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Leona Aglukkaq; Brock Pitawanakwat; Dan Vandal; Danielle Whyte
À l’occasion d’une conférence célébrant le 50e anniversaire du Programme de stages parlementaires, un groupe d’experts a été mis sur pied pour discuter des rôles historiques et nouveaux des Autochtones au sein du gouvernement et du Parlement fédéraux. Bien que la composition du groupe ait dû être modifiée au dernier moment en raison de circonstances imprévues, le groupe d’experts formé de députés anciens et actuels, d’un chercheur et d’un fonctionnaire a formulé des observations réfléchies s’appuyant sur des perspectives variées. Le groupe s’est intéressé particulièrement aux défis et aux possibilités associés à la mobilisation respectueuse d’une population diversifiée, à la création de structures d’autonomie gouvernementale et à la suite à donner aux travaux de la Commission de vérité et réconciliation (CVR). Le texte qui suit présente les discussions sous une forme condensée et clarifiée et ne constitue pas un compte rendu textuel des délibérations.
Introduction : J’ai le plaisir de vous présenter la modératrice de la prochaine session, Danielle Whyte. Mme Whyte a été stagiaire en 1995-1996 auprès de Jean Augustine, députée du Parti libéral, et de Paul Crête, du Bloc Québécois. Elle est devenue fonctionnaire à la suite de son stage et œuvre dans le domaine des affaires autochtones depuis 2000.
Danielle Whyte : Je suis très honorée d’être ici avec vous aujourd’hui. Je voudrais d’abord, comme nous l’avons fait ce matin, reconnaître que nous sommes réunis sur le territoire non cédé de la Nation algonquine. Je veux exprimer ma gratitude et mon respect aux Aînés et aux gardiens des connaissances du peuple algonquin.
J’ai été stagiaire en 1995-1996. Je viens d’une petite communauté établie sur le territoire mi’kmaq de la côte ouest de Terre-Neuve. Je suis d’ascendance mi’kmaq et européenne. J’habite maintenant à Ottawa, où j’ai axé l’essentiel de ma carrière sur les politiques autochtones. En me préparant pour la discussion du groupe d’experts, je me remémorais mon année de stage, 1995, et la place qu’occupaient les questions autochtones dans le programme d’action politique. Je pense que la grande question à l’époque était de savoir si les Cris de la baie James, dans le Nord-du-Québec, allaient demeurer au sein d’un Québec indépendant ou se séparer. Alors, bien qu’elles aient fait suite à la crise des opioïdes et à la mise en place de la Commission sur les peuples autochtones, les questions autochtones n’occupaient pas l’avant-plan de la scène politique au moment où se dessinait une crise d’unité nationale.
Deux décennies plus tard, le gouvernement déclare que la relation qui lui importe le plus est celle qu’il entretient avec les Autochtones. Dans cette perspective, passons maintenant au groupe d’experts.
Lors de mon stage, en 1995, je pense que la présence autochtone au Parlement se résumait à trois députés et à une poignée de sénateurs. En 2015, 10 députés autochtones ont été élus au Parlement. Par simple curiosité : qui sait quand les citoyens des Premières Nations ont obtenu le droit de vote au Canada? En 1960, c’est-à-dire peu de temps avant le début de notre programme de stages. Le premier Indien inscrit a été élu au Parlement en 1968. Nos experts forment un groupe très restreint et distingué. À en croire Wikipédia, seulement 39 Autochtones ont été députés fédéraux depuis le début de la Confédération. Je suis donc très honorée d’accueillir notre groupe d’experts ce matin.
