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Patrice Dutil
Joseph Tassé, Lord Beaconsfield and Sir John A. Macdonald: A Personal and Political Parallel (Montréal, 1891), traduit du français par James Penny, nouvelle édition annotée par Michel W. Pharand, School of Policy Studies, Université Queen’s, McGill-Queen’s University Press, 2015, 85 p.
Voilà un ajout précieux au petit nombre d’ouvrages publiés en cette année qui marque le 200e anniversaire de sir John A. Macdonald. Michel W. Pharand, directeur de longue date du projet Disraeli à l’Université Queen’s, compare la version originale de la brochure de Tassé, publiée pour la première fois en 1880, et la traduction produite par James Penny en 1891. Dans cette édition, M. Pharand observe avec l’attention rigoureuse d’un spécialiste le texte original et la traduction, puis informe le lecteur de ses nombreuses corrections. Il présente aussi une série remarquablement complète de notes visant à établir le contexte, ainsi que des explications fort instructives.
Cette nouvelle édition de l’étude menée par Joseph Tassé sur deux géants de l’époque permet aux lecteurs d’aujourd’hui de comprendre comment Macdonald était perçu par ses contemporains, quoique M. Tassé fût loin d’être un observateur objectif. Né dans ce qui est aujourd’hui la ville de Laval, M. Tassé est avocat de formation, mais n’a aucun intérêt pour la pratique. Il travaille comme journaliste jusqu’à ce qu’on lui offre un poste de traducteur à la Chambre des communes, en 1872. Il se lance aussi dans un ambitieux projet littéraire, un imposant ouvrage en deux volumes intitulé Les Canadiens de l’Ouest, qui est publié quelques années plus tard.
Quand il en a assez de traduire les propos des politiciens, Tassé brigue les suffrages comme député conservateur dans la circonscription d’Ottawa, et est élu lors de l’écrasante victoire de Macdonald en 1878. Il a 32 ans et est membre du caucus lorsqu’il rédige la brochure.
Toujours un journaliste dans l’âme, Tassé sait reconnaître une bonne histoire quand il en voit une. Macdonald se trouve à Londres à la fin de l’été 1879 et le premier ministre Benjamin Disraeli (lord Beaconsfield) l’invite à lui rendre visite au manoir de Hughenden, son domaine rural situé à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest de Londres. Le 1er septembre 1879, Macdonald se rend au splendide manoir dans le Buckinghamshire et passe la soirée engagé dans une conversation animée avec son homologue britannique. On sait très peu de choses sur les sujets dont ils ont discuté, mais on sait que Disraeli a décrit son visiteur comme un gentilhomme, charmant et fort intelligent; un homme remarquable (« gentlemanlike, agreeable and very intelligent; a considerable man »). Macdonald prend congé de son hôte tôt le lendemain, puis rentre au Canada peu de temps par la suite.
Inspiré par cette rencontre, Tassé rédige son essai de 25 pages comparant les deux hommes; il est publié en 1880 dans La Minerve, un journal proche des conservateurs basé à Montréal. La majeure partie du texte met les biographies en parallèle, mais il frappant de constater à quel point les deux hommes étaient différents. Les origines de Disraeli, son ascension difficile vers le sommet, qu’il comparait à celle d’un mât de cocagne, et son penchant pour la littérature font de lui un homme radicalement différent de Macdonald. En effet, exception faite d’une vision romantique de l’Empire britannique, ces deux hommes avaient bien peu de points en commun. Tassé fait mention des préoccupations de Disraeli pour la classe ouvrière, mais ne dit rien au sujet de la législation phare de Macdonald qui a légalisé les syndicats en 1872 (Gladstone avait fait de même en 1871). Le jeune journaliste réussit mieux à établir des parallèles entre les deux hommes sur leurs ressemblances physiques et le charme de leur femme respective (les deux hommes ont déjà été veufs, ce que Tassé ne précise pas).
Il faut croire que Macdonald a aimé la brochure. Tassé est réélu en 1882, mais perd son siège en 1887. Il est par la suite nommé au Sénat par Macdonald, en 1891. Tassé y siège jusqu’à sa mort en 1895; il n’avait que 46 ans.
La brochure n’a été disponible qu’en français jusqu’à ce que Penny en publie la traduction en anglais 11 ans plus tard, soit littéralement quelques jours après le décès de Macdonald. La machine forgeant la réputation de Macdonald fonctionnait déjà à plein régime, et cette publication a été le signe annonciateur d’une vague de livres publiés au cours des deux prochaines années.
Patrice Dutil
Professeur de sciences politiques, Université Ryerson
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