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David M. Brock; Alan Cash
Dans un régime de gouvernement par consensus comme celui des Territoires du Nord-Ouest, tout comme dans un système de partis, le gouvernement est nommé par l’organe exécutif officiel, et les membres du Conseil exécutif rendent compte à la Chambre. Toutefois, le mode de sélection des membres du Conseil exécutif diffère beaucoup d’un système à l’autre et peut-être en va-t-il de même de la convention sur la confiance dans un gouvernement responsable. Dans le présent article, inspiré par un débat entre les auteurs, parrainé par le Groupe régional des Territoires du Nord-Ouest de l’Institut d’administration publique du Canada, David M. Brock et Alan Cash examinent quelques-uns des facteurs à prendre en considération si jamais la convention sur la confiance vient à être mise à l’épreuve dans un régime de gouvernement par consensus. Ils concluent en soulignant qu’étant donné les récents changements apportés à la Loi sur les Territoires du Nord-Ouest et à la lumière des nouvelles conventions régissant la révocation des membres du Conseil exécutif, il est maintenant possible d’affirmer sans risque de se tromper que la convention sur la confiance pourrait s’appliquer dans les Territoires du Nord-Ouest un peu de la même façon qu’elle l’est dans les systèmes de partis. La prérogative de la Chambre, qui est mise en valeur et codifiée dans un gouvernement de consensus, limite cependant le pouvoir discrétionnaire du premier ministre et atténue le pouvoir de l’appareil exécutif.
Le gouvernement de consensus dans les Territoires du Nord-Ouest doit fonctionner « suivant les principes de gouvernement responsable et de responsabilisation de l’exécutif1 ». Ça ne veut pas nécessairement dire que tous les éléments d’un gouvernement responsable s’appliquent de la même manière qu’ils pourraient l’être dans un système de partis. L’une des zones d’incertitude réside dans l’application de la convention sur la confiance. Cette dernière prévoit que si l’exécutif n’a plus l’appui de la majorité des membres de l’assemblée législative, le gouvernement doit démissionner ou bien demander la dissolution et la tenue d’une élection générale. Mais comment cela peut-il fonctionner dans le régime de gouvernement par consensus en place dans le Nord?
L’interprétation et l’application de la convention sur la confiance dans un système de partis de type Westminster sont déjà complexes. Nous savons que, de façon générale, le chef du parti politique qui compte le plus de représentants au sein de l’assemblée législative est habituellement appelé par le représentant de la Couronne à former le gouvernement. Cette décision se fonde sur la probabilité que ce même chef de parti puisse conserver durablement l’appui d’une majorité de députés. Là où l’application de la convention sur la confiance se complique toutefois, c’est lorsque vient le temps de déterminer en quoi consiste exactement un vote de défiance, si un vote de défiance est véritablement un signe de l’incapacité du gouvernement à gouverner de façon responsable et s’il y a lieu d’accepter une demande de prorogation.
Dans le régime de gouvernement par consensus comme celui en vigueur dans le Nord, où la constitution des gouvernements et la façon dont ceux-ci rendent des comptes sont différentes, il est encore plus déroutant d’essayer de comprendre l’interprétation et l’application possibles de la convention sur la confiance. Dans le régime de gouvernement par consensus, tout comme le système de partis, le gouvernement est nommé par l’organe exécutif officiel et les membres du conseil rendent compte à la Chambre. Le mode de sélection des membres du Conseil exécutif diffère toutefois sensiblement et peut-être en conséquence. Dans un système de partis, le choix des ministres est la prérogative de la Couronne, qui agit sur l’avis du premier ministre. Dans un régime de gouvernement par consensus, le choix des ministres, y compris celui du premier ministre, est la prérogative de la Chambre. La façon dont le Conseil exécutif est choisi peut donc influencer la décision quant à la question de savoir comment – et si – le Conseil exécutif peut être destitué en bloc et, plus important encore, si la Chambre peut être dissoute et si une élection générale peut avoir lieu avant la date fixée2.
Les récents changements apportés à la Loi fédérale sur les Territoires du Nord-Ouest compliquent encore davantage la compréhension de la notion de convention sur la confiance dans un gouvernement de consensus. La portée des droits du commissaire énumérés dans la loi fédérale a été élargie en avril 2014 pour inclure de nouveaux pouvoirs de nomination et de dissolution; le mode de sélection des personnes appelées à faire partie du Conseil exécutif, tel qu’établi par la loi territoriale, demeure la même.