Je veux vous présenter l’honorable Leona Aglukkaq, qui a été députée du Nunavut de 2008 à 2015. Elle a été la première Inuite assermentée au Cabinet fédéral, où elle a été ministre de la Santé, ministre responsable de l’Agence canadienne de développement économique du Nord, ministre de l’Environnement et ministre responsable du Conseil de l’Arctique. Elle a aussi accepté différents portefeuilles ministériels à l’Assemblée législative du Nunavut et, au sein de la fonction publique, elle a été sous-ministre au gouvernement du Nunavut et a œuvré au gouvernement municipal. Je vous présente maintenant Dan Vandal, élu député de Saint-Boniface–Saint-Vital en 2015. Il est secrétaire parlementaire de la ministre des Services aux Autochtones et ancien conseiller municipal et maire suppléant de la ville de Winnipeg. M. Vandal a aussi présidé le conseil d’administration du Réseau de télévision des peuples autochtones. Enfin, j’ai le plaisir de vous présenter un ancien collègue de stage, Brock Pitawanakwat, qui a été stagiaire en 2002-2003. Il est professeur agrégé en études autochtones à l’Université York. Auparavant, il a enseigné à l’Université de Sudbury. Titulaire d’une bourse de recherche de l’Institut Yellowhead, il participe régulièrement aux baladodiffusions de la table ronde Indigena. Il a été chercheur pour la Commission de vérité et réconciliation. Les membres du groupe d’experts vont nous parler brièvement du rôle des Autochtones au Parlement. Nous leur avons demandé de définir leur rôle, de dégager les facteurs et les questions qui caractérisent leur présence, en tant qu’Autochtones, au Parlement et dans la sphère politique et de nous dire si, à leur avis, la perception du Parlement chez les membres des Premières Nations a changé depuis que les travaux de la CVR et la jurisprudence relative aux droits autochtones ont permis de mieux faire comprendre les questions autochtones.
Leona Aglukkaq : Bonjour à tous. J’ai été invitée à siéger à ce groupe d’experts hier soir, à bord d’un train en provenance de Toronto. Par conséquent, je n’ai pas disposé d’une longue période de réflexion. Je m’en excuse, mais je suis très heureuse d’être avec vous aujourd’hui.
Je suis une Inuite, née dans l’Arctique canadien. Je viens de la communauté de Gjoa Haven, dans le Passage du Nord-Ouest. J’ai grandi dans le Nord. Durant les années 1970, ma famille, qui vivait des ressources du territoire, a quitté ce mode de vie pour s’établir dans un peuplement. J’ai fait mes études dans le Nord et j’y ai travaillé comme fonctionnaire durant plus de 30 ans. J’ai fait mon entrée dans l’arène politique tout à fait par hasard. Je me suis d’abord engagée dans une action politique communautaire à Cambridge Bay et j’ai siégé au conseil durant six ans. À ce moment, je travaillais à plein temps dans le domaine de l’éducation, pour le gouvernement territorial.
J’ai déménagé à Iqaluit pour poursuivre ma carrière en éducation. Mais je participais également au processus de création du territoire du Nunavut et j’ai été nommée sous-ministre adjointe des Ressources humaines, au Bureau du commissaire intérimaire, établi en 1998 pour superviser la mise en place du gouvernement du Nunavut avant le 1er avril 1999. Ce n’est pas tous les jours qu’on est appelé à participer à la création d’un territoire, à changer la carte du Canada. Durant plus de 30 ans, les Inuits ont négocié un accord de revendications territoriales moderne, qui a mené à la création d’un nouveau territoire, d’un nouveau gouvernement populaire pour le Nunavut. Après avoir été fonctionnaire, je suis entrée dans la sphère politique.
J’ai été invitée à poser ma candidature pour représenter la communauté de Gjoa Haven, alors que je n’y étais pas plus allée depuis 18 ans. J’ai remporté cette circonscription contre six hommes. Je ne recommanderais à personne de faire campagne au Nunavut en février. Il fait froid. Je me souviens que mon frère m’avait laissé son véhicule pour mes déplacements. Je ne comprenais pas pourquoi, chaque matin, quand je montais dans le camion, il ne restait plus d’essence. Je me demandais : « Qu’est-ce qui se passe? Quelqu’un s’est sûrement servi de ce véhicule! » Mais non. Le camion était programmé pour démarrer automatiquement lorsque la température descendait sous un certain seuil. Le problème est qu’il ne s’éteignait plus. À 60, il était difficile de faire du porte-à-porte.
