-Édouard, la
Colombie-Britannique et le Yukon mènent actuellement des consultations,
des enquêtes, des commissions ou des assemblées spéciales
commandées en vue de préparer des référendums ou
des projets de loi portant sur la réforme électorale. La
façon de procéder choisie par la Colombie-Britannique est
peut-être la plus innovatrice, dans la mesure où elle
confère tous les pouvoirs de délibération à 160 citoyens
de la province choisis au hasard. Cette expérience des plus audacieuse,
qui consiste à léguer le pouvoir politique à des
« citoyens ordinaires » dans un dossier aussi
déterminant, devrait intéresser non seulement les analystes
politiques, mais aussi tous ceux qui n’aiment pas l’effet que nos
institutions politiques actuelles ont sur leur vie et qui se demandent comment
changer les choses.
Les résultats des deux dernières élections
générales provinciales ont été un facteur
déterminant dans la formation de l’Assemblée des citoyens
de la Colombie-Britannique. En effet, en 1996, les libéraux de Gordon
Campbell ont recueilli 42 p. 100 des votes contre 39 p. 100 pour le
Nouveau Parti démocratique, mais celui-ci est néanmoins
resté au pouvoir en remportant une très faible majorité
des sièges, soit 39 sur 75. Le résultat a été
attribué au système uninominal majoritaire à un tour ou
« système à scrutin majoritaire », en vertu
duquel le candidat qui rallie le plus grand nombre de voix dans une
circonscription donnée est proclamé vainqueur, qu’il ait ou
non la majorité des suffrages exprimés. Vu la disproportion entre
le nombre de votes obtenus et le nombre de sièges gagnés, M.
Campbell a promis que, si son parti formait le gouvernement suivant, il
instituerait une assemblée de citoyens pour étudier la question
de la réforme électorale.
Le Parti libéral a effectivement gagné les élections de 2001,
même si le dépouillement final mettait encore plus en
évidence la nécessité d’une réforme
électorale, les libéraux ayant remporté 77 des 79
sièges avec seulement 57 p. 100 des voix. Fidèle à sa
promesse, le premier ministre Campbell a alors chargé Gordon Gibson,
ancien chef du Parti libéral de la Colombie-Britannique, de
rédiger l’ébauche des statuts de l’Assemblée
des citoyens qu’il avait proposé de créer. Le 23
décembre 2002, M. Gibson a remis au procureur général un
rapport décrivant dans les détails la structure et le mandat de
l’Assemblée et comportant 36 recommandations. Le gouvernement a
examiné le rapport pendant quatre mois et modifié plusieurs
recommandations de M. Gibson, notamment pour favoriser une plus grande
représentativité (158 membres au lieu de 79, soit deux par
circonscription) et pour que l’Assemblée soit composée de
délégués choisis au hasard plutôt que par leurs
pairs, afin d’éviter les manœuvres partisanes et la politisation
de l’Assemblée.
Le 28 avril 2003, le procureur général, Geoff Plant, a
déposé à l’Assemblée législative le
mandat de l’Assemblée des citoyens et les responsabilités
de la présidence. L’Assemblée des citoyens a ensuite
été établie par décret en conseil le 30 avril avec
l’appui unanime de l’Assemblée législative
provinciale, et Jack Blaney, ancien président de
l’Université Simon Fraser, a été confirmé
dans le poste de président de l’Assemblée le 16 mai 2003
par décret en conseil. Puis, on a mis plusieurs mois à constituer
le reste du personnel de l’Assemblée, dont les principaux membres
sont Leo Perra, éducateur et administrateur chevronné du niveau
postsecondaire de la province, qui a été nommé directeur
des Opérations, et Ken Carty, universitaire spécialiste de la
politique électorale, qui a été nommé chef de la
Recherche. Les 5,5 millions de dollars fournis par le gouvernement par
l’entremise du cabinet du procureur général ont été
jugés suffisants pour soutenir l’expérience du début
à la fin.
Le mandat premier de l’Assemblée consistait, selon le décret
en conseil, à « évaluer diverses formules
d’élection des députés à
l’Assemblée législative et produire un rapport disant
s’il y aurait lieu de retenir la formule actuelle ou de la
remplacer ». L’Assemblée doit présenter son
rapport final et ses recommandations au procureur général au plus
tard le 15 décembre 2004 pour qu’il le dépose à
l’Assemblée législative. Avant de pouvoir formuler des
recommandations, les membres de l’Assemblée devaient d’abord
traverser une « phase d’apprentissage » allant de
janvier à mars 2004 (et comportant des réunions à toutes
les deux fins de semaine) et se terminant avec la présentation
d’un rapport provisoire ou d’une « déclaration
préliminaire » à la population de la province. Cette
phase devait être suivie, en mai et juin 2004, d’une
« phase d’audiences publiques » visant à
permettre aux citoyens d’exprimer eux-mêmes leurs opinions et leur
réaction au rapport provisoire, et d’une « phase
délibérative » allant de septembre à novembre
et se terminant par le dépôt du rapport final de
l’Assemblée et de ses recommandations au plus tard le 15
décembre 2004. L’Assemblée pourrait décider de
maintenir le système uninominal majoritaire à un tour ou
d’en recommander un autre qui serait soumis aux électeurs lors
d’un référendum à la faveur des élections
générales provinciales de mai 2005. Pour que le changement
proposé au référendum soit adopté, il devrait
recueillir l’appui d’au moins 60 p. 100 des électeurs
de la province et de 50 p. 100 des voix plus une dans au moins 60 p.