L’énigme de la confiance était le thème d’une récente discussion organisée par le Groupe régional des Territoires du Nord-Ouest de l’Institut d’administration publique du Canada. On nous a demandé de débattre pour : qu’il soit résolu qu’il y a vraiment une convention sur la confiance dans un gouvernement de consensus. Ni ce débat ni le présent article ne régleront définitivement la question, et les points de vue exprimés ici sont seulement ceux de deux personnes et ne constituent en rien une position officielle; mais en explorant la question, nous aidons à départager les facteurs qui méritent peut être plus d’attention au moment de déterminer comment les conventions canadiennes en matière de gouvernement responsable s’appliquent au régime de gouvernement de consensus en place dans le Nord.
Retour du gouvernement responsable dans le Nord
Les gouvernements territoriaux au Canada sont établis par des lois fédérales plutôt que par constitutionnalisation. Il n’y a pas de Couronne du chef des Territoires du Nord-Ouest. Toutefois, au cours des 50 dernières années, et plus particulièrement au cours des 15 dernières, les trois gouvernements territoriaux ont acquis des pouvoirs semblables à ceux des provinces et sont généralement considérés comme des unités infranationales autonomes.
Le premier gouvernement responsable des Territoires du Nord-Ouest a vu le jour au XIXe siècle, après la vente de terres au Dominion du Canada par la Compagnie de la Baie d’Hudson, en 1869. C’est à ce moment qu’a été créé le Conseil des Territoires du Nord-Ouest, composé d’un amalgame de membres nommés et de membres élus. Ce conseil mixte a fini par céder sa place à un conseil entièrement élu et un système de gouvernement responsable est apparu en 1897, sous la direction du premier premier ministre des Territoires du Nord-Ouest, Frederick Haultain3.
Après la création de l’Alberta et de la Saskatchewan en 1905, le gouvernement responsable des Territoires du Nord-Ouest a été mis en veilleuse : pendant près d’un demi-siècle, le territoire a été administré par des fonctionnaires depuis Ottawa; en 1951, un premier représentant a été élu pour faire partie du Conseil territorial; dès 1960, le Conseil était constitué d’un nombre égal de membres élus et de membres nommés; et en 1975, enfin, tous les membres du Conseil étaient élus. Ce n’est que 12 ans plus tard, soit en 1987, que le commissaire a officiellement cessé d’assumer la présidence du Conseil exécutif. Depuis, nous, dans les Territoires du Nord-Ouest comme partout ailleurs dans les provinces et territoires, faisons une distinction entre l’organe exécutif officiel (le commissaire) et le pouvoir exécutif actif (le Cabinet)4.
Le commissaire, bien qu’il exerce ses fonctions « sur le plan pratique, d’une façon semblable aux fonctions d’un lieutenant-gouverneur d’une province », demeure le représentant du ministre fédéral responsable5. Il vaut également la peine de rappeler que la locution utilisée dans la loi pour désigner l’assemblée législative territoriale – le « Conseil » – a continué d’avoir cours depuis peu après la Confédération jusqu’au printemps dernier, soit à peine trois ans avant le cent cinquantième anniversaire du Canada.
Le gouvernement de consensus est le système législatif en vigueur dans les Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut. Les caractéristiques communes du gouvernement de consensus sont les suivantes : aucun parti politique enregistré, un mandat stratégique établi par tous les membres élus, un premier ministre et un cabinet élus par l’ensemble des membres dont la situation demeure perpétuellement minoritaire, aucune opposition officielle, un rôle important pour les comités législatifs et une prédisposition au dialogue civil.
La culture politique territoriale, depuis les débuts de la colonisation jusqu’à nos jours, a toujours évité l’organisation partisane. Il est généralement reconnu que l’évolution du régime de gouvernement par consensus du Nord s’inspire des structures décisionnelles traditionnelles des collectivités autochtones. D’un point de vue historique, il y a peut-être lieu de douter de cette affirmation puisque les structures de gouvernance dans le Nord ont été érigées bien avant que les résidents autochtones ne puissent même voter. Les plus récentes recherches mettent en doute cette revendication révisionniste et affirment que la conception des institutions dans le Nord n’est pas tant motivée par la sensibilité culturelle d’Ottawa que par le désir du gouvernement fédéral d’avoir en place des représentants nommés pour garder le contrôle sur les décisions prises par les conseils exécutifs dans l’Ouest et dans le Nord6. Cela dit, on sent dans la politique territoriale actuelle, l’influence des coutumes des Dénés, des Inuits et des Métis en matière de gouvernance.
