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Matthew Giroux

Conservatism in Canada, publié sous la direction de James Farney et David Rayside, University of Toronto Press, Toronto, 2013, 400 p

Après trois victoires majoritaires consécutives du Parti libéral en 1993, 1997 et 2000, beaucoup avaient le sentiment que la domination libérale de la politique canadienne serait sans fin. Certes, Jean Chrétien n’avait peut-être pas exactement été aimé mais, quand son ministre des Finances, la superstar Paul Martin, a inévitablement pris la direction du parti, sa majorité allait inévitablement s’agrandir.

C’était ce qu’on pensait dans le sillage de l’élection de 2000 durant laquelle les libéraux, après déjà deux mandats de gouvernement, avaient augmenté leur nombre de sièges et enregistré une nouvelle victoire contre une droite divisée sans même avoir besoin de se fatiguer. Et c’est sans doute dans un ouvrage publié en 2001 par deux auteurs de droite, Gritlock: Are the Liberals in Forever?, que la peur ainsi suscitée chez les conservateurs canadiens a été le mieux exprimée. La question du titre était pertinente : les libéraux allaient-ils donc gouverner jusqu’à la fin des temps?

Eh bien, non. En 2004, ils sont secoués par le scandale des commandites, au moment où des divisions qu’on croyait jusque-là insurmontables entre l’Alliance canadienne et les progressistes-conservateurs disparaissent avec la création d’un nouveau Parti conservateur du Canada. Sous la houlette de Steven Harper, il réduit les libéraux à un gouvernement minoritaire en 2004, puis forme lui-même un gouvernement minoritaire en 2006 avant d’accroître son nombre de sièges en 2008 et en 2011, année où il finit par gagner cette majorité tant attendue.

Bien que ces développements aient suscité beaucoup de commentaires dans les médias, personne n’avait encore entrepris d’étude approfondie et exhaustive de la montée en puissance du conservatisme canadien sous ses deux formes, avec un petit « c » et un grand « C ». Conservatism in Canada est une collection d’essais perspicaces et provocateurs qui décrivent avec sagacité le conservatisme canadien comme étant un système d’idées, de valeurs et d’engagements politiques multiformes, complexes et parfois contradictoires plutôt qu’un simple monolithe.

Publiée sous la direction de James Farney et David Rayside, cette collection présente adroitement les diverses souches de l’idéologie conservatrice au niveau aussi bien fédéral que provincial. Elle aborde les rôles de chaque branche de gouvernement, ainsi que leurs relations, tout en s’efforçant de déterminer simultanément dans quelle mesure les conservateurs canadiens peuvent être considérés comme une espèce différente de leurs homologues américains et européens.

Projet ambitieux, Conservatism in Canada propose une analyse approfondie d’enjeux relatifs à l’économie, à la culture, et à la politique étrangère. Bien que certains des essais exposent leurs arguments de manière plus convaincante que d’autres, presque tous s’avèrent extrêmement intéressants, scrupuleusement équilibrés et profondément révélateurs.

Dans leur introduction, Farney et Rayside affirment que la meilleure manière de comprendre le conservatisme est d’y voir quatre grands courants idéologiques : le néolibéralisme, le traditionalisme moral et social, le populisme et le nationalisme. Dans quelle mesure ces quatre courants trouvent-ils ou non une expression dans les partis politiques conservateurs? Les directeurs de la collection soutiennent que, dans le contexte canadien, le néolibéralisme joue un rôle dominant, le traditionalisme moral et social et le populisme étant repoussés à l’arrière-plan mais exerçant quand même une influence assez considérable. Le nationalisme persiste à vouloir bâtir la citoyenneté selon des axes traditionalistes, mais le genre de xénophobie fiévreuse présent dans le conservatisme européen et, de plus en plus, américain, est jugé largement absent au Canada du fait d’une grande acceptation, dans l’opinion publique, de l’immigration.

Conservatism in Canada comprend trois parties : la première est consacrée aux aspects théoriques, religieux et sociétaux du conservatisme canadien, alors que la deuxième et la troisième portent respectivement sur le Parti conservateur fédéral et les partis conservateurs provinciaux.

La première partie débute avec un essai particulièrement instructif où Christopher Cochrane analyse l’opinion publique et les divisions conceptuelles qui fondent et structurent les désaccords politiques, pas seulement entre la Droite et la Gauche mais aussi entre différentes écoles au sein du conservatisme. Un essai final de Steve Patten est cependant moins convaincant. Il défend la thèse plausible que le néolibéralisme a triomphé au sein du conservatisme des partis au Canada, mais sans parvenir à justifier efficacement son argument.

