Pour les politiciens, serrer des mains, embrasser des bébés, couper des rubans ou faire l’objet d’acerbes diatribes de citoyens mécontents font partie du métier. Cependant, les parlementaires de sexe féminin sont de plus en plus nombreuses à souligner et à dénoncer une forme particulière et de plus en plus fréquente d’intimidation, de harcèlement et de menaces sexospécifiques sur les médias sociaux. Dans la cadre de la présente table ronde, trois actuelles ou anciennes femmes parlementaires discutent de la violence dont elles ont été victimes, de leurs réactions à une telle violence et de ce qu’il faut faire, selon elles, pour la combattre.
Note de la rédaction: Les travaux de la présente table ronde contiennent un langage non parlementaire et, plus précisément, des propos injurieux. Avant la publication, le comité de rédaction a longuement discuté et débattu de la question de savoir s’il fallait reproduire ces insultes sans les censurer. Ceux qui proposaient de reproduire les termes sans les censurer ont souligné que la politique du hansard consiste à reproduire les insultes sans les modifier. De plus, puisque les femmes parlementaires ont dû lire ou entendre ces termes dans l’exercice de leurs fonctions publiques, il était allégué qu’il serait hypocrite de censurer ces mots pour les autres lecteurs dans un article de ce type. À l’opposé, certains membres du comité estimaient que reproduire les insultes telles quelles pourrait victimiser à nouveau les femmes en perpétuant ces injures, ajoutant qu’il était indigne de la revue de procéder ainsi. En outre, d’un point de vue très pragmatique, il a été souligné que le fait de publier ces termes tels quels pourrait influer sur les moteurs de recherche sur le Web et réduire le classement de la Revue parlementaire canadienne sur ces pages. En guise de compromis, nous avons choisi de reproduire les termes en remplaçant une voyelle par un astérisque afin d’indiquer clairement l’insulte ou le mot utilisé, tout en réduisant son impact et en éliminant les préoccupations liées aux moteurs de recherche. Cependant, nous avons inclus la présente note pour expliquer que notre décision de censurer ces termes n’a pas été prise à la hâte et que ce n’est pas une décision que nous prenons à la légère. Nous invitons quiconque est en désaccord avec notre décision à faire parvenir une lettre au rédacteur. Nous avons en outre donné à toutes les participantes de la table ronde l’occasion d’écrire une réponse que nous imprimerons parallèlement à l’article si elles sont en désaccord avec notre décision.
RPC : J’ai toujours pensé que la politique partisane et les fonctions électives ne sont pas pour les âmes sensibles et que si quelqu’un travaille dans un tel environnement, il doit être prêt à faire face à des gens et à des électeurs qui sont en total désaccord avec ce qu’il fait. Cependant, vous avez toutes parlé d’une forme précise d’intimidation, de harcèlement et de menaces dans les médias sociaux qui va bien au-delà de ce que la plupart des gens considéreraient comme un dialogue juste et respectueux avec leurs représentants politiques. Est-ce vraiment un nouveau phénomène issu des médias sociaux, ou est-ce que les médias sociaux sont simplement une nouvelle façon d’exprimer ce genre de discours haineux?
JB : Je crois que le corollaire de cette intimidation en ligne – qui semble vraiment s’être intensifiée depuis cinq ou dix ans –, c’est l’anonymat que confère le Web. L’anonymat, combiné aux tribunes offertes par les différents médias sociaux, a entraîné une recrudescence de cette violence, particulièrement contre les femmes politiciennes. La situation facilite ce genre de violence, et il y a peu de responsabilisation, voire aucune. Les gens disent ce qu’ils veulent sans tracas, et le tour est joué. Ils ne réfléchissent pas à l’impact des mots qu’ils utilisent, de leur trollage ou de leur violence sur les gens visés. J’ai eu de telles expériences sur toutes les plateformes, de Twitter à Facebook, en passant par YouTube. Je ne crois pas que ce genre de langage qui vise les femmes politiciennes est un nouveau phénomène, mais je crois qu’il est beaucoup plus perfectionné qu’avant.
