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Myrna Driedger, députée provinciale
Cet article traite de certaines des raisons qui tendent à décourager les femmes de se porter candidates à des charges électives et des raisons pour lesquelles une participation accrue des femmes est souhaitable.
Au Parlement du Canada, les femmes représentent seulement 24 % des parlementaires élus. En 2007, au Manitoba, nous avons franchi de peu le seuil magique des 30 % de législatrices élues. Or, aux élections de 2011, ce pourcentage est redescendu à 27 % : nous avons perdu du terrain. Au total, les femmes détiennent seulement environ 20 % des sièges dans les parlements du monde entier. Toutefois, ce n’est pas seulement en politique que le nombre de femmes est faible. Au Canada, seuls 10 % des membres des conseils d’administration des sociétés ouvertes sont des femmes et seuls 29 % des cadres supérieurs au Canada sont de sexe féminin.
En 1943, une brochure intitulée Guide to Hiring Women (Guide sur l’embauchage des femmes), écrite par des superviseurs de sexe masculin durant la Seconde Guerre mondiale, faisait les observations suivantes :
- Choisissez des femmes jeunes et mariées. Elles ont généralement un plus grand sens des responsabilités que leurs consœurs célibataires, elles sont moins susceptibles de flirter et elles ont besoin de travailler, sinon elles ne le feraient pas. Elles ont encore l’énergie et l’intérêt qu’il faut pour travailler fort et avoir des rapports efficaces avec le public.
- Si vous devez employer des femmes plus âgées, essayez d’en trouver qui ont déjà travaillé hors du foyer à un moment quelconque de leur vie. Les femmes plus âgées qui n’ont jamais eu de contacts avec le public ont de la difficulté à s’adapter et sont enclines à être irascibles et à faire des histoires. Il est toujours bon de bien faire comprendre aux femmes plus âgées l’importance de la gentillesse et de la courtoisie.
- Accordez à chaque fille un nombre approprié de pauses au cours de la journée. Vous devez tenir compte de la psychologie féminine. Une fille est plus confiante et plus efficace si elle peut se recoiffer, réappliquer du rouge à lèvres et se laver les mains plusieurs fois par jour.
Nous avons parcouru beaucoup de chemin depuis – mais, même en 2013, il en reste encore à parcourir. La vie politique n’est facile pour personne – mais elle continue d’être redoutable pour les femmes. Et, comme on le constate aujourd’hui, les progrès accomplis par les femmes sont au point mort. Le nombre de femmes en politique n’a guère changé depuis une décennie.
Donc, la représentation des femmes dans ces diverses sphères est faible, bien que les femmes représentent 52 % de la population mondiale. C’est ce que l’on appelle un déficit démocratique. Cela signifie que, lorsque vient le temps de prendre les décisions qui ont le plus de répercussions sur notre monde, la voix des femmes n’est pas entendue de façon équitable.
Cela change-t-il vraiment quelque chose?
Selon les Nations Unies, un seuil d’au moins 30 % de législateurs de sexe féminin est nécessaire pour que les politiques publiques en viennent à refléter les besoins des femmes. Ainsi, la question de la démocratie se situe au cœur même de ce débat.
Si la population mondiale est composée à 52 % de femmes, celles-ci sont-elles bien représentées si seuls 20 % de leurs représentants élus sont de sexe féminin? La réponse est un NON catégorique – et qu’il existe un déficit démocratique.
Cela a de l’importance, car les femmes mettent à contribution une expérience unique dans l’arène politique. Leur expérience de vie est différente de celle des hommes et leur point de vue sur les enjeux peut aussi être différent. Leur présence a pour effet de rehausser la qualité du débat ainsi que d’élargir et d’équilibrer les points de vue stratégiques sur une large gamme d’enjeux importants. Elle permet un brassage d’idées plus nombreuses et de plus vaste portée. Cela ne signifie pas que les femmes ont une meilleure perspective que les hommes – il s’agit tout simplement d’une perspective différente.
Permettez-moi de vous donner un exemple. Durant la guerre du Kosovo, Nancy Pelosi, législatrice américaine, était membre du Comité des affaires étrangères du Congrès des ÉtatsUnis. Le Comité autorisait l’affectation de milliards de dollars à la reconstruction du Kosovo. Nancy est allée plus loin. Elle s’est renseignée sur les femmes qui avaient été maltraitées et violées pendant le conflit. Elle voulait savoir ce qu’il était advenu de ces femmes. Elle comprenait que, si l’on ne remédiait pas à la tragique situation des femmes, il n’y aurait plus de cellule familiale et il deviendrait impossible de faire se développer une société dynamique. Si Nancy n’avait pas été là et si elle n’avait pas compris cela, le Comité n’aurait trouvé que l’argent nécessaire pour reconstruire le Kosovo. Elle a fait un pas de plus afin de reconstruire la famille.
