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Plus d’élus ou des élus mieux soutenus?
Kellie Leitch

Dans le présent article, l’auteure soutient que les Canadiens ont besoin non pas d’avoir un plus grand nombre de parlementaires, mais de mieux les soutenir. Tout en admettant qu’il n’existe pas de formule universelle permettant de déterminer la taille d’une assemblée, elle mentionne néanmoins que bon nombre de pays ayant un ratio supérieur de représentants par habitant fonctionnent bien lorsque les parlementaires disposent d’un effectif suffisant et des ressources nécessaires pour accomplir efficacement leur travail. Elle invite les Canadiens à se demander si leurs représentants leur en donnent pour leur argent, c’est-à-dire pour ce qu’ils versent en impôt afin de payer leurs salaires et leurs pensions, et croit qu’on devrait privilégier la qualité des services offerts par les parlementaires plutôt que la quantité de représentants. Donnant comme exemple les recherches intenses et tout le travail qu’exige la rédaction des mesures législatives, elle fait remarquer que les Canadiens en auraient plus pour leur argent si les parlementaires pouvaient affecter des employés aux activités courantes et aux projets spéciaux plutôt que d’éparpiller ces ressources parmi un plus grand nombre de politiciens qui, par manque de moyens, s’en remettent aux notes d’allocution fournies par les bureaux des partis.

Bien des gens s’intéressent, et avec raison, à ce qu’on pourrait faire pour améliorer la représentation démocratique au Canada. Selon moi, les partisans de l’augmentation du nombre d’élus font fausse route. Le fait de multiplier leur nombre à la Chambre des communes ou au sein d’une assemblée législative provinciale ne contribuera pas à améliorer la représentation démocratique. On peut très bien faire évoluer notre démocratie sans avoir plus de politiciens. Il existe d’autres façons d’améliorer les services offerts, de se rapprocher des citoyens et de rendre davantage de comptes aux Canadiens.

Il n’existe pas de formule universelle permettant de déterminer la taille d’une assemblée législative. À mon avis, il faudrait mettre l’accent sur la qualité du service qu’offrent les députés, et non sur la quantité de députés. Une assemblée législative se doit d’être juste et équitable, et de disposer d’une certaine latitude pour tenir compte des différences entre les régions et les habitants d’un bout à l’autre du Canada. Il faut toutefois savoir ce que l’assemblée nous donne en contrepartie des deniers publics qu’elle utilise. Il n’est dans l’intérêt de personne d’élire plus de députés d’arrièreban à qui nous paierons plus tard une pension, sauf dans le leur.

Selon moi, les Canadiens sont surreprésentés. Ils n’ont pas besoin d’une représentation encore plus grande. Ce dont ils ont besoin, ce sont de représentants qui aient une voix plus forte pour défendre les intérêts de leurs concitoyens, et de ressources pour accomplir leur travail d’une façon concrète et indépendante des bureaux de leurs chefs respectifs. Ils ont besoin de députés mieux soutenus, non pas d’un plus grand nombre d’élus.

Nombre d’autres démocraties fonctionnent bien sans avoir autant de députés par habitant. Par exemple, la population des ÉtatsUnis est environ dix fois plus élevée que celle du Canada. Pourtant, la Chambre des représentants compte 435 sièges. En comparaison, la Chambre des communes en compte 338, pour à peine plus de 37 millions d’habitants.

Je suis convaincue qu’on pourrait diminuer la députation, à condition de le faire d’une façon juste et équitable. Le plus important, c’est de fournir aux députés les ressources adéquates pour les appuyer dans leur travail. La population croit que les députés ont des ressources illimitées. Or, il n’en est rien.

Au Canada, chaque député emploie généralement une ou deux personnes à Ottawa, et deux ou trois dans sa circonscription. Sur la Colline du Parlement, des employés s’occupent des travaux des comités, rencontrent des intervenants, rédigent des discours et de la correspondance, planifient et organisent des activités et s’acquittent d’une foule d’autres tâches quotidiennes. Et on s’attend en plus à ce qu’ils soient de véritables chercheurs et rédacteurs de lois. Dans la circonscription, il y a en plus les dossiers des citoyens à traiter et les activités à organiser. La charge de travail est semblable aux deux endroits – lourde –, et il est pratiquement impossible d’en venir à bout.

Les représentants américains ont droit d’avoir jusqu’à 18 employés à temps partiel et 4 employés à temps plein qui les appuient dans leur travail. Souvent, leur bureau comporte des sections spécialisées, dont certains employés se concentrent sur la recherche, d’autres sur des questions législatives courantes, d’autres encore sur les communications ou l’organisation. Par comparaison, les députés canadiens ont une toute petite équipe d’employés surchargés de travail. Résultat : ils ne mènent pas de recherche approfondie et n’examinent pas de près les questions touchant l’intérêt public et, bien souvent, ils utilisent des formules toutes faites et comptent sur le bureau de leur chef plutôt que de faire leurs propres recherches.

