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Nicole Goodman; Kalina Kamenova
Du 23 au 25 novembre dernier, un jury de citoyens regroupant 17 participants d’Edmonton s’est penché sur la possibilité d’offrir de voter par Internet comme autre solution lors des prochaines élections municipales. Ce processus unique de mobilisation du public, premier en son genre au Canada, a été conçu par le Centre for Public Involvement de l’Université de l’Alberta. Pour prendre sa décision, le jury a entendu les témoignages de différents experts, il a évalué les données probantes qui lui ont été présentées et, après de longues délibérations, il a rendu un verdict en faveur du vote par Internet. Dans le présent article, les auteures résument le processus adopté par le jury, en analysent les résultats et exposent les leçons apprises dans le cadre de cette approche de l’élaboration de politiques participatives et du processus décisionnel.
Au cours des dernières années, tous les ordres de gouvernement au Canada ont organisé des consultations publiques pour permettre aux citoyens de prendre part au processus décisionnel en matière de politiques. Plus particulièrement, la Colombie-Britannique a écrit une page d’histoire en 2005 en préparant et en tenant la première assemblée de citoyens au monde pour débattre d’une réforme électorale. L’Ontario a suivi en 2007 en organisant sa propre assemblée de citoyens pour obtenir l’avis du public sur le même sujet. Bien que les recommandations faites dans le cadre de ces initiatives citoyennes n’aient jamais été adoptées, elles ont permis d’établir un nouvel outil pour favoriser la participation de la population aux processus d’élaboration des politiques, habituellement dominés par les représentants élus. Depuis lors, d’autres modèles de participation du public aux délibérations ont été instaurés pour obtenir le point de vue des citoyens sur des enjeux politiques ou des modifications législatives proposées. Parmi ces derniers, mentionnons le jury de citoyens d’Edmonton sur le vote par Internet, mis sur pied en novembre 2012 par la Ville d’Edmonton en collaboration avec l’Université de l’Alberta. Il s’agissait d’aider les représentants locaux à déterminer s’il fallait offrir le vote par Internet aux futures élections, en commençant par un projet pilote en 2013. Bien que de taille plus petite, le jury de citoyens d’Edmonton était fondé sur le même principe que les assemblées de citoyens et il avait pour mandat de s’attaquer à une question politique complexe à l’aide d’une nouvelle approche de l’engagement citoyen.
Qu’estce qu’un jury de citoyens?
Le jury de citoyens constitue une méthode novatrice de dialogue délibératif visant la participation politique, qui favorise la mobilisation directe des citoyens dans l’élaboration des politiques, la planification stratégique ou l’évaluation des technologies. Cette approche part du principe que les profanes peuvent prendre des décisions judicieuses sur des sujets complexes lorsqu’ils participent à des processus ciblés de dialogue délibératif1. Le jury est fondé sur la représentativité d’un petit groupe de citoyens participants, plutôt que sur la représentativité statistique obtenue par l’intermédiaire d’approches de consultations plus traditionnelles, comme le sondage d’opinion auprès d’un grand groupe2. Le jury est habituellement composé de 12 à 24 membres sélectionnés de façon aléatoire parmi le grand public. Les critères de sélection tiennent compte de la nécessité d’obtenir un groupe démographiquement diversifié — un « minipublic » représentatif de la population en général. Dans de nombreux cas, un tri supplémentaire des attitudes est effectué pour faire en sorte que le jury reflète une variété de points de vue sociétaux.
La caractéristique la plus distinctive de l’approche est que les participants fondent leur décision sur les données probantes qui leur ont été présentées, ce qui l’apparente grandement au verdict rendu par un jury dans une cour de justice. Le processus délibératif comprend les étapes suivantes :
- des témoins experts présentent des données probantes aux jurés;
- ces derniers interrogent les témoins;
- l’information présentée est rigoureusement examinée et évaluée;
- le groupe tient des discussions soutenues et des délibérations;
- le groupe arrive à un « verdict » sur la question ou l’enjeu (« le chef d’accusation ») étudié.
