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Ronald Stevenson
Les dispositions des Lois constitutionnelles de 1867 à propos de la qualification et de la disqualification des sénateurs sont dépassées. Elles peuvent être modernisées sans controverse et des mesures précoces pour ce faire pourraient être le coup d’envoi permettant au Parlement et aux assemblées législatives de s’attaquer à des aspects plus importants de la réforme du Sénat. *Suite à l’acceptation de cet article pour publication et immédiatement avant la publication, le 10 mars, 2016, le sénateur Dennis Glen Patterson a présenté le projet de loi S-221 et a donné avis d’une résolution de modification constitutionnelle dont l’effet combiné, si adoptée, sera essentiellement d’effectuer les trois premiers changements suggérés par l’auteur.
Dans toute discussion sur la réforme du Sénat, il y a quatre postulats de base :
Premièrement, les dix assemblées législatives provinciales ne s’entendront pas toutes sur une proposition pour abolir le Sénat.
Deuxièmement, les premiers ministres ne renonceront pas à leur prérogative et à leur devoir constitutionnel de conseiller le gouverneur général sur les personnes qui devraient accéder au poste de sénateur.
Troisièmement, les six provinces de l’Est n’accepteront aucune réduction du nombre de sénateurs qui les représentent.
Quatrièmement, les quatre provinces atlantiques n’accepteront pas le retrait de la disposition constitutionnelle1 qui garantit qu’aucune province n’aura moins de sièges à la Chambre des communes qu’elle n’en a au Sénat. Le « seuil sénatorial » s’applique déjà à ces quatre provinces2 et il deviendra de plus en plus important pour elles étant donné que leur population stagne ou chute alors que celle d’autres provinces continue de croître.
Le respect et la confiance du public envers le Sénat dépendront de la conduite des sénateurs, actuels et nouveaux, et de la façon dont ils mèneront les affaires du Sénat à court terme. Deux facteurs encourageants sont la venue d’un comité de mise en œuvre d’un processus non partisan et fondé sur le mérite pour conseiller le premier ministre en matière de nominations au Sénat et la perspective d’un climat moins partisan au Sénat.
Aucune de ces réformes ne résoudra le déséquilibre dans la représentation de l’Ouest au Sénat. Comme l’écrit Ronald Watts dans Protéger la démocratie canadienne : le Sénat en vérité, “« [Q]ue des provinces relativement peuplées comme la Colombie-Britannique et l’Alberta comptent seulement six sénateurs chacune, tandis que des provinces beaucoup plus petites comme la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick en comptent beaucoup plus, soit 10 chacune, fait qui discrédite encore plus le Sénat aux yeux de la population des provinces de l’Ouest3. » Dans le même ouvrage, Lowell Murray suggère que : « La seule modification constitutionnelle qui aurait vraisemblablement la moindre chance d’être adoptée serait celle qui corrigerait la sous-représentation des provinces de l’Ouest à la Chambre4.»
Le nombre 24 occupe une place importante dans la structure du Sénat et son origine est historique. Étant donné que la représentation à la Chambre des communes est fondée sur la population, le Bas-Canada et les provinces des Maritimes insistent pour une représentation égale au Sénat pour contrebalancer l’avantage numérique de l’Ontario à la Chambre des communes5. L’allocation de 24 sénateurs pour chacune des trois divisions d’origine (Ontario, Québec et provinces des Maritimes) a sans doute été retenue parce que le BasCanada et le Haut-Canada étaient tous deux représentés par 24 conseillers au sein du Conseil législatif de la Province du Canada. Lorsque les quatre provinces de l’Ouest sont entrées dans la fédération, on leur a accordé 2, 3 ou 4 sénateurs jusqu’en 1915, moment où les Lois constitutionnelles de 1867 ont été modifiées pour créer une quatrième division régionale constituée des quatre provinces de l’Ouest ayant six sénateurs chacune, soit encore une fois un nombre régional de 24. Par la suite, Terre-Neuve-et-Labrador et les Territoires ont reçu une représentation non régionale.
Nul n’a envie d’une réouverture d’envergure de la Constitution, mais une conférence constitutionnelle fédérale-provinciale n’est pas une condition préalable aux modifications constitutionnelles. La partie V de la Loi constitutionnelle de 1982 prescrit les procédures pour modifier la Constitution. Il n’y a pas d’obstacle à une discussion informelle et à des négociations sur la façon dont la représentation inadéquate de l’Ouest peut être corrigée. Les premiers ministres provinciaux, ou même les sénateurs, pourraient formuler une solution acceptable pour les provinces.
