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Connor Bays
L’ascension de Kathleen Wynne à la tête du Parti libéral de l’Ontario en janvier 2013 la destinait automatiquement au poste de premier ministre de la province. Bien que le Parti libéral soit resté au pouvoir, cette victoire supposait la planification et l’exécution d’un transfert de pouvoir entre l’ancien leadership et le nouveau. Les études doctrinales sur le transfert de pouvoir au Canada et en Ontario portent généralement sur les transferts entre un parti et un autre. Nous examinerons ici le cas de Mme Wynne et nous nous intéresserons à la façon dont les caractéristiques internes du parti ont façonné ses principes et son évolution. Nous nous appuyons sur les résultats de 15 entrevues confidentielles avec des fonctionnaires et des responsables politiques, effectuées dans le cadre d’une recherche réalisée entre février et mai 2013.
David Lindsay, l’un des architectes de la transition (saluée partout) du premier ministre Mike Harris au gouvernement en 1995, estime qu’à l’ère moderne, les mesures prises en matière de transfert de pouvoir sont axées sur quatre éléments essentiels : le personnel, les procédures, les politiques et les relations publiques. Les personnes qui ont orienté la transition de Kathleen Wynne ont tenu compte de priorités et de mesures qui, à ces égards, ont été considérablement influencées par le caractère interne de la transition.
Cela a commencé par un roulement des cadres supérieurs (élément central de la mécanique concrète de la transition) presque exclusivement au sein du Cabinet du premier ministre, les autres bureaux du gouvernement demeurant relativement inchangés. Les procédures et structures du gouvernement sont restées à peu près identiques, mais l’un des aspects majeurs de la transition a été l’adoption d’une approche plus coopérative des activités. Sur le plan stratégique, les priorités associées à la transition de Mme Wynne étaient étroites et portaient surtout sur la stabilisation des relations du gouvernement provincial avec les enseignants (à noter que ce secteur particulier échappe au champ de notre article). Enfin, l’objectif fondamental des relations publiques à l’occasion de cette transition était de différencier le gouvernement de Mme Wynne de celui de son prédécesseur. Il était important, pour souligner cette différenciation, de mettre l’accent sur le nouveau style coopératif adopté dès le début de la transition.
Les préparatifs politiques
La démission surprise de Dalton McGuinty le 15 octobre 2012 a limité considérablement le temps dont disposaient les candidats à la direction du Parti libéral pour planifier la transition. Cela dit, la campagne – finalement victorieuse – de Mme Wynne comportait des préparatifs anticipés, dirigés par la « responsable de la transition » et ex ministre du Cabinet Monique Smith. Un spécialiste de la transition a été sollicité « bien avant le congrès » : il leur a fourni des conseils en matière de stratégie et de relations avec la fonction publique, alimentant la campagne de Mme Wynne de documents qu’il avait écrits sur le sujet. Selon lui, le premier point de contact était « un groupe de gens réfléchissant au cadre stratégique (de Mme Wynne) et aux priorités qui devraient être les siennes » qui essayaient de circonscrire les positions que la nouvelle première ministre adopterait sur certains enjeux qu’elle hériterait si elle remportait la victoire.
L’équipe qui a dirigé la transition durant les semaines suivant la victoire de Mme Wynne le 25 janvier comprenait des militants de sa base et des conseillers moins partisans embauchés pour leurs compétences. Monique Smith, responsable principale de la transition, a participé à la campagne de Mme Wynne dès le début, tandis que d’autres responsables importants de la transition – par exemple le chef de cabinet adjoint Andrew Bevan et la responsable des ressources humaines Shelley Potter – ont également joué un rôle dans la course de Mme Wynne à la direction du parti. Pour reprendre les paroles d’un cadre ayant participé à la transition, ces personnes « sont descendus de l’autobus de la campagne » pour se mettre au travail durant la période de transition. Outre ce groupe de partisans, l’équipe de transition comptait des personnes ayant joué un rôle minime dans la course à la direction, mais que leur expertise rendait précieux pour la mise en place du gouvernement de Mme Wynne aux premières étapes. Dans cette catégorie se trouvaient l’ex journaliste de Queen’s Park John McGrath, et, à titre plus consultatif pour les premiers stades de la planification, l’ex fonctionnaire Tony Dean.