Tout comme dans le monde judiciaire, la méthode du jury de citoyens suit le raisonnement conventionnel selon lequel si un petit groupe de citoyens représentatifs de la population se penche sur une preuve, ses délibérations et ses recommandations subséquentes refléteront la sagesse de toute la collectivité. Il s’agit d’un outil consultatif unique qui permet aux citoyens de présenter leur point de vue directement aux décideurs. Un jury est particulièrement efficace lorsque le gouvernement souscrit au verdict, ou lorsque ce modèle de politique participative devient une forme institutionnalisée du processus législatif3.
Un jury de citoyens à Edmonton
Au Canada, des jurys de citoyens avaient déjà été mis sur pied pour la réalisation d’une évaluation participative d’une technologie dans le cadre de consultations publiques nationales sur les difficultés réglementaires posées par la xénotransplantation4. En Alberta, un projet pilote a été réalisé en 2008 pour évaluer le recours aux jurys de citoyens comme mesure visant à faire participer les gens à l’établissement des priorités pour l’évaluation de technologies médicales5. Dans les deux cas, on avait demandé aux citoyens de se faire une opinion et de donner des conseils stratégiques sur l’introduction d’une technologie en particulier, mais les résultats du processus n’étaient pas directement liés à la prise de décisions (c’est-à-dire que les recommandations du jury n’étaient pas remises à un groupe de représentants élus). En revanche, le verdict et les recommandations du jury de citoyens d’Edmonton sur le vote par Internet ont été présentés directement au conseil municipal, et c’est ce qui rend l’initiative unique en son genre au Canada.
Ce sont des chercheurs du Centre for Public Involvement (CPI) de l’Université de l’Alberta qui ont eu l’idée de se tourner vers un jury de citoyens. Le fait de présenter aux participants de l’information systématique et fondée sur des données probantes rendait cette méthode idéale pour discuter d’un sujet technique comme le vote par Internet. Au cours des dernières années, dans le cadre de ses efforts à accroître la participation publique, les autorités municipales d’Edmonton étaient en faveur du modèle participatif de processus décisionnel relativement au vote par Internet. En 2009, la Ville a collaboré avec l’Université de l’Alberta à la création du Centre for Public Involvement, centre universitaire visant à promouvoir la recherche et l’apprentissage liés à la mobilisation du public et à améliorer les processus traditionnels de prise de décisions grâce à la participation publique. Depuis sa création, le CPI s’est associé à la Ville pour concevoir des initiatives conjointes d’engagement du public sur des enjeux comme le budget municipal, l’urbanisme, l’alimentation et l’agriculture, et l’énergie et les changements climatiques à Edmonton. Toutefois, la complexité et la controverse associées au vote par Internet laissaient présager la nécessité d’un engagement citoyen et d’un processus d’apprentissage plus approfondis. Plus particulièrement, la recherche effectuée par les représentants de la Ville indiquait qu’il fallait que les citoyens s’engagent à l’avance d’une manière significative pour favoriser l’acceptation du public, un élément qui s’était avéré essentiel au succès de ce type de vote ailleurs.
Le jury de citoyens faisait partie d’un rigoureux programme de consultations tenu parallèlement à l’évaluation préliminaire du vote par Internet par les représentants de la Ville. En plus de la composante du jury, le projet comprenait un test de sécurité dans le cadre duquel se tenait une simulation d’élection de « bonbons haricots » qui permettait aux citoyens de s’inscrire et de voter en ligne pour leur couleur préférée de bonbon, une table ronde avec des intervenants (p. ex., des électeurs ayant des besoins spéciaux et des personnes âgées) de même qu’une série de questionnaires en ligne. Au total, six sondages ont été conçus pour mesurer les perceptions du public quant au vote par Internet : deux ont été effectués auprès du grand public, deux auprès des jurés (un durant le processus de sélection et un autre après) et, enfin, deux auprès de citoyens ayant pris part aux tables rondes. Les tables rondes ont permis à d’autres membres du public, particulièrement aux aînés, d’exprimer leur opinion sur la possibilité d’adopter le vote par Internet à Edmonton. Toutes ces initiatives se sont inscrites dans un processus de consultation qui a duré quatre mois, soit de septembre à décembre 2012.
