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Maryse Gaudreault, députée à l’Assemblée nationale
L’élaboration et la mise en place de balises qui touchent directement les relations de travail posent des défis uniques dans un contexte où de nombreux employeurs distincts cohabitent, comme à l’Assemblée nationale du Québec. Dans cet article, l’auteure décrit comment un Groupe de travail multipartite a examiné les meilleures pratiques de prévention et de gestion des situations de harcèlement en milieu de travail, pour ensuite les adapter aux particularités d’un Parlement. La réflexion profonde et rigoureuse des membres du Groupe de travail a permis de dégager une politique consensuelle qui a été par la suite communiquée de façon proactive à tous les acteurs.
En novembre 2014, le président de l’Assemblée nationale du Québec, M. Jacques Chagnon, me confiait le mandat de formuler des recommandations sur les meilleurs moyens à mettre en œuvre pour prévenir et gérer le harcèlement à l’Assemblée nationale. C’est dans ce contexte que le Groupe de travail composé de neuf élus1 – femmes et hommes – de tous les partis représentés en Chambre, a élaboré une politique confirmant la volonté des autorités tant politiques qu’administratives, que l’Assemblée nationale soit un milieu de travail sain et harmonieux, exempt de harcèlement, tant pour les députés et leur personnel que pour le personnel administratif. Il convient de noter que l’Assemblée disposait, depuis plusieurs années déjà, d’une politique en matière de harcèlement, mais cette dernière ne s’adressait qu’au personnel administratif. De plus, bien que le cadre législatif québécois offre divers recours aux individus ou salariés victimes de harcèlement2, force est de constater qu’aucun outil ou mécanisme particulier ne visait à prévenir ou à gérer les situations de harcèlement auxquelles les députés ou le personnel politique pourraient être confrontés dans le cadre de leurs fonctions.
Ainsi, avec l’adoption par le Bureau de l’Assemblée nationale de la Politique relative à la prévention et à la gestion des situations de harcèlement3, notre institution envoyait, le 4 juin 2015 et pour la première fois de son histoire, un message clair et sans équivoque à l’effet qu’aucune forme de harcèlement n’est tolérée en son sein, et ce, peu importe qui en est l’auteur. Ce message fut réitéré en Chambre, à la faveur de l’adoption d’une motion saluant l’entrée en vigueur de ladite Politique.
S’inspirer des meilleures pratiques, tout en les adaptant aux particularités d’un parlement
Le Groupe de travail s’est réuni à plusieurs reprises. Après l’analyse de la politique déjà existante à l’Assemblée nationale pour le personnel administratif ainsi que celles élaborées par d’autres institutions similaires, nous avons consulté divers professionnels des domaines juridique et communautaire afin de mieux saisir l’état du droit et de la jurisprudence en matière de harcèlement psychologique au travail et ainsi dégager les principaux éléments d’une politique efficace et de mieux comprendre ce que vivent les personnes impliquées dans de telles situations. Tout au long de ces séances d’information, nous avons convenu qu’une éventuelle politique propre à l’Assemblée nationale devrait non seulement contenir un mécanisme de résolution des situations de harcèlement, mais qu’elle devrait avant toute chose, constituer un outil d’information et de prévention.
Dès le début de la réflexion, le Groupe dut tenir compte de réalités qui allaient guider les membres tout au long de l’élaboration de la politique. Tout d’abord, il s’est appuyé sur le principe que les parlementaires avaient eux-mêmes enchâssé dans la législation québécoise, en 2004, à savoir que « Tout salarié a droit à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique ».4 Cela confirme le devoir de tout employeur de « prendre les moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement psychologique et, lorsqu’une telle conduite est portée à sa connaissance, de la faire cesser ».5 Notre Politique adoptée en juin dernier trouve donc son fondement dans la volonté de chaque député et dans celle de l’administration, en tant qu’employeurs distincts, de faire en sorte que l’Assemblée nationale demeure un milieu de travail sain, harmonieux, exempt de harcèlement.
D’autre part, nous ne pouvions faire fi de la réalité d’un Parlement. C’est pourquoi la Politique est également venue adapter ces notions aux particularités du milieu de travail que constitue l’Assemblée nationale. Une de ces particularités réside dans le fait que, à l’Assemblée, tous ne sont pas régis par des liens d’emploi dans leurs interactions. Par ailleurs, l’Assemblée nationale consiste en un milieu de travail qui compte plusieurs employeurs. En effet, en tant que titulaires de charge publique, les députés ne peuvent être considérés comme des employés. Par contre, chaque député est l’employeur des membres de son personnel puisqu’en vertu de la Loi sur l’Assemblée nationale, ils peuvent nommer les personnes pour les assister dans l’exercice de leurs fonctions. Pour ce qui est du personnel administratif de l’institution, la majorité est nommée en vertu de la Loi sur la fonction publique et le secrétaire général agit à titre de représentant de l’employeur.
