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Jack Stilborn
James T. McHugh, The Senate and the People of Canada – A Counterintuitive Approach to Reform of the Senate of Canada, Lexington Books, Lanham, Maryland, 2017, 296 pages
La portée du livre de James McHugh est très ambitieuse. En effet, cette nouveauté littéraire du domaine parlementaire se veut une vue d’ensemble et une évaluation complètes des considérations historiques, philosophiques, méthodologiques, constitutionnelles, institutionnelles et politiques concernant la réforme du Sénat… et tout cela, dans la partie I seulement! Dans la partie II, l’auteur propose un Sénat inspiré fortement de la Chambre des lords britannique, et suggère à cet effet des modifications constitutionnelles en s’appuyant sur argumentation détaillée. La partie III traite des options non constitutionnelles et de l’histoire récente, notamment les réformes du gouvernement Trudeau en 2016, et se conclut par la demande d’une réforme qui permettrait à la Chambre haute du Canada, dont les membres sont nommés, d’atteindre son plein potentiel.
Au sujet de la partie I, l’élaboration de chacun des sujets est nécessairement limitée étant donné l’étendue des idées et des méthodes potentiellement pertinentes qui y sont présentées. Cependant, l’auteur mérite notre reconnaissance pour la recherche colossale qui transparaît dans tout le texte de cette partie et les 386 notes de bas de page, dont la majorité fournit des références utiles à d’autres ressources. L’auteur offre aussi des pistes utiles à une réflexion sur la réforme du Sénat. L’ouvrage contient des renseignements, souvent méconnus, sur les chambres hautes de la colonie de l’époque précédant la Confédération et des postulats incarnés au Sénat par la suite. L’historique des débuts du Sénat est aussi bien documenté et très instructif. Toutefois, le fait que l’auteur compte sur les discours des sénateurs invoquant l’« intérêt national » comme preuve du rôle de l’institution à titre de défenseur de l’intérêt public contre les ravages des occupants intéressés de la Chambre élue n’est peutêtre pas entièrement exempt de parti pris.
D’autres éléments de la partie I sont moins heureux. Mentionnons notamment le survol des penseurs politiques occidentaux auxquels on se réfère habituellement, de Platon à Hegel (mais pas Marx), dont la majeure partie s’avère très peu utile à une réflexion sur les possibilités de réforme du Sénat. Il repose sur des descriptions sommaires pouvant associer des étiquettes comme « conservatrices » ou « communautariennes » aux chambres hautes en général, ou à des types de chambres hautes, sans toutefois présenter d’arguments valables justifiant les choix de réforme.
De plus, la partie I est souvent mal rédigée. Presque chaque mention du thème du livre, et elles sont nombreuses, est enjolivée d’un rappel à son aspect « contre-intuitif », et les répétitions abondent partout (comparer les pages 119 et 128, par exemple). Les propos sont trop souvent truffés de jargon ou vides de sens, quand ce n’est pas les deux. Ainsi, l’aperçu des approches méthodologiques indique au lecteur (p. 109) que la réforme du Sénat traditionnel a été « motivée par une analyse juridique officielle, également connue comme étant l’institutionnalisme “traditionnel” [...] positiviste de nature, se fondant sur des observations empiriques et sur la description des structures institutionnelles et des règlements [...] [mais] la réforme du Sénat semble s’insérer, plus particulièrement, dans un modèle structuraliste qui a connu plus de succès [...] encore qu’il soit associé à cette approche juridique officielle “traditionnelle” [...] qui a été, en grande partie, rejetée par les spécialistes [TRADUCTION]. Il est subitement question, au milieu du paragraphe, de Robert MacGregor Dawson, dont l’auteur parle en des termes contrastés avant de lui reprocher son approche « institutionnelle historique » dont découle des « exagérations de certaines caractéristiques politiques, comme la prédominance du gouvernement central dans le système fédéral et la contribution du Sénat à l’ensemble du processus gouvernemental » [TRADUCTION].
La partie II présente article par article les modifications proposées par l’auteur ou, comme il le dit, une « proposition précise, hypothétique et idéalisée » (p. 11) [TRADUCTION], et les justifie en détail. Elle est rédigée plus clairement que la partie I et contient une foule de renseignements et d’analyses portant principalement sur la Chambre des lords britannique, mais sur d’autres chambres aussi. L’analyse détaillée du veto suspensif, au chapitre 6, pourrait intéresser particulièrement les réformistes canadiens. En effet, elle comprend l’examen des modifications successives apportées à la loi britannique (Parliament Act) ayant donné lieu au veto suspensif ainsi que ses conséquences sur le rendement de la Chambre des lords. On y trouve aussi une analyse comparative utile de la chambre haute britannique et de la chambre haute australienne.