100 des circonscriptions. Ces balises assez strictes ont été
jugées nécessaires pour des raisons de nature
« constitutionnelle » et traduisaient vraisemblablement
le souci d’éviter que les circonscriptions urbaines ne dominent
les circonscriptions rurales.
Le processus de sélection
Comme les membres de l’Assemblée devaient être choisis au hasard
sur la liste électorale de la province, la première étape
du processus de sélection a consisté à mettre la liste
à jour. Un dépliant encourageant les citoyens à
s’inscrire et à mettre leur information de l’électeur
à jour avant le 22 août 2003 a donc été
expédiée à tous les ménages de la province. Le
29 août, Harry Neufeld, directeur général des
élections de la Colombie-Britannique, a livré au siège
social de l’Assemblée les noms de 15 800 personnes choisies
au hasard sur la liste électorale. Parmi elles, 200 personnes de chaque
circonscription électorale ont reçu une lettre leur demandant si
elles envisageraient de servir leur province au sein de
l’Assemblée des citoyens. Les personnes retenues dans chaque
circonscription appartenaient à parts égales aux deux sexes et
à cinq groupes d’âge (18-24, 25-39, 40-55, 56-69, et 70 et
plus). On s’est servi des données de recensement les plus
récentes pour déterminer le pourcentage représenté
par les membres de chaque groupe d’âge et de chaque sexe dans
chaque circonscription électorale. Ce pourcentage a ensuite servi
à déterminer, par exemple, le nombre d’hommes de 18
à 24 ans que devrait compter chaque groupe de 100 hommes dans chaque
circonscription. Ce processus a été répété
pour chaque groupe d’âge. Une première lettre a
été envoyée aux 15 800 personnes choisies pour leur
demander si elles aimeraient faire partie de l’Assemblée.
Parmi celles qui ont accepté, 10 hommes et 10 femmes ont été
choisis, à tour de rôle et sans préjugé, dans la
liste établie au hasard pour chaque circonscription électorale et
ont été invités à assister à une
réunion régionale d’information où on leur en dirait
plus sur ce qui les attendait au sein de l’Assemblée et sur les
responsabilités qui leur incomberaient en tant que membres et où
ils pourraient mieux juger du sérieux de l’engagement qui serait
exigé d’eux. À la fin de chacune de ces réunions, on
tirait au sort les noms d’un homme et d’une femme devant être
membres de l’Assemblée des citoyens. Lorsque des personnes qui
avaient reçu la première lettre décidaient
d’abandonner le projet avant la réunion organisée pour leur
région, le personnel de l’Assemblée leur choisissait des
remplaçants dans le bassin de candidats possibles en respectant les
exigences quant au sexe, à l’âge, à la
circonscription électorale et au numéro ordinal. Quand aucune des
réponses reçues d’une circonscription
n’émanait d’un certain groupe d’âge ou
d’un sexe en particulier, on expédiait d’autres lettres afin
de garantir la formation d’un groupe représentatif permettant
d’obtenir l’échantillon voulu de membres.
Aux réunions de sélection, un membre du personnel de
l’Assemblée passait en revue les critères
d’admissibilité avec les personnes présentes et justifiait
les exclusions (c.-à-d. non-citoyens, non-résidants de la
province, personnes de moins de 18 ans, personnes ne parlant pas ou
n’écrivant pas couramment l’anglais et personnes occupant un
poste politique aux niveaux fédéral, provincial ou
municipal/régional ou qui avaient été candidates à
de tels postes au cours des deux années précédentes, y
compris les chefs de bande ou les membres des conseils de bande élus aux
termes de la Loi sur les Indiens et les membres élus du
gouvernement Nisga’a). Suivait un exposé en PowerPoint sur la
mission et les objectifs de l’Assemblée, après quoi chaque
participant devait confirmer s’il ou elle acceptait de faire partie de
l’Assemblée. On mettait alors dans un chapeau les noms de toutes
les personnes prêtes à en faire partie, on priait quelqu’un
d’effectuer un tirage au sort et on annonçait le nom de la
personne choisie. Pour assurer l’égale représentation des
deux sexes, on choisissait les représentants masculin et féminin
de chaque circonscription en faisant deux tirages au sort. Des noms de
substituts (masculins et féminins) ont aussi été choisis
dans l’éventualité où des remplacements
s’imposeraient. Tous les autres noms ont été conservés
pour le cas où il faudrait en choisir d’autres dans le bassin de
personnes prêtes à faire partie de l’Assemblée pour
combler d’éventuelles vacances. Le processus a été répété
pour chaque sexe et chaque circonscription au cours de 26 réunions de
sélection tenues dans la province entre le 14 octobre et le 30
novembre 2003. Conformément au mandat de l’Assemblée, les
réunions de sélection ont été tenues dans le cadre
d’assemblées publiques.