Malgré ces liens d’emploi différents, il n’en demeurait pas moins, à nos yeux, que la prévention du harcèlement et le maintien d’une culture de civilité sont l’affaire de tous. Ainsi, nous avions une volonté claire à l’effet que la Politique s’adresse à la fois aux députés, au personnel de député6 ainsi qu’au personnel administratif, et offre à toutes ces personnes les mêmes ressources et mécanismes pour prévenir et, le cas échéant, pour faire cesser le harcèlement et rétablir un climat de travail sécurisant. Il faut aussi noter que la Politique s’applique aux rapports que ces trois groupes entretiennent dans le cadre de leurs fonctions, et ce, peu importe le lieu et la personne qui pourrait être l’auteur de harcèlement. Cette volonté d’uniformité, de cohérence et d’équité fut présente tout au long de nos réflexions et de l’élaboration de notre Politique; c’est en fait l’une de ses plus grandes forces.
Le cadre législatif québécois en matière de harcèlement psychologique au travail
Définition du harcèlement psychologique
Au Québec, la Loi sur les normes du travail s’adresse à l’ensemble des employeurs de juridiction provinciale. Dans le cadre de la réforme de cette loi en 2004, le législateur québécois a adopté une définition unique du harcèlement psychologique à laquelle se réfèrent les tribunaux pour une application uniforme dans le traitement des cas de harcèlement. Ainsi, le harcèlement psychologique signifie :
Une conduite vexatoire se manifestant par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés, qui sont hostiles ou non désirés, laquelle conduite porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique de la personne et qui entraîne, pour celle-ci, un milieu de travail néfaste.
Une seule conduite grave peut aussi constituer du harcèlement psychologique si elle porte une telle atteinte et produit un effet nocif continu pour la personne.
Il est à noter que la définition du harcèlement psychologique comprise dans la Loi sur les normes du travail inclut le harcèlement sexuel au travail et le harcèlement fondé sur l’un ou l’autre des motifs énumérés dans de la Charte des droits et libertés de la personne : la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap. Fait intéressant témoignant du caractère avant-gardiste de notre Politique, c’est à l’initiative du Groupe de travail que la définition du harcèlement prévue dans la Politique comprend également celui fondé sur des motifs d’identité et d’expression de genre.
Responsabilités de l’employeur
La Loi sur les normes du travail confère par ailleurs des obligations à l’employeur. En effet, celui-ci se doit de fournir à ses salariés un milieu de travail exempt de harcèlement en mettant en œuvre des moyens raisonnables et en agissant rapidement pour mettre fin aux situations problématiques portées à sa connaissance. Il doit également gérer de façon à prévenir le harcèlement. Plus précisément, il doit, entre autres, mettre en place un processus interne pour traiter objectivement et rapidement de tels cas.
Par conséquent, en tant qu’employeurs distincts, chaque député ainsi que l’administration de l’Assemblée nationale doivent assumer ces responsabilités.
Toutefois, afin de tenir compte de notre volonté à l’effet que l’ensemble des députés puisse se prévaloir de cette Politique en cas de situation de harcèlement dans le cadre de leurs fonctions, et ce, même s’ils ne peuvent être considérés comme des employés, la Politique stipule que les responsabilités qui sont normalement celles de du supérieur immédiat sont dévolues aux whips7. Ainsi, en tant que responsable de la cohésion au sein de son groupe parlementaire, il lui revient de soutenir une culture de prévention et de civilité, notamment en prêchant par l’exemple et en demeurant sensible aux situations inappropriées.
D’autre part, en raison de ces particularités relatives aux liens d’emploi, l’utilisation uniforme des termes « employeurs » ou « supérieurs » n’était pas toujours adéquate. C’est pourquoi dans le cadre de la Politique le terme « personne en autorité » a été jugé plus opportun.
Faits saillants de la politique
Je l’ai mentionné antérieurement, nous avons toujours eu comme objectifs de proposer aux autorités de l’Assemblée nationale une Politique qui soit simple, accessible et adaptée au milieu de travail particulier que constitue un parlement. Mais il y avait également un désir soutenu qu’elle fasse preuve d’exemplarité en comprenant les divers éléments reconnus comme devant faire partie d’une politique efficace et rédigée de façon à en faciliter l’application.