Au cours des semaines précédant le congrès du Parti libéral, les partisans de Mme Wynne ont consulté des conseillers pour savoir comment planifier une bonne planification de la transition. On voulait avoir notamment une idée des priorités et considérations qui seraient familières à la plupart des planificateurs de transition interne, à savoir les enjeux de l’administration publique plutôt que les enjeux politiques. Les planificateurs de la transition de Mme Wynne ont posé des questions sur le moment opportun pour aborder le secrétaire du Cabinet au sujet des procédures de transition au Cabinet, déterminer s’il fallait apporter certains changements sans délai dans la liste des sous-ministres et s’il y avait lieu de modifier la structure des ministères. L’un des protagonistes a résumé ces conversations en disant qu’il s’agissait de « conseils sur les changements à apporter immédiatement à l’architecture et au personnel » en dressant la liste des mesures que l’équipe de transition devait prendre dans les 24 premières heures et durant la première semaine de la période de transition.
L’équipe de transition de Mme Wynne a pu compter sur un avantage que n’ont pas souvent les chefs de l’opposition sur le point d’assumer le pouvoir : un certain degré de collaboration de la part de certains au Cabinet du premier ministre. Les cadres de M. McGuinty se sont réunis le lendemain de l’annonce de sa démission pour discuter de la planification de la transition. Selon l’un d’eux, le Cabinet a « préparé le terrain à la nouvelle équipe », par exemple en dressant une liste des annonces que le responsable des communications de la nouvelle première ministre devrait probablement faire au cours de la première semaine et en ajoutant des notes aux principaux dossiers. Le personnel du Cabinet a également tenu compte des initiatives qu’un nouveau gouvernement voudrait peut être inclure dans le discours du Trône – imminent – sans oublier que la nouvelle première ministre ne voudrait pas simplement poursuivre les initiatives de son prédécesseur.
Au cours de la transition proprement dite, les relations entre le personnel entrant et le personnel sortant se sont réduites au début à celles qu’ont entretenues le chef d cabinet de M. McGuinty – David Livingston – et la responsable de l’équipe de transition de Mme Wynne – Monique Smith. À mesure que les rôles des nouveau venus se sont précisés, les voies de communication entre les deux groupes se sont diversifiées. L’un des cadres de M. McGuinty a parlé d’interactions « assez informelles », le groupe sortant étant disposé à fournir conseils et aide. Au sujet des relations avec le personnel de Mme Wynne, l’un des adjoints aux communications de M. McGuinty a fait la remarque suivante : « c’était très facile de travailler avec eux (…) parce que je les connaissais déjà et qu’on savait très bien ce dont ils avaient besoin. »
L’échéancier
L’un des enjeux de la transition de Mme Wynne était le peu de temps dont elle disposait entre sa victoire dans la course à la direction du Parti libéral et la reprise des travaux au Parlement. La plupart des changements de gouvernement s’inscrivent dans certaines limites de temps et sont assujettis à l’urgence que ces limites produisent. Mais les vétérans des transitions précédentes – du côté bureaucratique comme du côté politique – ont fait remarquer que, dans le cas de Mme Wynne, la pression était particulièrement forte. Entre l’assermentation de la première ministre et le discours du Trône, son personnel n’a eu que huit jours pour se préparer. Cet échéancier était surtout un choix : une partie de l’appui obtenu par la candidate à la direction de son parti découlait de sa promesse de mettre fin à la procrastination caractéristique de son prédécesseur.
Le personnel a ressenti cette pression de façon aiguë. L’un des membres de l’équipe raconte : « Je me suis tenu tranquille pendant un mois et demi (…). Il fallait juste faire le nécessaire pour obtenir les résultats dont on avait besoin. » Les priorités moins pressantes – par exemple, veiller à ce que le Cabinet entre en contact avec la fonction publique en général – ont été mises de côté provisoirement pour laisser place aux urgences associées au discours du Trône, au choix du personnel et à la sélection des membres du Cabinet. Pour ajouter à la pression, l’ordre du jour de l’ex-premier ministre est demeuré en vigueur même jusqu’à la veille de la transition, notamment le projet de voyage en Chine – très publicisé – quelques jours seulement avant le congrès de la course à la direction. Ces activités ont limité le temps que son personnel et l’administration pouvaient consacrer à la préparation de la transition. L’un des membres de l’équipe de Mme Wynne a décrit succinctement le rythme affolant de cette période en disant que, compte tenu des échéances et du travail à abattre, l’essentiel était « de ne pas se planter ».