Supposons, aux fins de discussion, que tous s’entendent sur une formule. Comment cette dernière seraitelle mise en œuvre? Conformément aux procédures prescrites dans la Constitution, les assemblées législatives, la Chambre des communes ou le Sénat, et par extension tout membre de ces organismes, peut prendre l’initiative d’une résolution en vue de modifier la Constitution. Une fois que cette résolution est adoptée par l’un de ces organismes, elle est ouverte pour adoption par les autres organismes requis pendant trois ans. Ainsi, tout membre du Sénat, de la Chambre des communes ou d’une assemblée législative provinciale peut lancer le processus.
Le Parlement et les assemblées législatives de l’Alberta et de la Colombie-Britannique tendent à imposer des restrictions internes à l’initiation ou à l’adoption de résolutions semblables. Ces restrictions sont présentées ci-dessous.
Si nous laissons de côté la question de l’accroissement de la représentation de l’Ouest au Sénat, certaines des dispositions des Lois constitutionnelles de 1867 à propos des sénateurs sont désuètes et devraient être éliminées ou modifiées. Ces changements seraient si anodins qu’il est difficile de concevoir une quelconque opposition.
- Éliminer l’exigence de propriété de 4 000 $ des paragraphes 23(3) et (4) des Lois constitutionnelles de 18676. Comme le chiffre 24, la qualification de propriété remonte aux exigences envers les conseillers législatifs de la Province unie du Canada. En fait, l’exigence de propriété était de 8 000 $ pour les conseillers législatifs, mais elle avait été réduite à 4 000 $ pour les sénateurs.
- Éliminer l’exigence pour chaque sénateur du Québec d’être nommé pour l’un des collèges électoraux du Bas-Canada énumérés dans une loi précédente adoptée par la législature de la Province unie du Canada7. Ces 24 collèges électoraux avaient été définis pour choisir les conseillers législatifs et ils ne comprennent que le secteur du Bas-Canada (Québec) comme il existait dans les années 1840. Certains de ces collèges étaient conçus pour garantir la représentation des minorités anglophones et protestantes du Bas-Canada8. La vaste région du nord du Québec n’est pas représentée au Sénat à moins que des sénateurs qui y résident aient acheté des propriétés de plus de 4 000 $ dans l’un des collèges électoraux prescrits dans le sud de la province. En fait, afin de se qualifier pour une nomination, de nombreux sénateurs ont dû acheter des propriétés dans des collèges électoraux où ils ne résidaient pas. On raconte, peut-être sans fondement, qu’un sénateur désigné s’est rendu dans un collège électoral pour lequel il était sur le point d’être nommé pour chercher une propriété convenable. Voyant une affiche « À vendre » sur une propriété rurale, il aurait approché le propriétaire pour lui demander le prix de vente. Lorsque le propriétaire lui a répondu 2 000 $, le sénateur lui aurait demandé s’il accepterait 4 000 $.
- Éliminer l’exigence pour les sénateurs de faire la déclaration des qualifications9 qui n’est liée qu’à la qualification de propriété. Dans le même ordre d’idée, effacer la référence à la propriété au paragraphe 31(5).
- Substituer la citoyenneté canadienne à la qualification désuète trouvée au paragraphe 23(2) des Lois constitutionnelles de 186710.
- Mettre à jour la disqualification au paragraphe 31(3)11 pour utiliser le vocabulaire utilisé dans la Loi sur la faillite et l’insolvabilité12.
- Mettre à jour la disqualification du paragraphe 31(4)13. Les termes « atteint de trahison », « félonie » et « crime infamant » n’ont plus la même signification juridique qu’en 186714.
En ce qui a trait aux deux premiers de ces changements, la Cour suprême a décidé que le Parlement possède l’autorité législative nécessaire pour abroger le paragraphe 23(4) des Lois constitutionnelles de 1867, mais qu’une abrogation complète du paragraphe 23(3) nécessite également une résolution de l’Assemblée législative du Québec. Ainsi, le troisième changement suggéré nécessiterait également l’accord de l’Assemblée nationale.
Les trois autres changements suggérés ne modifieraient pas la nature et le rôle fondamentaux du Sénat et pourraient potentiellement être adoptés par les deux chambres du Parlement15.
L’adoption hâtive de ces changements anodins pourrait être le catalyseur de discussions subséquentes et de la résolution de la question entourant la représentation de l’Ouest. La révision réussie de la représentation provinciale pourrait par conséquent ouvrir la porte à la résolution d’autres questions litigieuses, comme celle de savoir s’il convient d’imposer une limite quant à la durée des mandats des sénateurs.
Je me tourne maintenant vers les dispositions supplémentaires que le Parlement et les assemblées législatives de l’Alberta et de la Colombie-Britannique ont tenté de superposer aux procédures visant à modifier la Partie V de la Loi constitutionnelle de 1982.