Les conservateurs de Harper ont incontestablement usé de la rhétorique néolibérale en réclamant moins de gouvernement et des marchés plus libres, et en embrassant certaines politiques néolibérales telles que les dégrèvements d’impôt et les accords de libre-échange. Toutefois, ils ont aussi contribué au sauvetage de General Motors et de Chrysler, et ont accru les subventions aux grandes entreprises, deux décisions largement répudiées par les néolibéraux orthodoxes. En outre, certaines des politiques citées comme preuves du néolibéralisme des conservateurs — leur préférence pour des dégrèvements fiscaux ciblés et leur refus de s’attaquer au changement climatique — ne sont pas clairement reliées à l’idéologie néolibérale, même dans la définition de Patten. Les dégrèvements fiscaux ciblés ont été accueillis par le mépris dans les milieux néolibéraux, alors que certains économistes libéraux de premier plan ont reconnu les dangers du changement climatique et endossé des initiatives telles qu’une tarification du carbone à la Stéphane Dion, pour des raisons typiques d’externalité.

À ceux qui s’intéressent surtout à la reconfiguration radicale de la politique des partis engendrée par la création du Parti conservateur en 2003, la deuxième partie de Conservatism in Canada a beaucoup à offrir. Une analyse de la structure organisationnelle du Parti conservateur par Tom Flanagan, le politologue de l’Université de Calgary qui a géré la campagne des conservateurs en 2004, est utilement éclairée par son point de vue d’initié. Flanagan soutient de manière persuasive que le Parti conservateur est devenu soudé à un modèle de campagne électorale permanente axé sur le contrôle national, la discipline du message, et des publicités d’attaque préélectorales. Il estime que l’opposition se dirige aussi dans cette voie, créant ainsi « un monde darwinien de concurrence électorale » impulsé par une « logique de course aux armements » qui menace l’aptitude des partis politiques à jouer le rôle d’outils d’élaboration des politiques publiques et de représentation de leurs membres.

On a vu apparaître ces dernières années de nouveaux partis politiques conservateurs importants au Québec, en Alberta et, surtout, en Saskatchewan, avec le Saskatchewan Party, de centre-droite, actuellement au gouvernement. La dernière partie de Conservatism in Canada traite avec compétence de ces développements tout en examinant l’évolution des partis progressistes-conservateurs plus anciens, ainsi que les tendances de l’opinion publique provinciale. Elle commence par une analyse lumineuse et historiquement ancrée de la manière dont des dynamiques sociales, religieuses et économiques différentes ont déterminé le type de conservatisme qui s’implanterait le mieux dans telle ou telle province. Ce survol provincial est suivi d’un certain nombre d’articles portant sur le conservatisme dans des provinces particulières.

Bien que chaque essai de cette partie mérite des louanges, un article remarquable de David K. Stewart et Anthony Sayers réfute vigoureusement l’idée pourtant largement répandue selon laquelle l’Alberta serait un monolithe conservateur. Faisant excellent usage d’une abondance de sondages, ces auteurs démontrent de manière convaincante que les Albertains ne sont ni des néolibéraux à tout crin ni des traditionnalistes sociaux indécrottables. En vérité, leurs convictions politiques sur les questions autant économiques que sociales ne sont pas très éloignées du centre idéologique national, bien qu’ils soient beaucoup plus méfiants d’un gouvernement centralisé et beaucoup plus opposés à son action que les citoyens de n’importe quelle autre province, sauf peut-être le Québec.

Les directeurs de la collection concluent à la fin de l’ouvrage que le conservatisme canadien se distingue du conservatisme européen par son acceptation de la diversité culturelle, et du conservatisme américain, par sa relative laïcité. S’agissant de l’interaction entre les différents courants idéologiques exposés dans l’introduction, ils réitèrent leur argument sur la domination du néolibéralisme, tout en suggérant que « l’hommage » du conservatisme », exprimé essentiellement par son appui aux « normes traditionnelles sur le genre et la sexualité », le met en contradiction avec une célébration de l’autonomie individuelle en constante expansion qui a précisément miné ces normes-là. C’est une thèse intéressante mais encore inexplorée qui mériterait d’être fouillée davantage.

Ample par sa thématique, stimulant et truffé d’éclairages utiles, cet ouvrage est un excellent ajout aux études déjà consacrées à la nature du conservatisme canadien.

Mathieu Giroux
Candidat de maîtrise (Histoire)
Université laurentienne


Canadian Parliamentary Review Cover
Vol 37 no 3
2014






Dernière mise à jour : 2020-09-14