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David Schneiderman
Discovering Confederation: A Canadian’s Story, de Janet Ajzenstat, McGill-Queen’s University Press, Montréal et Kingston, 158 p.
Mme Janet Ajzenstat raconte que son directeur de thèse à l’Université de Toronto, Allen Bloom, lui a conseillé un beau jour de choisir un excellent livre et de le lire avec bienveillance – comme pour montrer l’auteur sous son meilleur jour. Il est d’ailleurs facile de lire avec bienveillance cette biographie intellectuelle de la principale experte au Canada sur les origines politiques du pays, qui a été bien accueillie. En effet, on ne peut manquer d’admirer cet aperçu d’une philosophe politique, qui a bien compris la Constitution canadienne de 1867 et la démocratie parlementaire prônée par celle-ci.
Mme Ajzenstat trace d’abord les grandes lignes de sa carrière de chercheuse : elle a entrepris, à 36 ans, ses études universitaires de deuxième cycle à l’Université McMaster, marquée par l’influence de George Grant et de son livre Lament for a Nation (dont elle rejette ultérieurement le collectivisme du XIXe siècle). Elle poursuit des études doctorales à l’Université de Toronto sous la direction de M. Bloom (qui écrira plus tard le grand succès du milieu universitaire, The Closing of the American Mind). C’est presque par coïncidence qu’elle choisit le rapport de 1849 de lord Durham comme point de départ de ses travaux. Sa dissertation et la publication qui s’ensuit, The Political Thought of Lord Durham, demeurent à ce jour la meilleure introduction à la philosophie politique de celui-ci.
Après son mariage avec le défunt Samuel Ajzenstat, elle déménage à Philadelphie où elle adhère au mouvement antiguerre et à d’autres causes socialistes avant d’accepter un poste à l’Université McMaster, que son mari lui a trouvé dans le département de philosophie. Amorçant une carrière universitaire sur le tard et s’occupant de deux enfants, Mme Ajzenstat s’est mise à chercher des postes dans toutes les universités. Après avoir essuyé un refus de l’Université McMaster, elle est allée enseigner à celle de Calgary, puis à l’Université Brock. Elle est finalement retournée, à 57 ans, à McMaster où un poste de professeur de faculté l’attendait. Vu la politique de retraite obligatoire, elle ne lui restait plus que huit ans pour enseigner.
Tel est le contexte dans lequel les idées de ce petit ouvrage s’inscrivent. Discovering Confederation est avant tout un livre d’idées de Mme Ajzenstat. Sa préoccupation à l’égard de lord Durham et du constitutionnaliste libéral Pierre Bédard de même que son intérêt pour la Confédération et la réforme de la Constitution canadienne découlent de son désir de faire la lumière sur les fondations libérales du projet politique canadien, pour servir de cadre à un débat sur les idéologies politiques.
Elle discrédite la théorie d’Hartz et d’Horowitz selon laquelle des loyalistes américains à la recherche d’un collectivisme conservateur auraient fondé le Canada et permis la montée d’une aile gauche socialiste politiquement viable. Selon elle, l’approche « révisionniste » de ce modèle ne tient pas compte de l’étude des « fondations de nos institutions » et servirait uniquement à dissimuler un nationalisme canadien et un sentiment antiaméricain. Mme Ajzenstat insiste sur le fait qu’on doit d’abord « lire les documents », puis on comprendra l’esprit des rédacteurs.
Par la suite, elle a lu les débats sur la Confédération du Parlement du Canada, mais aussi ceux des provinces, avec ses corédacteurs William Gairdner, Ian Gentles et Paul Romney lorsqu’ils ont publié l’ouvrage encyclopédique Canada’s Founding Debates. Dans celui-ci, elle écrit n’avoir trouvé aucune trace de hiérarchie, de déférence, ni de communalisme, toutes prônées dans la théorie d’Hartz et d’Horowitz. Ces corédacteurs et elle ont plutôt mis à jour un constitutionnalisme libéral sophistiqué fondé sur John Locke et sur diverses conceptions de souveraineté populaire (thème de son livre publié en 2007, The Canadian Founding: John Locke and Parliament). Ce pan de l’histoire n’est pas vide d’idées, comme des historiens canadiens de premier plan l’ont prétendu. Au contraire, il en regorge.
Alliée des penseurs politiques conservateurs et critique des représentations culturalistes des origines du Canada à la mode, Mme Ajzenstat semble adopter une position fermement à la droite du spectre politique. Elle laisse pourtant entendre le contraire dans son livre. Après avoir adhéré au socialisme antiguerre dans sa jeunesse, elle admet, avec une pointe de provocation, avoir laissé tomber « certaines valeurs » de cette doctrine, mais seulement une partie d’entre elles. Elle a choisi de ne pas fournir plus de détails à ce sujet.
En réalité, elle privilégie le constitutionnalisme libéral comme elle le voit, à savoir avec des délibérations tout à fait libres. Le constitutionnalisme n’a pas pour but d’enchâsser les préférences stratégiques d’une majorité éphémère dans la loi suprême – une constitution composée d’intérêts partiaux sans fondement légitime –, mais bien de consentir au désaccord raisonnable sur les questions importantes qui relèvent de la politique publique. Dans cette optique, le Parlement devient un lieu de rencontre où les élus sont pris dans un « éternel affrontement » et où il n’y a aucun « programme permanent ». Comme la victoire ou la défaite ne dure jamais longtemps dans ce milieu, les forces politiques en jeu peuvent toujours gagner. La démocratie parlementaire est de fait favorable aux idéologies et possibilités de tous les horizons politiques.
Cette ouverture représente l’un des grands mérites de la démocratie, a fait observer de Tocqueville au XIXe siècle. La démocratie est un système marqué par une « agitation perpétuelle » qui permet de corriger ses propres erreurs. Mme Ajzenstat nous offre une représentation plaisante de la démocratie parlementaire au Canada, à laquelle bon nombre de Canadiens seront prêts à souscrire.
David Schneiderman
Faculté de droit et de science politique
Université de Toronto
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