Malgré les adaptations apportées au modèle de Westminster, le gouvernement territorial moderne est généralement considéré comme un gouvernement responsable. Les membres de l’appareil exécutif sont recrutés parmi un ensemble de représentants élus qui conseillent un gouverneur nommé – dans ce cas-ci, le commissaire – qui est tenu par convention de se conformer aux avis qui lui sont adressés. Toutefois, contrairement aux provinces, le commissaire n’est pas tenu de s’en tenir uniquement aux avis de son premier ministre. La plus récente lettre d’instruction du ministre fédéral responsable au commissaire indique clairement les exigences quant à la provenance des avis :
Conformément aux conventions constitutionnelles canadiennes, vous devez vous conformer à l’avis de votre premier ministre, du Conseil exécutif et de l’Assemblée législative et agir avec leur consentement dans tout ce qui se rapporte à une politique adoptée au sujet du territoire et aux décisions administratives qui sont de votre ressort. Il n’y a que peu d’exceptions au regard desquelles c’est votre premier ministre seul qui a le pouvoir de vous donner des directives7.
Ce qui ne relève pas des conventions constitutionnelles canadiennes, ce sont les nombreuses sources d’avis adressés au commissaire et le rôle consultatif relativement limité du premier ministre. Les situations où « c’est [le] premier ministre seul qui a le pouvoir de […] donner des directives » ne sont pas énumérées en détail dans les lettres d’instruction ni non plus dans une loi8.
Le commissaire territorial a des conseillers légitimes au sein de l’appareil exécutif et de l’appareil législatif. En réalité, la situation n’est peut-être pas aussi complexe ou exceptionnelle qu’elle n’y paraît à première vue. À de nombreux égards, les avis adressés au commissaire proviennent de sources prévisibles : le pouvoir exécutif propose et le pouvoir législatif dispose. Il existe toutefois une grande différence – qui est des plus pertinentes dans le contexte de notre examen de la convention sur la confiance – et elle réside dans la façon dont le commissaire vient à savoir qui nommer au Conseil exécutif.
Dans un système de partis, les ministres sont nommés par la Couronne sur la recommandation du premier ministre. Autrement dit, le premier ministre choisit son cabinet. Il en va autrement dans un gouvernement de consensus. Le ministre fédéral indique clairement dans sa lettre d’instruction que les nominations doivent être faites sur l’avis de « l’entité autorisée à faire une recommandation9 ». Selon la loi territoriale, le premier ministre est « choisi » par l’Assemblée législative, et toute autre personne nommée au Conseil exécutif doit être « recommandée » au commissaire par l’Assemblée législative10. Cette façon de décider de la composition du Conseil exécutif est abordée plus en détail ci-dessous.
Bien que les premiers ministres n’aient pas le pouvoir de décider qui siégera avec eux au Conseil exécutif, l’attribution des portefeuilles ministériels aux membres du Conseil exécutif demeure leur prérogative. Ils conservent donc le contrôle d’un mécanisme qui est essentiel au pouvoir exécutif dans un gouvernement de type britannique.
Du neuf avec du vieux
Il ressort clairement des lettres d’instructions envoyées successivement par les ministres fédéraux responsables aux commissaires territoriaux que le rôle de l’organe exécutif officiel doit « continue[r] d’évoluer à l’appui d’un gouvernement responsable dans les Territoires du Nord-Ouest11 ». Cette position de principe se reflète dans les modifications apportées par le Parlement en 2014 à la Loi fédérale sur les Territoires du Nord-Ouest12.
Plus tôt cette année-là, le gouvernement fédéral avait transféré une grande partie de la responsabilité de l’administration des terres et des ressources au gouvernement territorial. Parallèlement, la Loi a été modifiée pour rectifier certains aspects des rouages du gouvernement. Ces changements peuvent avoir un lien direct avec la question de savoir s’il y a ou non une convention sur la confiance dans un gouvernement de consensus et, le cas échéant, comment cette convention peut s’appliquer.