J’ai donné naissance à mon fils au début de ma carrière politique. J’avais un enfant de trois mois et je faisais campagne dans la plus vaste circonscription du Canada, et probablement du monde. Cette circonscription couvre trois fuseaux horaires et comprend 25 communautés isolées, sans route pour se rendre faire du porte-à-porte dans la prochaine ville. L’autre aspect particulier du Nunavut est que 85 % de la population est inuite. Vous ne trouverez nulle part ailleurs au Canada une population comme celle du Nunavut, où les Autochtones forment la majorité. Un autre défi d’une campagne dans cette région est que le Nunavut compte quatre langues officielles : l’inuktitut, l’inuinnaqtun, l’anglais et le français. Pour faire campagne au Nunavut, il faut se rendre en avion dans la communauté, participer à l’émission de radio et y rester jusqu’à ce que le téléphone cesse de sonner, reprendre l’avion jusqu’à la prochaine ville, et ainsi de suite. Une campagne de 35 jours au Nunavut est difficile, car le temps manque pour visiter les 25 communautés.
Pourquoi ai-je fait le saut en politique? Parce que j’étais frustrée de constater que les choses n’avançaient pas. Le Nunavut n’avait pas une forte influence pour promouvoir l’objectif de notre accord de revendications territoriales dans le système fédéral. Les organisations du Nunavut ont réclamé un arbitrage, à 16 reprises, pour obtenir que la bureaucratie fédérale mette en œuvre des articles que les Inuits avaient négociés depuis 30 ans.
Ma frustration en tant qu’Inuite bénéficiaire originaire du Nunavut vient de ce que nous établissons des accords de revendications territoriales, qui sont aussitôt relégués aux oubliettes. Je me souviens qu’en 2008, je siégeais comme députée et je traînais littéralement avec moi notre accord de revendications territoriales moderne pour sensibiliser les bureaucrates aux différents articles dont ils avaient la responsabilité. L’approvisionnement au Nunavut en est un exemple. Par quel processus l’approvisionnement est-il censé opérer? L’embauche d’Inuits est-elle un élément important dans les méthodes d’approvisionnement?
Alors, j’ai décidé de m’impliquer. Simplement en raison de l’incompréhension de l’histoire qui sous-tend les aspirations des Inuits au Nunavut. L’incompréhension du fait que nous voulions disposer des mécanismes qui nous permettraient de dégager des possibilités pour notre région, de créer des débouchés en emploi, en éducation.
Dan Vandal : Je vous remercie. C’est un grand honneur et un plaisir d’être avec vous aujourd’hui, parmi ce groupe d’experts. Tout comme Mme Aglukkaq, j’ai été informé de cette activité tôt ce matin. Toute une série d’appels a été nécessaire, mais je suis heureux d’être ici.
Je suis Dan Vandal, de Saint-Boniface, la patrie de Louis Riel. C’est là où est né le père du Manitoba et chef de la Nation métisse. C’est ma première expérience comme député, mais j’ai été élu conseiller municipal de Saint-Boniface en 1995. J’ai évolué dans le milieu politique depuis ce temps, sauf au cours d’une période de trois ans qui a débuté en 2004, après être arrivé second aux élections à la mairie de Winnipeg. Je me suis donc retiré de la politique durant quelques années, avant de revenir comme conseiller en 2007. Après avoir été conseiller jusqu’en 2014, j’ai décidé de passer à la politique fédérale en 2015.