D’autres éléments de la proposition de l’auteur, aussi fondés sur la Chambre des lords, vont plus loin. Il suggère, comme moyen d’accroître l’inclusion et d’ouvrir le Sénat à une expertise spécialisée, un Sénat formé d’un nombre illimité de sénateurs recevant une compensation fondée sur le rendement individuel. Cependant, de l’aveu même de l’auteur, la nécessité d’obtenir l’accord des provinces pour supprimer le nombre de sièges imparti à chacune, une condition implicite au nombre illimité de sénateurs, s’avère l’obstacle majeur de cette proposition. Une longue exploration des possibilités de fédéralisme à l’intérieur de l’État n’aboutit qu’à la simple prise de conscience que le fait de « permettre aux gouvernements provinciaux de nommer directement des sénateurs semble s’avérer un aspect nécessaire de cette réforme sur le plan politique » (p. 168) [TRADUCTION].
L’auteur propose également un processus de nomination s’inspirant fortement de celui de la Chambre des lords, notamment la règle selon laquelle un maximum de 50 % des sénateurs nommés pendant une période de quatre ans soit choisi parmi les représentants ou les membres d’un même parti politique. Ce processus permettrait selon lui une plus grande impartialité, comparativement au processus mis de l’avant par le gouvernement Trudeau en 2016. Parmi les autres éléments du processus de nomination se trouve la nomination automatique d’une longue liste d’anciens hauts fonctionnaires, allant des anciens gouverneurs généraux aux anciens commissaires aux droits de la personne. Le vote à la double majorité sur les questions relatives aux langues officielles s’ajoute au modèle proposé, et l’examen des adaptations allant au-delà de la chambre haute britannique s’appuie sur l’étude étendue des annales constitutionnelles du Canada, les expériences en matière d’élections consultatives, les récents scandales et les solutions possibles, les implications des arrêts de la Cour suprême et la place des usages changeants en complément au changement officiel.
Les problèmes de clarté, quoique plus limités dans la partie II, ne sont pas totalement absents. Ainsi, un tableau intitulé « Effectiveness of Upper Houses Influence without Confidence Conditional Logit Analysis of Government Formation » p. 129), qui compare quatre « modèles » de bicaméralisme non définis en fonction de 20 variables, s’intègre dans une analyse des veto suspensifs sans aucune (ou presque) référence ou explication.
Étant donné la portée du livre, seul un ingrat reprocherait à l’auteur ses omissions. Cependant, le passage de la théorie présumée à la rédaction provisoire des modifications et aux considérations souvent très particulières de la partie II pourrait être renforcé, dans certains cas, en étant plus nuancé. Les propositions canadiennes pour la réforme du mode de nomination au Sénat, par exemple, sont brièvement mentionnées; mais un tel système offre une diversité de permutations et de combinaisons faisant intervenir la prépondérance législative de la Chambre des communes, le veto du Sénat, les exigences particulières quant à la majorité et les restrictions imposées à certains ou à l’ensemble de ces groupes législatifs désignés. Un examen critique des avantages et des inconvénients de ces possibilités rendrait plus convaincant le modèle de veto suspensif que propose l’auteur.
Ce livre – surtout les parties II et III – sera très bien reçu par les nombreux férus de réformes du Sénat et les constitutionnalistes du Canada. Les étudiants en sciences politiques pourraient trouver utile de lire la partie I également, une compilation très complète de renseignements généraux et de références. Certes, les mesures prises par le gouvernement Trudeau semblent avoir mis en sourdine l’intérêt du public à l’endroit d’un Sénat élu, du moins pour le moment; toutefois, elles doivent encore être acceptées par les partis de l’opposition et pourraient donc s’avérer éphémères. Cela rendrait les inquiétudes de l’auteur à l’égard des problèmes liés aux différentes propositions en vue d’un Sénat « triple E » plus pertinentes qu’il n’y paraît aujourd’hui. Dans l’immédiat, si les modifications du gouvernement Trudeau aboutissent à un Sénat plus affirmé sans pour autant parvenir à asseoir sa légitimité, alors la réforme du Sénat que propose l’auteur pourrait bien s’avérer prophétique.
Jack Stilborn
Ancien analyste principal du Service d’information et de recherche parlementaires, Bibliothèque du Parlement
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