Le personnel
L’un des éléments les plus importants de la mécanique concrète du transfert de pouvoirs à Mme Wynne a été le renouvellement des cadres supérieurs. Dans le cadre d’une transition interne comme celle de Mme Wynne, on pourrait penser que les considérations liées au personnel prendraient moins d’importance puisque le parti au pouvoir est le même, mais les participants estimaient que le renouvellement du personnel – notamment au Cabinet du premier ministre – devait être l’une des principes caractéristiques de la transition. Selon l’un des principaux adjoints de Mme Wynne, le Cabinet du premier ministre était « éviscéré » au moment du transfert de pouvoirs. Pour l’essentiel, aucun des cadres supérieurs de l’ancien cabinet ne se sont retrouvés dans le nouveau.
Le départ de ces cadres n’a pas été une surprise pour plusieurs initiés de la transition. Beaucoup de ceux qui sont partis étaient de proches collaborateurs de Dalton McGuinty depuis des années, parfois même depuis une époque précédant son accession au pouvoir. La démission de leur patron de longue date était l’occasion de s’engager dans d’autres projets après des années de stress constant et de rémunération modeste. Comme c’est l’habitude, le départ du premier ministre a également entraîné le versement d’indemnités au personnel désormais au chômage, ce qui a permis à ceux qui quittaient la vie politique « d’atterrir en douceur ».
Contrairement aux nouveaux cadres du Cabinet de la première ministre, une grande partie du personnel politique libéral des échelons inférieurs est restée intacte. L’un des employés du Cabinet s’est dit surpris du degré de continuité dans le personnel des échelons inférieurs à la direction. Beaucoup d’entre eux ont été réengagés aux postes qu’ils occupaient auparavant. Cette continuité aux échelons inférieurs était un moyen commode d’atténuer la pression exercée à la fois par un échéancier de transition très serré et par la menace d’une élection imminente en raison du caractère minoritaire du gouvernement. Un haut fonctionnaire ayant affaire à la future direction des politiques a fait remarquer que cette continuité garantissait un contexte utile pour le nouveau personnel d’encadrement et que le transfert de pouvoirs à Mme Wynne préservait au sein du parti une « mémoire politique » particulièrement importante pour ceux qui assumeraient pour la première fois des fonctions de premier plan au Cabinet. Un autre fonctionnaire a souligné la rapidité avec laquelle beaucoup d’employés ont pu être informés des principaux dossiers. Dans les transferts de pouvoirs plus complets d’un parti à un autre, tous les employés « partent de zéro ». L’avantage de conserver le personnel en place explique peut-être l’absence de renouvellement des cadres dans la bureaucratie.
La plupart des cadres politiques qui ont remplacé ceux qui partaient avec le premier ministre sortant étaient unis par leur étroite association antérieure avec Mme Wynne et l’absence de liens avec M. McGuinty. La plupart de ceux qui ont finalement assumé les rôles clés dans le Cabinet de la première ministre Wynne avaient participé à sa campagne dans la course à la direction. Par exemple, les principaux artisans de cette campagne, Tom Allison et Brian Clow, ont rapidement occupé des postes de première importance dans le Cabinet. Beaucoup de ceux qui ont occupé des postes d’encadrement supérieurs avaient également travaillé pour Mme Wynne lorsqu’elle était ministre du Cabinet McGuinty. Le nouveau chef du personnel Tom Teahen, la responsable des communications stratégiques Siri Agrell et la directrice des ressources humaines Shelley Potter avaient tous été au service de la nouvelle première ministre lorsque celle ci était ministre. Un observateur a déclaré, s’agissant des relations entretenues auparavant avec la première ministre, que plusieurs de ses principaux adjoints représentaient « la bande de Don Valley », en référence à la première campagne électorale de Mme Wynne.
