Revue parlementaire canadienne

Numéro courant
Région canadienne, APC
Archives
Prochain numéro
Guide de rédaction
Abonnez-vous

Recherche
AccueilContactez-nousEnglish

PDF
La saga du « droit aux manches courtes » : le code vestimentaire à l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique
Janet Routledge

Plus tôt cette année, on m’a demandé de présenter un exposé sur les codes vestimentaires des parlementaires à la conférence régionale canadienne de l’Association parlementaire du Commonwealth. Un parlementaire d’une autre province qui y assistait s’est dit extrêmement étonné qu’un tel sujet soit à l’ordre du jour en 2019.

En effet, si on m’avait demandé, il y a un an, s’il s’agissait d’un problème sur lequel nous devions nous pencher, j’aurais eu la même réaction. Évidemment, c’était avant que d’autres députés de l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique et moi soyons mêlés malgré nous à la saga du « droit aux manches courtes ».

Dans le présent article, j’expliquerai pourquoi le code vestimentaire des parlementaires est récemment devenu un sujet explosif à l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique, comment nous avons choisi de mettre fin à la controverse et ce que nous avons retiré de cet épisode.

D’abord, il importe d’expliquer un peu le contexte. Puisqu’il s’agissait de mon premier mandat comme députée, à mon arrivée à l’Assemblée législative pour représenter mes concitoyens, j’ai eu droit à une séance d’information détaillée et approfondie sur ce qu’on attendait de moi en tant que députée. Or, on ne m’a jamais informée de ce que je pouvais porter ou non. J’ai simplement observé ce que portaient les femmes des deux côtés de l’Assemblée et j’ai fait des choix en conséquence.

J’ai commencé à porter des vestes de couleur vive et j’évitais les motifs trop chargés. J’avais entendu dire qu’on ne pouvait pas porter de vêtements de couleur orange (la couleur de mon parti) ni de chaussures à bout ouvert. Si ce n’était de la situation dramatique survenue en mars 2019, je n’aurais pas entendu parler de l’article 36.

Article 36 du Règlement

À l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique, le code vestimentaire pour les députés n’est pas prévu explicitement dans le Règlement. On se fonde plutôt sur les usages administratifs et les notes des Présidents au fil des ans pour préciser ce qui constitue une tenue convenable.

Notre Règlement donne peu de directives à ce sujet. Selon l’article 36, tout député qui désire obtenir la parole doit se lever à sa place, la tête découverte, et s’adresser au Président. Cet article provient du Règlement colonial du Conseil législatif de la Colombie-Britannique, devenu le Règlement de l’Assemblée législative lorsque la Colombie-Britannique s’est jointe à la Confédération en 1871. L’obligation de se lever la tête découverte s’appliquait aux hommes qui à l’époque n’étaient pas autorisés à porter un chapeau quand ils participaient aux débats.

Outre le Règlement, notre guide de procédure à l’Assemblée législative, intitulé Parliamentary Practice in British Columbia, 4e édition, indique que rares sont les sources d’autorité quant à la tenue des députés sauf pour faire état de l’habituel « veston-cravate ». Il énonce également une décision du Président datant de juin 1980 dans laquelle celui-ci reprend les termes utilisés dans l’ouvrage de Beauchesne – « tenues classiques, conformes aux usages contemporains ». Il convient peut-être de souligner que depuis la publication de la 4e édition de notre guide de procédure en ????, la Chambre des communes du Royaume-Uni a mis fin au port obligatoire de la cravate pour les députés.

Mis à part cette directive, les Présidents ont donné occasionnellement des lignes directrices d’ordre administratif, notamment pour divers employés dans les couloirs adjacents à la Chambre législative. C’est le personnel du sergent d’armes qui les fait respecter depuis des années. L’expression « tenues classiques, conformes aux usages contemporains » me semble très vague, mais je n’envie pas le personnel du sergent d’armes, qui doit l’interpréter et la faire respecter.

Mouvement pour le droit aux manches courtes

Plus tôt cette année, on a vécu une expérience intéressante de modernisation du code vestimentaire en Colombie-Britannique. Le 28 mars 2019, des membres de la Tribune de la presse parlementaire ont soulevé des préoccupations liées au code vestimentaire en vigueur dans les édifices du Parlement, notamment dans le corridor du Président et plus particulièrement en ce qui concerne la tenue des femmes. Cela s’est fait dans le cadre de ce que les membres de la Tribune de la presse parlementaire ont appelé le « mouvement pour le droit aux manches courtes ».