RS : Je sais bien que, après mes premières élections, en 2016, je portais encore des lunettes roses qu’on a tôt fait de m’arracher du visage. J’avais récemment vu un topo dans les nouvelles sur le temps que Sheila Copps avait passé au Parlement et la façon dont les choses avaient évolué depuis l’élection de ces pionnières. Lorsque j’ai été élue, j’avais l’impression que la voie m’avait été toute tracée et, en effet, c’était bel et bien le cas, et ce, de plus d’une façon. Cependant, même s’il restait du chemin à faire pour atteindre la parité et l’égalité totale, je croyais tout de même que, une fois en fonction, nous allions être traitées de la même façon que nos collègues de sexe masculin.
En deux semaines, il y avait une vilaine indignation à mon égard sur Facebook et Twitter et il y avait aussi des commentaires anonymes à mon sujet sur des sites de nouvelles. Les gens exprimaient une préoccupation tout à fait légitime. J’avais été nommée ministre des Affaires francophones, mais je n’étais pas bilingue. J’avais dit vouloir m’inscrire à des cours et essayer de devenir bilingue, mais, au moment de ma nomination, je n’étais pas parfaitement bilingue. Certaines des choses qui ont été dites à ce sujet par la suite étaient légitimes et dignes d’intérêt. C’est ce qui rend notre démocratie aussi forte : lorsqu’une personne exerce des fonctions officielles, les gens ont le droit de communiquer leur accord ou leur désaccord.
Cependant, très rapidement, les critiques ont pris une mauvaise tournure d’intimidation et de violence sexuelles. Je savais que la route allait être longue lorsque j’ai lu un commentaire sur la page Facebook de la CBC selon lequel j’avais, de toute évidence, donné beaucoup de faveurs sexuelles pour me rendre là où j’étais, parce qu’il était impossible qu’une femme qui me ressemble, qui parle comme moi et possède des capacités limitées comme les miennes ait pu se faire élire par elle-même. Il s’en est suivi toute une série de commentaires dans lesquels les gens renchérissaient sur le genre de faveurs sexuelles que j’ai pu accorder ou non pour obtenir mon poste.
J’ai fermé violemment mon ordinateur, et mon cœur battait à tout rompre. J’étais dévastée et humiliée. Je me suis dit : « Je suis peut-être la seule qui a vu ça », mais, deux minutes plus tard, mon fils est entré dans la pièce et a dit : « Maman, as-tu vu ce qu’ils disent sur toi? » C’est l’accueil qu’on m’a réservé lorsque je suis devenue politicienne. C’était seulement environ 5 % des commentaires qui me dénigraient et qui s’abaissaient à un tel niveau, mais ce sont ceux dont je me souviens.
CB : Je n’étais pas préparée à la façon — comme Joanne l’a dit — dont les médias sociaux constituent une telle tribune anonyme, qui permet aux gens de faire et de dire des choses qu’ils ne diraient et ne feraient jamais à l’extérieur des médias sociaux. Je ne crois pas que quiconque viendrait me voir en personne — peu importe leur degré de colère au sujet d’une certaine politique ou d’une certaine décision qui a été prise — pour me dire le genre de choses qui ont été dites à mon sujet dans les médias sociaux, comme : « Tu devrais te suicider. » Je crois que les médias sociaux sont un nouvel aspect de la chose, mais j’ai parlé à mes collègues d’un peu partout au pays et durant un événement des Nations Unies plus tôt cette année, et les critiques sur les femmes et leurs compétences et capacités ainsi que les critiques à caractère sexuel et liées au genre n’ont assurément rien de nouveau.
RPC : Je veux parler de l’anonymat. Sur les médias sociaux, on doit faire face à ces commentaires méchants de sources en grande partie anonymes, ce qui est très différent de ce à quoi on peut s’attendre lorsqu’on discute en personne. Cependant, lorsque ce voile d’anonymat existe, les commentaires de ce genre sortent. Pensez-vous souvent au fait que ces points de vue et cette haine habitent les gens qui vous parlent en personne, mais que ceux-ci ne sont tout simplement pas assez braves pour vous le dire par crainte des répercussions?