Un champ d’application large pour une meilleure équité
Cette Politique s’applique donc à tous les députés, à tous les membres du personnel de député et à tous les membres du personnel administratif de l’Assemblée nationale du Québec qui se sentent victimes de harcèlement dans le cadre de leurs fonctions, et ce, peu importe le lieu des événements et la personne qui en est l’auteur. Ce large champ d’application démontre clairement, qu’en matière de harcèlement, le principe de tolérance zéro est appliqué.
Un engagement de toutes les parties
En tant qu’employeurs distincts, chaque député ainsi que l’administration de l’Assemblée nationale reconnaissent dans cette Politique qu’il est de leur responsabilité d’avoir de saines pratiques de gestion de façon à prévenir et faire cesser le harcèlement psychologique, le cas échéant. Ils reconnaissent également que les situations conflictuelles peuvent nuire au climat de travail et à la santé des personnes, ce qui peut avoir une influence directe sur leur capacité à réaliser leur mission respective.
Au-delà du rôle qui leur est attribué en tant qu’employeur, la Politique met également en lumière l’engagement de chaque acteur concerné de faire siennes les valeurs de civilité ainsi que de respect émanant de cette dernière.
Des définitions qui favorisent la prévention
Notre Politique reprend, à peu de chose près, la définition du harcèlement psychologique contenue dans la Loi sur les normes du travail présentée précédemment.
De plus, aux fins d’assurer une meilleure compréhension et favoriser un meilleur diagnostic quant à une situation vécue, la Politique présente d’autres comportements inappropriés qui peuvent avoir un impact sur le climat de travail, mais qui ne constituent pas en soi du harcèlement. L’ajout de ces définitions traduit la volonté des députés et de l’administration de l’Assemblée nationale de favoriser un milieu de travail non seulement exempt de harcèlement, mais où règnent le respect et la civilité. La diffusion de ces définitions contribue également à sensibiliser tous les acteurs au fait que les situations de harcèlement émanent souvent de gestes d’incivilité ou de conflits non réglés.
Un processus informel et formel
La Politique de l’Assemblée nationale mise dans un premier temps sur la résolution informelle des situations de harcèlement par différents moyens qui favorisent la communication entre les parties.
En plus du processus informel, la Politique propose un processus formel de traitement des situations de harcèlement. Bien que son utilisation ne soit pas obligatoire, il s’agit pour la personne qui se sent victime d’un outil supplémentaire aux autres recours judiciaires déjà existants. Ce mécanisme se veut plus adapté au milieu de travail et vise à procurer une confidentialité maximale.
La Politique souligne d’ailleurs que les renseignements relatifs à une plainte seront traités confidentiellement par toutes les personnes impliquées, y compris celles qui interviendront dans son traitement. Elle énonce clairement que des mesures peuvent être imposées aux personnes à l’origine du harcèlement, celles qui déposent une plainte de mauvaise foi ou celles qui tentent d’empêcher le règlement d’une plainte par la menace, l’intimidation ou les représailles.
Rappelons que par souci d’équité, les étapes du processus sont les mêmes, peu importe la personne qui porte plainte. Cependant, des nuances sont apportées quant au titre de certains acteurs clés à qui se référer selon que le plaignant soit un député, un membre du personnel de député ou un membre du personnel administratif. Il en est ainsi pour que la personne plaignante ou qui envisage de porter plainte sache précisément à qui elle doit s’adresser ou qui sera informé du déroulement de la plainte. Il était important pour nous que la Politique soit libellée de façon à ce que les personnes impliquées dans de telles situations aient une compréhension claire du cheminement d’une plainte.
Des ressources spécialisées
Lors du traitement des situations de harcèlement, la Politique identifie deux acteurs spécialisés en harcèlement assumant des rôles complémentaires. Elle consacre le rôle du répondant en matière de harcèlement, une ressource dont disposait déjà l’Assemblée nationale. Il s’agit d’une fonction occupée par un membre du personnel de la Direction des ressources humaines, qui agit comme répondant désigné par le secrétaire général. Cette personne peut offrir un soutien aux individus impliqués dans le cadre du processus informel et répondre à toute question en lien avec la Politique. Le cas échéant, elle voit au suivi et à l’application du processus formel de traitement des situations de harcèlement. Les plaintes sont déposées auprès d’un répondant unique dans un souci d’offrir au plaignant un processus neutre et d’assurer une certaine surveillance, par exemple, quant au nombre de plaintes dont pourrait faire l’objet un mis en cause.