J’aimerais faire part de l’expérience relatée par Bhinder Sajan, journaliste de CTV News et membre de la Tribune de la presse parlementaire, qui a participé au mouvement pour le droit aux manches courtes. Dans une série de gazouillis, Mme Sajan a dit ceci :

« Une employée nous a raconté qu’on l’avait avertie de mettre un veston ou de quitter le corridor. Elle portait un pantalon habillé et une blouse à manches courtes. Selon mes souvenirs, ses épaules étaient au moins partiellement couvertes. Elle a alors contesté le règlement, et on lui a répondu qu’elle devait porter des manches.

Nous, les membres de la Tribune de la presse, avons déjà vécu cette situation à plusieurs reprises. La dernière fois, on nous a dit qu’il n’y avait pas de code vestimentaire en tant que tel, mais que nous devions porter une tenue professionnelle. Alors, [mes collègues de la Tribune et moi] en avons discuté et nous avons décidé que nous en avions assez.

Nous avons convenu de porter dorénavant des tenues qui laissaient les bras découverts — des chemises sans manches, des chemises avec des manches de longueurs différentes, etc. — pour faire valoir notre point de vue. Je me souviens que l’an dernier, des femmes portaient sans aucun problème des tenues sans manches. [Mes collègues de la Tribune et moi] nous sommes donc réunies pour prendre une photo. C’était étrange de « manifester » contre un code vestimentaire […] La photo a ensuite été publiée sur Twitter.

Une personne qui y figurait s’est fait dire que son haut était inapproprié et d’aller voir le sergent d’armes intérimaire. Certaines d’entre nous sont montées avec elle pour poser des questions. Le sergent d’armes intérimaire a admis que les règles sont anciennes et qu’il faut peut-être les revoir. Un membre de la Tribune nous a montré une carte qu’on avait fait circuler peu de temps avant, concernant la conduite des médias dans les corridors, sans aucune mention des femmes. Il y avait apparemment un code vestimentaire pour femmes qui exigeait une tenue professionnelle. À ce moment-là, nous n’avions toujours pas vu de politique.

Ensuite, la vice-présidente Carole James a parlé aux journalistes et a dit qu’il était ridicule d’en faire la surveillance. Elle a dit que cela faisait longtemps qu’elle travaillait à l’Assemblée législative, qu’elle ne se préoccupait pas de la tenue vestimentaire des femmes, et que selon elle, les autres ne devraient pas s’en préoccuper non plus. Elle a dit qu’un examen de la politique était en cours.

Nous avons parlé avec Sonia Furstenau du Parti vert, qui a rapporté qu’on a invité l’une de ses employés à porter un jupon à cause de sa jupe trop moulante. Certaines femmes lui ont affirmé qu’on leur avait dit de porter des collants et de se croiser les jambes lorsqu’elles sont assises. […]

On entend souvent des histoires de femmes qui se sentent invisibles dans le milieu du travail; l’exception, c’est lorsqu’il s’agit du code vestimentaire. C’est alors que nous semblons plus visibles que les hommes. Ces derniers peuvent porter le même complet et changer de cravate ou de chemise, et personne ne s’en rend compte (rappelons-nous l’histoire du présentateur à la télévision australienne qui a porté le même complet pendant une année!). Je ne crois pas qu’une femme pourrait le faire sans recevoir de reproche.

J’ai peut-être tort, mais je ne le crois pas. Je ne blâme pas le personnel qui fait respecter la politique. L’accent mis sur la tenue des femmes va au-delà de l’Assemblée législative. Le récent débat entourant le code vestimentaire dans les écoles à Chilliwack en a été un autre exemple. »

L’examen

À la suite de l’incident, le Président, Darryl Plecas, a publié une note de service confirmant qu’une « approche conservatrice contemporaine » avait été appliquée concernant la tenue vestimentaire dans l’Assemblée législative. De plus, il a annoncé que la greffière intérimaire, Kate Ryan-Lloyd, entreprendrait un examen du code vestimentaire parlementaire moderne.