Pour ceux qui ne connaissent pas Winnipeg ou Saint-Boniface, c’est une ville superbe. Il y fait froid; pas autant que dans la région d’où vient Leona, mais tout de même. Ce n’est pas une ville qui connaît une croissance rapide, mais les jeunes Autochtones, surtout les membres des Premières Nations et les Métis, forment la tranche démographique qui croît le plus rapidement. Cela pose des défis formidables. Nous connaissons tous les statistiques sur la pauvreté. Les défis sont énormes, mais les possibilités le sont aussi. La population de Winnipeg prend de l’âge et des possibilités d’emplois seront créées non seulement au gouvernement, mais dans tout le secteur privé. C’est donc une occasion pour le gouvernement de former des partenariats avec le secteur privé et des organisations autochtones pour créer des emplois de toutes sortes ainsi que des initiatives de formation et d’éducation, afin que les jeunes Autochtones puissent s’intégrer positivement à l’économie et à la société.
Je pense que c’est la raison fondamentale pour laquelle je me suis fait élire, que ce soit au palier municipal ou fédéral. Cela a toujours motivé mes actions. L’expérience de député me semble très positive. Je fais partie d’une équipe qui place vraiment la réconciliation au cœur de son action. Et je l’affirme pour différentes raisons. Je pense qu’une des raisons les plus importantes est que la lettre de mandat de chaque député, chaque ministre du gouvernement libéral comportait un passage sur les moyens de faire progresser les objectifs de réconciliation. Que ce soit le ministre des Pêches ou celui des Finances – et certainement les ministres des Services aux Autochtones et des Relations Couronne-Autochtones – le mandat comportait un volet sur les enjeux autochtones et la réconciliation. Ça, c’est formidable. C’est un point de départ fantastique qui, bien sûr, a été suivi d’investissements budgétaires importants.
Je suis secrétaire parlementaire du ministre des Services aux Autochtones, Seamus Regan. Nous avons cinq grandes priorités. L’une est l’infrastructure, y compris l’approvisionnement en eau. Je suis fier de dire que nous avons levé 85 avis permanents relatifs à la qualité de l’eau potable. Il en reste 61et nous sommes déterminés à terminer le travail d’ici 2022. Donc, l’infrastructure est une grande priorité pour nous. Les autres sont l’éducation, les soins de santé et les services à l’enfance et à la famille.
Peu après mon arrivée, j’ai été nommé président du caucus autochtone du Parti libéral. Nous avons décidé tôt de concentrer nos efforts sur les actions des ministres. Par conséquent, à chaque réunion du caucus, nous invitions un ministre pour connaître les activités de son ministère qui étaient pertinentes et importantes pour les Autochtones et découvrir ce que nous pouvions faire pour l’appuyer. Notre travail au sein du caucus autochtone était de nous informer sur ce que faisait chaque ministère, de lui offrir notre aide, de fournir une critique constructive et de faire connaître ses activités.
Brock Pitawanakwat : Je suis vraiment très honoré d’être ici aujourd’hui, ayant moi-même été stagiaire en 2002-2003. Je savais déjà à ce moment que j’avais un intérêt particulier pour les affaires autochtones. Je l’ai donc mentionné dans le processus d’entrevue et j’ai eu la chance d’être choisi. L’année a été difficile, pour les motifs déjà mentionnés par mes prédécesseurs, mais aussi parce que je devais cumuler plusieurs rôles. Je pense que ma qualité d’Anishinaabe posait certaines difficultés particulières, dont les gens n’étaient peut-être pas conscients.
J’ai constaté combien il était difficile de m’intégrer dans ce cadre. En tant qu’Autochtone et membre des Premières Nations, je ne sais pas combien de gens ont vraiment pris conscience qu’ils se rendaient ce matin à l’édifice Sir-John-A.-Macdonald. Ces moments symboliques sont une réalité constante pour un Autochtone qui se remémore son histoire et les expériences que sa famille, sa communauté ou lui-même ont connues.
Je suis aussi honoré de siéger à ce groupe d’experts et d’avoir l’occasion de connaître des réalisations très impressionnantes auxquelles des gens consacrent une énergie formidable. Je félicite ces personnes pour leurs succès. Mais je voulais réserver mes observations, car je suis quelque peu marginal, ici.