La mise sur pied du jury de citoyens a commencé à la fin du printemps, lorsque le directeur du centre de recherche a recruté des universitaires pour prendre part au Comité de recherche, chargé de créer les sondages sur les attitudes et de concevoir un processus de délibération inclusif et équilibré. Le comité, composé de six membres, a été formé à la fin mai 2012. Il s’est réuni à huit occasions, jusqu’à la mise sur pied du jury de citoyens en novembre 2012. Trois des membres du comité étaient affiliés au CPI et trois provenaient d’autres universités canadiennes. Les membres ont été choisis pour leur expertise en matière d’élection, de vote par Internet, de politiques municipales et de prises de décisions, de démocratie délibérative et de participation du public.
Dans l’exercice de son rôle au sein du Comité de recherche, Nicole Goodman a préparé un guide des enjeux, qui donnait un aperçu des principaux problèmes et débats associés au vote par Internet. Ce document repose sur la recherche spécialisée actuelle et les expériences de la technologie de vote électronique vécues par différentes administrations au Canada et en Europe. Une version abrégée du guide a été distribuée aux jurés afin d’éclairer leur participation au processus de jury de citoyens. Un comité consultatif sur le jury de citoyens, constitué de neuf représentants du milieu universitaire, du gouvernement et d’autres organismes pertinents, a également été créé pour surveiller les décisions tout au long du processus. En plus de ces deux comités, une équipe de projet, composée de membres du personnel du CPI et de cadres supérieurs de la Ville d’Edmonton, dirigeait le programme global de consultations publiques sur le vote par Internet, y compris la composante du jury de citoyens.
Sélection des membres
C’est à l’été 2012 qu’a été planifiée la sélection des membres du jury de citoyens, qui a eu lieu effectivement du 1er octobre au 15 novembre 2012. Les services d’une entreprise de recherche tierce, EKOS-Probit, ont été retenus pour réaliser le sondage sur les attitudes de la population d’Edmonton et pour effectuer la sélection aléatoire des jurés. Le recrutement et la nomination finale de ces derniers ont été effectués par l’équipe de projet du CIP en consultation avec son comité consultatif et son comité de recherche.
Le processus de sélection a été mené soigneusement pour que les participants reflètent étroitement la population d’Edmonton, tant sur le plan démographique que sur celui des attitudes. La représentation démographique était axée sur des caractéristiques comme l’âge, le sexe, la race et l’ethnicité, le niveau de scolarité, la présence d’une incapacité, le revenu du ménage, le nombre d’enfants faisant partie du ménage, la profession et la résidence dans l’un des 12 quartiers d’Edmonton (voir le tableau 1). Sur le plan des attitudes, les questions abordaient une variété d’opinions sur la confiance envers les autorités municipales, l’efficacité externe et interne, la participation électorale, le vote par Internet et la confiance dans la technologie (voir le tableau 2). Le CPI et ses comités consultatifs ont procédé soigneusement pour choisir des jurés potentiels dont les attitudes envers le vote par Internet représentaient celles de la population d’Edmonton en général, mais qui se disaient également prêts à changer leur opinion sur le vote en ligne. Pour obtenir des profils démographiques et attitudinaux, EKOSProbit a effectué un sondage auprès de 1 349 résidents, du 6 au 12 novembre 2012. Les répondants au sondage ont été choisis à partir d’une liste de numéros de téléphone conventionnel et de téléphone cellulaire générés de façon aléatoire et on a communiqué avec eux à l’aide d’une méthode d’appel automatisée.
On a ensuite choisi les participants potentiels en se fondant sur les données obtenues grâce à ce processus et on leur a envoyé une trousse d’information préparée par le CPI, pour leur expliquer le processus, notamment l’admissibilité au projet et les attentes. Les jurés potentiels devaient être des électeurs admissibles d’Edmonton et être en mesure de participer à toutes les réunions du jury, et ils ne pouvaient être des employés de la Ville d’Edmonton. Une fois qu’il est arrivé à une composition satisfaisante, le CPI a approché les jurés et leur a fourni une trousse d’information supplémentaire et une lettre de bienvenue. Des 18 personnes choisies, seulement une a refusé de participer au jury de citoyens. Les jurés ont reçu une rémunération de 400 $ pour leur participation au week-end, soit pour environ 20 heures de travail. On leur a également fourni les repas durant ce week-end, de même que de l’aide pour les déplacements et la garde d’enfants pour ceux qui en avaient besoin.
