La procédure et les usages de la Chambre des communes, sous
la direction de Robert Marleau et Camille Montpetit, Chenelière/McGraw-Hill,
Montréal (Québec), 1152 p.
Robert Marleau, greffier de la Chambre des communes, et coresponsable
avec Camille Montpetit, greffier adjoint de la Chambre en 1998-1999, considère
que La procédure et les usages de la Chambre des communes « marque
une étape importante dans l’évolution de la jurisprudence parlementaire
canadienne ». Ce genre d’affirmation ne peut que retenir l’attention de
ceux dont une partie du temps est prise par les affaires parlementaires du
pays. C’est une affirmation forte et qui, d’après mes premières impressions,
est sans doute bien fondée.
La procédure et les usages de la Chambre des communes est
le fruit des efforts d’une équipe composée du personnel de la Direction des
recherches pour le Bureau et de nombreuses personnes du Bureau du greffier de
la Chambre des communes. C’est l’aboutissement d’un travail de bien des années,
qui remonte à 1980, année de la création de la Direction.
M. Marleau dresse un véritable résumé du livre dans sa préface :
« Tout en abordant des questions constitutionnelles, politiques et
historiques, cet outil de référence se veut avant tout un ouvrage de procédure,
où sont examinés les nombreux usages, coutumes et pratiques qui se sont
développés depuis les débuts de la Confédération en 1867. Il permet de mieux
comprendre le modèle de gouvernement parlementaire de Westminster, bien qu’il
adopte une perspective spécifiquement canadienne dans la description de la
procédure de la Chambre. Cet examen s’arrête avec la fin de la première session
de la trente-sixième législature en septembre 1999. Les textes sont accompagnés
de commentaires fouillés sur les circonstances historiques qui ont façonné la
procédure parlementaire actuelle. Ils font état des principales décisions et
déclarations des Présidents et examinent en détail l’énorme corpus des usages,
interprétations et précédents uniques à la Chambre des communes du Canada.
»
Il existe certes plusieurs ouvrages sur la procédure parlementaire, dont
deux en particulier qui ont été les grands outils de référence des
parlementaires canadiens. Il s’agit de la Jurisprudence parlementaire de
Beauchesne et de la Parliamentary Procedure and Practice in the Dominion of
Canada de sir John George Bourinot. Ces deux « bibles », comme
certains les appellent, sont souvent citées dans les décisions des présidents.
L’ouvrage de Beauchesne s’est transformé au fil des ans, au point où les
responsables de la sixième édition écrivent qu’il « tient du recueil, et
non du récit ». Ils ajoutent : « Ses paragraphes ou commentaires
numérotés renvoient à des précédents de la Chambre des communes du Canada qui
peuvent servir en cas de difficulté de procédure. » (Beauchesne, 6e
édition, p. iii)
Bourinot, pour sa part, écrit dans la préface à la deuxième édition de
son ouvrage : « Cet ouvrage ne se contente pas d’exposer les règles,
la procédure et les usages des deux chambres, il passe en revue les diverses
étapes du développement constitutionnel du Canada jusqu’à aujourd’hui. […] Il
tente d’expliquer la nature des conventions et des ententes qui régissent ce
qu’on appelle communément le gouvernement responsable ou parlementaire. »
(Bourinot, 4e édition, p. x.)
Les familiers de ces deux « bibles » verront que La
procédure et les usages de la Chambre des communes fait davantage penser à
Bourinot qu’à Beauchesne. À l’instar de sir John George, les auteurs ont opté
pour une forme où chaque point couvert fait l’objet d’une longue explication
sur son origine et son évolution. On trouve dans presque chaque chapitre une
rubrique « Historique ».
Le livre diffère effectivement beaucoup de la forme du Beauchesne. Il
sera intéressant de voir comment les diverses assemblées s’accommoderont de ces
différences. La présentation du Beauchesne, avec ses courts paragraphes
numérotés, le rendait de consultation commode, et rapide. Ses commentaires étaient
faciles à trouver et à citer; de fait, ils étaient devenus une sorte de repère
mental. Par exemple, lorsque le président évoque le commentaire 491, les
députés peuvent immédiatement s’occuper de choses plus urgentes, comme de
réécrire leur prochain bulletin ou de harceler leurs vis-à-vis. Ils savent,
avant même de l’entendre, que le président s’apprête à leur resservir le vieux
refrain sur l’importance du contexte pour déterminer si des propos sont
acceptables ou non. Et il y a le commentaire 494 qui, de façon un peu longue et
ennuyeuse, déclare que les députés doivent accepter les déclarations de leurs
collègues et qu’il ne convient surtout pas de les traiter de « menteurs », même
s’il n’est pas nécessaire d’avoir la tête à Papineau pour comprendre que c’est
un qualificatif qui est tout à fait mérité.