Deux changements méritent d’être soulignés. Premièrement, selon la version modifiée de l’article 8 de la Loi, un Conseil exécutif formé de membres nommés par le commissaire est établi. Auparavant, il y avait un organe exécutif dont les membres étaient nommés par le commissaire, mais seule la loi territoriale le reconnaissait; le pouvoir exécutif existait uniquement dans la loi fédérale « dans la mesure où ce pouvoir s’appliqu[ait]13 ». Deuxièmement, selon la version modifiée de l’article 11 de la Loi, c’est le commissaire qui accorde maintenant la dissolution. Auparavant, la dissolution ne pouvait être accordée que par le gouverneur en conseil au moyen d’un décret fédéral. Ces deux amendements modifient expressément le pouvoir de l’organe exécutif officiel dans les Territoires du Nord-Ouest.
Nous nous attarderons maintenant à tour de rôle sur chacun de ces deux amendements et sur leur lien avec l’application de la convention sur la confiance.
Nomination et destitution
La structure de gouvernement dans les Territoires du Nord-Ouest est telle que les membres du Conseil exécutif sont expressément nommés par le commissaire. Pourtant, d’après la loi territoriale, les membres du Conseil exécutif, sont respectivement « choisis » et « recommandés » par l’Assemblée législative et non par le premier ministre. De plus, l’avis de démission d’un membre du Conseil exécutif doit être transmis au Président, et non au premier ministre ou au commissaire; et selon le droit territorial, la démission entre en vigueur dès que cet avis est remis14. Le commissaire nomme les membres du Conseil exécutif, mais la destitution légitime d’un membre du Conseil exécutif n’exige aucune intervention de la part de l’organe exécutif officiel, ni de la part des instances exécutives15. Ces axes de responsabilité diffèrent sensiblement de ceux associés au modèle classique de gouvernement responsable.
Ce mode de fonctionnement peut paraître quelque peu contradictoire : les membres du Conseil exécutif sont nommés par le commissaire, mais ils cessent de faire partie de cette entité sur l’avis du Président. Comment une entité politique peut-elle avoir le pouvoir de procéder à une nomination, mais pas celui de révoquer cette même nomination? Ce mode de fonctionnement peut être plus courant qu’il n’y paraît à première vue. Par analogie, notons que les juges de la Cour suprême sont nommés par le gouverneur en conseil, mais ne peuvent être révoqués que par le gouverneur général sur adresse du Sénat et de la Chambre des communes16. Le pouvoir de nomination et de révocation n’est pas toujours conféré à la même entité. Ce processus de nomination et de révocation accentue l’importance considérable de la Chambre dans le régime de gouvernement par consensus.
Dans notre réflexion à propos de la convention sur la confiance, il importe de faire une distinction entre le Conseil exécutif en tant qu’entité et ceux qui en font partie à titre individuel. En vertu du droit territorial, les membres du Conseil exécutif « occupent leur poste à titre amovible, sous réserve de révocation par l’Assemblée législative17 ». La loi n’est guère explicite quant aux motifs d’une telle révocation, mais il reste que celle-ci est possible.
En vertu de la convention constitutionnelle canadienne, lorsqu’un ministre a perdu la confiance de l’assemblée législative, la voie honorable à suivre consisterait normalement pour lui à démissionner. Ce n’est pas toujours ce qui se produit. Par contre, alors que dans un système de partis, un ministre dont la démission est réclamée, disons par l’opposition, peut être défendu par son chef de parti et rester en poste; dans le régime de gouvernement par consensus, un ministre dont la démission est activement réclamée par une majorité de législateurs peut simplement être éjecté18. Il existe de nombreux exemples dans l’histoire des gouvernements de consensus où des ministres ont vu leur mandat être révoqué par la Chambre. Ces exemples relèvent toutefois de la doctrine de la responsabilité ministérielle et non de la convention sur la confiance.
Les législateurs territoriaux n’ont jamais récusé un premier ministre et tous les ministres en même temps. Ils ont parfois été à un cheveu de le faire. Ça a été le cas en 2009 à la suite des allégations de conflit d’intérêts formulées à l’endroit du premier ministre de l’époque, Floyd Roland. La Chambre a été saisie d’une motion visant à révoquer officiellement « au gré de l’Assemblée, les nominations du premier ministre et de tous les membres du Conseil exécutif à compter du lundi 9 février 2009 […] » et à obtenir « qu’un premier ministre et un Conseil exécutif soient choisis sans délai et que le commissaire soit informé des nominations recommandées dans les plus brefs délais19 » La motion a été rejetée, mais la convention sur la confiance a été mise à l’épreuve.