Pour me familiariser avec le processus de sélection, j’ai assisté
à la réunion de sélection du 8 décembre dans
les bureaux de l’Assemblée, à Vancouver. Elle avait
été convoquée pour choisir un délégué
masculin dans la circonscription de Vancouver—Kingsway, car aucun des
candidats masculins ne s’était présenté à la
réunion de sélection précédente, la seule fois
où une telle chose s’est produite dans tout le processus de
sélection. Cette réunion supplémentaire avait aussi
été organisée pour remplacer une
déléguée qui s’était ravisée et
retirée, obligeant l’Assemblée à faire un autre
tirage au sort. Huit des neufs nouveaux candidats choisis au cours du nouveau
tirage au sort se sont présentés et ont été
accompagnés vers une salle de réunion où nous avons tous
pris place en compagnie de Jack Blaney et où Leo Perra a fait les
présentations officielles et expliqué clairement ce que
l’Assemblée attendait de ses membres et la portée de leur
engagement.
Certains candidats ont posé des questions; chacun semblait tenir à
être choisi délégué. La
déléguée substitue a été rapidement sélectionnée,
et j’ai été invité à tirer au sort
l’enveloppe contenant le nom du délégué de Kingsway,
ce que j’ai fait en me demandant un peu si on m’avait déjà
coopté dans l’orbite spirituelle de l’Assemblée; on a
alors annoncé le nom et pris la photo du délégué
choisi. Il était visiblement heureux d’être
l’élu, et la plupart des autres candidats étaient tout
aussi visiblement déçus. M. Perra leur a gracieusement
rappelé qu’on pourrait encore leur demander de faire partie de
l’Assemblée si le délégué sélectionné
était incapable de continuer, même si, après le
début des réunions, le 10 janvier 2004, les
délégués à l’Assemblée ne seraient
remplacés que si plus de 25 p. 100 des membres (40) abandonnaient
leur poste. Jusque-là, les abandons avaient déjà
nécessité six remplacements. La teneur et la présentation
de l’exposé de M. Perra m’ont impressionné, et
l’intérêt manifesté par les candidats à la
réunion augurait bien du déroulement de la démarche sans
précédent qu’on était en train de faire.
Le dernier et 158e délégué à
l’Assemblée avait maintenant été
sélectionné, mais le processus de sélection avait eu un
raté qui causait des complications, à savoir que l’Assemblée
ne comptait aucun Autochtone, même s’il y en avait eu plusieurs
dans l’échantillon initial de 15 800 personnes. Cela a
causé une certaine inquiétude dans la communauté
autochtone et parmi le personnel de l’Assemblée, dont la
présidence a demandé au Cabinet provincial d’approuver
l’ajout de deux membres autochtones sélectionnés dans le
bassin des candidats choisis au hasard. Après avoir un peu
hésité à s’écarter du mandat établi,
le Cabinet a adopté, le 11 décembre 2003, un décret en
conseil ajoutant à l’Assemblée deux
délégués d’ascendance autochtone. Le 22
décembre, deux Autochtones, un homme et une femme, ont été
nommés à l’Assemblée, le nombre de membres, hommes
et femmes confondus, passant ainsi à 160.
On peut trouver sur le site Web de l’Assemblée une courte biographie
de chaque délégué. À 19 ans, Wayne Wong,
étudiant de deuxième année à la Sauder School of
Business de l’Université de la Colombie-Britannique, est le plus
jeune délégué sélectionné, le plus
âgé étant John Stinson, 78 ans, un ancien membre de la
Police provinciale de la Colombie-Britannique qui a ensuite travaillé
pour la GRC. On peut difficilement faire une classification des
antécédents professionnels des membres de
l’Assemblée à partir des notices biographiques qui figurent
sur le site Web, car plusieurs ont eu nombre d’occupations, mais beaucoup
sont enseignants, fonctionnaires, professeurs, avocats, gens d’affaires,
agriculteurs, maîtresses de maison, infirmiers et infirmières,
étudiants ou retraités. La délégation forme aussi
un groupe multiculturel, avec des membres nés dans un certain nombre de
pays et disant appartenir à plusieurs groupes ethniques.
Le 10 janvier 2004, ce groupe bigarré a entamé la phase
d’apprentissage, qui consistait en six réunions tenues en fin de
semaine (toute la journée du samedi et la matinée du dimanche)
dans le centre-ville de Vancouver. L’Assemblée rembourse à
ses membres leurs frais d’hébergement, de restauration, de
garderie et de déplacement au tarif excursion et leur verse de modestes
honoraires de 150 $ par journée de réunion. Après
toute cette préparation méticuleuse, le personnel et les
délégués avaient hâte de se lancer dans la grande
expérience proprement dite.