Le 1er avril 2019, la greffière intérimaire a formulé des recommandations initiales au Président, qui les a acceptées. Voici les recommandations provisoires :

  • Que toute directive sur la tenue vestimentaire à l’Assemblée législative soit fondée sur des principes, sans être trop prescriptive. Nous reconnaissons et respectons le bon jugement de tous les députés, du personnel et des membres de la Tribune de la presse. Nous les invitons tous à continuer de porter une tenue vestimentaire professionnelle. Reconnaissant que l’Assemblée législative est un milieu de travail officiel, nous sommes sûrs que tous feront preuve de bon jugement.

  • Que pour les femmes, une tenue vestimentaire professionnelle comprenne une variété d’options conventionnelles contemporaines, qui peuvent inclure des robes sans manches, des chemises sans manches et des blouses. Pour les hommes, les vestes, les chemises à col et des cravates continuent d’être la tenue exigée.

  • Que l’application du code vestimentaire de l’Assemblée législative ne soit pas la responsabilité du sergent d’armes ni d’autres membres du personnel de l’Assemblée et que chaque personne soit capable de choisir une tenue de travail professionnelle appropriée.

Le Président a demandé à la greffière intérimaire d’entreprendre d’autres consultations et de lui présenter un rapport exhaustif sur cette question, car il n’est pas en mesure d’apporter unilatéralement des changements au code vestimentaire sans consulter les députés.

Dénouer la cravate

On m’a chargée de consulter mes collègues du caucus du gouvernement. J’ai été surprise de découvrir que bon nombre de mes collègues masculins souhaitent ardemment l’élimination du port obligatoire de la cravate.

Plus précisément, une des critiques principales sur le code vestimentaire que le Président a adopté sur la recommandation de la greffière intérimaire est qu’il n’est pas sans distinction de genre, alors que, de nos jours, il faut tenir compte de la non-conformité sexuelle.

En tant que caucus, nous avons souscrit avec enthousiasme à la recommandation que chacun est responsable de surveiller sa propre tenue vestimentaire. Il semblerait que personne n’en était plus heureux de ce changement que le personnel du sergent d’armes!

Rapport de la greffière intérimaire sur le code vestimentaire

Le rapport final présenté par la greffière intérimaire au Président a été publié le 28 mai 2019. Il comprenait 14 recommandations et a défini quatre catégories du code vestimentaire :

  • Attentes concernant les députés pendant les délibérations de la Chambre;

  • Attentes concernant les députés pendant les délibérations des comités parlementaires;

  • Attentes concernant les employés à l’intérieur des édifices du Parlement;

  • Attentes concernant les visiteurs.

Ces catégories représentent une reconnaissance importante des différentes attentes existant dans un même milieu de travail. Pour résumer de façon générale les quatre catégories, le rapport de la greffière intérimaire comprend les recommandations suivantes :

  • Que le port d’une tenue professionnelle contemporaine soit exigé des députés quand ils participent aux délibérations de la Chambre, et que cette exigence soit officialisée par une modification au Règlement

  • Que la tenue autochtone, la tenue culturelle traditionnelle et les vêtements à caractère religieux continuent d’être considérés comme une tenue vestimentaire acceptable.

  • Qu’on permette toujours les couvre-chefs et les accessoires religieux ainsi que les autres objets qui symbolisent la foi, comme les kirpans et les poignards rituels.

  • Que pour les députées qui s’identifient comme femme, la tenue professionnelle contemporaine comprenne des robes sans manches, des chemises sans manches et des blouses.

  • Que pour les députés qui s’identifient comme homme, la tenue professionnelle contemporaine comprenne des vestons et des chemises à col et le port de la cravate ne soit pas obligatoire.

  • Que pour les députés qui ne s’identifient pas comme ayant un genre ou l’autre, la tenue professionnelle contemporaine reflè

    te une diversité d’options acceptables, y compris les exemples cités ci-dessus.

  • Que les vêtements et les insignes affichant des noms de marque, des slogans ou des messages publicitaires ou politiques soient interdits à la Chambre.

  • Que chaque ministère de l’Assemblée, chaque caucus et chaque groupe de travail veille au respect du code vestimentaire dans son service respectif.

  • Que le Président continue à assurer l’examen du code vestimentaire à la Chambre et qu’il maintienne le pouvoir discrétionnaire d’autoriser des exceptions dans des circonstances particulières.

  • Qu’une tenue professionnelle contemporaine soit aussi exigée des autres personnes qui travaillent dans les édifices du Parlement.

