Speaking for Myself : Politics and other Pursuits, par
Duff Roblin, Great Plains Publications, 253 pages.
L’auteur de cette alerte autobiographie a été premier ministre du
Manitoba du 16 juin 1958 au 11 novembre 1967. Ses réalisations et ses
innovations ont fait de lui le premier ministre manitobain le plus dynamique de
notre époque. Il compte également parmi les rares premiers ministres
provinciaux à avoir imprimé leur marque sur la vie politique nationale.
Dans la préface, l’auteur nous apprend que, pendant la préparation de
son livre, il a obtenu l’aide et les conseils de personnes compétentes. Mais Speaking
for Myself est bel et bien son œuvre. Quiconque l’a entendu parler en
public reconnaîtra son style. Il maîtrisait ses dossiers, menait vivement son
argumentation, usait d’un vocabulaire enrichi par la lecture des classiques. On
notera aussi son recours occasionnel à des expressions populaires.
La concision de Roblin se manifeste dès le premier paragraphe de la
préface. « C’est un témoignage personnel agrémenté d’opinion et s’il y a
un parti pris, il est en faveur de l’auteur. » C’est bien entendu le cas
de toutes les autobiographies. Autrement, pourquoi les écrire?
Benjamin Disraeli a déclaré un jour : « Je crois que, sans
partis, le gouvernement parlementaire est impossible. » La justesse
fondamentale de cette assertion s’est souvent vérifiée. Sans compter tous les
autres problèmes auxquels se heurte l’homme politique en route vers le sommet,
Roblin a dû recréer le système des partis dans sa province. Depuis des
décennies, le Manitoba était gouverné par une coalition. L’émulation entre les
partis s’était naturellement affaissée et l’intérêt du public pour la politique
émoussé. L’assemblée législative était un lieu ennuyeux, presque moribond.
Comme Roblin ne voyait aucun avenir pour lui dans ce système vermoulu, c’est
comme anticoalitionniste qu’il a brigué un siège de député en 1949. Compte tenu
du portrait que Roblin brosse du gouvernement en place, on voit mal comment il
aurait pu se présenter autrement que comme candidat anticoalitionniste.
« La plupart des députés s’étaient assoupis dans une confortable léthargie
du fait qu’une coalition de longue date gouvernait la province. »
(p. 51)
Inutile de dire que l’élection d’un député vigoureux et éloquent a
redonné vie à l’assemblée. Son succès n’a pas manqué d’attirer l’attention de
la base du Parti progressiste-conservateur provincial. Après que les
progressistes conservateurs eurent décidé à leur congrès de 1950 d’abandonner
la coalition, Roblin s’est joint à leur groupe parlementaire. En juin 1954, il
a accédé à la direction du parti lors d’un rude congrès. Quatre ans après, il
était premier ministre de la province. Voici ce qu’il écrit à ce sujet :
« J’étais déterminé dès le début, même si c’était de façon subconsciente,
à devenir premier ministre du Manitoba. Sans doute le souvenir de mon
grand-père était enfoui dans ma psyché, mais il s’est manifesté dans mon
action. » (p. 237)
Mais la volonté et la détermination ne suffisent pas et les années 1949
à 1958 ont dû être énormément difficiles pour Roblin. Il lui a fallu pousser
son parti à renouer avec la contestation politique et en étendre la base à des
groupes démographiques qui s’en étaient depuis longtemps éloignés. Il a dû
recueillir des fonds, mettre en place une organisation et une infrastructure,
trouver des candidats de qualité et de prestige. Il a travaillé habilement. Il
a su intervenir au bon moment. Il a évité de briguer prématurément la direction
du parti. Il a dû s’exercer aux arts de l’accommodation et de la conciliation,
car le congrès à la direction du parti était loin d’avoir été une partie de
plaisir.
Il a eu la chance de remplacer le vieux routier Errick Willis, qui a su
taire la douleur et la rancune qu’il pouvait ressentir. S’il avait remporté la
direction du Parti conservateur fédéral en 1967, il n’aurait pas reçu le même
traitement du chef sortant John Diefenbaker.
Lorsque Roblin arrive au pouvoir en 1958, il y a 43 ans que le Parti
progressiste-conservateur n’a pas formé de gouvernement. Faute sans doute de
l’habitude de la défaite, le gouvernement de coalition n’organise pas de
cérémonie de passation des pouvoirs. Roblin est assermenté comme premier
ministre deux semaines après les élections. Lui et son futur procureur général
se rendent ce jour-là au bureau du premier ministre. Ils entendent tout à coup
un bruit à la porte. C’était l’ancien premier ministre Douglas Campbell qui se
servait de sa clé pour entrer dans ses anciens quartiers. Seuls les
Britanniques semblent être capables d’organiser les changements de
gouvernements de façon rapide et digne.
Roblin a voulu marquer le début d’une ère nouvelle. Il a demandé au
lieutenant-gouverneur de présider en personne la première réunion du cabinet,
pratique qui était passée de mode depuis l’époque du gouvernement responsable.
