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Will Stos
Même dans les meilleures circonstances, les relations de travail peuvent être difficiles. Cela dit, lorsqu’il y a débat ou mésentente au sujet de la nature des fonctions et des liens hiérarchiques, ces relations peuvent devenir très tendues. Dans le cadre d’un séminaire organisé récemment (le 31 mars 2017) par le Groupe canadien d’étude des parlements, les intéressés ont étudié cette dynamique; des observateurs se sont aussi réunis pour discuter du rôle joué par les agents du Parlement et les parlementaires qu’ils servent et protègent, à qui ils donnent de l’orientation et rendent des comptes et au sujet desquels ils font enquête.
Séance 1 : Serviteurs? Maîtres? Gardiens? Comment les agents du Parlement perçoivent leur rôle
Dans la première séance, animée par Michael Ricco, conseiller en relations parlementaires au Commissariat à l’information du Canada, trois agents du Parlement ont parlé de la façon dont ils perçoivent leur rôle et leurs responsabilités.
La commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique Mary Dawson a signalé que les « agents du Parlement » ne forment pas un groupe homogène. Il existe en effet huit commissaires fédéraux, et certains sont considérés comme étant des agents du Parlement. Mme Dawson a expliqué qu’elle a pour rôle de surveiller de près le Parlement afin de demander des comptes à l’exécutif. Elle insiste sur l’indépendance de son rôle, mais elle est consciente qu’elle doit aussi être perçue comme étant indépendante. Il est essentiel que les députés sachent qu’elle est juste et indépendante. Elle s’est interrogée à savoir si le mandat de sept ans rattaché à sa fonction devrait être non renouvelable étant donné que le renouvellement de son mandat ou de celui d’un autre titulaire de la charge peut donner lieu à une impression de favoritisme de la part du gouvernement au pouvoir. Elle a terminé sa présentation en insistant sur le fait qu’elle relevait du Parlement, non du pouvoir exécutif ou du gouvernement. Contrairement à celui des autres agents, son bureau est considéré comme une entité du Parlement et fait partie de la Cité parlementaire. Par ailleurs, la commissaire bénéficie du privilège parlementaire.
Michael Ferguson, vérificateur général du Canada, a d’abord souligné que son bureau compte 530 employés. Comme les administrations centrales de certaines sociétés d’État se trouvent dans différentes provinces et que les trois territoires s’en remettent au vérificateur général du Canada, ces employés sont répartis en cinq endroits distincts au Canada. Le bureau vérifie les états financiers des ministères et des sociétés d’État et effectue des vérifications spéciales visant à déterminer si les programmes gouvernementaux atteignent leurs objectifs. M. Ferguson affirme que son bureau fournit des renseignements objectifs et impartiaux qui, espère-t-il, serviront à améliorer les services offerts aux Canadiens. À l’instar de Mme Dawson, il estime que son indépendance est cruciale. « Je n’ai pas de patron et c’est là un des grands avantages de cet emploi », a-t-il dit à l’auditoire, en précisant que même s’il fait rapport au Parlement et aux territoires, personne ne peut lui dire quoi faire. Aux termes de loi, son bureau peut avoir accès à toute l’information jugée nécessaire. Contrairement au mandat de Mme Dawson, le mandat de 10 ans de M. Ferguson n’est pas renouvelable. Le fait qu’il ne peut être reconduit témoigne de l’indépendance du titulaire de la charge, ce qui est judicieux selon M. Ferguson. On ne peut ainsi pas alléguer que les vérificateurs se montrent indulgents envers un gouvernement dans le but d’obtenir un nouveau mandat. M. Fergusson signale toutefois que cette indépendance peut être menacée. Son bureau dispose d’une enveloppe budgétaire pour tous les types de vérification, mais il a seulement le pouvoir de dépenser les fonds pour des vérifications de rendement. Par conséquent, le gouvernement pourrait réduire le financement global qui est accordé dans le but de limiter ces vérifications. De plus, si une demande d’information est rejetée, le bureau peut simplement rapporter l’incident au Parlement et n’a aucun recours pour exiger l’information. M. Ferguson ajoute également que la nomination de vérificateurs intérimaires peut compromettre leur indépendance. Il conclut que l’indépendance s’accompagne de responsabilités, tout manque de surveillance doit être pallié par des structures adéquates.
