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David Rayside, Jerald Sabin et Paul E.J. Thomas, Religion and Canadian Party Politics, UBC Press, Vancouver, 2017, 429 pages
Dans cette monographie, les auteurs montrent la place qu’aujourd’hui encore la foi religieuse occupe dans la vie politique des partis au Canada. Ils cernent trois axes de division pour motifs religieux : la division historique entre protestants et catholiques (en particulier les protestants anglophones et les catholiques francophones); la division plus récente entre les partis politiques qui prônent des idéaux moraux conservateurs et ceux qui prônent un programme politique et social progressiste (surtout dans le domaine des droits de la communauté LGBT et de la légalité de l’avortement); enfin, la division entre les défenseurs de la reconnaissance des pratiques et des institutions des minorités religieuses au Canada (en particulier de la minorité musulmane qui prend de l’ampleur au Canada) et l’autre camp, qui croit que cette reconnaissance mine les valeurs canadiennes. Les auteurs utilisent de multiples analyses de cas en politique fédérale, provinciale et territoriale pour illustrer leur propos et montrer la présence de ces trois axes dans la vie politique des partis canadiens, au cours des 30 dernières années surtout.
L’une des nombreuses forces de l’étude est son exploration éclairée des liens entre les chefs de parti, les élus et l’électeur canadien moyen. Par exemple, les auteurs montrent qu’au Canada, les chefs de partis politiques fédéraux et provinciaux de droite courtisent les électeurs aux valeurs sociales conservatrices (dont les chrétiens évangéliques, les catholiques romains conservateurs et, parfois, les immigrants tout juste arrivés). Les chefs de ces partis savent que ces électeurs sont plus susceptibles d’être attirés par des partis de centre-droit (comme le Parti conservateur du Canada), surtout parce que les partis de centre-gauche (comme le Parti libéral du Canada et le NPD) ont des positions progressistes en matière de sexualité et d’avortement. Ces chefs savent aussi qu’au sein de leur caucus, beaucoup ont des idéaux sociaux conservateurs fondés sur leur foi religieuse. Néanmoins, les partis de centredroit savent que la plupart des Canadiens, du point de vue social, ne soutiennent pas les valeurs conservatrices. Si ces partis font campagne sur la base d’un programme moral conservateur (p. ex., en proposant de faire reculer les droits de la communauté LGBT ou de restreindre l’accès à l’avortement), la base du parti sera satisfaite, mais pas d’autres catégories d’électeurs. Ces partis savent également que les tribunaux canadiens ont rendu des décisions qui restreignent la possibilité d’adopter les projets de loi que les électeurs aux valeurs conservatrices soutiennent généralement. Ainsi, les auteurs montrent qu’au cours des dernières années, les politiciens de centre-droit doivent maintenir un délicat équilibre : ils doivent montrer leur appui au conservatisme moral pour plaire à la base du parti et au caucus, mais ménager leurs ardeurs pour ne pas déplaire aux autres électeurs canadiens.
En ce qui concerne les droits des minorités religieuses, les auteurs font valoir que la plupart des politiciens canadiens ont peu exploité les craintes populaires à l’égard des minorités religieuses (surtout les musulmans) ainsi que le sentiment selon lequel les pratiques et institutions des minorités religieuses constituent une menace pour les « valeurs canadiennes ». Les auteurs soulignent toutefois deux grandes exceptions : le débat au Québec sur les accommodements accordés à des minorités religieuses, et les positions des conservateurs de Stephen Harper lors de la campagne des élections fédérales de 2015. Selon les auteurs, les résultats des élections provinciales de 2014 au Québec et des élections fédérales de 2015 montrent le peu d’appui que récoltent les politiques visant à restreindre les droits des minorités religieuses.