Il a fait quelque chose de bien plus important. Conscient qu’il dirigeait un gouvernement
minoritaire, le nouveau premier ministre a obtenu l’assurance que, si le
gouvernement devait être défait par un vote à l’assemblée, le
lieutenant-gouverneur prononcerait la dissolution. La validité
constitutionnelle de cette démarche était douteuse. Mais elle s’est avérée
utile quand Roblin en a eu besoin quelques mois après.
Roblin note qu’aux élections de 1958, les conservateurs ont dû lutter
dans les campagnes contre les libéraux à droite et dans les villes contre le
CCF à gauche. « Nous avons occupé le centre progressiste. »
(p. 86) Ces propos rappellent ce qu’écrivait le fondateur du Parti
conservateur du Canada, John A. Macdonald, en 1854 : « Nous devons
élargir les limites de notre parti de manière à accueillir quiconque désire
s’appeler un conservateur progressiste. »
Roblin fait preuve de perspicacité quand il résume brièvement l’héritage
qu’il a laissé comme premier ministre. « Si la postérité retient quelque
chose du deuxième Roblin à occuper le poste de premier ministre du Manitoba, ce
sera le canal de dérivation. J’ai sans doute accompli davantage pour les
Manitobains dans les domaines de l’éducation, du bien-être social, de
l’électricité et des transports routiers, mais c’est le « fossé » qui
a captivé l’imagination du public. Il est imposant, il saute aux yeux et tout
le monde bénéficie de sa protection. » (p. 166)
Sur la jaquette du livre, on voit un Roblin fier et impressionnant avec,
à l’arrière-plan, le majestueux canal de dérivation qui a coûté
26 millions de dollars au Manitoba et encore plus à Ottawa. Pendant des
années après sa construction en 1962, Roblin a été raillé, méprisé et dénoncé
pour ce qu’on qualifiait d’une « folie ». Mais, lors des grandes
crues de 1997, c’est elle qui a sauvé la ville de Winnipeg. Il est doux d’avoir
raison contre ses détracteurs et peut-être aucune phrase de cette
autobiographie n’a donné à l’auteur plus de satisfaction que celle qui termine
le chapitre 9 : « Le fossé de Duff est là et le fossé de Duff rend
service. » (p. 173)
En 1967, l’Assemblée législative du Manitoba avait perdu son attrait
pour Roblin et le congrès à la direction du Parti progressiste-conservateur
national de 1967 lui offrait une nouvelle arène. En 1965, Gordon Churchill,
l’un des ministres de Diefenbaker, avait fait offrir à Duff de passer sur la
scène fédérale. Une pétition en sa faveur fut signée par une forte majorité des
députés conservateurs. L’idée allait être avalisée par une invitation
personnelle du chef du parti, M. Diefenbaker. Les deux chefs se sont réunis à
l’aéroport de Winnipeg. Selon Roblin, Diefenbaker ne lui a pas demandé de se
joindre au parti. Selon Diefenbaker, la demande a été faite à Roblin, mais
celui-ci l’a rejetée.
Les deux versions resteront à jamais incompatibles. Toutefois, si Roblin
avait fait le saut en politique fédérale en 1965, il aurait fort bien pu être
choisi au congrès de 1967. Robert Stanfield ne tenait pas du tout à diriger le
parti et il a résisté aux pressions croissantes pendant longtemps. Si Roblin
s’était lancé dans la course un peu plus tôt en 1967, Stanfield s’en serait
trouvé soulagé et lui aurait volontiers cédé la place.
Roblin ne garde pas de bons souvenirs du congrès de 1976. « La
campagne s’est déroulée à une vitesse vertigineuse – (le tout était de bouger;
la réflexion devait venir plus tard). » Kim Campbell allait faire des
réflexions semblables à propos d’élections générales! Il disposait d’une bonne
équipe de campagne et bénéficiait de puissants appuis, mais il n’a jamais pu
dépasser la deuxième place. Ses collaborateurs ont commis des erreurs tactiques
qui feraient sourire si elles n’étaient pas si navrantes. Après avoir été
informé qu’une séance importante allait prendre la forme d’une simple période de
questions, Roblin s’aperçut que les candidats avaient soigneusement rédigé leur
discours. Il ne résiste pas à la tentation de lancer une petite pointe à son
principal adversaire. « Stanfield a fort bien prononcé le discours de
Dalton Camp. » (p. 179)
Les congrès à la direction peuvent épuiser à la fois le corps et
l’esprit. Le congrès de 1967 se range parmi l’un des pires à cause du temps
incroyable qu’on mettait à dépouiller les scrutins. Après qu’un organisateur du
congrès lui eut expliqué que c’était parce que les machines à additionner ne
fonctionnaient pas, le sénateur Grattan O’Leary, exaspéré, lança :
« Grand Dieu! Il doit bien y avoir une autre machine à additionner dans la
ville de Toronto! » Il était important que Stanfield, le gagnant du congrès,
ait Roblin à ses côtés à Ottawa. Bien que Roblin ne parle pas de la réunion
qu’il a eue avec Stanfield à Neepawa, au Manitoba, sa décision de se présenter
dans Winnipeg-Sud-Centre a été chaudement accueillie.