Cela dit, ce nouveau venu deviendra vite une source incontournable pour
le spécialiste de la procédure qui sera confronté à un problème. Après tout,
c’est la « bible » parlementaire la plus à jour et la plus complète
que nous ayons à notre disposition. Mais la question qui se pose – et ce n’est
qu’à l’usage qu’on y répondra – est de savoir si sa structure nous en rendra la
consultation difficile. Ce n’est qu’après un certain temps que nous verrons
avec quelle facilité les présidents de séance, les greffiers et les députés
nagent dans ces eaux, trouvent facilement ce qu’ils cherchent et nous font part
de leurs constatations sous la forme de décisions.
Pour nous qui sommes des « étrangers», pourquoi est-ce important
que la Chambre des communes dispose d’un outil de référence à jour, faisant un
état détaillé de ses usages et coutumes? La réponse est que nous sommes
nombreux dans les provinces et les territoires à devoir nous tourner vers les
Communes lorsque nos propres règles, usages ou coutumes sont muets sur un point
de procédure. Par exemple, l’article 1er du Règlement de l’Assemblée
législative du Yukon dispose que « dans tous les cas non prévus par le
présent Règlement, les ordres de session ou autres, l’Assemblée suit, en tant
qu’ils lui sont applicables, les usages et coutumes en vigueur à la Chambre des
communes du Canada ». Cinq provinces – Île-du-Prince-Édouard, Terre-Neuve
et Labrador, Nouvelle-Écosse, Manitoba et Saskatchewan – ont le même article presque
mot pour mot. Les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut ont une règle
semblable, sauf qu’en plus des usages et coutumes de la Chambre des communes,
elle fait aussi mention de ceux des assemblées provinciales et territoriales.
Bien que la formulation soit différente, les règles de l’Ontario, du
Nouveau-Brunswick et de l’Alberta rappellent que le président fonde ses
décisions sur la « tradition parlementaire », de sorte qu’on peut
présumer que, devant une décision difficile, le président s’inspirerait de
l’expérience de la Chambre des communes.
Seules la Colombie-Britannique et le Québec sont à part, la première se
reportant, en cas de doute, à la Chambre des communes de Grande-Bretagne et
d’Irlande du Nord, alors que le Québec énonce à l’article 180 de son Règlement
: « Au besoin, la procédure est déterminée en tenant compte des
précédents et des usages de l’Assemblée. » Toutefois, ceux qui ne savent
résister au jeu des hypothèses soupçonneront peut-être qu’à l’occasion, même
ces deux provinces doivent, discrètement, examiner ce qui se fait ou s’est fait
à la Chambre des communes du Canada.
À l’« ère de l’information », la technologie apporte aussi ses
propres contraintes. Avec Internet, les parlementaires, et même le grand
public, ont un accès presque instantané à ce qui se fait ailleurs. Bon nombre
d’assemblées mettent leur compte rendu sur Internet. Dans le cas du Yukon par
exemple, on peut accéder à la période des questions une heure après qu’elle est
terminée. La plupart des grands et des petits journaux sont en ligne. Les
délibérations de la Chambre des communes sont diffusées partout au pays, et
plusieurs assemblées télévisent leurs délibérations en tout ou en partie. Le
courrier électronique a également multiplié les contacts entre parlementaires.
Il résulte de cette situation qu’un député, peu importe où il se trouve, peut
se tenir instantanément au courant de ce qui se passe dans d’autres assemblées,
notamment à la Chambre des communes. Il arrive même que des députés s’attendent
à ce que les usages des autres assemblées canadiennes soient pris en compte
dans la rédaction des décisions des présidents, même en l’absence d’une règle
comme l’article premier du Règlement de l’Assemblée législative du Yukon.