Quand je repense aux quelques dernières décennies, je constate qu’il y a certaines questions en faveur desquelles les législatrices ont exercé des pressions soutenues. Ce sont surtout les femmes qui luttent pour l’amélioration des soins aux enfants; ce sont les femmes qui ont lutté contre la violence au foyer; ce sont les femmes qui luttent pour de meilleurs soins maternels. Les femmes se soucient de la criminalité et de l’éducation, des impôts et de l’économie, sans parler de la conservation, mais il y a aussi certains enjeux dont elles semblent s’être faites les championnes. Les recherches montrent que, dans une entreprise où un plus grand nombre de femmes jouent des rôles de leadership au sein du conseil d’administration et de la haute direction… l’entreprise fait plus d’argent!
À la Banque TD, les femmes occupent le tiers des postes de la direction et du conseil d’administration. La directrice financière de TD affirme que cela a accru la puissance, la souplesse et la durabilité de la Banque. Bon nombre des grandes banques ont assuré une représentation plus importante des femmes au sein de leur organisation. La Financière Manuvie a aussi accompli de grands progrès à cet égard.
Les femmes en milieu de travail ne sont plus des « femmes alibis »
Nous ne devons pas tenter de recruter des femmes en politique uniquement parce que nous espérons que cela nous aidera à remporter certains sièges – nous ne sommes pas de simples accessoires. Nous devons recruter des femmes parce que les femmes apportent quelque chose de plus au débat – une perspective unique qui contribuera à l’élaboration de meilleures politiques. C’est cela qui doit être l’essentiel.
Il s’agit de travailler à combler le déficit démocratique. Et les hommes ne sont pas l’ennemi. Nous devons être des partenaires sur un pied d’égalité avec eux dans nos efforts en vue de combler l’écart. Il y a bien des hommes qui ont à cœur de nous aider dans cette entreprise.
Récemment, j’ai prononcé un discours thème lors d’une conférence manitobaine qui réunissait des femmes en génie, en sciences, dans les métiers et en technologie. C’était la toute première conférence de ce groupe et l’objectif consistait à renforcer le pouvoir d’action des femmes. Alors que les femmes représentent une personne sur quatre en politique, elles représentent seulement une personne sur onze en génie. Ces femmes reconnaissent la nécessité de corriger ce déséquilibre. Elles tentent d’augmenter leur nombre – tout en reconnaissant qu’elles ont énormément de chemin à rattraper. Dans bien des professions, par exemple la médecine, le fossé entre les sexes s’est rétréci; mais dans d’autres, comme le génie, les médias et les finances, cela ne s’est pas produit.
Pourquoi devons-nous nous préoccuper du fossé entre les sexes?
Les questions d’égalité entre les sexes n’avaient jamais été une préoccupation centrale pour moi lorsque je suis entrée en politique. Je ne me suis jamais assise à la table de mon caucus en voyant mes collègues comme étant soit des hommes, soit des femmes. Je nous considérais tous comme égaux, puisque nous nous étions tous rendus là de la même façon. Nous l’avions mérité! Nous nous étions battus pour arriver là!
Ainsi, je n’ai jamais pris en compte les différences entre les sexes dans ma vision du monde, mais il y a beaucoup de gens qui le font et nous ne pouvons plus fermer les yeux là-dessus. La société perd trop si cette vision reste incontestée. Néanmoins, il y a des défis uniques auxquels les femmes sont confrontées. J’ai eu connaissance de certains d’entre eux en en faisant moimême l’expérience; il y en a d’autres dont j’ai appris l’existence en m’entretenant avec des femmes, partout au Canada et dans le monde entier; il y en a d’autres encore que j’ai discernés en observant les gens; enfin, il y en a d’autres que j’ai découverts en effectuant de multiples recherches.
La professeure et auteure américaine Jennifer Lawless a étudié plusieurs milliers de candidats à des charges électives et elle a conclu que les femmes apprennent, par la socialisation, à garder leurs distances par rapport à la politique. Cela n’en étonnera guère. Ses constatations ont montré que de nombreuses femmes ne veulent pas travailler dans une culture de la confrontation, qu’elles ne veulent pas exposer publiquement leur vie privée et qu’elles se soucient de l’équilibre entre le travail et la vie personnelle. Elle a aussi observé que la responsabilité des tâches familiales continue de reposer essentiellement sur les épaules des femmes et que beaucoup de femmes ont moins confiance en elles et ont moins d’ambition politique que les hommes. Elle a constaté que de nombreuses femmes ambitieuses et talentueuses s’abstiennent de se porter candidates aux élections, quittent des entreprises de haut vol et préfèrent de petites compagnies, leur propre entreprise ou des organismes sans but lucratif – des structures au sein desquelles elles peuvent faire avancer les choses, qui s’accordent davantage avec leurs valeurs personnelles et dont la culture est plus respectueuse de l’équilibre entre le travail et la vie privée.
L’optimisme est la foi qui mène à la réalisation. Rien ne peut se faire sans l’espoir et la confiance.
