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Marc-André Roy
Ces constitutions qui nous ont façonnés : anthologie historique des lois constitutionnelles antérieures à 1867
Guy Laforest, Eugénie Brouillet, Alain-G. Gagnon et Yves Tanguay, Presses de l’Université Laval, Québec, 2014, 372 pp.
Guy Laforest Eugénie Brouillet, Alain-G. Gagnon and Yves Tanguay. The Constitutions that Shaped Us: A Historical Anthology of Pre-1867 Canadian Constitutions, McGill-Queens University Press, Montreal, 2015, 360 pp.
Lors de la Conquête de la Nouvelle-France, les Canadiens conquis ont-ils réellement perçu l’envahisseur britannique d’un mauvais œil? Les concessions faites aux Canadiens dans l’Acte de Québec de 1774 par la Couronne britannique doivent-elles être interprétées comme des gestes de bienveillance ou sont-elles plutôt des gestes intéressés? Comment l’Acte constitutionnel de 1791 a-t-il été accueilli par l’élite anglaise dans la Vallée du Saint-Laurent? Qu’en est-il de la réaction des Canadiens? Les réponses à ces questions ont longtemps fait l’objet de débats animés entre historiens et sociologues, tant anglophones que francophones. De nos jours, et malgré le recul, un monde sépare toujours la perception qu’ont les uns et les autres de notre histoire, pourtant commune.
Ces questionnements au sujet des origines du constitutionnalisme canadien sont au cœur de Ces constitutions qui nous ont façonnés : anthologie historique des lois constitutionnelles antérieures à 1867. Les directeurs de cet ouvrage, Guy Laforest, Eugénie Brouillet, Alain-G. Gagnon et Yves Tanguay, nous offrent une compilation des « grands succès » de l’historiographie canadienne portant sur les lois constitutionnelles préconfédératives. Leur objectif? Susciter un intérêt chez le public dans un contexte où « graduellement, mais systématiquement, parler de constitution en ce pays est devenu pratiquement un tabou » (p. 3).
Les textes choisis proviennent du siècle dernier. On y retrouve des noms que tout amateur d’histoire canadienne saura reconnaitre : Sir John George Bourinot, Chanoine Lionel Groulx et Séraphin Marion, pour en nommer quelques-uns. Les textes sont organisés en deux parties. La première présente des extraits des historiographies francophone et anglophone qui permettent de tracer des portraits d’ensemble des quatre principaux régimes constitutionnels britanniques de l’époque préconfédérative : la Proclamation royale de 1763, l’Acte de Québec de 1774, l’Acte constitutionnel de 1791 et l’Acte d’Union de 1841. Dans la seconde partie, des auteurs francophones et anglophones présentent en alternance le détail particulier de chaque régime constitutionnel.
L’ensemble récapitule de manière fascinante l’histoire de ce siècle mouvementé en Amérique du Nord britannique alors que les dirigeants britanniques cherchaient tant bien que mal à réconcilier les intérêts des leurs tout en tentant de ne pas s’aliéner la forte majorité canadienne. Cette approche nuancée permet de remettre les pendules à l’heure en exposant les perceptions et les interprétations divergentes présentées par les historiographies francophone et anglophone. Par exemple, alors que la Conquête est souvent présentée comme l’imposition d’un lourd fardeau chez les Canadiens conquis, Pierre Brunet nous apprend que la majorité de la population canadienne accepta volontiers la domination britannique (p. 198). Certains seigneurs et hommes d’affaires croyaient même pouvoir améliorer leur sort (p. 199). Autre exemple : l’Acte de Québec de 1774a opéré de nombreuses concessions faites aux Canadiens, notamment en rétablissant de manière formelle le droit français dans la colonie et en redonnant un statut officiel à l’Église catholique romaine. Certains y voient un geste généreux de la part d’une métropole cherchant à respecter les droits des Canadiens alors que d’autres y voient plutôt un geste calculé face à la menace d’une éventuelle révolution américaine. Or, sur ce point, Thomas Chapais relate les débats houleux qui ont fait rage au Parlement impérial lors de l’adoption de l’Acte de Québec (pp. 51-60). On y apprend que l’opposition au gouvernement de lord North, qui voyait d’un mauvais œil les concessions faites aux Canadiens, s’est fortement opposée à l’adoption de cette mesure. N’eût été la détermination du gouvernement, l’Acte de Québec n’aurait peut-être jamais reçu la sanction royale. Qu’il s’agisse d’un geste calculé ou non, cette mesure ne faisait pas l’unanimité chez les conquérants.
