Dan Hays
Désignation du leader de l'opposition, Président Dan Hays, le 6 février, le
Sénat.
Contexte :Le 6
février, le sénateur St. Germain a déposé auprès du greffier du Sénat un avis de
son intention de soulever une question de privilège. Cet avis suivait de
quelques heures la réception au bureau du Président d'une lettre de M. Day,
député, chef de l'Alliance canadienne et chef de l'opposition à la Chambre des
communes, dans laquelle il informait le Président qu'il avait nommé le sénateur
St. Germain, le seul sénateur membre de son parti, leader de l'opposition au
Sénat.
Décision du Président Dan Hays : Je crois comprendre que, selon le sénateur
St. Germain, il y a violation du privilège parce qu'il a droit au poste et au
rang de leader de l'opposition. Il est d'avis qu'on agit au mépris des
précédents et de la tradition en ne reconnaissant pas qu'il peut occuper ce
poste. En outre, ce déni constitue une atteinte au privilège parce qu'il
l'empêche d'exercer toutes ses fonctions.
Le fond de l'argumentation présentée par le sénateur St. Germain soulève un
ensemble complexe de questions. Le sénateur a commencé par observer qu'il s'est
produit « une situation si nouvelle et si inhabituelle qu'elle exige que l'on y
apporte une solution ». Il soutient qu'il n'existe au Sénat aucun précédent qui
indiquerait à cette Chambre comment procéder adéquatement pour choisir le leader
de l'opposition. Il a ensuite fait référence à l'article 1 du
Règlement du Sénat, lequel prescrit de suivre les usages d'autres
parlements dans tous les cas non prévus au Règlement. Puis il a évoqué des
précédents de la Chambre des lords britannique et du Sénat australien. D'après
le sénateur, il semble que dans ces deux parlements, il existe une corrélation
directe entre le leadership politique de la Chambre haute et celui de la Chambre
basse. Autrement dit, il y a une corrélation directe entre le leadership reconnu
de l'opposition officielle à la Chambre haute et celui de la Chambre basse.
Effectivement, les faits tendent à démontrer qu'ils sont presque toujours de la
même affiliation politique, abstraction faite de la représentation numérique des
partis à la Chambre haute.
Après cet examen des usages au Royaume-Uni et en Australie, le sénateur St.
Germain a présenté son évaluation de ce qui s'est produit ici au Sénat en 1994.
Au début de la 35e législature, le parti qui formait l'opposition
officielle à la Chambre des communes, le Bloc québécois, n'était pas représenté
au Sénat. Le rôle de l'opposition au Sénat était tenu par le Parti
progressiste-conservateur. De l'avis du sénateur, cette situation est sans
rapport réel avec le bien-fondé de ses arguments touchant la violation présumée
de privilège et ne peut servir de précédent.
Enfin, le sénateur St. Germain a soutenu qu'il fallait tenir compte de ce qu'il
appelle « l'évolution du paysage politique canadien ». Il a exhorté le Sénat à
accepter cette réalité, quelle que soit la décision prise en l'espèce. Il a
également proposé qu'à titre de Président, je donne « des directives fermes pour
résoudre la question ». En terminant, le sénateur a rappelé le pouvoir
législatif dont dispose le Président de la Chambre des communes britannique pour
ce qui est de déterminer à qui revient le rôle de l'opposition officielle
lorsque la question est contestée. Il a aussi cité l'exemple de la décision
prise par le Président Parent à « l'autre endroit », en 1996, de conserver au
Bloc québécois son statut d'opposition officielle sur la base de l'antériorité,
ce parti et le Parti réformiste ayant alors le même nombre de sièges. Avant de
se rasseoir, le sénateur St. Germain a fait mention d'un document qu'il avait
déjà déposé et où il expliquait plus en détail les précédents mentionnés dans
son exposé.
Le sénateur Robichaud, leader adjoint du gouvernement, a rétorqué que la
question de privilège soulevée par le sénateur St. Germain n'était pas fondée à
première vue. Il a refusé d'admettre que le sénateur avait droit au titre de
leader de l'opposition pour la seule raison que l'Alliance canadienne est
l'opposition officielle à la Chambre des communes. Le sénateur Robichaud a
ensuite contesté l'idée que la non-reconnaissance du sénateur St. Germain comme
leader de l'opposition nuit à la capacité de ce dernier d'agir en tant que
sénateur et, partant, constitue une atteinte au privilège parlementaire.
En expliquant sa position, le sénateur Robichaud a observé que le sénateur St.