Je suis un chercheur. C’est la voie que j’ai choisie dès la fin du programme de stages. J’ai finalement accepté un poste de professeur en études autochtones en Saskatchewan et j’en ai fait mon occupation périodique depuis les 16 dernières années. Je pense que mon expérience de stage parlementaire m’a beaucoup servi. Il m’arrive souvent, dans mes recherches et mon enseignement, de penser aux expériences et aux observations que m’a procurées mon stage.
Je mentionne brièvement que j’ai travaillé pour deux députés membres du Comité des affaires autochtones. C’était à l’époque de l’étude de la Loi sur la gouvernance des premières nations. Les affaires autochtones suscitaient beaucoup d’attention sur la Colline et les circonstances ont voulu qu’aucun député des Premières Nations ne siège au Comité, ce qui a soulevé une certaine controverse.
La Loi portait exclusivement sur les peuples des Premières Nations et leurs communautés. Il m’apparaît vraiment injuste qu’un comité de députés constitué de Canadiens coloniaux puisse prendre des décisions qui auront des effets profonds sur d’autres gens. Et les députés assis autour de la table n’avaient pas de véritable intérêt dans la question, pour ainsi dire, en termes de résultats réels. C’était une situation difficile à supporter. C’était épuisant.
Plusieurs personnes m’ont fait remarquer qu’à l’époque, ce comité permettait de travailler dans l’ombre. Personne n’accorde une grande attention aux affaires autochtones et aux ressources naturelles. Alors, si vous cherchiez à comprendre ce qui se passait ou si vous commettiez quelques faux pas, peu de gens s’en rendaient compte. Je travaillais pour le député John Godfrey, qui souhaitait siéger à ce comité. Il comprenait qu’au fil du temps, les Canadiens avaient négligé cette relation, de la plus haute importance. J’ai été chanceux de pouvoir travailler avec lui.
À la Commission de vérité et réconciliation, j’ai aussi eu la chance de travailler avec le sénateur Murray Sinclair, qui devait aussi siéger au groupe d’experts, mais qui n’a pu le faire pour des motifs familiaux. J’ai été affecté comme collaborateur direct de M. Sinclair pour les six premiers mois, avant de passer au groupe de recherche. L’idée de départ était que ce groupe examine notamment l’impact de la réconciliation sur les travaux du Parlement. Je pense que cette question n’est pas encore réglée. Les derniers mois de l’actuel gouvernement sont une période critique. On peut penser aux projets de loi sur la protection de l’enfance et les langues autochtones, mais aussi aux grands engagements pris durant la campagne dans le sillon de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. L’actuel premier ministre a approuvé sans réserve les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation. Les Autochtones sont aux aguets et espèrent que des gestes seront posés au cours des prochains mois. Il est à espérer que tout cela ne sera pas mis de côté au cours de la prochaine campagne, car ma crainte est que la réconciliation soit considérée comme un dossier réglé à l’issue du présent mandat. J’espère vraiment que ce ne sera pas le cas, car il y a tellement à faire dans ce domaine.
Modératrice : Nous avons le temps pour quelques questions.
Question : La question des communautés ou groupes autochtones qui forment leur propre assemblée et adoptent leurs propres lois a fait couler beaucoup d’encre, récemment. Le secrétaire parlementaire a fait état d’un projet de loi du gouvernement évoquant cette possibilité. Ma question s’adresse à tout le groupe d’experts : quel rôle entrevoyez-vous pour les assemblées autochtones? Si un quatrième palier doit s’ajouter, comment s’intégrera-t-il avec les trois autres?