Une loi du Parlement de 1996 intitulée Loi concernant les modifications constitutionnelles16 restreint le droit des ministres de la Couronne de proposer des résolutions visant à autoriser certaines catégories de modifications constitutionnelles. Les restrictions ne s’appliquent pas aux députés de la Chambre des communes et aux sénateurs qui ne sont pas ministres.
En Colombie-Britannique, la Constitutional Amendment Approval Act17 indique que le gouvernement ne doit pas déposer de motion pour une résolution de l’Assemblée législative autorisant une modification de la Constitution à moins qu’un référendum soit tenu au préalable sur le sujet de la résolution. Encore une fois, la restriction ne vise pas les députés de l’Assemblée législative qui ne font pas partie du gouvernement. De plus, la Loi n’exige pas explicitement que le référendum se soit conclu par une affirmation de la modification proposée.
En Alberta, la Constitutional Referendum Act18 référendum soit tenu avant que l’Assemblée législative vote sur une résolution. Le résultat d’un tel référendum lie le gouvernement qui a pris l’initiative de la résolution. Le résultat n’a pas officiellement force exécutoire si la résolution a été présentée par un député provincial qui ne fait pas partie du gouvernement.
De telles lois sont-elles constitutionnelles? Une modification à la Partie V de la Loi constitutionnelle de 1982 peut seulement être faite lorsqu’elle est autorisée par des résolutions du Sénat et de la Chambre des communes et des assemblées législatives des dix provinces. De plus, l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 prévoit que la Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit. Les trois lois visentelles à modifier la Partie V? Sont-elles incompatibles avec la Partie V?
Une exigence de référendum pourrait se traduire par une conséquence imprévue. Supposons que les gouvernements fédéral et provincial, tous deux avec l’appui de la majorité de leur assemblée législative élue, s’entendent sur une formule pour corriger la sous-représentation de l’Ouest au Sénat. L’adoption de cette formule pourrait être bloquée par un vote négatif lors du référendum si les électeurs de l’Alberta et de la ColombieBritannique décident que le nombre de sièges proposés ne répond pas à leurs attentes.
Les changements constitutionnels majeurs au Sénat, notamment le redressement de l’inégalité de la représentation de l’Ouest et la limitation de la durée des mandats, continueront de faire partie du programme national à l’approche du 150e anniversaire de la Confédération. À court terme, les dispositions désuètes de la Constitution en ce qui a trait à la qualification et à la disqualification des sénateurs peuvent être modernisées sans grande controverse. Comme l’a déjà dit l’ancien sénateur Dan Hays dans un article paru dans la Revue parlementaire canadienne dans lequel il plaidait pour des modifications similaires : « [Ces modifications représenteraient] une étape importante qui encouragerait les gouvernements fédéral et provinciaux, le Parlement et les assemblées législatives provinciales, ainsi que toutes les autres parties concernées, à transformer le Sénat plus en profondeur et qui doterait celui-ci d’une nouvelle conception institutionnelle mieux en mesure de servir la population canadienne…19 ».
Notes
- « Nonobstant toute autre disposition de la présente loi, une province a toujours droit à un nombre de députés à la Chambre des communes au moins égal à celui des sénateurs qui la représentent. » Article 51A des Lois constitutionnelles de 1867, édicté à l’origine par l’Acte de l’Amérique du nord britannique 1915
- http://www.elections.ca/content.aspx?section=res&dir=cir/red/allo&document=index&lang=f
- Le bicaméralisme dans les systèmes parlementaires fédéraux, » 82, Protéger la démocratie canadienne : le Sénat en vérité, sous la direction de Serge Joyal, Toronto : Dundurn Press, 2003.
- Protéger la démocratie canadienne : le Sénat en vérité, 161.
- Protéger la démocratie canadienne : le Sénat en vérité, Lowell Murray, p. 143.
- A.23 (3) Il devra posséder, pour son propre usage et bénéfice, comme propriétaire en droit ou en équité, des terres ou tenements tenus en franc et commun socage, — ou être en bonne saisine ou possession, pour son propre usage et bénéfice, de terres ou tenements tenus en franc-alleu ou en roture dans la province pour laquelle il est nommé, de la valeur de quatre mille piastres en sus de toutes rentes, dettes, charges, hypothèques et redevances qui peuvent être attachées, dues et payables sur ces immeubles ou auxquelles ils peuvent être affectés.
(4) Ses propriétés mobilières et immobilières devront valoir, somme toute, quatre mille piastres, en sus de toutes ses dettes et obligations.
- En ce qui concerne la province de Québec, chacun des vingt-quatre sénateurs la représentant, sera nommé pour l’un des vingt-quatre collèges électoraux du Bas-Canada énumérés dans la cédule A, annexée au chapitre premier des statuts refondus du Canada (article 22).