Germain pouvait participer à différentes activités –présenter des motions ou des
amendements, réclamer de l'information à la période des questions, prendre la
parole au moment des déclarations des sénateurs et participer aux réunions de
comités – de la même manière que tout autre sénateur. Il a ensuite fait valoir
que, comme tout autre sénateur, le sénateur St. Germain profite d'un bureau,
d'un budget global et de l'accès aux documents parlementaires et à des services
de recherche.
Pour ce qui est de savoir à qui il revient de désigner le titulaire du poste de
leader de l'opposition conformément à l'article 4(d)i), le leader adjoint a
expliqué que c'est au Sénat lui-même de déterminer le sens de ses propres
règles. Après avoir décrit comme une pratique de longue date le fait de
reconnaître comme opposition le parti détenant le plus grand nombre de sièges
après le gouvernement, le sénateur Robichaud a convenu qu'il était peut-être
temps de revoir l'organisation interne du Sénat et la manière dont les partis y
sont reconnus. Il a conclu son intervention en proposant que le Comité permanent
des privilèges, du Règlement et de la procédure se penche sur cette question.
Le sénateur Prud'homme s'est ensuite exprimé au sujet de la violation présumée
de privilège. Il a proposé que je prenne le temps nécessaire, en tant que
Président, pour examiner minutieusement cette importante question. Je tiens à
dire à tous les honorables sénateurs que j'ai pris ce conseil au sérieux. Je
crois que les considérations liées à la question de privilège du sénateur
St-Germain sont très importantes. Depuis le jour où elle a été soulevée,
j'examine attentivement les arguments présentés et les documents déposés à ce
sujet. J'ai également étudié les précédents pertinents de notre Parlement et
d'autres parlements de type britannique. Je suis maintenant prêt à rendre ma
décision.
Pour ce faire, je vais prendre en considération trois points connexes : la
question de privilège soulevée par le sénateur St. Germain; le rôle du Président
du Sénat pour ce qui est de résoudre certaines questions; et les méthodes qui
pourraient permettre de désigner le leader de l'opposition.
Permettez-moi de commencer par la question de privilège du sénateur St. Germain.
Le paragraphe 43(1) du Règlement nous rappelle qu'« il incombe à chaque sénateur
de préserver les privilèges du Sénat. Une atteinte aux privilèges d'un sénateur
touche aux privilèges de tous les sénateurs et à la capacité du Sénat de
s'acquitter [de ses] fonctions […] ». La lutte menée par le Parlement contre la
Couronne britannique pour faire reconnaître ses privilèges il y a plusieurs
siècles, coïncide en fait avec l'avènement de la démocratie et du gouvernement
parlementaire en Grande-Bretagne. C'est également un aspect important du
patrimoine constitutionnel canadien. Les principes sous-jacents aux privilèges
établis il y a si longtemps demeurent importants aujourd'hui, bien que
l'exercice de ces privilèges continue d'évoluer.
D'après l'autorité britannique en matière parlementaire, Erskine May, « le
privilège parlementaire est la somme des droits particuliers à chaque Chambre,
collectivement, […] et aux membres de chaque Chambre individuellement, faute
desquels il leur serait impossible de s'acquitter de leurs fonctions. Ces droits
dépassent ceux dont sont investis d'autres organismes ou particuliers ». Les
privilèges les plus importants exercés par la Chambre à titre collectif sont le
pouvoir de prendre des mesures disciplinaires en cas d'outrage et le pouvoir de
réglementer ses affaires internes. Sur le plan individuel, la liberté de parole
constitue le premier droit des parlementaires. Leurs autres droits englobent
l'immunité d'arrestation et la protection contre l'obstruction et la brutalité.
Ces derniers privilèges demeurent importants, selon Erskine May, « comme moyen
pour la Chambre d'exercer efficacement ses fonctions collectives ».
Le fait pour un sénateur d'être reconnu comme leader de l'opposition ne fait pas
partie des privilèges traditionnels des parlementaires de cette Chambre à titre
individuel, ni même des privilèges exercés collectivement par le Sénat. J'ai
donc de la difficulté à voir en quoi la désignation d'un sénateur pour le poste
de leader de l'opposition est liée au privilège. Dans son livre intitulé Le
privilège parlementaire au Canada, deuxième édition, page 228, Joseph
Maingot corrobore ce point de vue. Il fait observer que le privilège
parlementaire concerne les droits particuliers dont sont investis les députés
non à titre de ministres, de chefs de parti, de secrétaires parlementaires ou de
whips. J'en conclus qu'en l'espèce, la question de privilège n'est pas fondée à
première vue.