M. Vandal : La Constitution a établi que les Métis, les Premières Nations et les Nations autochtones ont le droit inhérent de promulguer leurs propres lois. Selon une école de pensée, rien ne peut empêcher les Nations autochtones d’adopter et de faire appliquer leurs propres lois. L’objet de la loi actuelle est de définir ces droits en partenariat avec les Nations autochtones. En matière de protection de l’enfance, nous avons présenté un projet de loi qui affirme le droit inhérent des Nations autochtones d’adopter leurs propres lois dans ce domaine. Il existe des normes pour cela; trois grands principes de mise en œuvre. Un processus prévoit une négociation – une discussion serait peut-être le bon terme – entre les Nations autochtones, les gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral, car les autorités provinciales jouent actuellement un très grand rôle dans la protection de l’enfance. Si, après une année de discussion, aucun accord n’a été conclu quant à la loi à adopter, la loi de la Nation autochtone prévaudra sur la loi provinciale et fédérale. Ces questions font l’objet de discussions en ce moment même. Je suis le premier à affirmer que ce n’est qu’un début. Il reste encore beaucoup à faire, mais cette question fournit un exemple éloquent et concret d’un domaine dans lequel notre gouvernement affirme un droit inhérent des nations de promulguer leurs propres lois. Je ne suis pas sûr de bien répondre à votre question, mais c’est un sujet sur lequel nous travaillons actuellement.
M. Pitawanakwat : Monsieur, je répondrai très brièvement. Je pense qu’une des difficultés qui s’annonce vient du côté des Premières Nations. Je travaille à un dossier de politique générale sur les négociations relatives à l’autonomie gouvernementale des Anishinaabe, pour l’Institut Yellowhead. Il semble que, souvent, ce qui nous est offert se résume à un droit de gérer notre propre pauvreté. Il n’y a presque rien qui puisse véritablement changer la relation financière ni offrir un contrôle similaire sur les terres et les ressources autochtones. Les Premières Nations et les Inuits possèdent moins de 1 % du territoire canadien, alors qu’il n’y a pas si longtemps, ils en détenaient la totalité. Quant à la véritable volonté politique de changer les choses, l’attention semble encore trop souvent se porter sur des questions accessoires. Ma crainte, essentiellement, est que l’autonomie gouvernementale signifie que nous allons administrer nous-mêmes notre propre pauvreté. C’est ce que je redoute.
Mme Aglukkaq : Merci pour votre question. Ma réponse portera sur le Nunavut et les Inuits. Le Nunavut a été créé il y a 20 ou 25 ans. C’est donc une région très récente. Comme je l’ai mentionné dans mon introduction, la population du Nunavut est autochtone à 85 %, ce qui est unique au Canada. Comment nous assurer d’offrir des programmes adaptés à la population? C’est sur cette base que le Nunavut a été créé.
Le gouvernement populaire du Nunavut a été mis en place à la suite de la négociation de l’accord de revendications territoriales des Inuits. Ceux-ci ont demandé que le gouvernement populaire fournisse des services essentiels, notamment en éducation et en santé, et ait la capacité d’adopter et de faire appliquer des lois. L’actuel Cabinet du Nunavut est composé exclusivement d’Inuits. Le premier ministre est inuit, comme tous les membres du Cabinet. Notre chef est un représentant de l’accord de revendications territoriales des Inuits. Je me suis engagée en politique parce que je voyais que le Nunavut était porteur de possibilités pour nous. Notre région offre de nombreuses ressources. Dans notre revendication, nous avons négocié la propriété des terres de ces régions riches en ressources. Nous avons créé une institution de gouvernement populaire pour superviser l’exploitation de ces ressources par les Inuits. Les projets ne vont pas toujours de l’avant. En tant que gardiens de nos terres, nous accordons une grande importance à l’exploitation responsable des ressources. Car les espèces sauvages sont notre nourriture, tout comme les fermes d’élevage de bœuf, de porc et de poulet sont importantes pour vous. Le régime que nous avons établi est assez unique au Canada. Il n’est pas parfait, mais il nous fournit un outil d’éducation et un mécanisme juridique nécessaire pour superviser le développement à notre façon.