La commissaire à l’information Suzanne Legault, pour sa part, a indiqué qu’elle est toujours surprise lorsqu’on lui demande si son rôle s’apparente à celui d’un serviteur, d’un maître ou d’un gardien, car il est défini dans la loi. Le Commissariat à l’information a pour but de donner aux citoyens accès à l’information nécessaire pour participer à la démocratie. La commissaire a les mêmes pouvoirs qu’un juge d’une cour supérieure pour convoquer des témoins et elle effectue des enquêtes secrètes requises par la loi. Mme Legault a mentionné que le Commissariat à l’information a procédé à des mises à jour sur le rendement, mais elles sont controversées, car, selon certains, elles ne font pas partie de son mandat (et le Conseil du Trésor a toujours refusé d’accorder des fonds à cette fin). De plus, lorsque le Commissariat fait des recommandations (par exemple, le concept du gouvernement ouvert), elles peuvent prêter à la controverse. Pour ce qui est de ses rapports avec le Parlement ou les parlementaires, Mme Legault a affirmé que le commissaire est nommé par le gouverneur en conseil après consultation des chefs des partis reconnus aux Communes et au Sénat (et elle se demande si la loi devra être révisée compte tenu du Groupe des sénateurs indépendants). Étant donné le caractère instantané des médias sociaux et de l’environnement numérique, Mme Legault a déclaré qu’une citation bien connue attribuée à Jonathan Swift et Winston Churchill est maintenant plus vraie que jamais : Un mensonge peut faire le tour de la terre le temps que la vérité mette ses chaussures. En raison de cette réalité, il peut être difficile de redresser les faits à l’aide des demandes d’accès à l’information. Elle a exprimé sa frustration concernant les ministres qui se servent de la Loi sur l’accès à l’information comme d’un prétexte pour ne pas répondre aux questions. Cependant, lorsque le Commissariat a dû examiner si des projets de loi d’initiative parlementaire étaient conformes à la loi, Mme Legault et les parlementaires ont trouvé l’examen utile pour signaler les parties non conformes. Mme Legault joint sa voix à celle de Mme Dawson pour recommander que les cadres de responsabilisation des agents du Parlement soient passés en revue et structurés en fonction des meilleurs modèles.
Durant la période de questions et réponses, un participant a mentionné que Mme Dawson et Mme Legault n’avaient pas le pouvoir de réprimander personne et qu’il incombait au Parlement de suivre les recommandations de leurs rapports. On leur a donc demandé si elles ne devraient pas avoir le pouvoir de réprimande. Mme Dawson a fait valoir que les réprimandes, comme les amendes, importent peu, contrairement au rapport et à la publicité qui l’entoure. Mme Legault a indiqué que les dossiers en cours d’examen demeurent confidentiels tant qu’ils ne sont pas terminés et qu’elle ne peut tous les mentionner dans son rapport annuel (2 000 cas sont actuellement à l’étude). Elle a affirmé que les allégations publiques ne sont pas des faits et elle est favorable à l’idée d’imposer des mesures disciplinaires et des amendes (mais seulement dans des contextes bien précis).
Deuxième séance : État de la relation? C’est compliqué : défis du passé et perspectives d’avenir pour le Parlement et ses agents
La deuxième séance, présidée par Anna L. Esselment, professeure adjointe de sciences politiques à l’Université de Waterloo, a réuni plusieurs universitaires et observateurs parlementaires pour présenter un point de vue de l’extérieur.