L’ouvrage est une solide monographie fondée sur une gamme impressionnante de sources (dont d’abondantes données de sondage). Le texte est très lisible, exempt de jargon, et il est accessible aux diplômés de premier cycle ainsi qu’aux lecteurs profanes, non universitaires. L’ouvrage intéressera le lecteur qui souhaite comprendre le rôle de la religion dans le paysage politique canadien moderne. Il apporte par ailleurs une contribution importante au débat sur la laïcisation dans la société canadienne. De récents travaux universitaires nous ont présenté une compréhension plus nuancée de la signification et du fonctionnement de la laïcisation. Religion and Canadian Party Politics est de la même trempe. Ses auteurs montrent que la foi et les croyances religieuses font partie intégrante du paysage politique canadien et qu’en dépit de la laïcisation de la société, ce n’est pas demain la veille que la religion s’éclipsera.
Bruce Douville
Département d’histoire, Université Algoma
Philip Norton, Reform of the House of Lords, Manchester University Press, Manchester, 2017, 96 pages
Durant les récentes audiences tenues par le Comité sénatorial spécial sur la modernisation, des témoins comme le sénateur Peter Harder et le professeur David Smith ont affirmé que le Canada n’avait aucune leçon à tirer de la Chambre des lords. Que ce soit vrai ou non, personne n’osera jamais penser que Philip Norton n’a rien à nous apprendre.
Philip Norton est professeur d’administration publique à l’Université de Hull, au Royaume-Uni. Il est sans doute le plus grand spécialiste des gouvernements de style Westminster. En effet, depuis la publication en 1975 de son ouvrage sur la dissidence à l’intérieur des partis, ouvrage qui est devenu un classique, il a écrit des dizaines d’ouvrages et d’articles en 40 ans.
En 1998, il a été nommé à la Chambre des lords, sous le titre de lord Norton of Louth. Sa perspective est donc aussi pratique que théorique.
Son petit livre, qui tient davantage de l’essai que de l’ouvrage universitaire, porte sur les tentatives de réforme de la Chambre des lords. M. Norton a joué un rôle central dans maints débats sur la question.
Il cerne les quatre grandes options possibles pour l’avenir de la chambre haute britannique. Parmi elles, trois sont bien connues des Canadiens : le maintien du statu quo (sénateurs nommés), le changement de système (sénateurs élus), ou l’abolition du Sénat.
La quatrième option a été débattue en profondeur au Royaume-Uni, mais pas au Canada. Cette option propose que la moitié des sénateurs soient élus, et les autres, nommés.
Dans son analyse des options, l’auteur fournit les arguments les plus convaincants de chaque option ainsi que ses faiblesses et incohérences.
L’ouvrage ne propose pas de grandes nouveautés, mais constitue un excellent résumé de tout ce qui a été écrit sur la question. C’est aussi une belle introduction, écrite dans un langage limpide, non technique.
Les lecteurs canadiens s’intéresseront peut-être surtout à la conclusion, qui porte sur l’avenir de la seconde chambre.
M. Norton déplore l’absence de cohérence des réflexions intellectuelles sur la réforme parlementaire. Des réflexions ont été faites sur la réforme de la Chambre des communes et celle de la Chambre des lords. Ne vaudrait-il pas mieux déterminer comment les deux chambres peuvent travailler ensemble au lieu de vouloir régler les problèmes de l’une ou de l’autre?
À l’heure où le Parlement vit une transformation profonde, c’est ce type de question qu’il faut poser. Au cours des 10 dernières années, la Chambre des communes a abandonné certains de ses usages les plus importants, notamment la notion selon laquelle tout changement à la procédure doit faire l’objet d’un consensus.
Le Sénat travaille fort. Autrefois formé de représentants de deux partis politiques occupant à tour de rôle une position majoritaire et fournissant avec plus ou moins de succès le second regard objectif que ses fondateurs souhaitaient, le Sénat est désormais de plus en plus composé de membres indépendants, qui entendent travailler avec impartialité et agir de façon cohérente.
Nous avons peut-être consacré trop de temps et d’énergie à l’amélioration d’une chambre, puis de l’autre. Il est temps de réfléchir à la façon dont les deux chambres doivent travailler ensemble pour assurer la cohérence du système parlementaire.
Gary Levy
Ancien rédacteur de la Revue parlementaire canadienne et ancien chercheur invité à la Chaire Bell en démocratie parlementaire canadienne, Université Carleton
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