C’est un modèle plutôt efficace, selon moi, puisqu’il nous permet de prendre nos décisions sur le déroulement des projets. Est-ce qu’il pourrait être meilleur? Sûrement. C’est justement pour cela que nous sommes en politique et c’est par le gouvernement que viennent les améliorations. C’est aussi un modèle évolutif. Une solution efficace il y a 10 ans peut ne plus être pertinente aujourd’hui. Dans ce contexte, comment faire avancer les choses? En travaillant avec nous. N’étudiez pas la question de l’extérieur pour proposer ensuite des solutions qui, croyez-vous, seront bonnes pour nous. Parlez-nous. Nos gens ont un très lourd bagage de connaissances. Je suis très fière, en tant que membre du Conseil de l’Arctique, d’avoir proposé un régime qui intègre les connaissances traditionnelles et la science. Comment pouvons-nous rendre la recherche scientifique sur le Nord plus utile et comment nos chercheurs peuvent-ils utiliser le bassin inexploité des connaissances autochtones dans l’Arctique afin d’éclairer les décisions sur les changements climatiques, notre environnement, la gestion de la faune, etc.?
Question : Ma question porte sur un aspect procédural ou institutionnel. Étant donné le nombre de ministères et d’organismes du gouvernement du Canada et compte tenu du nombre et de la diversité des peuples autochtones au pays, comment pouvons-nous gérer les relations de nation à nation de façon cohérente et constante au fil du temps? Selon mon expérience, souvent, les fonctionnaires voient les peuples autochtones comme des bancs de poissons. Ils leur semblent tous pareils et se demandent pourquoi ils devraient aller à la rencontre de chacun de ces poissons. De leur côté, les Autochtones voient le gouvernement du Canada comme une pieuvre, et se demandent pourquoi ils devraient serrer toutes ces mains. Si, comme fonctionnaire, je communique avec une Nation autochtone, il y en peut-être 49 autres qui ont fait de même ce mois-ci. Comment pourrions-nous structurer cette relation différemment?
M. Vandal : Je ne pense pas que les Canadiens apprécient véritablement la diversité des Nations autochtones. C’est important. Il existe plus de 600 Premières Nations au Canada et plus de 70 langues autochtones, géographiquement diverses, et je ne parle que des Premières Nations. Je pense que les groupes pourraient mieux travailler ensemble, mais c’est difficile. Je n’aborderai même pas la diversité gouvernementale. C’est une question sur laquelle je m’interroge encore. Par souci d’efficacité, nous avons séparé les Affaires autochtones en deux ministères : Relations Couronnes-Autochtones et Services aux Autochtones. Le premier ministre et les ministres ont organisé environ 50 tables rondes, probablement davantage, avec diverses Nations, qui se réunissent régulièrement pour informer le gouvernement sur les questions importantes pour les ministres présents. Je pense qu’avec l’important soutien administratif, chacun reçoit le même message et peut tendre, espérons-le, vers les mêmes solutions.
M. Pitawanakwat : Du point de vue communautaire, une des grandes frustrations est le roulement de personnel, beaucoup plus important dans le camp gouvernemental que chez les communautés. Les gens vivent dans leurs communautés. Ce sont leurs racines. Les représentants du gouvernement changent souvent, surtout les jeunes souvent affectés aux tables de discussion sur des questions comme l’autonomie gouvernementale. La communauté doit accomplir un lourd travail d’éducation auprès des gens venus négocier. C’est une situation très difficile et la patience est de mise.
La diversité est un autre aspect qu’il ne faut pas perdre de vue. En parlant de l’Europe, les gens disent souvent : « C’est étonnant. On peut faire une heure de route et découvrir un pays complètement différent, avec une autre langue et une autre histoire. » Pensez maintenant à toutes les Nations autochtones que nous avons ici. C’est complexe. Si vous colonisez 60 ou 80 nations, vous aurez tout un casse-tête administratif entre les mains. Si les gens avaient cela en tête, ils feraient preuve de plus de patience dans leurs interactions avec les communautés.
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