RS : Je suis tout à fait d’accord avec le fait que les gens utilisent une plateforme anonyme pour dire des choses qu’ils ne me diraient jamais en personne. Durant la dernière année de ma campagne électorale, puis lorsque j’ai été nommée au sein du Cabinet, j’ai rencontré de 14 000 à 15 000 personnes et j’ai entendu des choses diverses et variées. Si je recule encore plus loin, en 2011, durant la campagne précédente, mon parti n’était pas aussi populaire qu’il l’est maintenant. Il y avait beaucoup de mauvais sentiments contre mon parti et même une certaine colère au sujet de décisions antérieures; ce sont des choses qu’on m’exprimait lorsque je faisais du porte-à-porte. Cependant, aucune personne ne m’a jamais dit le genre de choses que j’ai lues en ligne. Les gens tirent profit de l’anonymat qu’offrent ces plateformes. Ce sont des pleutres qui utilisent cet anonymat pour faire valoir sans effort leurs propres points et pour se sentir mieux. Je suis sûre que je pourrais rencontrer tous les gens qui ont dit des choses méchantes et dégoûtantes à mon sujet en ligne, et aucun n’aurait le cran de me le dire en personne.
JB : Je suis ouvertement gaie, alors j’ai dû faire face aux insultes non seulement misogynes, mais aussi homophobes. Un abruti a téléchargé sur YouTube une vidéo dans laquelle il parlait de mes préférences sexuelles. Il disait des choses dégoûtantes et méchantes et il a été assez stupide pour ne pas cacher son identité. J’aurais pu me tourner vers les services de police dans ce cas-là. Cependant, de façon générale, ces hommes — la plupart sont des hommes — pensent avoir un genre d’ascendant sur les politiciens, et particulièrement les politiciennes. Ils prennent sur eux de nous cibler très précisément. En outre, même après ma récente défaite [durant les élections générales de 2017 en NouvelleÉcosse], les gens ont continué à m’attaquer alors que j’étais sur mon départ. On m’a dit, par exemple : « Ne te prends pas la porte dans ton gros c*l en partant. » Et je me suis dit à moimême : « Oh, mon Dieu, ce n’est pas quelque chose dont je vais m’ennuyer. » C’est très difficile pour des femmes accomplies, peu importe leur parti, de parler aux générations suivantes. Nous voulons encourager ces femmes à se lancer en politique, mais nous voulons aussi les avertir qu’elles doivent le faire en gardant les yeux bien ouverts au sujet de ce genre de violence.
CB : Comme Joanne, j’ai eu le privilège d’être ministre de la Condition féminine au sein du Cabinet. À la lumière des discussions que j’ai eues lorsque j’ai occupé ce poste, il est évident que les expressions sexistes et misogynes utilisées pour attaquer les femmes de ces façons font toutes partie de ce qui contribue au maintien d’une société empreinte de violence contre les femmes. En tant que femmes qui occupent une fonction officielle, plus nous pouvons parler de ces problèmes, plus nous pourrons aider à changer le langage et le choix des mots qu’utilisent ceux qui critiquent les femmes. Il faut dire les choses comme elles sont : c’est un langage qui crée une culture qui permet à la violence de se poursuivre.
Environ dix jours après avoir parlé publiquement — en décembre [2016] — du genre de messages que je recevais, j’ai eu une conversation vraiment profonde avec mon premier ministre. Nous avions tous deux été la cible de critiques extrêmement vives découlant de l’adoption d’un budget très difficile dans notre province, et il m’a dit : « Tu sais, Cathy, je n’ai pas été victime du genre de violence dont tu as été la cible. » J’ai trouvé très intéressant qu’il souligne la différence, parce que l’expérience des femmes dans l’arène politique est très différente de celle des hommes. Tous les différents points de vue sont filtrés dans l’optique de la misogynie. Certains hommes sont très réfractaires à l’idée que la parité sexuelle est là pour rester. Nous devons continuer à remettre en question ce paradigme.
RPC : C’est intéressant d’entendre ce que vous avez dit au sujet du paradigme sexospécifique qui est en jeu, ici. Je veux revenir rapidement sur quelque chose que Joanne a dit au sujet de la violence homophobe dont elle a été victime en plus d’être la cible de remarques sexistes et misogynes. Puisque vous avez toutes parlé publiquement de cette situation, vous avez peut-être entendu les récits d’autres parlementaires qui ont été victimes d’intimidation, de harcèlement ou de menaces similaires. Avez-vous constaté qu’il y a une dynamique semblable qui entre en ligne de compte lorsqu’il est question des commentaires formulés contre les parlementaires et les politiciens qui appartiennent à d’autres minorités ou d’autres groupes marginalisés, comme les minorités raciales, la communauté LGBTQ ou les immigrants et les réfugiés?