La phase d’apprentissage
Le samedi 10 janvier 2004, la première réunion de
l’Assemblée des citoyens de la Colombie-Britannique s’est
ouverte dans le salon Asie-Pacifique du Morris Wosk Centre for Dialogue,
édifice restauré à valeur patrimoniale et à
l’architecture gracieuse qui était bourré pour
l’occasion de matériel de communications moderne. Les membres de
l’Assemblée sont entrés dignement dans la salle en
défilant derrière une cornemuseuse jouant un air joyeux. Comme
ils s’étaient déjà rencontrés à la
réception de la veille au soir, il flottait dans l’air comme une
hâte fébrile de commencer. Les places étaient
disposées sur un plancher à niveaux formant des cercles
concentriques et descendant en escalier du pourtour vers le centre. Un micro et
un carton d’identification ornaient chaque table, et toutes les places
étaient occupées. Sur les 160 délégués
attendus, il n’en manquait que deux, qui avaient été
retenus par des urgences médicales. Près de la
circonférence du cercle le plus bas trônait le podium
destiné à la présidence et aux autres intervenants. Les
observateurs (invités et membres du public, dont j’étais)
ont pris place sur deux rangées horizontales à chaque
extrémité de la salle, juste derrière le muret qui courait
autour du cercle du niveau supérieur. Deux grands écrans
surplombaient la salle de part et d’autre du cercle, et plusieurs membres
du personnel qui ne participaient pas personnellement à la session
surveillaient la salle depuis deux cabines d’observation aux parois
réfléchissantes situées près du plafond, à
une extrémité de la salle. Les quatre caméramen qui
enregistraient les délibérations et les représentants des
médias étaient assis parmi les observateurs ou se tenaient debout
à divers endroits, en périphérie de la salle. M. Blaney
est allé au podium et a ouvert la séance en donnant des
précisions sur des points de procédure, après quoi il a
présenté les membres de l’Assemblée (un gros plan du
visage de chaque personne appelée apparaissait sur les deux
écrans), les invités (dont Gordon Gibson, auteur du rapport
recommandant la création de l’Assemblée) ainsi que le
personnel chargé de donner les instructions et les techniciens en
communications. Après ces formalités, le président a
notamment déclaré :
À notre connaissance, il n’est jamais arrivé dans aucune
démocratie qu’un gouvernement demande à des non-élus
de prendre un tel engagement et leur confère ensuite un pouvoir
décisionnel aussi grand à l’égard d’une
question de politique importante […] Notre tâche consiste à
inventer une nouvelle façon d’inciter les citoyens à
participer à la pratique de la démocratie […] Nous avons
tous ici une chance unique!
Si des membres de l’Assemblée avaient encore des doutes sur la raison
d’être de l’Assemblée à leur arrivée,
tous semblaient maintenant galvanisés par les propos du
président. Plusieurs se sont dits reconnaissants de pouvoir participer
aux travaux de l’Assemblée et débordaient d’optimisme
quant à ce que les membres pourraient accomplir ensemble. L’un
d’eux a résumé l’ambiance.
« Nous sommes des citoyens ordinaires, mais nous avons ce qu’il faut pour
participer à cette démarche. Certaines de mes connaissances en doutent,
mais nous l’avons! »
Le président a ensuite parlé des règles de procédure
à appliquer pour la conduite des séances plénières
et des sous-groupes de discussion. Il a demandé aux membres
d’éviter de s’enferrer dans un formalisme basé sur
ces règles et de privilégier plutôt une démarche
consensuelle, une question que les groupes de discussion allaient
étudier au cours de la matinée. Les réunions de la phase
d’apprentissage se sont toutes déroulées suivant le
même modèle, c’est-à-dire que la séance de la
matinée commençait habituellement par une brève
période de questions et de récapitulation ouverte à
l’Assemblée entière et suivie d’un exposé
donné par un membre du personnel ou un conférencier invité
sur le thème prévu. Venait ensuite une pause-café suivie,
pour les douze sous-groupes, d’une heure de discussions qui leur
permettait d’analyser plus en profondeur le sujet de la conférence
et les documents à lire. Puis, la séance de la matinée se
terminait là ou sur une brève plénière de
l’Assemblée au cours de laquelle les participants
s’échangeaient les résumés des discussions de leurs
sous-groupes. Les séances de l’après-midi suivaient grosso
modo le même modèle. Les groupes de discussion comptaient de
13 à 15 membres, leur composition changeait d’une fin de semaine
à la suivante et leurs membres étaient choisis au hasard afin de
permettre des échanges entre le plus grand nombre possible de membres de
l’Assemblée.
Les animateurs, qui changeaient aussi d’une semaine à l’autre,
étaient des étudiants diplômés en science politique
choisis parmi ceux des deux grandes universités de la vallée du
bas Fraser et se spécialisant en politique électorale. Ils se
réunissaient deux fois par semaine dans le cadre d’un atelier
d’animation dirigé par le Pr Carty avec l’aide de
son moniteur adjoint, Campbell Sharman, spécialiste de la politique
australienne. Au début, les observateurs, une quarantaine aux
séances plénières, pouvaient entrer dans deux des salles
de réunion des sous-groupes de discussion, mais certains membres de
l’un de ces groupes s’étant plaints de leur trop grande
proximité (au moins un des observateurs se serait esclaffé en
entendant les propos des membres), ces deux salles ont été
interdites aux observateurs dès la fin de la première fin de
semaine de travail, et les observateurs et les médias n’ont eu le
droit d’assister aux travaux que d’un seul sous-groupe de
discussion qui se réunissait dans le petit cercle du centre, dans le
salon Asie-Pacifique où les plénières avaient lieu.
L’endroit était plus officiel que l’aménagement des
salles des sous-groupes. Les échanges de ce groupe étaient donc
un peu plus limités et probablement moins spontanés que ceux des
autres groupes, même si l’ambiance de formalité s’est
estompée au fil des six fins de semaine, les membres arrivant mieux
à ignorer les 20 à 30 observateurs qui assistaient à leurs
sessions.