Helen Keller
La confiance en soi est une question importante. Pourquoi les femmes se sentent-elles parfois inférieures aux hommes, même si elles sont tout aussi compétentes qu’eux ou si, dans certains cas, elles le sont davantage? Pourquoi croyons-nous que nous ne sommes pas assez futées, alors que nous avons peut-être une profusion de talents? Pourquoi nous retenons-nous et nous remettons-nous en question alors que les hommes sautent sur les occasions sans hésiter? Pourquoi érigeons-nous nous-mêmes certains de ces obstacles? Les femmes doivent déjà faire face à suffisamment d’obstacles externes; point n’est besoin de jeter des obstacles internes additionnels dans la balance.
La plupart des femmes attendent qu’on leur en fasse la demande avant d’entrer en politique. Ensuite, lorsque la demande a été faite, elles réfléchissent à la possibilité, elles la soupèsent – et elles se demandent si elles sont assez futées. La plupart des hommes ne doutent nullement de leurs talents. S’ils voient une occasion qui se présente, ils se ruent pour la saisir.
Les études ont montré que les femmes qui briguent les suffrages remportent la victoire aussi souvent que les hommes. On n’a qu’à penser à la situation actuelle au Canada : nous avons six premières ministres provinciales ou territoriales. Ces plafonds de verre ont tous volé en éclats.
Que pouvons-nous faire?
Il y a une pléthore de raisons pour lesquelles les femmes ne se portent pas candidates à des charges électives. En voici quelques-unes :
- L’environnement est extrêmement compétitif; c’est un sport sanguinaire; c’est comme si on jouait au football sans casque. J’ai dû me créer une couche de peau additionnelle pour chaque année où j’ai fait de la politique.
- Certaines femmes considèrent que la politique est partiale au détriment des candidates et, à bien des égards, ce peut encore être le cas. Quand les femmes échouent, cela attire beaucoup l’attention; les hommes qui échouent l’attirent beaucoup moins. Les femmes tendent à être scrutées au microscope, bien plus que les hommes.
- Les candidatures de Hillary Clinton et Sarah Palin ont aggravé chez les femmes les perceptions de préjugés sexistes dans l’arène électorale. Il y a eu des préjugés sexistes dans les médias.
- Les femmes estiment qu’elles ne sont pas qualifiées et elles s’abstiennent de se lancer en politique.
- Beaucoup de femmes ont reçu une éducation qui les rend moins compétitives, moins confiantes et plus allergiques aux risques que les hommes.
- Les femmes réagissent de façon plus négative que les hommes à de nombreux aspects des campagnes modernes (par exemple, la publicité négative).
- Il y a un écart sur le plan du recrutement. On demande moins souvent à des femmes qu’à des hommes de se présenter aux élections.
- Les femmes ont encore aujourd’hui la responsabilité de la majeure partie des soins aux enfants et des tâches ménagères.
- Les femmes n’ont pas accès aux mêmes réseaux que les hommes.
- Les femmes ont plus de mal que les hommes à recueillir des fonds pour leur campagne.
- Il y a beaucoup d’autres possibilités de carrière qui s’offrent aux femmes aujourd’hui au Canada.
- Il y a un manque de modèles politiques féminins.
- Quand un homme a du succès, il est aimé par les hommes aussi bien que par les femmes. Quand une femme a du succès, les gens des deux sexes l’aiment moins. Sheryl Sandberg, l’auteure du livre En avant toutes, croit que cette prévention se situe au cœur même des raisons pour lesquelles les femmes hésitent à se lancer en politique. Quand un homme est coriace, il est admiré; quand une femme est coriace, elle est une garce.
- Il y a des gens qui ne veulent pas vivre dans un aquarium.
- Bien des gens veulent avoir une vie plus équilibrée que ce que la politique peut leur offrir.
- Les femmes ne sont pas jugées comme les hommes lorsque des enfants sont en cause. Une femme est considérée comme une mauvaise mère si elle laisse ses enfants à la maison pendant des jours d’affilée (avec leur père) pour aller faire de la politique. On entend rarement dire de telles choses à propos des hommes.
- Il y a un dégoût croissant pour tout ce qui est politique. Le cynisme à l’égard de la politique, et des hommes et femmes politiques, est en hausse.
- Il serait peut-être temps que nous cessions d’analyser et de suranalyser les obstacles auxquels les femmes se heurtent. Nous les connaissons. Il serait peut-être temps que nous amorcions une nouvelle conversation!
La culture ne s’adaptera pas tant qu’il n’y aura pas assez de femmes dirigeantes pour la transformer. Nous devons intensifier nos efforts et centrer notre attention afin que cela se produise. Les femmes investies d’un plus grand pouvoir d’action peuvent accomplir beaucoup de choses. Saviez-vous que l’éducation plus poussée reçue par les femmes dans le monde entier a prévenu le décès de plus de quatre millions d’enfants entre 1970 et 2009? C’est une statistique très éloquente.
Tant les femmes que les chefs de parti doivent assumer une plus grande responsabilité à l’égard du changement. Il faudra qu’il y ait plus de femmes chez les dirigeants pour que soient apportés les changements qui permettront à plus de femmes de faire partie des dirigeants – on ne peut pas être ce qu’on ne peut pas voir!
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