JB : J’ai commencé à faire l’objet d’attaques homophobes durant la campagne électorale. Il y a environ deux ans, j’en ai eu vraiment assez. Trop de fois les gens sont allés trop loin. Je suis passée au téléjournal de 18 h pour parler de l’acceptation et de la tolérance à l’égard de la communauté LGBTQ. J’ai dit très clairement que, si une ministre du Cabinet blanche et lesbienne âgée de 53 ans est victime de ce genre de violence au sujet de sa sexualité, imaginez ce qu’un enfant dans une zone rurale de la Nouvelle-Écosse peut bien vivre, dans sa ville natale, s’il craint de sortir du placard auprès de ses parents ou de ses amis à l’école. C’était plus facile de renverser la situation que dans le cas de la misogynie; je ne sais pas pourquoi. Je ne sais pas si c’est parce que la misogynie est plus profondément ancrée ou je ne sais quoi d’autre, mais j’ai l’impression qu’il y aura toujours un certain niveau d’acceptation de la sexualisation des femmes et du fait d’associer leur pouvoir et leur leadership à ce à quoi elles ressemblent et aux vêtements qu’elles portent.
RS : C’est un point de vue très intéressant, et j’aimerais en entendre plus au sujet de l’intersectionnalité à laquelle font face les femmes et les membres des autres communautés minoritaires ou marginalisées, et particulièrement les nouvelles arrivantes, les femmes de la communauté LGBTQ ou les autres personnes, et la façon dont cette identité peut avoir un effet cumulatif. Lorsque j’ai parlé publiquement de ce que je vivais, beaucoup d’autres femmes ont communiqué avec moi pour me faire part de leurs expériences, y compris la dirigeante d’un autre parti de notre province, qui est une femme membre d’une minorité raciale. Elle a été victime d’une violence profonde du même genre, et cela semblait tout simplement exacerber la situation. Cependant, certaines personnes semblent tout simplement avoir le désir de « remettre les femmes à leur place » lorsqu’elles ont du succès.
CB : Environ quatre ou cinq mois après le premier déluge de violence à mon égard, les choses ont semblé se calmer, puis, un matin, je me suis réveillée et, tout d’un coup, on me menaçait de mort au téléphone. C’était peu de temps après que j’ai participé à un forum sur l’intimidation à l’école secondaire, dans le cadre duquel j’ai entendu l’histoire d’une jeune femme qui avait été victime d’une intimidation intense et persistante. Elle nous a expliqué qu’elle ne pouvait jamais s’en éloigner. Elle nous a dit : « les membres de votre génération pouvaient s’en éloigner, mais ce n’est pas le cas de notre génération parce que nos téléphones nous accompagnent au lit et on peut nous attaquer jusque-là ». Je me souviens d’avoir eu une réaction vraiment émotive à ses propos. J’ai pensé à la femme que j’étais à 19 ans et à tout ce que j’ai subi durant la dernière année en tant que femme mature de 55 ans ayant ses propres enfants… Je n’arrive même pas à imaginer ce que nous faisons vivre à nos enfants et aux jeunes femmes lorsque nous ne crions pas à tue-tête que ce genre de chose doit arrêter. Ça m’a appris une leçon : lorsqu’on a le privilège d’occuper une fonction publique, il faut dénoncer ces choses. Ce n’est pas seulement notre droit, c’est notre responsabilité. Nous parlons pour les jeunes femmes comme celle qui était assise à côté de moi et qui a raconté son expérience, qui était similaire à la mienne, mais à un moment très différent de sa vie.