Lors des discussions du sous-groupe que j’ai observé au matin du
premier jour, l’animateur a demandé à chacun des 13 membres
de se présenter en faisant une brève autobiographie, s’est
lui-même présenté et a ensuite demandé aux membres
de réfléchir aux valeurs qu’ils devraient partager et dont
ils devraient témoigner ensemble en exécutant leur mandat. Une
discussion animée a suivi à laquelle tous les membres ont participé,
et l’animateur a suggéré que l’un d’eux fasse
office de rapporteur du groupe au cours de la plénière
prévue pour l’après-midi. Après le déjeuner,
tous les membres sont retournés au salon Asie-Pacifique pour entendre
les rapports sur les valeurs à vivre au cours du processus que les douze
sous-groupes avaient produits. Comme les rapports se recoupaient sur de
nombreux points, le personnel a pu résumer rapidement et projeter sur
les écrans les valeurs communes qui devaient inspirer les membres
dorénavant, soit le respect, l’ouverture d’esprit,
l’écoute, l’engagement, l’ouverture aux autres, une
attitude positive, l’intégrité et la fidélité
au mandat de l’Assemblée. Ces valeurs ont été
analysées, précisées et, après de
légères modifications, adoptées. L’Assemblée
était prête à se mettre au travail.
Après une pause-café que tous ont accueillie avec soulagement, le Pr
Carty a donné la première d’une série de
conférences sur la politique électorale que M. Sharman et
lui-même allaient donner au cours des cinq premières semaines de
la phase d’apprentissage. L’exposé portait sur certains des
avantages et des inconvénients de la politique adversative et de la
politique consensuelle et analysait les principales différences entre la
représentation majoritaire et la représentation proportionnelle
ainsi que leurs effets respectifs sur le comportement des partis politiques et
la responsabilité des gouvernements. Traitant de la plupart des
thèmes qui allaient être étudiés au cours de la
phase d’apprentissage, il donnait aux membres maints sujets à
débattre au cours de leurs discussions de groupe de
l’après-midi. Lors de la séance de groupe que j’ai
observée, il était clair que les membres privilégiaient déjà
un modèle de politique électorale moins adversatif que celui qui
était en usage depuis longtemps en Colombie-Britannique. Trahissant un
certain doute quant à l’authenticité du processus de
l’Assemblée, des membres se sont demandé si le
résultat du référendum, à supposer que
l’électorat de la province adopte la motion qu’on leur y
soumettrait, serait vraiment contraignant pour le gouvernement ou si les
efforts de l’Assemblée n’aboutiraient finalement à
rien. Quelques membres ont même pressé la présidence de
dire franchement si le gouvernement de la Colombie-Britannique ne pourrait pas
procéder comme celui de la Nouvelle-Zélande et adopter un projet
de loi prévoyant que la motion soumise par référendum
deviendrait loi si l’électorat l’adoptait.
La session du dimanche matin a commencé par une brève période
de questions au cours de laquelle la présidence a assuré les
membres que tous les partis politiques provinciaux épousaient la cause
de l’Assemblée des citoyens et qu’ils mettraient à
exécution toute motion que le public adopterait par
référendum. Le Pr Carty a ensuite fait un
exposé dense et enlevé sur les critères permettant
d’évaluer et de comparer les systèmes électoraux, et
les échanges en groupe de discussion que j’ai observés ont
démontré que la portée de l’exposé en avait
intimidé quelques-uns. Les membres ont demandé à
l’animateur des instructions plus précises, réfléchi
avec nostalgie aux avantages de la dictature bienveillante et regretté
de ne pas avoir reçu le manuel portant sur le sujet1
(Farrell, 2001) longtemps avant le début des réunions.
Quelques-uns ont demandé à avoir des discussions pratiques sur
des thèmes précis au lieu de « bavarder de
façon théorique » sur la teneur de
l’exposé. Au fil des échanges, toutefois, leurs craintes se
sont estompées et ils ont abordé les questions soulevées
au cours de l’exposé, imaginant même des solutions à
certains des problèmes propres au système électoral
uninominal majoritaire à un tour. La séance s’est
terminée sur un ton amical, et l’animateur a remercié les
membres du groupe de la fin de semaine extrêmement intéressante
qu’il avait passée en leur compagnie.
Au cours des quatre réunions de fin de semaine qui ont suivi, le Pr
Carty et ses collègues ont fait faire aux délégués
un tour d’horizon bien structuré des questions concernant les
élections, le Parlement, les partis politiques, les cinq familles de
systèmes électoraux ainsi que les effets du changement
électoral, en particulier leurs conséquences possibles sur la
Colombie-Britannique. Sans aller jusqu’à reproduire l’information
déjà affichée sur le site Web de l’Assemblée
au sujet de la teneur de ces exposés, je voudrais faire les observations
suivantes, qui font indirectement foi de la grande facilité avec
laquelle les membres ont franchi la phase d’apprentissage de leur expérience
collective.