Le répondant en matière de harcèlement transfère les plaintes automatiquement à une ressource externe pour que cette dernière procède à l’analyse et, le cas échéant, à l’enquête et il s’assure alors essentiellement du suivi, sans s’immiscer dans le traitement formel des plaintes.
Les services à l’externe sont rendus par une personne-ressource spécialisée et impartiale, provenant de l’extérieur de l’organisation et à qui le répondant transmet systématiquement toutes les plaintes de harcèlement, peu importe qui sont les parties impliquées. Elle assure l’analyse de la recevabilité de la plainte et, s’il y a lieu, oriente les parties vers la médiation ou procède à l’enquête. Au terme de celle-ci, la ressource externe rédige un rapport confidentiel contenant l’analyse, les conclusions et les recommandations sur les mesures à prendre.
Une politique contre le harcèlement : un moyen parmi d’autres pour sensibiliser et prévenir
Une politique en matière de harcèlement ne cherche pas seulement à déterminer s’il y a eu du harcèlement ou non, qui a raison et qui a tort. Elle vise également la promotion de relations harmonieuses au travail. Elle est donc avant tout un outil de communication et de sensibilisation. Ainsi, tout au long du travail d’élaboration, il était crucial pour nous d’adopter une approche en amont et non seulement une gestion réactive face aux situations pouvant mener au harcèlement. Développer des réflexes de prévention tout en favorisant une culture de civilité dans un milieu de travail était donc l’objectif ultime derrière cette Politique.
C’est dans cette optique que nous avons également formulé la recommandation que notre Politique soit facilement accessible. Ainsi, dès son adoption, elle a été largement diffusée auprès des employés et députés actuels. Des séances d’information destinées aux députés, aux supérieurs immédiats ainsi qu’aux employés seront également offertes. De plus, divers outils didactiques tels des aide-mémoire ou des « questions et réponses » destinés aux employés sont en cours d’élaboration.
Conclusion
Cet article jette la lumière sur les défis que pose un milieu de travail particulier tel que celui de l’Assemblée nationale, notamment lorsque vient le temps de mettre en place des balises qui touchent directement les relations de travail dans un contexte où une multiplicité d’employeurs distincts cohabitent.
Le consensus nécessaire à l’adoption d’une telle politique a été rendu possible grâce à la réflexion profonde et rigoureuse des membres du Groupe de travail qui, rappelons-le, était composé de tous les partis politiques représentés à l’Assemblée nationale. La volonté de tous les acteurs concernés de faire preuve d’exemplarité en matière de prévention du harcèlement en milieu de travail a aussi nourri cette volonté commune.
L’adoption de cette Politique n’est certes pas l’aboutissement de cette démarche. C’est plutôt l’amorce d’une réflexion plus profonde, individuelle et collective, sur nos façons d’être et d’interagir en tant qu’employeur, en tant que supérieur ou en tant que collègue.
Notes
- Ce Groupe de travail était composé de Mmes Maryse Gaudreault (Hull), Sylvie D’Amours (Mirabel), Françoise David (Gouin), Manon Massé (Sainte-Marie–Saint-Jacques), Marie Montpetit (Crémazie) et Carole Poirier (Hochelaga-Maisonneuve), ainsi que MM. Simon Jolin-Barrette (Borduas), Harold LeBel (Rimouski) et Marc H. Plante (Maskinongé). Il fut également appuyé dans ses démarches par des membres du personnel administratif de l’Assemblée nationale.
- Divers recours et protections sont possibles, par exemple à la Commission des normes du travail, à la Commission de la santé et de la sécurité au travail, à la Commission de la fonction publique ou en vertu de lois, telles que le Code civil du Québec, la Charte des droits et libertés de la personne, la Loi sur la santé et la sécurité au travail, le Code criminel ou encore la Loi sur l’aide aux victimes d’actes criminels.
- La politique peut être consultée sur le site Web de l’Assemblée nationale : assnat.qc.ca/PolitiqueHP.
- Loi sur les normes du travail (Chapitre N 1.1), section 81.19
- Ibid.
- On réfère ici cependant au personnel de député nommé en vertu de la Loi sur l’Assemblée nationale. Les membres du personnel de cabinet ministériel (c’est-à-dire tous les employés des ministres, incluant ceux en circonscription) sont quant à eux nommés en vertu de la Loi sur l’exécutif.
- Ou au chef, si le whip est plaignant ou mis en cause.
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