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Will Stos

O.D. Skelton: The Work of The World, 1923-1941, par Norman Hillmer, McGill-Queen’s University Press, Montréal et Kingston, 2013, 517 p.

Nombre de fonctionnaires s’accorderont pour dire que leur profession peut être source de grande satisfaction personnelle, mais rares sont ceux qui déclarent qu’ils l’ont choisie dans le but de devenir célèbres. Certains soutiendront même que la célébrité – en bien ou, pis encore, en mal – est exactement ce qu’un fonctionnaire doit éviter à tout prix. Leur vie professionnelle se passe surtout dans l’ombre tandis que leur ministre sert de façade publique à leurs efforts, leurs succès et leurs échecs collectifs.

Cela étant, il est rafraîchissant de voir un historien s’intéresser au travail d’un fonctionnaire dont les premiers ministres libéraux comme conservateurs ont recherché les avis sur la politique étrangère à une époque de grands bouleversements internationaux. Publié sous la direction de Norman Hillmer, professeur de l’Université Carleton, le recueil de notes officielles, d’extraits de journal et de lettres d’Oscar Douglas Skelton brosse le portrait d’un fonctionnaire chevronné, mais aussi de l’homme derrière les notes. Dans son l’introduction, Hillmer met en contexte les documents annotés qu’il a retenus. En les rangeant par ordre chronologique et par période ou événement, il ouvre une fenêtre sur le monde d’un biographe compulsant les archives.

Lorsque Skelton entre au ministère des Affaires extérieures en 1923, le premier ministre William Lyon Mackenzie King juge son anti-impérialisme (à l’égard du moins de l’Empire britannique au Canada) tout indiqué pour doter le Canada d’une politique étrangère indépendante. La nouvelle recrue fera presque immédiatement sa marque avec une note intitulée « Le Canada et le contrôle de la politique étrangère », que King apporte à la première conférence impériale à laquelle il prend part comme premier ministre.

Certains historiens ne voient dans ce canevas de politique étrangère que l’œuvre d’un apparatchik (Skelton évoluait depuis quelque temps dans les cercles libéraux et avait travaillé pour King à la fin du gouvernement de Laurier) et la réponse à des problèmes qui ne se posaient plus vu l’évolution des visées de la Grande-Bretagne sur ses dominions et ses colonies. Toutefois, dans son introduction, Hillmer soutient que, bien qu’elle soit manifestement d’inspiration partisane, la note de Skelton s’inscrivait en faux contre l’insistance que mettait la Grande-Bretagne sur l’« unité diplomatique » et contre le renvoi au Foreign Office des grandes affaires. Il note en outre que les interventions de Skelton, qui ont joué un rôle dans les avancées constitutionnelles des dominions, ont, selon le premier ministre de l’Afrique du Sud, contribué à faire de la conférence impériale la « conférence du Canada ».

Les annotations judicieuses de Hillmer ajoutent aux textes choisis contexte et couleur. Par exemple, dans un extrait de la fameuse note de 1923, Hillmer fait état d’une marque d’approbation (« très bien » de Mackenzie King en marge d’un passage où il est dit que, bien que chaque partie de l’Empire ait ses propres sphères d’intérêt, ces sphères se recoupent parfois et certains intérêts sont communs. D’autres notes offrent d’utiles explications historiques, présentent les protagonistes ou contiennent des citations à explorer.

Hillmer prend soin de noter que Skelton « n’était ni antibritannique ni anti-impérial. C’était l’impérialisme et les agents de l’impérialisme qui étaient ses ennemis » (p. 13). En fait, dans sa vision du monde, le Canada formait l’Amérique du Nord britannique et la Grande-Bretagne l’Europe de l’Ouest britannique.

Malgré ses antécédents partisans, Skelton est resté en poste à l’avènement du gouvernement conservateur de R. B. Bennett en 1930. Il y a bien eu au début des appréhensions et des divergences de vues qui ont poussé Bennett à envisager de le congédier, mais Skelton, note Hillmer, s’est vite avéré indispensable.

Au retour au pouvoir des libéraux de King, la situation en Europe se détériorait au point de faire craindre le renouvellement des hostilités. Craignant l’éclatement de tensions internes au Canada, Skelton préconisait une politique isolationniste à l’approche de la Seconde Guerre mondiale et s’est déclaré déçu quand King a affirmé qu’il était hors de question que le Canada ne participe pas à une guerre britannique contre l’Allemagne. Skelton estimait que la méfiance des francophones du Canada était « vraiment canadienne » (p. 44) tout en notant qu’une majorité appuierait la participation à la guerre pourvu qu’il n’y ait pas de conscription. Les tendances isolationnistes du fonctionnaire ne l’empêchaient pas de reconnaître que la guerre était probable et ses vues sur le conflit se sont mises à changer quand l’Allemagne a envahi la France et jeté son dévolu sur la Grande-Bretagne.

Lors de son décès prématuré au beau milieu d’une période particulièrement sombre de la Seconde Guerre mondiale, Lester B. Pearson, alors en poste au bureau du haut-commissaire du Canada à Londres, a déclaré qu’il « était rare que dans une organisation la disparition d’un homme laisse un tel vide » (p. 55). Le doigté avec lequel Hillmer traite ces documents confirme dans l’esprit du lecteur l’éloge de Pearson.

Grâce à son expérience et à sa connaissance de la politique internationale du Canada au XXe siècle, le chercheur prolifique qu’est Hillmer nous offre une exploration éclairante de la vie professionnelle de Skelton dans les allées du pouvoir.

Will Stos
Rédacteur en chef
Revue parlementaire canadienne


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Vol 37 no 2
2014






Dernière mise à jour : 2020-09-14