RPC : La première ministre de l’Ontario, Kathleen Wynne, dont le Cabinet a récemment publié le genre de commentaires haineux et menaçants qu’elle a reçus sur les médias sociaux, a parlé à certaines Héritières du suffrage. Elle leur a dit que, si elles prévoient se lancer en politique ou choisir la vie publique, elles doivent avoir une bonne carapace, mais tout de même assez perméable pour ressentir les émotions. De quelle façon peut-on trouver un juste équilibre entre le besoin de se protéger soimême de ce genre de violence en ligne ou en personne et celui d’être disponible pour écouter directement les électeurs qui ne peuvent nous joindre d’aucune autre façon?
RS : Je suis confrontée à une véritable peur. Si mon portefeuille, mon ministère, fait les manchettes pour une raison ou une autre et que je suis plus ou moins à l’avant-plan, je ressens de la panique et de la peur. C’est quelque chose que je dois surmonter afin de ne pas continuellement construire des murs pour me protéger. Je dois accepter que je ferai peut-être à nouveau l’objet du même genre de violence dont j’ai déjà été victime. J’essaie de me rappeler ce que je me suis dit dans le passé pour m’apaiser dans ces moments de peur… Je me rappelle que c’est seulement une infime partie de la population. J’ai aidé à créer une légion de femmes féministes fortes autour de moi qui me soutiendront et qui me protégeront. En outre, je dois l’admettre, j’ai regardé avec admiration ce que Cathy a fait à Terre-Neuve-et-Labrador dans le cadre de la campagne #LiftHerUp, alors j’ai reproduit ce mouvement ici, au Manitoba, et j’ai créé le motclé #LiftHerUpMB.
JB : Il y a quelques années, un de mes électeurs qui n’était même pas sur mon fil Twitter m’a traitée de sal*pe d’attardée. Je me rappelle d’avoir lu ce message et d’avoir vu les gens qui se portaient à ma défense. Je me souviens que mon fils, qui avait quitté les médias sociaux le jour après mon élection, m’avait appelée, enragé, parce que quelqu’un lui avait envoyé une saisie d’écran du message par texto. Mon fils est un soudeur de six pieds et 200 livres et il avait l’intention de retrouver cet homme… Donc, après lui avoir fait entendre raison, et après avoir fait entendre raison à ma partenaire, je suis allée au lit en colère, blessée et furieuse contre le monde.
Je me suis réveillée et j’avais reçu un courriel de la personne qui m’avait traitée ainsi. C’est un père monoparental d’une petite fille dont le chat était mort ce soir-là, et il m’avait prise pour cible. Il s’est excusé et j’ai accepté ses excuses, mais pas avant de lui avoir écrit pour lui dire l’impact que ces deux mots avaient eu sur moi, mon fils, ma partenaire et mes amis, qui avaient tous vu le message et qui m’avaient appelée la veille pour me soutenir. Je crois qu’en lui faisant savoir quel avait été l’impact de ses mots sur une personne qu’il n’avait jamais rencontrée, j’ai ressenti une libération, et peu m’importe la façon dont lui a vécu notre interaction.
Une autre tactique que j’ai utilisée, c’est de faire des saisies d’écran de ces commentaires. Si la personne a écrit son nom, j’affiche le tout sur Twitter pour la mettre dans l’embarras. Pour moi, c’est une façon de réaffirmer en partie mon pouvoir et de me défendre. Si vous voulez m’appeler une sal*pe et que vous êtes assez stupide pour écrire votre nom, je vais m’assurer de le dire à qui veut l’entendre dans les médias sociaux. Avec un peu de chance, quelqu’un reconnaîtra la personne et lui en parlera ou, à tout le moins, au bout du compte, c’est la personne qui sera dans l’embarras. C’était pour moi une façon de reprendre mon pouvoir.
Je suis le genre de personne qui dit ce qu’elle pense. Je me rappelle de la fois où les Héritières du suffrage sont venues en NouvelleÉcosse pour assister à une session parlementaire. La députée Bernadette Jordan et d’autres députées provinciales étaient là pour une période de questions et de réponses. La question qu’on nous a posée était la suivante : que dites-vous à quelqu’un qui est misogyne ou qui tient des propos de ce genre? Bernadette a dit qu’elle essaie de comprendre d’où ces personnes viennent à la lumière du type de langage qu’elles utilisent, et d’autres ont reconnu que, si on essaie de comprendre, alors on peut mettre le doigt dessus et régler le problème. Lorsque ce fut mon tour de répondre, j’ai dit que la première chose qui m’est venue à l’esprit : je leur dis d’aller se faire fo*tre!