En général, le jury de citoyens représentait une variété de groupes. Bien qu’on n’ait pas toujours atteint les pourcentages visés, on a consciencieusement cherché à obtenir la représentation la plus équitable possible. Par exemple, les jurés âgés de 30 à 49 ans ont été plus difficiles à attirer, tandis que le groupe des 50 ans et plus est demeuré légèrement surreprésenté. En tout, les jurés représentaient 8 des 12 quartiers géographiques et une variété de groupes ethniques. Les personnes ayant des incapacités et celles provenant de groupes autochtones, inuits, métis et des Premières Nations étaient, en fait, légèrement surreprésentées.
Sur le plan des attitudes, les jurés se sont montrés légèrement plus positifs envers le système politique, indiquant des niveaux plus élevés de confiance dans leur capacité personnelle d’exprimer leur opinion. Il est fort possible que les citoyens démontrant des orientations politiques positives aient davantage le goût de participer à un processus de mobilisation du public. Comparativement à la population d’Edmonton en général, les jurés avaient un peu plus confiance dans les ordinateurs et ils étaient plus enclins à croire que la ville était prête à instaurer le vote par Internet et que le vote doit être privé et secret. Cependant, sur la possibilité d’utiliser le vote par Internet et l’accessibilité à Internet, le grand public et les jurés choisis avaient exactement la même opinion. Sur le plus de plans possible, le jury de citoyens se rapprochait énormément de la population d’Edmonton (voir les tableaux 1 et 2 pour consulter la ventilation démographique et attitudinale).
Le processus de jury
Le jury de citoyens a duré deux jours et demi, soit du 23 au 25 novembre 2012, et il a été animé par deux modérateurs indépendants. Au départ, les jurés ont été bien informés du concept de jury, de l’échéancier du processus et des résultats attendus à la fin. La totalité du temps accordé au cours des deux jours et demi avait pour objectif de permettre aux jurés de répondre en toute confiance à la question : « La Ville d’Edmonton devrait-elle offrir la possibilité de voter par Internet au cours des prochaines élections? » Même si la question était axée sur la possibilité d’offrir le vote électronique au cours d’élections futures, si la proposition était adoptée par le conseil, un projet pilote aurait été mis sur pied pour l’élection municipale d’octobre 20137.
Durant le processus de jury, les membres ont été renseignés sur le guide des enjeux et ont entendu des témoignages, pour ou contre le vote par Internet, d’une série de témoins experts, notamment du directeur général des élections de la Colombie-Britannique, d’éminents chercheurs en études électorales et sur la démocratie en ligne, d’experts de la sécurité informatique, de représentants d’entreprises et d’administrateurs municipaux de partout au pays. Les témoins ont été choisis sur les conseils du Comité de recherche et après un examen par le Comité consultatif. Tous les experts ont fait des présentations, communiqué leur expertise et leur avis éclairé sur une variété de points, allant de la sécurité des systèmes de vote par Internet jusqu’aux études sur les expériences vécues par certaines administrations au Canada et en Europe. Les témoignages des experts étaient suivis de longues périodes de questions et de discussion. Les participants avaient également la possibilité de poser des questions de suivi aux témoins experts durant la dernière journée du processus.
Pendant le week-end, les modérateurs ont invité les jurés à prendre part à des activités en petits groupes pour les amener à réfléchir sur les témoignages présentés, à développer leur pensée sur le sujet et à formuler d’autres questions. En plénière, les délibérations étaient approfondies, particulièrement durant les deuxième et troisième journées du processus. L’information et les exercices complémentaires ont permis aux jurés de formuler un verdict éclairé et fondé sur des données probantes, et d’élaborer des recommandations avant la fin du processus. Le verdict final et les recommandations afférentes ont été présentés au greffier de la Ville à la fin de la troisième journée.