À mesure que les professeurs Carty et Sharman expliquaient patiemment ce que les
membres devaient savoir, à leur avis, pour s’acquitter de leur
tâche et aboutir à une recommandation, les membres de
l’Assemblée, qui étaient surtout des auditeurs passifs au
départ, sont devenus à vue d’œil des observateurs et
des commentateurs lucides du système électoral en vigueur en
Colombie-Britannique et des solutions de rechange connues. Cette transformation
est attribuable en grande partie à la solidarité qui s’est
développée entre eux et qui semblait donner à chacun
confiance en lui-même. Une ambiance presque familiale s’est
installée grâce aux interventions du président, à la
modestie qui caractérisait son humour et à des touches
personnelles, comme l’annonce des anniversaires, toutes choses qui ont
contribué à favoriser le débat tout en réduisant la
discorde au strict minimum. En rivalisant d’humour pendant les
périodes de questions qui suivaient les exposés, les Prs
Carty et Sharman ont transformé l’étude du sujet
potentiellement aride de la réforme électorale en une
activité amusante, même si les analogies fréquentes du Pr Carty
aux Canadiens de Montréal confinaient à la trahison en territoire
Canuck. La publication de leurs photos et biographies sur le site Web de
l’Assemblée et dans divers médias a inculqué aux
membres le sens de leur responsabilité envers l’Assemblée
et leurs circonscriptions. Et il se peut que le passage des séances
plénières aux discussions de groupe aux plénières,
pour la communication des résumés et des réflexions, ait
été à l’image du processus, peut-être
fortuitement, au point de faire ressortir l’importance de
l’unanimité et du consensus, car on aurait mauvaise grâce
à dire que la dissidence était réprimée. En fait,
malgré les questions difficiles posées au personnel et aux
conférenciers invités, la bonne volonté était
évidente et a régné du début à la fin de la
phase d’apprentissage, et la présence de presque tous les membres à
chaque fin de semaine a ravi le personnel d’autant plus qu’il avait
au début été ébranlé par le nombre
d’abandons.
À l’arrivée de la troisième fin de semaine, la teneur du
matériel de conférence est devenue plus complexe, les membres
devant alors maîtriser les subtilités de la représentation
proportionnelle, du vote unique transférable et des divers
systèmes proportionnels mixtes. Habituellement, les incertitudes se
dissipaient au cours des périodes de questions et des groupes de
discussion, au sein desquels, après la première fin de semaine,
les animateurs ont joué un rôle plus éducatif
jusqu’aux séances de clôture, au cours desquelles les
membres ont été mis au défi de comparer par
eux-mêmes les avantages et les faiblesses du système uninominal
majoritaire à un tour en usage en Colombie-Britannique à ceux des
autres systèmes électoraux. Au cours d’une des
dernières séances plénières, la présidence a
passé une vidéo de la SRC dans laquelle les membres de
l’Assemblée étaient qualifiés de « citoyens
ordinaires » et s’est sentie le devoir de rectifier le tir en
disant qu’ils étaient des « citoyens
extraordinaires », eu égard au fait que le processus de
sélection au hasard par lequel on les avait recrutés avait au
fond été un processus d’autosélection dans la mesure
où les personnes qui s’étaient portées volontaires
étaient déjà des membres actifs et convaincus de leur
communauté.
Au cours de la phase d’apprentissage, l’Assemblée a pris deux
décisions importantes au sujet de la phase suivante du processus, les
audiences publiques. Premièrement, les membres ont décidé
qu’un groupe d’exposés publics devait être faits
devant toute l’Assemblée. Comme il était difficile de
choisir les dix exposés à présenter à
l’Assemblée parmi ceux, nombreux, qui avaient été
faits aux audiences publiques régionales, l’Assemblée a
institué (par l’entremise de la présidence) un
comité composé de personnes choisies au hasard parmi les membres
intéressés et l’a chargé de choisir les dix
exposés en fonction des critères généraux
qu’elle avait énoncés. L’affaire a suscité un
débat passionné, mais le fait d’établir un plan
conçu et approuvé par l’Assemblée a renforcé
l’impression de compétence et d’autonomie collective des
membres. Deuxièmement, les membres ont décidé qu’il
serait utile de consacrer une session à l’examen de ce qui
ressortirait des audiences publiques, ce qui allait exiger la tenue d’une
réunion de plus à la fin-juin, à la clôture de la
phase des audiences publiques. On a suggéré trois endroits pour
la tenir (Vancouver, Kelowna et Prince George). Après avoir passé
rapidement en revue les avantages de chacune des trois villes, une
majorité claire des membres a jugé important que
l’Assemblée aille siéger plus au Nord (c.-à-d.
à Prince George) afin que l’électorat de la
Colombie-Britannique sache que l’Assemblée des citoyens
représentait toute la province, et non seulement les circonscriptions
urbaines de Vancouver.
La rédaction du rapport provisoire approchant au fil des sessions, les
membres ont semblé retomber momentanément dans
l’état de dépendance de la première session et
compter sur le personnel enseignant pour leur dire quoi recommander,
hésitant à énoncer des formules électorales
précises dans le rapport provisoire. Certains craignaient que le
personnel ne les aiguille vers un modèle électoral en particulier,
même si le Pr Carty et ses adjoints repoussaient
résolument les supplications visant à leur faire annoncer leurs
couleurs. Abstraction faite de leurs craintes, toutefois, les membres
n’ont pas caché le fait qu’ils ne pourraient pas
honorablement participer aux audiences publiques sans rester ouverts aux
opinions que les citoyens y exprimaient et que, partant, ils devaient rejeter
la dernière section de l’ébauche du rapport provisoire
où ils indiquaient les formules électorales qu’ils
préféraient.