Peu m’importe d’où vous venez. Peu m’importe ce qui se passe dans votre vie. Peu m’importe si c’est ce que vous pensez des femmes. Vous ne pouvez pas me parler de cette façon. Vous ne pouvez parler à aucune femme de cette façon. Je crois que nous devons commencer à riposter de façon plus agressive plutôt que de simplement dire que c’est une composante bien enracinée du patriarcat et que cela fait partie du tissu sociétal. Je suis trop vieille pour ce genre de choses. Si quelqu’un me dénigre, je vais riposter. Je ne vais pas répondre avec des propos aussi dénigrants, mais je vais dire que ce n’est pas acceptable et que ça doit arrêter.
RPC : Pour poursuivre avec cet exemple d’une réponse personnelle lorsque ce genre de langage de haine nous est destiné, y a-t-il quoi que ce soit que les gouvernements, les entreprises des médias sociaux ou les observateurs préoccupés peuvent faire ou devraient faire lorsque cela se produit?
JB : Lorsque Rochelle a lu ces remarques publiées sur des sites Web de grands médias... ces médias devraient avoir honte! Ils devraient avoir honte de permettre à de telles remarques de rester là sans les filtrer. C’est quelque chose que nous avons constaté partout au pays : la CBC et les organes de presse locaux laissent passer tellement de cochonneries. Peu importe que le message soit là pour une minute, une heure ou une journée. Ils ne font pas leur travail.
RS : J’étais tout simplement enragée lorsque j’ai vu que les messages étaient toujours là. J’ai fini par m’adresser publiquement à la CBC sur Twitter et j’ai demandé : « Neuf mois, est-ce assez? Tous mes électeurs ont lu les messages, mes enfants les ont lus… les laissez-vous là pour que mes petits-enfants puissent les lire? » Ce matin-là, ils participaient à une discussion sur la responsabilité du gouvernement, des entreprises du Canada et de tous les bons citoyens qui devaient dénoncer la misogynie. Prêchez par l’exemple, messieurs et mesdames!
J’ai dénoncé la CBC et j’ai dit que ces commentaires étaient là, sur la page Facebook de l’organisation, depuis neuf mois. Et ce n’est pas comme s’il n’y en avait qu’un ou deux, il y en avait un nombre important. J’ai fait des saisies d’écran de certains messages afin de récupérer mon pouvoir et, avec un peu de chance, mettre dans l’embarras certaines des personnes qui ont rédigé ces commentaires au départ. La CBC est un chef de file dans le monde des médias, et ils doivent se joindre à la partie. Ils doivent se lever et intégrer un filtre sur leurs pages Web et leurs sites de médias sociaux ou encore ils doivent charger quelqu’un d’effacer le contenu ou de même l’interdire d’entrée de jeu.
CB : Je veux ajouter quelque chose sur les entreprises de médias sociaux elles-mêmes. Lorsqu’on réfléchit à la façon dont les médias et les technologies ont évolué au cours des dernières décennies et des derniers siècles, il y a toujours une mentalité du « Far West » lorsqu’il y a de nouvelles technologies de rupture jusqu’à ce que les normes sociétales les intègrent et déterminent ce qui est approprié et ce qui ne l’est pas.
En ce qui a trait aux entreprises de médias sociaux, il y a certaines entreprises qui ont eu beaucoup de succès et qui ont obtenu leur réussite très rapidement. Elles sont souvent menées par de jeunes directeurs généraux de sexe masculin qui ne comptent pas sur l’appui d’un solide comité de gouvernance. Cependant, je crois bel et bien que ces sociétés ont une responsabilité sociale et que ces plateformes ne le reconnaissent pas. Ces entreprises parlent de tout ce qu’elles font, mais elles ne passent pas suffisamment à l’action. En tant que décideurs, nous devons, à mon avis, les responsabiliser en ce qui concerne le fait de créer des plateformes qui sont socialement acceptables tout en permettant aux personnes de s’exprimer, ce que ces plateformes font très bien.