Je ne dis pas que tous les députés devraient avoir autant d’employés. Cela semble excessif. Toutefois, le chiffre idéal pourrait se situer entre celui de l’effectif de soutien actuel et le nombre, plus élevé, observé dans d’autres pays. Pouvoir affecter une seule personne à l’organisation, une aux communications, une à la recherche et une autre à la rédaction législative nous aiderait énormément.

S’ils disposaient de ressources supplémentaires, les députés pourraient mieux faire entendre leur voix. Les élus ont de multiples occasions d’exercer leur influence. Rédiger un projet de loi d’initiative parlementaire leur en donne une. Même s’ils sont rarement adoptés, ces projets de loi, s’ils sont bien rédigés, peuvent néanmoins susciter le débat et orienter les mesures législatives du gouvernement. Il reste que la recherche et la consultation nécessaires à l’élaboration d’un projet de loi exigent beaucoup d’efforts. Seulement pour le projet de loi C-450, le projet de loi d’initiative parlementaire que j’ai présenté et qui visait à moderniser la Loi sur Santé Canada, j’ai passé plus d’une année à consulter. Mon équipe devait continuellement tenter d’atteindre un équilibre : traiter les dossiers des citoyens tout en rédigeant une mesure législative en vue de la débattre.

Les occasions de présenter un projet de loi sont rares, et celles d’intervenir sur un projet de loi à la Chambre des communes le sont tout autant. Augmenter la députation n’améliorera pas le débat et ne renforcera pas comme par magie la gouvernance démocratique. Des députés mieux soutenus et plus indépendants pourront exercer une influence, car il leur sera possible d’élaborer des projets d’initiative parlementaire bien documentés.

La première fois que j’ai été élue, en 2011, il y avait 308 députés, ce qui était plus que suffisant. Aujourd’hui, on en compte 338. Or, je ne vois aucune amélioration de la représentation démocratique. Ni du débat. Trente personnes de plus sont assises derrière leur chef en espérant changer les choses. Il aurait mieux valu investir dans les 308 députés pour les aider à mieux défendre les intérêts de leurs concitoyens.

Je suis consciente de la nécessité d’atteindre un équilibre entre les régions et d’assurer l’égalité entre les Canadiens. Il faut tenir compte des chiffres par habitant, de la population absolue, des différences géographiques et de l’utilisation optimale des deniers publics. La situation de l’Ontario, avec sa forte population, est très différente de celle des provinces moins populeuses. Si l’on suivait sa formule, il y aurait un député fédéral et un député provincial pour l’ÎleduPrinceÉdouard. Évidemment, il serait impensable qu’une assemblée législative soit formée d’une seule personne. Il faut être raisonnable. Tout dépend de ce qu’on conçoit comme étant une pondération raisonnable de la représentation par rapport à ce que paient les contribuables.

Je me dois de mentionner que, quel que soit le nombre de sièges, les habitants du Grand Nord et des régions éloignées perdent souvent au change, car c’est là que le manque de ressources additionnelles pour les députés est le plus flagrant. Par exemple, la circonscription électorale de Kenora s’étend sur un énorme territoire. La superficie de cette circonscription du Nord de l’Ontario, soit plus de 321 000 km2, dépasse celles du NouveauBrunswick, de l’ÎleduPrinceÉdouard et de la partie insulaire de TerreNeuveetLabrador combinées. Or, le député de Kenora ne dispose que d’un minimum de ressources supplémentaires pour assurer une représentation adéquate. C’est inéquitable, quand un député peut facilement se déplacer en voiture, voire à pied, dans sa circonscription alors qu’un autre ne le peut pas.

J’invite les chercheurs et les pourfendeurs d’une diminution du nombre de sièges à participer au processus politique. Ceux-ci devraient savoir comment le processus fonctionne avant de voir dans l’augmentation de la députation une panacée. Selon moi, il faut offrir plus de ressources à un moins grand nombre de députés plutôt que de réduire la portée de la voix des élus actuels. Rendons le travail des députés plus efficace en leur offrant le soutien adéquat. Réduire le nombre de députés, mais leur permettre de travailler efficacement et de façon autonome servirait mieux les intérêts de la démocratie canadienne que d’élire encore plus de députés d’arrièreban, à qui on paiera plus tard une pension, mais qui se contentent de répéter des notes d’allocution.


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Vol 42 no 3
2019






Dernière mise à jour : 2020-09-14