Sir John George Bourinot: Victorian Canadian — His Life, Times and
Legacy, McGill-Queens University Press, 2001
Pendant plus d’une trentaine d’années passées dans les
services de la procédure de l’Assemblée législative de la Saskatchewan, du
Sénat du Canada et à l’Université de la Saskatchewan, mes guides ont été trois
autorités en matière de procédure parlementaire. Sir Erskine May, un greffier
de la Chambre des communes de Westminster, a écrit Treatise on the Law,
Privileges and Usage of Parliament, ouvrage qui fait autorité en matière de
règles et de précédents parlementaires en Grande-Bretagne. Sir Arthur
Beauchesne est l’auteur de Jurisprudence parlementaire, version canadienne de
May qui, jusqu’à récemment, était l’autorité utilisée par le Parlement et les
assemblées législatives du Canada. Le troisième membre de ce triumvirat
procédural est sir John George Bourinot, qui a publié en 1884 un ouvrage
intitulé Parliamentary Procedure and Practice in the Dominion of Canada. Bien
que la quatrième et dernière édition du Bourinot date de 1916, il s’agit
toujours d’un ouvrage utile de discussion des principes parlementaires, dans
lequel l’auteur expose la logique qui sous-tend une procédure particulière.
Bourinot a également écrit un recueil de procédure pour les non-spécialistes
qui travaillaient pour les conseils municipaux ou présidaient des séances
publiques.
Qui était John George Bourinot? Jusqu’à maintenant, on connaissait peu
de choses de ce procéduraliste parlementaire qui fut greffier de la Chambre des
communes pendant 22 ans. Margaret A. Banks, professeure émérite de droit et,
auparavant, bibliothécaire de droit à l’Université Western Ontario, a essayé de
répondre à cette question dans sa biographie de Bourinot. Son livre paraît à
point nommé, soit moins d’un an après la publication de l’ouvrage de MM.
Marleau et Montpetit, La procédure et les usages de la Chambre des communes,
car il est également un produit du projet Bourinot. Le livre de Mme Banks est bien documenté et comporte près d’une
centaine de pages de notes en fin d’ouvrage, mais une bibliographie détaillée
aurait été utile aux étudiants en procédure.
Bourinot est né au Cap Breton, Nouvelle-Écosse, et a été journaliste au
début de sa carrière. Ses articles de journaux et ses éditoriaux jettent un peu
de lumière sur sa pensée et son époque, mais Mme Banks pouvait difficilement retracer tout ce qu’il a écrit, car, à
cette époque, de nombreuses lettres ou articles publiés dans les journaux
n’étaient pas signés ou l’étaient sous un pseudonyme. Comme aujourd’hui dans
les journaux anglophones, les éditoriaux n’étaient pas signés non plus. Mme Banks a fait, malgré tout, un excellent travail de
dépistage du travail de Bourinot.
Comme Bourinot avait appris la sténographie et rédigeait dans le journal
un compte rendu des débats de l’assemblée législative, le passage au poste de
sténographe du hansard se fit facilement. Son père était membre de l’Assemblée
législative de la Nouvelle-Écosse et fut plus tard élu au Parlement fédéral;
John George Bourinot était donc un familier des cercles politiques.
Pour décrire les premières années de la vie de Bourinot, Margaret Banks
a dû se contenter de ressources très sommaires. Elle s’est donc donné beaucoup
de mal pour montrer comment elle a tenté de combler ces lacunes. Le lecteur
finit par être agacé par la répétition du mot « probablement »
utilisé pour décrire ce que Bourinot a bien pu faire et où il était au début de
son existence. La documentation est, de toute évidence, plus abondante vers le
milieu et la fin de la vie de Bourinot et la narration est plus complète et
comporte moins de suppositions. Le lecteur aura de la sympathie pour Mme Banks, qui signale que Bourinot ne gardait pas de
copies des lettres qu’il envoyait. L’auteur a donc dû rassembler les pièces du
casse-tête à partir d’un seul point de vue, celui du courrier reçu par
Bourinot.
La biographie montre la grande différence qui existe dans le travail des
fonctionnaires du Parlement entre cette époque et celle d’aujourd’hui. Bourinot
écrivait des articles sur l’actualité politique et même sur les personnes qui y
étaient mêlées. Il le faisait sous un pseudonyme, mais on savait apparemment
très bien que l’auteur était Bourinot. À l’époque où il travaillait à la
Chambre des communes, l’opposition s’était d’ailleurs plaint en général de
cette situation, c’est-à-dire que des fonctionnaires de la Chambre commentent
la politique partisane. Le premier ministre Macdonald avait convenu de
l’impropriété de la situation et Bourinot, même s’il n’était pas
particulièrement visé, avait cessé d’écrire des articles à caractère politique.
Cela ne l’a toutefois pas empêché de continuer d’écrire sur la procédure
parlementaire et les questions constitutionnelles. Il est aujourd’hui difficile
d’imaginer qu’un fonctionnaire du Parlement fasse des déclarations publiques de
nature partisane comme le faisait Bourinot en ce temps-là.