Le Pr Carty était d’un autre avis, rappelant à l’Assemblée
qu’elle avait été mandatée au départ pour
produire « une déclaration préliminaire »
donnant une indication du modèle électoral le plus prometteur dans
l’éventualité où elle ne retiendrait pas le
système actuel. Certains membres de l’Assemblée se sont
rangés à son avis, mais d’autres tenaient à ce que
le rapport provisoire souligne les « valeurs »
importantes que l’Assemblée s’était données,
mais pas ses modèles électoraux de prédilection. Le
débat menaçant de polariser les membres, la présidence l’a
interrompu pour annonce un anniversaire. Tous ont alors chanté
« Bon anniversaire » en chœur, ce qui a
détendu l’atmosphère et rendu les membres plus
réceptifs à la suggestion suivante de la présidence :
que la dernière partie du rapport insiste sur les valeurs de
représentation locale et de proportionnalité, valeurs que la
plupart sinon la totalité des membres favorisaient pour l’instant,
mais qu’elle note de façon tout juste incidente que certains
systèmes électoraux reposent sur certaines valeurs plus que sur
d’autres. Cette suggestion semblant conforme à l’humeur
générale, le Pr Carty a convenu de récrire la
section, avec le concours des « oiseaux de nuit ». Le
débat le plus intense que l’Assemblée avait connu
jusque-là a pris fin sur une note harmonieuse, au grand soulagement de
tous.
La session de la matinée du dernier dimanche de la phase
d’apprentissage a commencé par un examen de la
« Déclaration préliminaire à l’intention
des citoyens de la Colombie-Britannique » qui avait
été fraîchement rédigée. Le rapport
comportait une évaluation synoptique des points forts et des faiblesses
que l’on trouvait au système uninominal majoritaire à un
tour en usage en Colombie-Britannique et précisait que l’Assemblée
n’avait pas encore décidé qu’il fallait abandonner ou
modifier ce système. Il décrivait la composition de
l’Assemblée et les trois phases de ses travaux. Il
désignait les cinq familles électorales et les critères
servant à les évaluer, et il faisait, au moyen de ces
critères, une évaluation du système électoral de la
province. Sans nommer ni décrire d’autre système
électoral, le rapport insistait sur l’importance de la
représentation locale et de la proportionnalité, y voyant des
éléments cruciaux de toute démocratie moderne fonctionnant
bien. Il demandait enfin aux citoyens de la Colombie-Britannique —
qu’ils épousent l’analyse de l’Assemblée ou
qu’ils aient d’autres opinions — de communiquer leur point de
vue à l’Assemblée sur son site Web ou de lui en faire part
dans le cadre des audiences publiques. Les membres de l’Assemblée
ont semblé aimer la nouvelle version du rapport, suggérant
simplement d’y ajouter un glossaire, le calendrier des audiences et un
précis du processus ayant présidé à leur
sélection. Ils ont aussi demandé avec insistance que les experts
en communications de l’Assemblée examinent des façons de
faire traduire le rapport dans les langues des diverses communautés de
la province. Les membres ont passé le reste de la matinée
à examiner le programme de la séance de Prince George, à
discuter de la phase des délibérations de l’automne (y
compris de la teneur du rapport final) et à écouter le
président les exhorter à participer aux audiences publiques
prévues pour mai et juin. La session a pris fin sur l’annonce,
incontournable, par le président du 46e anniversaire de
mariage d’un membre de l’Assemblée et sur un « See
you in Prince George ». Des copies de la Déclaration
préliminaire ont été remises aux membres et aux
observateurs à leur départ.
Les citoyens ordinaires et le renouveau de la démocratie
Après la fin de la phase d’apprentissage, j’ai réalisé des
entrevues téléphoniques avec 18 membres de
l’Assemblée — soit un échantillon de quelque
10 p. 100 qui présentait les principales caractéristiques du
profil du membre de l’Assemblée des citoyens. Plusieurs ont dit
qu’en recevant le dépliant les invitant à faire partie de
l’Assemblée, ils avaient cru qu’il s’agissait de
« courrier poubelle » et l’avaient presque jetée
sans la lire. La plupart ont dit que, lorsqu’ils ont envisagé de
devenir délégués, ils savaient peu de choses des
systèmes électoraux et n’auraient pas pu accoler
l’étiquette « majoritaire » au
système en application en Colombie-Britannique. S’ils avaient
néanmoins saisi l’occasion, c’était parce
qu’ils étaient, pour la plupart, disposés à
s’engager pour la collectivité et croyaient que la politique
était en piteux état dans leur province. Une fois choisis, ils
s’étaient sentis « honorés de l’avoir été »
(même s’ils l’avaient été au hasard) et
qu’ils avaient finalement aimé vraiment l’enrichissement
intellectuel et l’impression que l’expérience leur faisait
de former une famille avec les autres membres. Les décisions
qu’ils avaient prises ensemble donnaient tout son sens à l’expression
« habilitation du citoyen », et le fait que leur groupe,
qui n’avait été au départ qu’un rassemblement
de purs étrangers, ait pris ses décisions par consensus attestait
du dévouement du personnel et de l’engagement indéfectible
des délégués.
Ils avaient toutefois des critiques à formuler au sujet de
l’expérience. Beaucoup se demandaient s’il était
sensé de les obliger, dans leur mandat, à maintenir à 79
le nombre de sièges à l’Assemblée législative
et si cela ne les empêcherait pas de procéder à une
réforme optimale. Presque tous se demandaient si le public comprendrait
suffisamment les subtilités de ces questions pour voter de façon
éclairée si une motion leur était soumise par
référendum, étant donné qu’aucun budget
n’avait été prévu pour sensibiliser les citoyens.