On aurait pu penser que, étant donné tout ce qu’il avait fait pour le
Manitoba, Roblin aurait reçu l’appui enthousiaste des électeurs de
Winnipeg-Sud-Centre. Hélas, la gratitude n’est pas toujours de la partie en
politique. Il fut victime de la Trudeaumanie et de la taxe sur l’essence
imposée par les progressistes-conservateurs du Manitoba. La défaite de Roblin à
Peterborough aux élections de 1974 est un épisode encore plus triste. Les deux
défaites de Roblin ont privé la Chambre des communes d’un politicien hors pair.
À l’invitation du premier ministre Trudeau, Roblin a pris place au Sénat
en 1978 et il y est resté jusqu’à l’âge obligatoire de la retraite en 1992. Il
ne semble pas considérer ses jours au Sénat comme particulièrement heureux. Il
a déploré l’absence à la chambre haute de véritables règles et il a été témoin
de l’horrible grabuge des libéraux contre la TPS. Il est tout à fait favorable
à l’élection des sénateurs, mesure qui fut proposée pour la première fois par
la délégation de l’Île-du-Prince-Édouard aux réunions préparatoires à la Confédération
dans les années 1860.
De septembre 1984 à juin 1986, Roblin a été leader du gouvernement au
Sénat et membre du cabinet Mulroney. Il avait supposé que, en tant que
ministre, il aurait un mot à dire dans le programme d’action et la politique du
gouvernement. Après s’être aperçu qu’il s’agissait d’un rôle plutôt
honorifique, il s’est retiré. Il est étonnant qu’un premier ministre ayant dans
son cabinet un homme de l’expérience et de la sagesse de Roblin ait circonscrit
si étroitement son rôle.
Ces mémoires contiennent beaucoup de choses qui ne sont pas
essentiellement politiques. Roblin était un ardent partisan du Commonwealth et
de l’Association parlementaire du Commonwealth, dont il assistait souvent aux
réunions. À propos des questions internationales, il écrit : « Il est
bon que le Canada continue d’exercer son rôle de chef de file au sein du
Commonwealth, car il est possible d’y faire le bien discrètement et en prêchant
d’exemple. » (p. 205)
Dans le chapitre intitulé « Met Along the Way », Roblin donne
de pénétrants aperçus sur des gens intéressants comme la reine Élisabeth ou un
manifestant qui se trouvait toujours sur les terrains de l’Assemblée
législative du Manitoba. Son portrait de Robert Stanfield n’est pas exactement
admiratif, mais il enviait le « sens de l’humour empreint d’ironie »
de cette personnalité. C’était de l’habileté. Stanfield pratiquait
l’autodérision. Certains hommes publics savent en tirer un grand parti. C’était
le cas de John A. Macdonald et de Lester Pearson. C’est une qualité qui
manquait totalement à George Drew, à John Diefenbaker et à Edward Schreyer.
Il y a de l’humour dans ce livre, mais il y a aussi de l’exhortation.
Les propos réfléchis d’un homme public sage et dévoué méritent un examen
attentif. L’auteur s’inquiète du contrôle excessif qu’exerce le pouvoir
exécutif sur le processus parlementaire. Il évoque de meilleurs jours :
« Anciennement, le respect était accordé à la fonction sinon à son
titulaire. La politique était une vocation noble et je déclarais être
politicien avec une certaine fierté. Aujourd’hui, le mot politique semble être
devenu péjoratif même si ceux qui sont en politique sont dans l’ensemble aussi
bons que jadis. » (p. 230) Il poursuit en formulant plusieurs
suggestions utiles.
Roblin rend hommage également à certains de ses adversaires politiques,
y compris à Lester B. Pearson pour le discours en faveur d’un drapeau canadien
qu’il a prononcé au congrès de la Légion royale canadienne à Winnipeg.
« Les légionnaires étaient prêts à défendre le Red Ensign jusqu’au bout.
Malgré les huées, les sifflets et le tumulte général, Pearson est venu
présenter ses arguments en faveur de l’unifolié […] Ce fut une assemblée
houleuse. J’étais à ses côtés sur l’estrade et je l’ai vu rassembler ses forces
avant de faire face à la tempête. Sa résolution était inébranlable. Il les a
regardés les yeux dans les yeux et il s’est imposé. Il a fini par gagner le
respect de son auditoire, aussi réticent fût-il, et je lui tire mon chapeau. Le
diplomate portait une armure. » (p. 20) On ne sait pas si Roblin a
fait part de ses vues à ses amis de la Légion.
Heath Macquarrie
Sénateur émérite
Ottawa