Le verdict final
Le jury de citoyens est arrivé à une conclusion positive (un verdict de « oui »), votant à 16 contre 1 en faveur de l’adoption du vote par Internet en tant qu’autre méthode de scrutin au cours des élections municipales. Après des délibérations supplémentaires, toutefois, la décision a été unanime puisque le juré qui s’y opposait ne s’était pas montré entièrement contre l’idée et qu’il a finalement accepté de voter pour. Ce juré a justifié son opposition initiale en affirmant que la population n’était pas prête à accepter ce changement technologique, qu’il y a trop d’écart dans les connaissances et finalement qu’il ne voyait pas d’avantages particuliers à adopter le vote électronique.
Les 16 jurés qui ont opté pour l’adoption du vote par Internet ont souligné qu’ils estimaient que les Edmontoniens étaient versés en technologie et qu’ils étaient prêts à accepter le scrutin en ligne comme option de vote. Ces jurés percevaient le vote par Internet comme un pas en avant vers le statut, pour Edmonton, de chef de file en matière d’offre de services axés sur le citoyen et de cybergouvernement. Ils citaient également l’amélioration de l’accessibilité, spécialement pour les personnes handicapées, comme raison importante de leur appui. De plus, ils considéraient le vote en ligne comme très commode pour les électeurs occupés ou absents d’Edmonton le jour de l’élection. Le vote par Internet était perçu comme une extension des services en ligne existants dans différentes sphères de la vie quotidienne, et comme un exemple de la tendance vers l’automatisation et de l’influence croissante des technologies numériques et mobiles. Bien que les jurés se soient montrés en faveur de l’adoption de cette méthode pour les élections municipales d’Edmonton, ils ne la recommandaient pas pour les élections fédérales pour le moment.
En plus du verdict positif, les jurés ont présenté neuf recommandations sur la mise en œuvre du vote par Internet lors des élections municipales d’Edmonton :
- Concevoir un système d’inscription simple, rapide et facile pour les utilisateurs.
- Adopter un système de vote en ligne compatible avec les téléphones intelligents et les tablettes.
- Effectuer d’autres recherches et évaluations pour mesurer le succès du vote par Internet et améliorer le cybergouvernement.
- Utiliser un logiciel propriétaire comme solution à court terme, mais travailler à l’élaboration de logiciels libres pour les élections futures (en collaboration avec l’Université de l’Alberta).
- Améliorer l’accessibilité au processus de vote pour les électeurs (p. ex., offrir des bureaux de vote par Internet qui sont accessibles; offrir plusieurs options de langues tant pour l’inscription que pour le vote en ligne, notamment le braille; ajouter une ligne téléphonique ou un lien permettant aux électeurs de parler avec un agent de soutien pour obtenir de l’aide).
- Élaborer une stratégie robuste de communication et d’éducation pour souligner les risques pour la sécurité du vote par Internet et la façon d’y réagir.
- En plus du vote par Internet, ajouter le vote par téléphone d’ici 2017.
- Concevoir des mesures pour améliorer la sécurité et assurer la confidentialité du vote.
- Adopter le vote par Internet pour la portion de votes par anticipation seulement, soit durant 14 jours consécutifs avant le jour de l’élection.
Impact sur la prise de décisions
Avant le verdict, l’administration de la Ville avait annoncé qu’elle recommanderait au conseil de donner suite aux recommandations du jury de citoyens. Cette déclaration manifestait la confiance des cadres supérieurs dans le processus de délibération et leur détermination à aller de l’avant avec la décision et les recommandations du jury. L’administration s’était également engagée à fournir aux jurés une rétroaction officielle sur sa décision de mettre en œuvre ou non leurs recommandations.
Le conseil municipal s’est réuni le 23 janvier 2013 pour examiner la proposition de vote par Internet et pour prendre une décision, mais il s’est entendu pour attendre au 6 février pour voter sur la question, étant donné qu’un membre du public, un programmeur informatique d’Edmonton, Chris Cates, avait demandé à s’adresser au conseil. Le 28 janvier, un comité exécutif de six conseillers a entendu les présentations de deux jurés, qui ont expliqué en détail les raisons de la décision du jury d’appuyer le vote par Internet et celle de M. Cates, un opposant au vote par Internet qui affirmait avoir voté deux fois lors de la simulation d’élection des bonbons haricots. Se fondant sur cette expérience, M. Cates critiquait, durant sa présentation, la sécurité du vote par Internet, considérant cette méthode comme une menace à la démocratie. Bien que le vote comme tel lors de la simulation d’élection ait été contrôlé de façon très serrée et que sa sécurité ait été évaluée en profondeur par un vérificateur indépendant, la Ville n’avait pas fait preuve d’autant de vigilance lors de l’inscription. La confidentialité et la sécurité du vote avaient été la principale préoccupation et l’objectif central du test. M. Cates avait réussi à s’inscrire deux fois puisqu’on n’avait pas vérifié le dédoublement des inscriptions.