En plus de nous éclairer sur les perspectives anglophone et francophone ainsi que sur leurs divergences, les textes étudiés permettent au lecteur de comprendre l’évolution de ces deux historiographies. En effet, comme les directeurs de l’ouvrage le soulignent en introduction, les textes permettent de saisir les changements graduels de loyauté des auteurs anglophones : au fur et à mesure que progresse le 20e siècle, ils délaissent leur appartenance impériale et britannique pour adopter une identité plus canadienne (p. 17). Ainsi, ces derniers abandonnent peu à peu leur discours glorifiant la métropole pour un discours un peu plus critique.
Les directeurs de cet ouvrage réussissent avec brio leur objectif de susciter l’intérêt du lecteur pour ce sujet « tabou » qu’est la Constitution au Canada. Par ailleurs, il semble que ce livre, paru trois ans avant le début des festivités du 150e anniversaire de la Confédération canadienne, tombe pile. Espérons que les acteurs politiques profiteront de cet anniversaire important pour entamer un dialogue sur ces questions difficiles. Un ouvrage comme celui-ci leur permettrait justement de relativiser l’impasse dans laquelle nous avons l’impression de nous trouver aujourd’hui en la contrastant avec les multiples péripéties de l’histoire des constitutions qui ont régi le territoire canadien.
Malgré les grands attraits de cet ouvrage pour les universitaires et les amateurs d’histoires, soulignons qu’un plus grand encadrement des textes aurait été souhaitable afin de guider le public général, lecteur cible de cette anthologie. Certes, il est important dans ce type d’ouvrages de laisser les textes parler d’eux-mêmes, d’où la démarche consistant à présenter de longs extraits de la source primaire plutôt que de simplement en discuter dans une monographie. Cela dit, il aurait été intéressant d’ajouter plus d’informations afin de situer les auteurs et leurs textes dans leurs contextes historiques. Un commentaire suivant chaque texte, ou groupe de textes, apportant une réflexion critique et exposant les nuances aurait été utile.
De plus, bien que l’objectif des auteurs – faire dialoguer deux historiographies qui s’ignorent largement – ait été accompli, un ouvrage visant à briser les solitudes canadiennes semble manquer sa cible en ne traitant pas des peuples autochtones. Les lois constitutionnelles ayant gouverné les colonies d’Amérique du Nord britannique ont eu un impact profond sur leur mode de vie, leur perte d’autonomie et l’accélération de la colonisation européenne vers l’ouest. L’interaction des peuples autochtones avec les francophones et les anglophones a aussi été très importante pour le développement constitutionnel des colonies. Or, les extraits présentés maintiennent cette partie importance de l’histoire à la périphérie, celle-ci n’étant que mentionnée au passage par les auteurs sélectionnés. Il aurait par exemple été intéressant d’en savoir plus – de la part d’auteurs autochtones idéalement, mais aussi d’auteurs francophones et anglophones – sur la perception que les peuples autochtones avaient de la Proclamation royale de 1763, qui leur garantissait un certain droit à l’autonomie et limitait l’expansion coloniale dans leurs terres. Cette perspective sur notre histoire collective ne doit plus être ignorée.
En somme, cet ouvrage donne matière à réflexion sur plusieurs aspects importants de l’histoire préconfédérative. Il permet au lecteur de remettre en question la version peut-être trop partiale de l’histoire de cette période qu’on lui aura enseignée en l’exposant à d’autres perspectives. Sa compréhension de l’histoire canadienne ne pourra être qu’enrichie. Espérons seulement que d’autres chercheurs emboiteront le pas et sauront élargir cet exercice à nos trois peuples fondateurs.
Marc-André Roy Auxiliaire juridique de M. le juge Thomas A. Cromwell à la Cour suprême du Canada
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