C’est là la façon la plus élémentaire de tester la confiance : un vote sur une motion de défiance claire. Même dans un régime de gouvernement par consensus, l’adoption d’une telle motion oblige le commissaire à nommer de nouveaux membres au Conseil exécutif, dès réception de l’avis de l’assemblée législative, mais elle n’entraîne pas nécessairement le déclenchement d’une élection générale.
D’autres applications de la convention sur la confiance soulèvent toutefois plus d’ambigüité. Toujours en 2009, Tim Mercer, greffier de l’Assemblée législative, déclarait dans un témoignage sous serment :
Certaines situations semblables, normalement considérées comme l’expression d’une perte de confiance, ont bien failli se produire. Par exemple, si le ministre des Finances avait dû déposer un projet de loi d’exécution du budget et que celui-ci avait été défait, il est généralement entendu que cela aurait suffi à exprimer une perte de confiance. Or, la confiance n’est jamais remise en cause dans notre régime de gouvernement. Je pense que tant qu’elle ne le sera pas et que la Chambre ne se dotera pas de conventions à cet égard, il subsistera toujours un doute quant à la façon dont la convention sur la confiance doit s’appliquer dans notre régime de gouvernement20.
Ces observations éclairées méritent d’être analysées. Le greffier n’exclut pas l’existence de la convention, mais exprime simplement des doutes au sujet de son application. D’aucuns pourraient établir des parallèles avec des situations qui se sont produites au sein d’autres assemblées législatives de type britannique, lorsque le gouvernement en place a perdu des votes, mais pas nécessairement la confiance de l’assemblée législative. Heard nous rappelle que les gouvernements au Canada et au Royaume-Uni « ont subi un certain nombre de défaites législatives au fil des ans, plus récemment depuis le début des années 1970, sans que ces défaites ne soient considérées comme l’expression d’une perte de confiance21 ».
Dans un système de partis tout comme dans un régime de gouvernement par consensus, ce n’est pas tant le fait de gagner ou de perdre certains votes qui importe; c’est plutôt la capacité du pouvoir exécutif de conserver l’appui de la majorité et d’ainsi continuer de gouverner. Dans cet esprit, voici ce qu’a conclu la Cour fédérale du Canada : « La perte de la confiance de la Chambre envers le gouvernement est un fait qui n’a pas de définition stricte, et elle exige souvent du premier ministre qu’il exerce son jugement22 ». Dans un régime de gouvernement par consensus, ce n’est pas tant le premier ministre que la Chambre qui doit exercer son jugement.
Il est clair que la Chambre a suffisamment de pouvoir pour retirer son appui au gouvernement précédemment nommé et pour informer le commissaire du nouveau premier ministre et du nouveau Conseil exécutif qu’elle a choisis. L’aspect le plus complexe et le plus contesté de la convention sur la confiance est la dissolution anticipée.
Dissolution
Le pouvoir de dissoudre l’Assemblée législative et d’ordonner la délivrance de brefs en vue de la tenue d’une élection générale appartient au commissaire. Selon la convention constitutionnelle canadienne et les lettres d’instruction, il ne peut toutefois l’exercer que sur l’avis de l’entité compétente.
Il n’existe aucune preuve ou raison logique qui permette de penser que, dans un régime de gouvernement par consensus, le premier ministre est l’entité habilitée à demander la dissolution. Lors des élections précédentes, c’est le Président qui a demandé la dissolution au gouverneur en conseil, à la suite d’une résolution de l’Assemblée législative. Il s’ensuit donc que la prérogative de demander la dissolution n’appartient ni au premier ministre, ni au Président. C’est plutôt l’Assemblée législative qui est l’entité compétente pour demander au commissaire de dissoudre l’Assemblée et pour ordonner au directeur général des élections de délivrer des brefs d’élection pour toutes les circonscriptions.