A23(6) En ce qui concerne la province de Québec, il devra être domicilié ou posséder sa qualification foncière dans le collège électoral dont la représentation lui est assignée.
- Protéger la démocratie canadienne : le Sénat en vérité, Serge Joyal, p. 293.
- 128. Les membres du Sénat… devront, avant d’entrer dans l’exercice de leurs fonctions, prêter et souscrire, devant le gouverneur-général ou quelque personne à ce par lui autorisée, le serment d’allégeance énoncé dans la cinquième annexe de la présente loi; et les membres du Sénat du Canada et du conseil législatif de Québec devront aussi, avant d’entrer dans l’exercice de leurs fonctions, prêter et souscrire, devant le gouverneur-général ou quelque personne à ce par lui autorisée, la déclaration des qualifications énoncée dans la même annexe.
DÉCLARATION DES QUALIFICATIONS EXIGÉES
Je, A.B., déclare et atteste que j’ai les qualifications exigées par la loi pour être nommé membre du Sénat du Canada (ou selon le cas), et que je possède en droit ou en équité comme propriétaire, pour mon propre usage et bénéfice, des terres et tenements en franc et commun socage [ou que je suis en bonne saisine ou possession, pour mon propre usage et bénéfice, de terres et tenements en franc-alleu ou en roture (selon le cas),] dans la province de la Nouvelle-Écosse (ou selon le cas), de la valeur de quatre mille piastres, en sus de toutes rentes, dettes, charges, hypothèques et redevances qui peuvent être attachées, dues et payables sur ces immeubles ou auxquelles ils peuvent être affectés, et que je n’ai pas collusoirement ou spécieusement obtenu le titre ou la possession de ces immeubles, en tout ou en partie, dans le but de devenir membre du Sénat du Canada, (ou selon le cas), et que mes biens mobiliers et immobiliers valent, somme toute, quatre mille piastres en sus de mes dettes et obligations.
- Il devra être sujet-né de la Reine, ou sujet de la Reine naturalisé par loi du parlement de la Grande-Bretagne, ou du parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande, ou de la législature de l’une des provinces du Haut-Canada, du Bas-Canada, du Canada, de la Nouvelle-Écosse, ou du Nouveau-Brunswick, avant l’union, ou du parlement du Canada, après l’union.
- « S’il est déclaré en état de banqueroute ou de faillite, ou s’il a recours au bénéfice d’aucune loi concernant les faillis, ou s’il se rend coupable de concussion. »
- « Failli » s’entend d’une « [p]ersonne qui a fait une cession ou contre laquelle a été rendue une ordonnance de faillite. Peut aussi s’entendre de la situation juridique d’une telle personne ». Une « personne insolvable » s’entend d’une « [p]ersonne qui n’est pas en faillite et qui réside au Canada ou y exerce ses activités ou qui a des biens au Canada, dont les obligations, constituant à l’égard de ses créanciers des réclamations prouvables aux termes de la présente loi, s’élèvent à mille dollars et, selon le cas : a) qui, pour une raison quelconque, est incapable de faire honneur à ses obligations au fur et à mesure de leur échéance; b qui a cessé d’acquitter ses obligations courantes dans le cours ordinaire des affaires au fur et à mesure de leur échéance; c) dont la totalité des biens n’est pas suffisante, d’après une juste estimation, ou ne suffirait pas, s’il en était disposé lors d’une vente bien conduite par autorité de justice, pour permettre l’acquittement de toutes ses obligations échues ou à échoir ».
- « S’il est atteint de trahison ou convaincu de félonie, ou d’aucun crime infamant ». Voir Edward McWhinney, « Déchéance des députés en cas de condamnation pour « acte criminel infâme » », Revue parlementaire canadienne (1989) vol. 12, no 1. http://www.revparl.ca/12/1/12n1_89f_McWhinney.pdf.
- Le vocabulaire des paragraphes 31(3) et (4) remonte à la section VII de l’Acte d’Union de 1840.
- Le paragraphe 75 de la décision de la Cour suprême Renvoi relatif à la réforme du Sénat, 2014 CSC 32 – « L’article 44, qui constitue une exception à la procédure normale, envisage des mesures prises en vue du maintien et du changement du Sénat, sans pour autant modifier ses nature et rôle fondamentaux. »
- LC 1996, ch. 1.
- RSBC 1996, c. 67.
- RSA 2000, c. C-25.
- Dan Hays, « Modernisation de quelques dispositions constitutionnelles désuètes portant sur le Sénat », Revue parlementaire canadienne (2009) vol 32, no 1 - http://www.revparl.ca/francais/issue.asp?param=192&art=1321.
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