Les contraintes de temps ont obligé le nouveau Cabinet à régler rapidement divers enjeux - à savoir le choix des ministres du Cabinet, le discours du Trône et d’autres objectifs – avant de doter de nombreux postes. Ces objectifs passaient avant la détermination de la composition exacte et de la structure du nouvel effectif. Durant les premières semaines – entre la victoire de Mme Wynne et son assermentation, les employés d’échelons inférieurs qui avaient choisi de rester étaient présents, mais ne savaient rien de leur rôle ni s’ils seraient réengagés. Leur présence a été très utile à l’équipe de transition de Mme Wynne, qui devait respecter des échéances très brèves et accomplir un travail énorme. Par exemple, plusieurs membres de l’équipe ont souligné la contribution de Karim Bardeesy, ex directeur administratif des politiques sous le régime de M. McGuinty, qui a pu commencer à travailler sur le discours du Trône dès les premiers jours de la période de transition, avant de savoir qu’il conserverait son poste sous le nouveau régime. Ce n’est que plus tard que M. Bardeesy a été officiellement reconduit dans ses fonctions.
La décision de Mme Wynne qui a le plus attiré l’attention en matière de gestion du personnel a été la composition du Cabinet. Le choix des membres de l’équipe de direction a traduit de façon très visible la configuration et les priorités de son gouvernement. L’un des éléments ayant guidé son choix semble avoir été le principe de fidélité. Les 10 députés qui avaient soutenu sa candidature à la direction ont été nommés au conseil exécutif, mais elle a également nommé presque tous ses anciens rivaux de la course à la direction du parti. Le ton de son gouvernement et sa perspective étaient donnés : unité et inclusion. La double nécessité impérieuse de régler les problèmes et de récompenser les partisans de la première heure explique peut être pourquoi le nouveau Cabinet s’est enrichi de cinq membres en dépit des critiques des médias et de l’opposition.
Les procédures
L’équipe de transition de Mme Wynne n’a pas guère modifié la plupart des procédures et structures du gouvernement. Comme pour d’autres aspects de la transition, les changements apportés concernaient surtout l’organisation du Cabinet de la première ministre. Et même à cet égard, la plupart des procédures en vigueur sont restées à peu près identiques. Du point de vue de la gestion du personnel, les modalités antérieures prévoyant un seul chef du personnel au Cabinet ont été modifiées : ces responsabilités ont été réparties entre un secrétaire principal et un chef du personnel. De la même façon, plusieurs responsables politiques ont fait remarquer que des modifications généralisées aux procédures, aux rôles et aux responsabilités auraient été incompatibles avec la nécessité de mettre rapidement en place le nouveau gouvernement.
Le transfert de pouvoirs à Mme Wynne s’est caractérisé par une innovation : on a créé un « conseil consultatif de la transition » officiel qui a fait couler beaucoup d’encre. La sollicitation de conseillers pour orienter un nouveau gouvernement n’avait rien de neuf, mais le conseil consultatif de la transition représentait une officialisation et une promotion novatrices de cette démarche. Ce conseil – décrit à tort comme « l’équipe de transition » dans les médias – était composé de nombreuses figures connues de tous les milieux de la vie publique et politique de l’Ontario, de l’économiste Don Drummond à l’ex-ministre du Cabinet néo démocrate Frances Lankin en passant par l’un des poids lourds du Parti libéral, Greg Sorbara.
Le conseil consultatif de la transition s’est réuni dès la première semaine suivant la victoire de Mme Wynne au congrès et à plusieurs reprises pour régler exclusivement les questions relatives au discours du Trône imminent. L’un des participants a décrit ces réunions : à large portée, durant parfois plusieurs heures, en présence d’une première ministre « très à l’écoute », les membres étant invités à donner leur avis sur le traitement de certaines questions par le gouvernement, et visant à évaluer le climat général et à provoquer des discussions pour faciliter la détermination de l’orientation générale du gouvernement. Les suggestions et la rétroaction fournies par le conseil étaient très pointues et portaient sur les grandes lignes stratégiques plutôt que sur les détails. Le conseil a continué de se réunir après le discours du Trône pour se tourner vers le jalon politique d’envergure qui suivait : le budget. Un haut fonctionnaire ayant participé à l’élaboration du discours du Trône s’est dit d’avis que ce conseil consultatif était une source d’orientation efficace et un excellent moyen de produire des idées. Le groupe a continué de se réunir bien après ce qu’on pourrait généralement considérer comme la période de transition.