Pour qu’une dissolution ait lieu avant la date fixée, l’Assemblée législative doit informer le commissaire en conséquence, apparemment au mépris de sa propre loi23. Le procédé n’est peut-être pas si extrême. La Chambre des communes et plusieurs assemblées législatives provinciales qui ont opté pour des élections à date fixe sont déjà allées aux urnes prématurément24. Dans ces systèmes gouvernementaux, malgré l’adoption de mesures prévoyant la tenue d’élections à date fixe, les pouvoirs respectifs du gouverneur général et des lieutenants-gouverneurs demeurent intacts et la Loi électorale protège explicitement la discrétion et le pouvoir du gouverneur général de dissoudre l’assemblée législative25.
Un libellé analogue est utilisé dans la loi territoriale. Sur la question de la durée du mandat de l’Assemblée, la disposition pertinente de la Loi sur l’Assemblée législative et le Conseil exécutif pose d’abord une condition : « Sous réserve du pouvoir qu’a le commissaire de dissoudre l’Assemblée législative en vertu du paragraphe 11(1) de la Loi sur les Territoires du Nord-Ouest […] » C’est ce qui nous permet de soutenir qu’une assemblée a le droit et le pouvoir de demander une dissolution anticipée.
Il existe une bonne raison pour protéger le pouvoir de dissolution. Par exemple, lorsqu’une assemblée ingouvernable, c’est-à-dire lorsqu’aucun gouvernement, quelle que soit sa composition, n’est en mesure de conserver la confiance de l’assemblée et d’adopter des lois, il sera dans l’intérêt supérieur de la population d’aller aux urnes. De même, lorsqu’une assemblée fait fi de la date fixée pour tenir une élection et prolonge son mandat au-delà de la durée maximale prévue, il sera dans l’intérêt supérieur de la population que le gouverneur en conseil donne instruction au commissaire d’exercer son pouvoir de dissolution26.
Si certains voient le pouvoir de dissolution et son application comme une entorse au processus démocratique de la part du pouvoir exécutif, le maintien du pouvoir conféré à l’organe exécutif officiel de dissoudre une assemblée est en réalité un rempart qui protège le gouvernement responsable en garantissant qu’en cas de situations exceptionnelles, les décisions relatives à la représentation reviendront inévitablement à la population.
Conclusion
La convention sur la confiance est le fondement du gouvernement responsable27. L’évolution du gouvernement responsable dans les Territoires du Nord-Ouest se reflète dans les changements apportés au fil du temps aux lois, aux systèmes de représentation, aux rouages du gouvernement, aux sphères de compétences et à la procédure.
Il demeure que les institutions ont besoin de temps pour mettre en œuvre des critères pratiques pour arriver à mieux comprendre comment appliquer convenablement les conventions généralement reconnues. L’application des conventions est d’autant plus complexe lorsqu’il subsiste un élément de doute quelque part, comme c’est le cas avec la convention sur la confiance, et lorsque les institutions du gouvernement sont conçues de manière à refléter des cultures étrangère et autochtone, comme c’est le cas dans les Territoires du Nord-Ouest.
Il y a un doute légitime quant à la question de savoir si et comment la convention sur la confiance s’applique dans le régime de gouvernement par consensus du Nord. En l’absence de pouvoirs autonomes explicites de nommer des membres au Conseil exécutif et de dissoudre l’assemblée, comme c’était le cas dans les Territoires du Nord-Ouest avant le 1er avril 2014, il est facile de comprendre pourquoi la convention peut avoir été jugée entièrement inapplicable.
Étant donné les récents changements apportés à la Loi sur les Territoires du Nord-Ouest et à la lumière des nouvelles conventions régissant la révocation des membres du Conseil exécutif, il est maintenant possible d’affirmer sans risque de se tromper que la convention sur la confiance pourrait s’appliquer dans les Territoires du Nord-Ouest un peu de la même façon qu’elle l’est dans les systèmes de partis. La prérogative de la Chambre, qui est mise en valeur et codifiée dans un gouvernement de consensus, limite cependant le pouvoir discrétionnaire du premier ministre et atténue le pouvoir de l’appareil exécutif, si souvent décrié dans les autres assemblées législatives au Canada.
Notes
1 John Duncan, lettre du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien à George Tuccaro, commissaire, 6 octobre 2010, p. 1.
2 La première élection générale à s’être tenue dans les Territoires du Nord-Ouest conformément à la loi sur les élections à date fixe a eu lieu en octobre 2007.