Ils s’inquiétaient aussi beaucoup de savoir si les médias
parleraient des travaux de l’Assemblée, d’autant plus que,
mis à part l’attention que les médias y avaient
accordée au début en les annonçant, les journaux locaux
des villes de la province en avaient rarement fait état dans leurs pages.
De plus, ils ne pouvaient s’empêcher de se demander s’ils
pouvaient compter sur le gouvernement (l’actuel ou celui qui serait
élu en mai 2005) pour adopter un projet de loi ordonnant la mise
à exécution de toute motion qui serait éventuellement adoptée
par référendum, si le minimum nécessaire (60 p. 100) pour
que la motion soit approuvée n’était pas trop
élevé et si les électeurs ne trouveraient pas
contradictoire de voter pour un changement de système électoral
tout en votant aux élections provinciales dans le cadre du
système actuel.
Malgré ces craintes et celle que la phase des audiences publiques n’attire pas
un nombre suffisant d’électeurs ou ne renseigne pas ceux-ci assez,
les membres semblaient avoir hâte de jouer leur rôle
d’ambassadeurs et d’obéir au sentiment de plus en plus fort
qu’ils avaient d’avoir un devoir à accomplir à
l’endroit de la population de la Colombie-Britannique. Comme un membre
l’a dit, « j’ai le sentiment de contribuer à
écrire l’histoire de la Colombie-Britannique ».
Conclusion
Nous vivons une époque de confusion. Alors qu’on livre des guerres au
nom de la démocratie, ceux d’entre nous pour qui la
démocratie est, pour ainsi dire, un droit inné ont de plus en
plus l’impression que nos institutions politiques ne les représentent
plus de façon juste et équitable. Si le système
parlementaire inspiré de Westminster que nous avons adopté au XIXe
siècle a déjà été capable de garantir la
responsabilité politique du gouvernement, ce n’est plus le cas
aujourd’hui, car nos assemblées législatives sont
dominées par de puissantes coteries qui se sont intégrées
dans les partis au pouvoir et qui manipulent la dissension et la
diversité de manière à détourner le discours
démocratique. Pour remédier à notre
« déficit démocratique » de plus en plus
profond, on a tantôt rejeté catégoriquement les structures
traditionnelles de l’État2 ou mis au point des formules
de rechange radicales afin de fonder le principe de la « gouvernance
participative par habilitation »3 ou, encore,
imaginé des formes moins utopiques d’institutions permettant
d’améliorer la représentation politique dans les
démocraties contemporaines4. Depuis le mouvement pour la
défense des droits civiques, aux États-Unis, la grande
quête de l’habilitation a été menée en marge
des arènes politiques conventionnelles, car la « politique
extra-parlementaire » est la principale forme qu’ait prise la
lutte pour le changement social. Plus souvent qu’autrement, toutefois,
cette forme d’autopromotion et d’autres, plus marginales encore,
pratiquées sous prétexte de privatisme civique, n’ont pas
permis de transformer les structures politiques de base et de raviver la
confiance dans la politie démocratique en déclin. Au Canada plus
qu’ailleurs, l’opposition forcenée des partis qui
caractérise les assemblées législatives
fédérale et provinciales met en évidence les vices
inhérents et rédhibitoires de ce système qui faussent la
façon dont la politique se fait chez nous et nous empêche de la
faire de la bonne façon5.
En tant que spécialiste des mouvements sociaux connaissant
l’abîme qui sépare les gouvernements des groupes
d’action communautaire, j’espérais vaguement, lorsque
j’ai commencé à observer les travaux de
l’Assemblée, que les réformes de la démocratie
électorale parviennent à remédier à cet
éloignement chronique et que le gouvernement même puisse devenir
moins exclusif et plus représentatif des intérêts des
citoyens que ce n’est le cas depuis si longtemps dans notre province et
notre pays. Ayant vu 160 de mes concitoyens au travail, je garde espoir et suis
convaincu qu’avec l’organisation et le soutien nécessaires
pour entretenir un dialogue objectif et juste, il n’y a aucune raison de
douter de ce que peuvent accomplir des « citoyens ordinaires »
déterminés à rendre la santé à leur
démocratie.
Notes
1. David M. Farrell, Electoral Systems: A Comparative Introduction, New York,
Palgrave, 2001.
2. John Burnheim, Is Democracy Possible?, Berkeley et Los Angeles, University of
California Press, 1985.
3. Archon Fung et Erik Olin Wright, Deepening Democracy: Institutional Innovations
in Empowered Participatory Governance, Londres, Verso, 2003.
4. Pippa Norris, Electoral Engineering: Voting Rules and Political Behavior,
Cambridge (R.-U.), Cambridge University Press, 2004.
5. Nick Loenen, Citizenship and Democracy: A Case for Proportional Representation,
Toronto, Dundern Press, 1997.
Note de la rédaction : Après des audiences
publiques tenues en mai et en juin partout en Colombie-Britannique,
l’Assemblée des citoyens se réunira de nouveau cet automne
pour se prononcer sur l’opportunité de changer le système
électoral de la Colombie-Britannique et, le cas échéant,
sur les modifications qu’il y aurait lieu de proposer. Un article sur les
délibérations et les recommandations de l’Assemblée
paraîtra dans une autre livraison de la Revue.
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