  • Que les visiteurs des édifices du Parlement ou aux tribunes du public portent une tenue décontractée ou professionnelle, notamment les chaussures.

Résultats favorables pour la Colombie-Britannique

L’Assemblée législative de la Colombie-Britannique a beaucoup appris de l’examen du code vestimentaire et des exigences quant à la tenue au cours de l’année. À mon avis, nous en avons tiré certains résultats favorables, plus particulièrement, en ce qui a trait aux députés et à leur tenue pendant les délibérations de la Chambre.

Par exemple, la tenue culturelle traditionnelle, la tenue autochtone et les vêtements à caractère religieux sont depuis longtemps considérés comme étant appropriés, sans aucune objection. C’est un usage accepté. Cependant, l’Assemblée trouverait peut-être utile de l’officialiser par voie d’une modification au Règlement.

Un autre résultat favorable est le pouvoir discrétionnaire laissé au Président pendant les délibérations de la Chambre. Ainsi, de temps à autre, pour respecter un pari amical, un député pourrait porter le chandail d’une équipe sportive pendant qu’il prononce une courte déclaration à la Chambre. De tels écarts du code vestimentaire sont depuis longtemps jugés acceptables pourvu que le député ait demandé la permission du Président au préalable.

L’un des points forts du code vestimentaire est l’accent mis sur des principes plutôt que sur des règles rigoureuses. Offrir au Président un pouvoir discrétionnaire lui permettant de faire preuve de flexibilité à l’égard du code, affirmer la nécessité de s’adapter aux différentes réalités culturelles et reconnaître la diversité grandissante du personnel de la Chambre et de ses visiteurs ont permis d’élaborer un code vestimentaire qui illustre davantage les besoins et les valeurs contemporaines.

Conclusion

À mon sens, bon nombre d’assemblées législatives vont réexaminer leur code vestimentaire au cours des prochaines années. Des changements démographiques au sein de l’Assemblée législative nous ont incités à étudier d’autres aspects de nos lieux de travail du point de vue de l’égalité des sexes.

Si le Règlement reste muet sur la question des exigences vestimentaires, nous ne devons pas être surpris de voir les gens se servir de leur tenue pour exprimer leur individualité. S’il existe toujours des exigences — ce qui devrait être le cas dans tout lieu de travail — celles-ci doivent néanmoins être annoncées et communiquées à tous ceux à qui ils s’appliquent.

La Colombie-Britannique progresse dans une direction où le code vestimentaire n’est pas prescrit, mais on y communique des attentes de base et on se montre sensibles aux considérations qui touchent le genre et la non-conformité sexuelle. À mon avis, il s’agit d’un pas dans la bonne direction. J’inciterais tous les parlementaires qui tiendront des discussions semblables au cours des prochaines années à tenir compte de la non-conformité sexuelle et à se montrer sensibles à l’égalité du genre au sein de leur Assemblée législative s’ils jugent que cela est convenable dans leur compétence.

Addenda

À l’automne 2019, le Président a accepté officiellement toutes les recommandations du rapport de la greffière intérimaire. En octobre 2019, l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique a adopté à l’unanimité une modification à l’article ?? du Règlement pour supprimer le mot « découvert » et a adopté à l’unanimité le nouvel article 17B, qui apporte une certitude aux députés à l’égard du respect du code vestimentaire et des attentes par rapport à l’habillement. Le nouvel article 17B se lit comme suit :

(1) Les députés portent une tenue d’affaires contemporaine professionnelle pendant toutes les délibérations de la Chambre.

(2) La tenue autochtone, la tenue culturelle traditionnelle et les vêtements à caractère religieux sont des tenues appropriées pour les députés.

(3) Les couvre-chefs sont interdits pendant les délibérations de la Chambre, à l’exception de ceux visés par la disposition du paragraphe (2).

(4) Le port de vêtements et d’insignes affichant des noms de marque, des slogans ou des messages publicitaires ou politiques est interdit pendant les délibérations de la Chambre.

(5) Le Président encadre les exigences vestimentaires concernant les députés. Il peut offrir conseil et autoriser des exceptions au code vestimentaire dans des circonstances particulières.


Canadian Parliamentary Review Cover
Vol 42 no 4
2019






Dernière mise à jour : 2020-09-14