Élise Hurtubise-Loranger, chef, Affaires constitutionnelles et parlementaires à la Bibliothèque du Parlement, a expliqué qu’on ne doit pas confondre les agents du Parlement (en anglais, il n’existe pas de différence entre « officers » et « agents » du point de vue législatif, mais le mot « officer » nous vient du Royaume-Uni et date des années 1860 tandis que le mot « agent » est plus courant au Canada) avec le personnel qui veille aux activités parlementaires. Les agents ont pour rôle d’assurer une surveillance, d’agir comme chiens de garde ainsi que de faire rapport et de rendre des comptes au Parlement. Mme Hurtubise-Loranger a décrit les principaux critères concernant les agents du Parlement, y compris le processus de nomination, le mandat, la révocation et les rapports. Dans son énumération des agents en poste, elle n’a pas inclus la conseillère sénatoriale en éthique du Sénat, car cette dernière n’est pas indépendante du Parlement. Mme Hurtubise-Loranger a indiqué que le manque de cohérence sur le plan législatif ne permettait pas de dégager des caractéristiques communes propres à ces postes. Par exemple, selon la Loi sur les compétences linguistiques, certains agents doivent être bilingues, mais d’autres n’ont pas à l’être. De plus, il n’existe pas, de façon générale, de cadre juridique pour ces postes.
Jack Stilborn, un ex-employé de la Bibliothèque du Parlement à la retraite, s’est intéressé au modèle de Westminster dans lequel évoluent les agents du Parlement. Il affirme qu’il est délicat de surveiller son patron. Toutefois, il ne croit pas, comme l’ont déclaré certains, que les agents n’ont pas de patron. M. Stilborn a insisté sur le fait que le Parlement est en fin de compte le patron des agents, puisque c’est le Parlement qui a créé ces rôles. Les agents doivent, entre autres choses, porter attention à ce que le Parlement veut tout en conservant leur indépendance. Or, dans le modèle de Westminster, on trouve un gouvernement et une opposition. Comment savoir ce que le Parlement veut quand il y a des dissensions internes? Selon M. Stilborn, l’appui du public est à la fois dangereux et nécessaire pour ces agents. Ils ont besoin de l’appui du public pour s’acquitter de leur rôle, mais ils doivent faire preuve de diplomatie pour arriver à leurs fins sans quoi ils pourraient s’aliéner des gens qui siègent au Parlement. Il a conclu en examinant les protections législatives, financières et parlementaires dont disposent ces agents.
Genevieve Tellier, professeure à l’école d’études politiques de l’Université d’Ottawa, à l’instar d’autres panélistes, a elle aussi été surprise d’entendre certains agents du Parlement déclarer qu’ils n’ont pas de patron. Elle fait valoir qu’ils en ont effectivement un, et qu’il s’agit, au bout du compte, du Parlement. Mme Tellier a cité des recherches de Paul Thomas selon lesquelles les agents du Parlement se trouvent dans une zone grise sur le plan constitutionnel, en ce sens qu’ils doivent être indépendants tout en rendant des comptes. Paul Thomas est bien connu pour avoir comparé ces agents à des « chiens de garde » qui sont libres de « japper » mais qui ne « mordent » pas. Mme Tellier, dont les recherches portent sur le directeur parlementaire du budget, a déclaré qu’il faut se garder de reprendre des modèles décevants appliqués ailleurs lorsqu’on envisage de modifier ou d’améliorer ces postes.
Dans la période de discussion qui a suivi, un participant a demandé si les partis devaient retirer de leurs programmes les changements proposés afin d’apparenter davantage ces postes à des postes de gestion et les rendre moins susceptibles d’être au cœur d’une querelle partisane. Pour réduire la partisanerie, Mme Tellier propose des modèles multipartites, l’unanimité au Parlement ou la tenue d’un scrutin secret, tandis que M. Stilborn fait valoir que l’appui de tous les partis est essentiel pour assurer la légitimité des titulaires et qu’il ne faut pas l’oublier quand on songe à apporter des changements. Dans la salle, Mme Legault a signalé que le fait d’évoluer dans le modèle de Westminster n’est pas un empêchement à la modernisation.