3 Lewis Herbert Thomas, The Struggle for Responsible Government in the North-West Territories: 1870 – 1897, Toronto, University of Toronto Press, 1956.
4 Mark O. Dickerson. Whose North? Political Change, Political Development, and Self-Government in the Northwest Territories, Vancouver, UBC Press, 1992.
5 Duncan, op. cit., p. 2.
6 Ailsa Henderson, Nunavut: Rethinking Political Culture, Vancouver, UBC Press, 2007, chap. 5; Jerald Sabin, « Contested Colonialism: Responsible Government and Political Development in Yukon », Canadian Journal of Political Science, à venir, 2014.
7 Duncan, op.cit., p. 1.
8 Il semble que cela respecte les traditions canadiennes de gouvernement responsable (voir David E. Smith, The Invisible Crown: The First Principle of Canadian Government, Toronto, University of Toronto Press, 1991); plus récemment par contre, certains universitaires ont fait valoir que ces rapports devaient être codifiés (voir Peter Aucoin et coll., Democratizing the Constitution: Reforming Responsible Government, Toronto, Emond Montgomery, 2011).
9 Duncan, op. cit., p. 2.
10 Loi sur l’assemblée législative et le conseil exécutif, LTN-O 1999, ch. 22, art. 61(1) (ci-après désignée la « LALCE »).
11 Duncan, op. cit., p. 2. Les lettres d’instructions aux commissaires précédents transmettent le même message.
12 Loi sur les Territoires du Nord-Ouest, L.C. 2014, ch. 2.
13 Loi sur les Territoires du Nord-Ouest, L.R.C. (1985), ch. N-27, art. 6.
14 Il est intéressant de mentionner qu’avant 2011, il n’y avait aucune disposition permettant à un membre de démissionner; voir LTN-O 2011, ch. 11, qui est entrée en vigueur le 3 octobre 2011 (jour du scrutin de l’élection générale).
15 Toutefois, les archives gouvernementales indiquent qu’en 2001 (Groenewegen) et en 2008 (Yakeleya), le commissaire a effectivement rendu des ordonnances de révocation sur l’avis de l’Assemblée législative et en invoquant la LALCE.
16 Loi sur la Cour suprême, L.R.C. (1985), ch. S-26, art. 4(2) & 9.
17 LALCE, op. cit., art. 61(2).
18 Graham White. Cabinets and First Ministers, Vancouver, UBC Press, 2005, p. 61.
19 Jane Groenewegen, députée de Hay River South. Motion 8-16(3): Revocation of Appointments of the Premier and Executive Council, Assemblée législative des Territoires du Nord-Ouest.
20 Ted Hughes. Disposition Report of Sole Adjudicator, TB 35-16(4), 30 octobre 2009, p. 10.
21 Andrew Heard. Canadian Constitutional Conventions: The Marriage of Law and Politics, Toronto, Oxford University Press, 1991, p. 69.
22 Conacher c. Canada (Premier ministre), 2009 CF 920, [2010] 3 R.C.F. 411, paragr. 59; voir aussi Donald Desserud, « La convention sur la confiance dans le système parlementaire canadien », Perspectives parlementaires, no 7, Groupe canadien d’étude des Parlements, 2006, p. 13-14.
23 La tenue d’élections à date fixe est établie par la LALCE, op. cit., art. 3, et la Loi sur les élections et les référendums, LTN-O 2006, ch. 15, art. 39(5).
24 Par exemple, l’élection fédérale de 2011 a été déclenchée avant la date fixée; et plusieurs assemblées législatives provinciales ont tenu des élections avant la date normalement prévue lorsqu’elles étaient en situation de gouvernement minoritaire
25 Conacher c. Canada (Premier ministre), 2010 CAF 131, [2011] 4 R.C.F. 22.
26 L’idée qu’une assemblée puisse être malhonnête est évoquée dans Doug Stolz. « Élections à date fixe, dissolution du Parlement et tribunaux », Revue parlementaire canadienne, vol. 33, no 1, 2010, p. 15-20.
27 Heard, op. cit., à 68; Eugene Forsey, « The Question of Confidence in Responsible Government », dans Christian Leuprecht et Peter H. Russell (éd.), Essential Readings in Canadian Constitutional Politics, Toronto, University of Toronto Press, 2011, p. 33.
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