À la lumière de cette nouvelle information, le conseil s’est donc montré réticent à aller de l’avant. Des questions supplémentaires ont fait surface et, bien que l’administration de la Ville y ait répondu de son mieux, aucun expert n’était présent pour intervenir. Malgré les nombreuses préoccupations exprimées durant le processus du jury de citoyens, l’administration de la Ville s’était contentée de fournir aux conseillers le verdict et les recommandations du jury et non le rapport complet du CPI sur le processus de jury. Par conséquent, certains malentendus n’ont pu être corrigés et ils ont contribué aux perceptions négatives des conseillers envers le vote par Internet. Par exemple, on ne pouvait affirmer avec certitude que le système de vote par Internet permettrait aux candidats de vérifier qui avait voté dans leur circonscription, comme le permet le système traditionnel d’agent électoral durant les votes sur papier. Des systèmes de vote par Internet permettent bel et bien aux candidats de vérifier quel ménage a voté (mais pas pour qui il a voté), mais les conseillers ne disposaient pas de cette information.
L’inscription a également suscité des préoccupations, car il n’y a pas de liste électorale à Edmonton et dans d’autres villes albertaines pour les élections municipales et scolaires. Certes, des mesures de sécurité auraient pu être mises en place pour le volet de l’inscription, mais les conseillers avaient l’impression que le fait d’effectuer cette partie de façon électronique ne serait pas sécuritaire. Après de longues délibérations au conseil lors de la réunion du 6 février 2013, les membres se sont prononcés contre le vote par Internet en 2013, à 11 contre 2.
La décision de ne pas adopter cette méthode n’est pas en soi regrettable, car le vote par Internet peut ne pas convenir à toutes les administrations, mais ce qui l’est davantage, c’est que les conseillers aient pu arriver à cette conclusion en supposant avoir été mal informés. Des recherches qualitatives plus poussées permettront sans doute de mieux comprendre pourquoi les conseillers ont décidé de ne pas aller de l’avant avec le projet pilote de vote par Internet, étant donné que le processus de consultation du public entrepris par la Ville avait indiqué un excellent niveau d’acceptation de cette proposition. En plus du verdict du jury, les questionnaires d’opinion publique administrés par le CPI et par EKOS-Probit et qui demandaient l’avis de la population d’Edmonton en général dans le cadre du processus de mobilisation du public avaient démontré un fort appui des résidents d’Edmonton. La décision du conseil de voter contre l’opinion publique sans demander l’avis et l’opinion d’autres experts et son rejet des recommandations du jury soulèvent des préoccupations quant à la légitimité démocratique du processus.
Leçons à retenir
Il faut tirer certaines leçons du jury de citoyens d’Edmonton. Premièrement, cette expérience semble démontrer que l’efficacité des modèles de politique participative dépend largement de l’engagement des gouvernements à respecter les décisions des citoyens et leurs recommandations sur les points à l’étude. La participation citoyenne ne devrait pas être un exercice futile. Au contraire, lorsque les gouvernements cherchent activement l’implication du public, ce qui nécessite souvent d’importants investissements financiers et une minutieuse planification organisationnelle, ils devraient se préparer à inclure les opinions des citoyens au processus décisionnel, faute de quoi la légitimité du processus décisionnel gouvernemental peut s’en trouver compromise.