Joanne, je ne sais pas si vous vous rappelez d’une intervenante durant une conférence à laquelle nous avons participé et qui avait dit : « En tant que féministes, nous travaillons depuis des décennies pour que vous ayez votre place au sein des Assemblées législatives, et nous n’allons pas laisser les médias sociaux vous retirer ce droit. » Nous avons le droit d’être dans la Chambre. Nous devons y être. En outre, de meilleures politiques sont adoptées en raison de notre présence, ici. Nous ne pouvons pas laisser les plateformes des médias sociaux et les entreprises qui les exploitent faire des choses, non contrôlées, qui permettent de réduire le rôle que jouent les femmes dans ces fonctions très importantes.
RPC : Lors de la publication de la présente table ronde, j’espère pouvoir fournir un lien avec vous toutes sur les médias sociaux, si c’est quelque chose que vous voulez transmettre à vos abonnés. Si, par hasard, un des trolls anonymes qui vous a harcelées ou qui a harcelé d’autres femmes politiciennes lit ce document, est-ce qu’il y a quoi que ce soit que vous voudriez lui dire?
JB : Je me souviens de ce que mon fils a dit lorsque tout ça est arrivé : « Maman, tu as peut-être accepté tout ça, mais pas moi. » Je ne m’étais pas engagée à ça. Je n’avais jamais été traitée de façon aussi désobligeante et haineuse que depuis mon élection. Mais le problème ne se limite pas aux comptes anonymes de ces trolls. Il y a des Assemblées législatives où des femmes parlementaires ont fait l’objet de commentaires désobligeants de leurs homologues masculins, et je pense à des exemples précis en Alberta et, récemment, au NouveauBrunswick. Il faut commencer dans nos propres Chambres. Nous devons donner le ton. Mais, pour ce qui est des trolls, et de quiconque adopte ce genre de comportement, je leur dirais simplement d’arrêter.
RS : Je suis d’accord. Je suis toujours prête à avoir une discussion avec les membres du public manitobain que je sers au sujet de mes politiques, des initiatives du programme de mon parti ou de ce que mon gouvernement fait ou ne fait pas, selon le cas, et je suis disposée à le faire. Je suis toujours ouverte à ces discussions. Je ne vais jamais les éviter, et je crois que c’est mon devoir en tant que fonctionnaire. Cependant, gardez à l’esprit, s’il vous plaît, qu’il faut parler des politiques et des enjeux de façon intelligente. Si vous avez un point à faire valoir, utilisez un langage respectueux. Je vais vous respecter, et tout ce que je vous demande en retour, c’est un peu de courtoisie et de décence.
Et pour ce qui est des trolls, n’oubliez pas que nous sommes toutes des mères, des sœurs, des filles, des épouses, des partenaires… Nous sommes des êtres humains. Ne nous déshumanisez pas. Traitez-nous avec le même respect que vous accorderiez à une femme de votre famille ou à une autre femme que vous respectez dans votre vie personnelle. Traitez les gens avec respect, un point c’est tout. Nous ne demandons rien qui soit hors norme.
CB : Tout ce que j’ajouterais à l’intention des trolls, c’est ceci : vous êtes une minorité. Si mon expérience est similaire à celle des autres femmes, la vague de soutien qui se poursuit aujourd’hui me surprend toujours. Les gens qui m’arrêtent dans la rue — qui arrêtent mes enfants dans la rue — pour dire à quel point ils étaient fiers que je prenne la parole et pour souligner à quel point j’ai fait preuve de bravoure —, ce sont eux la majorité. Le comportement des trolls n’arrêtera pas une femme comme moi et comme les nombreuses autres femmes qui veulent exercer leur droit et leur responsabilité et siéger au Parlement.
RPC : Merci beaucoup à vous toutes de la discussion. Ce fut un privilège de participer à cette conversation avec vous.
RS : Je veux dire quelque chose — et je me suis engagée à le dire, puisque j’ai parlé de ce qui m’est arrivé à moi —, je tiens à remercier tout homme qui choisit de participer à un tel dialogue ou d’en initier un. La seule façon dont nous arriverons à ouvrir les esprits et à montrer du soutien pour les femmes au sein des Assemblées législatives qui sont aux prises avec de tels problèmes, c’est en en parlant et en en parlant publiquement.