Il pourrait cependant se produire des situations où le statut du leader de
l'opposition pourrait donner lieu à un rappel au Règlement. Par exemple, le
Règlement prévoit que, dans la plupart des cas, le leader du gouvernement et
celui de l'opposition se voient allouer un temps de parole illimité. Toute
tentative en vue de limiter ce droit pourrait susciter un rappel au Règlement
sur lequel le Président pourrait devoir se prononcer. Il convient de souligner
que la protection des droits en question n'implique pas de les reconnaître en
tant que privilèges parlementaires en sus des privilèges accordés à tous les
parlementaires. Il faut également signaler que, dans un tel cas, comme pour tout
ce qui concerne l'application du Règlement du Sénat, la décision
elle-même peut faire l'objet d'un appel au Sénat. C'est parce que ce dernier
conserve pour lui-même le pouvoir exclusif d'arrêter ses pratiques, au point de
garder un droit de regard sur les décisions de son Président. À ce chapitre, le
Sénat est très différent de nombreuses autres assemblées parlementaires, y
compris au Royaume-Uni et en Australie, où les décisions du Président ne sont
pas sujettes à appel.
À ce stade, mon deuxième point, portant sur le rôle du Président du Sénat, est
déjà traité en bonne partie. En fait, il s'agit d'un rôle très limité. En tant
que Président, j'ai l'obligation d'appliquer le Règlement en faisant de
mon mieux, mais c'est le Sénat et non le Président qui a le dernier mot. Par
conséquent, les précédents n'ont pas un caractère obligatoire. Bien entendu, ils
influencent l'évaluation de la situation par le Président, mais ils ne peuvent
lier le Sénat. En vertu de nos pratiques actuelles, le Sénat n'a aucune
obligation de suivre un précédent.
Dans le cas présent, j'ai examiné attentivement les précédents mentionnés par le
sénateur St. Germain, qu'il explique plus en détail dans le document déposé le 6
février. Le sénateur avance que ces précédents sont utiles et pourraient servir
de lignes directrices à la décision qui sera rendue en l'espèce. Le premier
exemple mentionné lors de son exposé était celui du Parlement britannique. Il a
fait valoir qu'à Westminster, on désigne le leader de l'opposition à la Chambre
des lords en fonction de la représentation politique à la Chambre des communes.
Je pense que cela illustre correctement le fonctionnement du système au
Parlement du Royaume-Uni.
Au Royaume-Uni, s'il y a un doute quant au parti qui devrait être désigné comme
l'opposition officielle à cause de la parité, le Président des communes est
autorisé par la loi à trancher définitivement la question. Dans tous les autres
cas, cependant, le Président n'a aucun rôle à jouer. En vertu du même texte de
loi, la Ministerial and other Salaries Act, le Lord chancelier a le même
pouvoir de désigner l'opposition officielle à la Chambre des lords, mais ce
pouvoir doit être exercé par référence à la décision déjà prise à la Chambre des
communes. Ces dispositions remontent à 1937, et je ne connais pas un seul cas
pour lequel le Président ou le Lord chancelier a dû les invoquer. Le sénateur
St. Germain n'indique pas non plus qu'on y a déjà eu recours. Quoi qu'il en
soit, le sénateur est d'avis que je peux, en tant que Président, exercer le même
pouvoir en vertu de l'article 1. Je ne suis pas d'accord avec cette
interprétation. En outre, mon point de vue semble partagé par mon homologue de
« l'autre endroit ». Dans une décision rendue le 26 février 1996 sur le statut
du Bloc québécois, le Président Parent a expliqué qu'« à moins que la Chambre ne
veuille, soit par des règles, soit par la législation, donner au Président des
pouvoirs et des directives précis lui permettant de désigner l'opposition
officielle, je dois d'abord dire que […] je ne pense pas qu'il relève de moi de
prendre une telle décision ». Le Président a ensuite sanctionné le statu quo,
c'est-à-dire le maintien du mandat du Bloc québécois en tant qu'opposition
officielle.
Selon moi, la position adoptée par le Président des Communes dans ce cas n'a
rien de typique. Elle s'apparente plutôt à l'approche qu'on attendrait de la
part du Président en ce qui concerne la voix prépondérante, c'est-à-dire laisser
la question ouverte en optant pour le statu quo. Le Président a simplement
reconnu le statu quo. Le Président Parent a constaté qu'il n'avait pas le
pouvoir de modifier le statu quo et de désigner le Parti réformiste en tant
qu'opposition officielle. Comme il l'a expliqué, une telle décision « n'a jamais
été faite à la Chambre même, et la Chambre n'a jamais établi de procédure pour
le choix de l'opposition officielle ». [...]
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