Deuxièmement, le jury de citoyens démontre que les profanes sont capables d’assumer avec compétence un rôle de décideur pour des questions politiques complexes. Le jury a permis de mobiliser un minipublic qui représentait étroitement la population d’Edmonton dans des délibérations axées sur l’option politique proposée, soit adopter le vote par Internet lors des élections municipales. Le groupe s’est consacré à l’acquisition de connaissances sur une variété de facteurs contextuels qui influencent les programmes de vote par Internet au Canada et en Europe, ainsi que sur les questions et les préoccupations entourant la sécurité de la technologie du vote électronique. Le processus a donné lieu à un dialogue entre citoyens et experts provenant du milieu universitaire, de l’industrie, du gouvernement et d’organismes de défense sur l’utilisation du vote par Internet à tous les paliers gouvernementaux du Canada. L’expérience du jury permet de croire que le citoyen moyen peut apporter une contribution valable à la prise de décisions politiques au moyen de délibérations fondées sur des données probantes. De plus, le public n’a pas nécessairement besoin de se réunir pour de longues périodes de temps comme d’autres entités délibératives, notamment les assemblées de citoyens. L’expérience du jury de citoyens d’Edmonton sur le vote par Internet semble indiquer que des périodes d’apprentissage et de délibération courtes, mais valables, peuvent être efficaces. En plus de l’économie de temps, le modèle de jury peut également entraîner des économies importantes pour les gouvernements, puisqu’il nécessite moins de ressources que des initiatives participatives à plus grande échelle.
À titre d’expérience sur la démocratie délibérative, le processus de jury a également permis de tester la capacité des citoyens à fournir une contribution significative à l’évaluation de la technologie. Le processus confirme la valeur des forums hybrides constitués d’experts techniques, de politiciens et de profanes, comme mécanismes participatifs innovateurs, qui pourraient contribuer à élargir et à enrichir les institutions politiques traditionnelles et les processus de prise de décisions dans les démocraties représentatives8. L’utilisation des technologies sur Internet dans le processus électoral continue de soulever de l’incertitude et demeure vivement contestée par différents groupes sociétaux. Les méthodes participatives, comme les jurys, peuvent permettre aux citoyens d’acquérir des connaissances et de fournir une rétroaction valable dans la prise de décisions sur des sujets controversés.
Aussi, les jurys de citoyens peuvent enrichir des domaines où les décisions sont traditionnellement prises par des fonctionnaires administratifs et des représentants élus, un processus parfois déficient et inefficace. Par exemple, les décideurs peuvent ne pas toujours posséder des connaissances suffisantes pour prendre des décisions éclairées, ou leurs compétences et leur expertise peuvent s’avérer limitées. Afin de comprendre des questions politiques complexes, comme le vote par Internet, il faut des efforts d’apprentissage soutenus et un dialogue entre citoyens, experts et intervenants. Les représentants élus ne disposent parfois ni du temps ni des ressources pour s’investir dans un long processus d’évaluation avant de prendre une décision. De plus, l’absence de consultation et de commentaires des citoyens risque d’entraîner un manque de confiance et une mauvaise perception de l’efficacité externe. On s’attend à ce que la participation directe comble de telles lacunes. Cela signifie de faire en sorte que le processus soit inclusif, que la représentation y soit équitable, et que les personnes qui y participent soient responsables et réceptives à l’opinion de celles qui n’en font pas partie9. Tout porte à croire qu’on a atteint ces objectifs lors de la composition du jury de citoyens d’Edmonton sur le vote par Internet.
Lorsque les gouvernements cherchent à inclure le public dans la prise de décisions, il est parfois nécessaire d’institutionnaliser davantage les processus comme les jurys de citoyens afin qu’ils soient efficaces. Cependant, le résultat final du jury de citoyens d’Edmonton sur le vote par Internet démontre à quel point il est difficile d’y arriver. Quand ce type de processus n’est pas institutionnalisé et obligatoire, son efficacité dépend largement de la confiance que les administrateurs et les représentants élus placent dans la capacité des citoyens de prendre des décisions et dans la manière dont ils sont prêts à appuyer le verdict du jury.