Troisième séance : Sur les plates-bandes des députés? Travailler avec les agents du Parlement
La dernière séance, animée par M. Stilborn, réunissait trois parlementaires, deux actuellement en poste et un qui ne l’est plus, pour qu’ils puissent faire part de leur expérience avec ces agents. Le sénateur libéral Percy E. Downe a repris les suggestions formulées dans le premier groupe concernant la possibilité de ne plus renouveler les mandats. Le renouvellement des mandats remet en question l’indépendance des titulaires même s’il s’agit de personnes de la plus haute qualité. Le sénateur Downe préconise plutôt de prolonger la durée des mandats ou de les rendre simplement non renouvelables. Il a indiqué que le fait de laisser le recrutement aux soins du bureau du premier ministre constituait un autre problème. Si le BPM et le premier ministre restent en retrait du processus de sélection, les meilleurs candidats ne seront pas nécessairement mis de l’avant. Il mentionne que l’offre d’emploi parue en 2010 pour doter le poste de vérificateur général exigeait le bilinguisme. Le candidat retenu n’était pas bilingue à l’époque, mais il l’est maintenant. Le sénateur Downe se demande combien de Canadiens qui ont vu l’annonce n’ont pas postulé. Selon lui, cela montre la latitude dont dispose le gouvernement.
L’ancien député conservateur John G. Williams a déclaré que c’est la démocratie qui fait en sorte que le gouvernement rend des comptes. Les agents du Parlement attirent l’attention sur des questions afin que la société civile, les partis politiques et les médias indépendants puissent exercer de la pression sur le gouvernement pour qu’il rende des comptes. Cela ne se produit pas dans les pays qui n’ont pas une solide démocratie. M. Williams est d’avis que les agents sont précieux pour le Parlement et notre démocratie, et il salue leurs efforts.
Enfin, la sénatrice indépendante Elaine McCoy est d’avis que le modèle actuel est souple, et elle aurait nommé le groupe « L’importance des parlementaires dans nos plates-bandes ». La sénatrice McCoy estime que les agents du Parlement sont des partenaires dans la démocratie parlementaire. Bien qu’il existe une tension fondamentale entre le pouvoir et la vérité, il est essentiel de dire la vérité à ceux qui sont au pouvoir, que ce soit à titre d’agent du Parlement, de parlementaire, etc. Elle applaudit les agents du Parlement qui agissent à l’occasion comme contrepoids et les félicite de leur courage lorsqu’ils subissent de la pression politique. En tant que leader du Groupe des sénateurs indépendants (GSI), la sénatrice McCoy explique que certains membres du GSI considèrent que les échanges au Sénat ne devraient pas être fondés sur la confrontation. Pour sa part, elle croit que les Canadiens seraient faveur de ce changement et s’il se produit, ils pourraient devenir des partenaires des agents du Parlement.
Durant la période de questions et réponses, un participant a demandé s’il doit y avoir de nouveaux agents du Parlement. Selon M. Williams, et le sénateur Downe est d’accord, le DPB devrait être un agent du Parlement, parce que le Parlement a besoin de renseignements indépendants en matière budgétaire qui ne sont pas nécessairement conformes aux déclarations du gouvernement. Mme McCoy, pour sa part, rêve d’un agent indépendant qui serait responsable de la recherche à la Bibliothèque du Parlement. Elle explique que les compressions budgétaires ont miné la capacité de recherche de la Bibliothèque, et le public n’est pas conscient des conséquences, pour les travaux parlementaires, de la perte de services d’information et d’analyse.
M. Stilborn s’interroge à savoir qui doit surveiller les chiens de garde? Si c’est le Parlement, les parlementaires ne se trouvent-ils pas alors dans une situation difficile? M. Williams estime que les médias indépendants doivent jouer un rôle important dans cette équation et il fait une mise en garde au sujet des beaux discours qui minent la crédibilité dans la population. Dans la salle, Mme Dawson mentionne que les comparutions au moment de la présentation des budgets et les rapports offrent une occasion de rendre des comptes. Elle rappelle les pressions qu’ont pu exercer les parlementaires à ces comparutions et au sujet des publications. Mme Legault, pour sa part, affirme que le vérificateur général est chargé de la vérification de tous les autres agents du Parlement et que certains rapports contiennent également d’autres indicateurs de rendement. Elle ajoute toutefois, pour conclure, que le processus de rapports devrait être uniformisé.
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