Alpheus Todd, le bibliothécaire parlementaire, a été le premier à écrire un
guide sur la Constitution canadienne. En 1884, Bourinot a publié la première
édition de Parliamentary Procedure and Practice, qui devint le guide de la
procédure parlementaire canadienne pendant de nombreuses décennies. Bourinot
n’avait pas l’intention de discuter dans cet ouvrage de règles particulières,
mais plutôt de tracer les grandes lignes des principes parlementaires. En sa
qualité de greffier de la Chambre des communes, Bourinot a servi sous sept
présidents différents et la biographie ravive la saveur de l’agitation
politique de l’époque. Il devint non seulement un auteur remarqué du travail
procédural, mais il a également été reconnu comme le premier Canadien à aborder
la politique de manière scientifique. Son ouvrage intitulé How Canada is
Governed est un guide sur la gestion publique canadienne à l’intention du
grand public. Ses livres ont été écrits pendant qu’il travaillait à la Chambre
ou à son chalet de Kingsmere. Il connaissait bien le système britannique de
gouvernement et admirait le modèle de gouvernement responsable conçu à
Westminster. Cela ne veut pas dire cependant qu’il était anti-américain. Il a
écrit qu’on pouvait très bien utiliser les procédures américaines pendant des
réunions à condition d’en comprendre d’avance toutes les conséquences. Il
n’était pas rare que les lettres de Bourinot contenant des conseils en matière
de procédure soient publiées et intégrées à la documentation procédurale. Cela
est contraire à la pratique actuelle selon laquelle les avis donnés par le
greffier au président ou aux députés sont de nature privée. De nos jours, les
greffiers au Bureau paraissent tout à fait inexistants comparativement à leurs
prédécesseurs de cette époque. Bourinot a d’ailleurs écrit non seulement sur la
procédure et la constitution, mais également sur l’histoire et la littérature.
Mme Banks fait un excellent
travail lorsqu’elle analyse et décrit les œuvres écrites de Bourinot dans de
nombreux domaines, y compris sa participation à la formation de la Société
royale du Canada. Toutefois, un aspect est absent dans cette biographie. Quel
type de personne était Bourinot? Le chapitre 11 est consacré à une description
de sa vie familiale, mais il porte principalement sur ses enfants et sa
troisième épouse et non sur lui. On y fait vaguement allusion à une dépression
qu’aurait fait Bourinot à la mort de sa deuxième épouse, mais on n’y dit pas si
la dépression a été longue, s’il était incapable de travailler ou s’est-il agi
d’une situation passagère, limitée à la période de deuil suivant la perte de
son épouse.
La biographie nous fait voir Bourinot en tant qu’historien,
procéduraliste et politicologue. Nous savons ce qu’il pensait au plan
professionnel grâce à ses écrits, mais sa personnalité semble nous échapper.
Peut-être que les documents ne laissent pas voir l’homme, mais c’est un aspect
décevant de la biographie. Lorsque Bourinot est décédé en 1902, on remarque à
regret que la Chambre des communes, à la reprise de ses travaux, n’a pas
souligné sa disparition ni exprimé ses condoléances. Les dossiers ne font état
que de l’annonce de son remplaçant.
Margaret A. Banks est également déçue du fait qu’on a cessé de publier
d’autres éditions du manuel de procédure de Bourinot. Lorsque sir Erskine May
est décédé, ses successeurs à Westminster ont réalisé des révisions périodiques
de son œuvre et ont publié d’autres éditions. À l’opposé, après la 4e édition de Bourinot, en 1916, aucune autre révision
n’a été entreprise. Quelques années plus tard, Arthur Beauchesne, un greffier
de la Chambre, a envisagé de mettre à jour le travail de Bourinot, mais il a
plutôt choisi de faire paraître son propre Précis de procédure parlementaire.
On a laissé l’héritage de Bourinot tomber en désuétude.
Malgré les lacunes que présente le récit de la carrière de Bourinot à
ses débuts et le fait que la personnalité de celui-ci demeure obscure, Margaret
Banks a grandement contribué à une meilleure compréhension des écrits de John
George Bourinot. Elle offre une description et une analyse excellentes de son
œuvre et de ses textes sur les principes de la procédure parlementaire. Elle
met en lumière l’époque de John George Bourinot et l’héritage légué par cet
expert canadien de la procédure et de la pensée politique qui est en grande
partie tombé dans l’oubli. Bourinot n’a pas écrit seulement pour les experts en
procédure, il a aussi servi de guide aux non-spécialistes qui essayaient
d’organiser des réunions publiques. Il s’agit véritablement d’un ouvrage qui
reconnaît l’œuvre d’un homme oublié.
Gordon Barnhart, Ph.D.
Secrétaire de l’Université de la
Saskatchewan
(Ancien greffier de l’Assemblée législative de la Saskatchewan et ancien
greffier des Parlements et du Sénat)