C’est ainsi que les assemblées et leurs services de la procédure sont
devenus conscients des implications qu’une décision délicate sur une question
de procédure pourraient avoir pour les autres. Dans bien des cas, la
formulation de la décision du président d’une assemblée aura été faite avec
soin, après consultation d’autres assemblées, pour veiller à ce que le contexte
d’une décision faisant jurisprudence soit bien expliqué et que les motifs de la
décision soient clairement exposés. Il s’agit d’éviter de créer des difficultés
aux autres assemblées qui seraient placées dans des situations qui paraissent
semblables. Ainsi, ceux d’entre nous qui, dans le doute, doivent se reporter
aux usages de la Chambre des communes seront heureux de vérifier ce qui en est
du contenu de La procédure et les usages de la Chambre des communes. Ils
se demanderont notamment si les rédacteurs se sont préoccupés des implications
pour les autres assemblées. Ce n’est qu’une première impression, mais cet
ouvrage devrait être une aide plus souvent qu’un obstacle.
Un point dont je dois traiter et à propos duquel je ne suis pas encore
fixé est la dimension même de l’ouvrage. Comme le Bourinot, les rédacteurs de La
procédure ont décidé de tout mettre entre les deux couvertures d’un seul ouvrage.
L’éditeur nous dit que le livre compte 1152 pages. La table des matières fait
33 pages à elle seule. Et il y a plus de 5 800 notes en bas de page. C’est à
peine si le mot « exhaustif » peut donner une idée de l’étendue des
sujets couverts et de la masse d’informations sur chacun. Et pourtant…, je ne
sais pas s’il s’agit d’un reproche ou d’un compliment.
Il ne fait pas de doute que de tout trouver à la même source a ses
avantages. Aux nouveaux députés qui se procureront cet ouvrage, on pourra dire
que, s’ils ne devaient lire que ce livre, ils auraient une très bonne
connaissance de la Chambre et de ses rouages. Ils seront bien renseignés sur
l’histoire des institutions parlementaires du Canada, l’élection des députés,
la réglementation en matière de conflit d’intérêts, leur rémunération, leurs
dépenses et leur régime de retraite, sur les bâtiments qu’ils occupent,
l’administration de la Chambre, l’installation d’équipement pour radiodiffuser
les délibérations de la Chambre, et bien d’autres questions encore.
Quant aux sujets qui, à mon sens, constituent le cœur même de la
procédure, tous les élément essentiels sont passés en revue, à commencer par
les privilèges et immunités, suivis de chapitres comme « le programme
quotidien », « les questions », « les étapes du
débat », « le maintien de l’ordre et le décorum », « la
limitation du débat », « les comités pléniers ». Si je cite ces
points en particulier, c’est qu’on y fera vraisemblablement allusion à
l’Assemblée législative du Yukon et qu’ils font quelque 340 pages. Si jamais la
prochaine édition devait comprendre trois volumes, je crois bien que j’aurais
le front de demander, dans un but intéressé, que tous ces chapitres soient
regroupés dans un même volume.
Au bout du compte, il ne faudrait pas voir dans ces réflexions au fil de
la pensée des réserves sérieuses. La satisfaction de M. Marleau face au travail
de l’équipe qui a accouché de cet ouvrage – qu’il qualifie d’« étape
importante » – est tout à fait justifiée et compréhensible. La recherche
est exhaustive et très bien documentée, ce qui est utile pour ceux qui doivent
remonter aux sources. La conception et la structure de l’ouvrage sont
excellentes. Le texte est limpide et rédigé dans une langue facile à
comprendre.
J’hésite à nommer qui que ce soit de peur d’oublier des noms. Je
recommande donc fortement aux usagers de lire le texte des remerciements d’un
des coresponsables de l’édition, Camille Montpetit. Ce serait une injustice
pour ceux qui ont produit cette œuvre de ne pas voir leurs efforts reconnus.
Je tiens à féliciter MM. Marleau et Montpetit, ainsi que tous les
membres de l’équipe à qui nous devons La procédure et les usages de la
Chambre des communes. Je ne doute pas qu’elle prendra rapidement sa place
parmi les outils de référence de la procédure parlementaire et qu’elle y
demeurera pour bien des années. En définitive, la plus belle récompense pour
elle sera d’être acceptée par les parlementaires et les greffiers du Bureau.
Patrick Michael
Greffier et directeur général des élections
Assemblée législative du Yukon