Les responsables de la transition de Mme Wynne n’ont guère modifié la mécanique, les procédures ou les structures du gouvernement, mais la perspective a été axée plus largement sur la collaboration. Vers la fin de son mandat, M. McGuinty avait cessé de rédiger des « lettres de mandat », qui sont le moyen pour les premiers ministres de dire à leurs ministres ce qu’ils attendent d’eux et les objectifs qu’ils doivent concrétiser. Mme Wynne a non seulement remis ces lettres à l’honneur, mais en a fait l’occasion d’un travail de collaboration en invitant ses ministres à y participer avant la production de la version définitive. Cette invitation au dialogue contrastait avec la perspective plus hiérarchique de son prédécesseur à l’égard du Cabinet. De la même façon, le personnel affecté à la rédaction du discours du Trône a passé plus de temps à consulter directement les ministres qu’il n’en avait l’habitude pour fixer les détails qui étoffent le cadre stratégique global. Un membre du Parti libéral a fait remarquer que la décision du Cabinet de fixer la réunion des cadres à 8h30 le matin est un autre signe du caractère plus coopératif du nouveau régime. La présence de la première ministre a également surpris le personnel accoutumé au style moins interventionniste de son prédécesseur. Un nouveau venu au Cabinet se souvient avoir essayé de convaincre des collègues que la présence de Mme Wynne (en personne ou par téléphone) à ces réunions n’était pas pour elle une perte de temps.
Selon l’un des responsables de la transition, l’une des tâches les plus importantes a été la transformation des relations entre le Cabinet de la première ministre et les cabinets ministériels compte tenu du principe de collaboration valorisé par la nouvelle administration. Chose surprenante, les membres du personnel ministériel invités à donner leur avis n’ont pas immédiatement emboîté le pas : auparavant, l’appareil central donnait des instructions. Ce processus de consultation et de participation a cependant eu aussi des inconvénients. Selon un fonctionnaire, du point de vue bureaucratique, « parfois on préfère juste savoir ce qu’ils (le personnel politique) veulent ».
Les relations publiques
L’importance accordée par Mme Wynne à la collaboration dans le cadre des activités gouvernementales fait partie des éléments fondamentaux du message de son gouvernement à la population : la différenciation. Il est plus difficile de se démarquer du précédent gouvernement lorsque la transition est interne, car le nouveau dirigeant ne saurait répudier les décisions de son prédécesseur quand les deux appartiennent au même parti et que, comme dans le cas de Mme Wynne, le nouveau siégeait au Cabinet du précédent lorsque celui-ci a pris ses principales décisions.
Selon l’un des membres de l’équipe de transition de Mme Wynne, si M. McGuinty était parti « dans toute sa gloire », l’équipe aurait cherché à trouver un équilibre entre continuité dans les domaines positifs et quelques aménagements dans les secteurs plus faibles. Au lieu de cela, elle a cherché des moyens de montrer que la nouvelle dirigeante était aussi différente que possible de son prédécesseur. Comme le disait un de ses cadres, la question pour l’équipe de travail était de savoir comment « tirer parti du positif et écarter le négatif en prenant, par exemple, une position différente sur les questions liées aux usines de production gazière et à la main d’œuvre. L’intérêt profond de la population pour ces questions était tel que la différenciation et l’élaboration d’une nouvelle image étaient au cœur de la survie du gouvernement Wynne au cours des premières semaines et des premiers mois.
