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Mark Sholdice
Principles and Gerrymanders: Parliamentary Redistribution of Ridings in Ontario, 1840-1954. George Emery. McGillQueen’s University Press, Montreal et Kingston, 2016, 332 pages
Dans son ouvrage Principles and Gerrymanders, l’historien George Emery s’intéresse aux redécoupages des circonscriptions électorales en Ontario, autant à l’échelle fédérale que provinciale, des années 1840 aux années 1960. Ce sont les politiciens qui redessinaient les limites des circonscriptions électorales jusqu’à ce que cette responsabilité soit confiée à des comités législatifs bipartites au début du XXe siècle, puis à une commission indépendante provinciale en 1962, et fédérale en 1964. Emery définit le terme « gerrymander » comme étant « le redécoupage d’au moins deux circonscriptions de manière à avantager injustement le parti au pouvoir ». Le terme nous vient du gouverneur Elbridge Gerry du Massachusetts, qui fit un redécoupage manifestement partisan des districts législatifs de l’État en 1812.
L’auteur réussit à démontrer que le redécoupage des circonscriptions à des fins partisanes n’était pas généralisé en Ontario au XIXe et au début du XXe siècles. Les partis au pouvoir se livraient seulement à la pratique à des fins très particulières : pour cibler et compromettre un membre de l’opposition; ou pour remanier les circonscriptions favorables à l’opposition de manière à maximiser le nombre de circonscriptions susceptibles d’être remportées par le gouvernement.
Emery éclaire ses lecteurs en définissant plusieurs principes bien établis dans la culture politique ontarienne à l’égard du redécoupage des circonscriptions électorales, comme le respect de l’intégrité des municipalités ou le consensus selon lequel les électeurs des régions urbaines devraient être sous-représentés comparativement à ceux des régions rurales (la pratique est dite passive lorsqu’on ne procède à aucun redécoupage malgré un écart croissant dans la population des circonscriptions). Ces principes entraient souvent en conflit, l’idéal voulant des circonscriptions à population égale (c.àd. la « représentation selon la population ») étant particulièrement difficile à concilier. Son cadre conceptuel nuancé ainsi établi, Emery démontre que les politiciens de l’Ontario agissaient dans un texte politique et culturel bien précis et ne pouvaient redécouper à leur guise les limites des circonscriptions.
Principles and Gerrymanders se fonde sur une analyse minutieuse des résultats des élections, allant jusqu’à l’échelon cantonal. La méthode employée consiste à examiner les principes motivant chacun des redécoupages des circonscriptions ontariennes, autant provinciales que fédérales, afin de déterminer s’ils auraient été établis dans l’intérêt du parti au pouvoir, et aussi à manipuler les résultats des votes à l’échelle locale afin de déterminer si les redécoupages effectués à des fins partisanes ont réellement eu pour effet d’avantager le parti au pouvoir. Il en ressort notamment que bon nombre des redécoupages effrontément partisans, comme le redécoupage fédéral effectué en 1882 par Sir John A. Macdonald, n’ont pas eu les résultats escomptés et, de surcroît, qu’ils auraient même nui à la réputation du parti au pouvoir. Cela dit, Emery en vient à la conclusion que la plupart des redécoupages aux motivations partisanes, même à peine voilées, réussirent à remporter ou à défendre un nombre limité de sièges pour le parti majoritaire.
L’attention particulière accordée aux exemples précis de redécoupages à motivations partisanes et leurs conséquences dans certaines circonscriptions amène éventuellement l’auteur à ne pas tenir compte de certains autres aspects de l’évolution du milieu politique. Notamment, il ne tient pas compte de l’évolution de la popularité des partis et ne cherche pas à déterminer son éventuel impact sur les redécoupages passifs et autres (en effet, Emery évalue l’efficacité de ces redécoupages en se servant des résultats des élections précédentes). Outre la popularité des conservateurs et des libéraux, l’émergence de troisièmes partis comme les Patrons of Industry ou Farmers United menaçait la stabilité du système bipartite de la province et aurait même amené certaines tentatives de redécoupage à la dérive. Il y aurait également lieu de se pencher de plus près sur les forces motivant les réformes des pratiques de redécoupage (p. ex. la création de comités législatifs bipartites au début du XXe siècle ou encore de commissions indépendantes dans les années 1960).
L’auteur n’évoque pas la possibilité de luttes intestines au sein du parti au pouvoir — une légère omission. C’est une occurrence plutôt rare, mais il est arrivé qu’un membre du parti au pouvoir se serve de son influence sur le redécoupage pour éliminer certains membres de son propre caucus. Il y a même une vieille rumeur selon laquelle Sir Adam Beck aurait usé de son influence au sein du caucus conservateur pour redécouper North Essex, alors la circonscription de son rival J.O. Reaume, de manière à empêcher celui-ci d’obtenir une nouvelle fois l’investiture de son parti aux élections provinciales de 19141. Cela dit, étant donné la nature de ces dynamiques de factions au sein des partis, il n’y a pas grande trace écrite de leur évolution.
Principles and Gerrymanders est une étude sérieuse d’un aspect peu connu de l’histoire politique de l’Ontario (et du Canada) qui devrait avoir pour effet de stimuler la recherche sur la culture politique et le système électoral. Comme il transcende les disciplines, l’ouvrage sera d’un grand intérêt autant pour les historiens que pour les politicologues. Emery nous laisse sur une mise en garde : « Bien que le système de commission semble faire partie intégrante de la démocratie parlementaire canadienne, il demeure néanmoins précaire, » ajoutant qu’un récent débat sur un redécoupage fédéral en Saskatchewan devrait nous rappeler que cette question est plus qu’une curiosité historique.
Mark Sholdice
Candidat au doctorat (histoire), Université de Guelph
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