Le discours du Trône a été un instrument de communication particulièrement crucial. Selon un cadre supérieur libéral ayant participé à sa rédaction, il s’agissait de « présenter la nouvelle première ministre et de souligner en quoi elle était différente de Dalton McGuinty ». Le discours a été l’occasion de mettre en place les éléments narratifs de ce que le gouvernement voulait dire de lui même, et ses auteurs voulaient que ces éléments soient manifestement différents de ce que le gouvernement disait quatre mois plus tôt. L’importance accordée à la différenciation a également permis de remplacer les cadres supérieurs du personnel du Cabinet de M. McGuinty. Si l’on avait gardé « les gens de McGuinty » aux postes-clés, on aurait contredit les affirmations du nouveau gouvernement signalant un changement de cap.
Un nouveau ton et un nouveau style, voilà qui faisait partie intégrante des efforts du nouveau gouvernement pour faire la preuve de sa différence par rapport au régime antérieur. Selon un conseiller supérieur ayant participé à la transition, depuis le discours de la nouvelle dirigeante le soir du congrès et par la suite, toutes ses apparitions publiques ont visé à manifester « son accessibilité, son ouverture, son honnêteté (…) et son aptitude à écouter et à apprendre ». Plusieurs membres de l’équipe de transition ont fait la remarque que le nouveau style de leadership traduisait la personnalité de la première ministre et se répercutait aux échelons suivants du gouvernement. Mais l’équipe a également essayé de façon délibérée de faire la preuve de cette différence de perspective. Selon un des cadres supérieurs du Cabinet, il y avait de nombreux exemples – certains évidents, d’autres subtils – de ces efforts, qu’il décrivait comme des « coups de sifflet signalant le nouveau style en vigueur aux politiciens ». Un exemple largement cité était l’habitude de la première ministre de commencer ses discours publics par le rappel que la terre qu’elle foulait était un territoire autochtone traditionnel.
La nouvelle équipe de la première ministre voulait également communiquer ce nouveau style à l’appareil bureaucratique et politique. Au cours de la transition, l’équipe de Mme Wynne a organisé une réunion de tout le personnel de communications politiques du Cabinet et des ministères pour, selon les termes de l’un d’entre eux, « parler de ce qu’on voulait faire et de la façon dont on le ferait et prendre connaissance de nos questions ». La réunion visant à faire savoir au reste du gouvernement que le nouveau régime entendait aborder les enjeux différemment.
L’annonce de la création du conseil consultatif de la transition était en soi une tentative claire pour faire connaître la nouvelle perspective de la première ministre. Selon un participant, le dévoilement du conseil était le clou de la transition, qui, compte tenu de sa composition non partisane et très diverse, a eu l’effet escompté. La participation de John McGrath aux travaux de l’équipe de transition a été en soi un exercice de relations publiques. L’un des membres de l’équipe a estimé que son statut d’ex président de la tribune de la presse à Queen’s Park pourrait rejaillir sur les relations du gouvernement avec la presse. La bureaucratie centrale n’a pas tardé à adopter le style de la première ministre et à veiller à ce qu’il se répande à tous les échelons. Le Cabinet est allé jusqu’à diffuser un document (qui a par la suite fait l’objet d’une fuite) expliquant aux fonctionnaires comment suivre l’exemple de la première ministre dans leurs communications avec la population. Un haut fonctionnaire a déclaré que les cadres politiques n’ont pas été décontenancés par la fuite, car elle ne faisait qu’attester leur désir de changement dans le style de communications du gouvernement.
Conclusion
Le caractère interne du transfert de pouvoirs à Mme Wynne a déterminé considérablement les priorités et les mesures de ceux qui ont facilité cette transition. Il y a eu peu de changements au delà du Cabinet, de sorte que la plupart des procédures et des effectifs sont restés à peu près identiques. Mais la nouvelle première ministre a adopté un nouveau style et une nouvelle perspective, en partie pour se différencier de son prédécesseur. En fin de compte, le transfert de pouvoirs ne vient qu’après l’accession au pouvoir dans l’ordre des difficultés qu’un gouvernement doit inévitablement affronter. Cela dit, ce peut être un moment crucial pour démarrer du bon pied… ou du mauvais. Les atouts et les faiblesses du modèle de transition adopté par l’équipe de Mme Wynne seront certainement examinés de près par les équipes qui dirigeront d’autres transitions internes.
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