Au Canada et en Europe, où la majeure partie des expériences de vote par Internet a eu lieu, on n’a procédé qu’à peu de consultations publiques, voire pas du tout. Dans la majorité des cas, les citoyens sont formés et informés sur les processus de vote par Internet après l’établissement des modèles de mise en œuvre par le gouvernement. Là où le vote par Internet réussit, le soutien du public est élevé malgré le peu de consultation citoyenne. Une analyse de cas révèle que l’inclusion de programmes solides de sensibilisation et d’information entraîne un plus grand recours de ce mode par les citoyens et peut avoir une incidence positive sur la participation électorale10. Bien que nous n’ayons pu mesurer les effets du vote par Internet à Edmonton, le processus de jury de citoyens en lui-même a été perçu comme une importante initiative de mobilisation du public et celle-ci a reçu l’attention de chercheurs, une couverture positive des médias et des commentaires positifs de la part des résidents. Pour le moment, on ne peut évaluer l’effet qu’aura la décision du conseil sur la confiance des citoyens envers les politiciens et les processus politiques, ni sur leur perception du degré d’écoute de leurs institutions politiques à leur endroit.
Finalement, il faut considérer l’importance de recourir à des modèles de politique participative afin d’obtenir de la rétroaction sur les approches centrées sur le citoyen. Le vote par Internet est perçu comme faisant partie du cadre de services axés sur les citoyens, conçu pour placer ceux-ci au premier plan et améliorer l’accessibilité des services pour les résidents. Si un changement politique est axé sur le citoyen, il semble tout naturel d’inclure un groupe de citoyens représentatif pour en élaborer les résultats. Le modèle de jury de citoyens constitue un moyen d’inclure le public dans ce type d’élaboration de politiques.
Conclusion
Il est difficile de formuler un commentaire général sur le succès du jury de citoyens d’Edmonton, puisque le conseil n’a pas donné suite aux opinions émises. Dans un sens, cela jette une ombre de doute sur l’efficacité générale des processus de mobilisation du public. De façon plus générale, toutefois, les jurys de citoyens constituent un nouveau mécanisme au Canada que pourraient utiliser différents ordres de gouvernement pour améliorer la participation du public dans les processus de prise de décisions, traditionnellement dominés par l’élite. À une époque où les programmes et les services axés sur le citoyen revêtent une importance de plus en plus grande pour le gouvernement, il pourrait être utile d’étudier plus étroitement des modèles de ce type, qui facilitent la représentation et la mobilisation du public, mais qui se font à petite échelle et qui n’entraînent pas les coûts d’un référendum ou d’une assemblée de citoyens. Le fait que les conseillers de la ville aient fait fi de l’avis du jury et de l’administration de la ville en votant contre le vote par Internet ne devrait pas être considéré comme l’échec du processus de jury de citoyens. Au contraire, cela démontre que les décisions de la démocratie représentative sur les propositions de politiques reviennent aux représentants élus et que ces derniers se trouvent dans une position unique pour accepter ou rejeter la sagesse du public.
Notes
1 Le concept remonte au début des années 1970, au moment où une méthode de délibération appelée planning cell ou Plannungszelle a été créée par le professeur Peter C. Dienel de l’Institut de recherche sur la participation citoyenne et les méthodes de planification de l’Université de Wuppertal, en Allemagne. Parallèlement, un processus similaire a été conçu au milieu des années 1970 sous le nom de « Comité de citoyens » par Ned Crosby du Jefferson Center de Minneapolis, au Minnesota. À la fin des années 1980, Crosby a adopté le terme « jury de citoyens » et il a fait enregistrer la marque aux États-Unis.
2 Tom Wakeford, « Citizens Juries: a radical alternative for social research », Social Research Update, nº 37 (été 2002), p. 2.
3 L’Oregon est devenu le premier État à officialiser un processus semblable au jury de citoyens pour revoir les référendums, une initiative qui, depuis quelques années, s’est transformée en enjeu créateur de discorde violente entre les partis. Le 1er juin 2011, l’Assemblée législative de l’Oregon a voté pour la mise en œuvre permanente de l’Oregon Citizen Initiative Review (Oregon CIR). La CIR se tourne vers les jurys de citoyens pour délibérer sur les référendums proposés et pour élaborer des recommandations pour les électeurs de l’Oregon, ce qui peut les aider à mieux comprendre les enjeux controversés et partisans. Pour plus de renseignements, voir Janice Thomson et Simon Burall, « E-petitions aren’t enough — Britain should learn from the “Oregon model” of citizen juries », openDemocracy, 22 octobre 2011 (consulté le 6 juin 2013). Internet : <www.opendemocracy.net/ourkingdom/janice-thomson-simon-burall/e-petitions-arent-enough-britain-should-learn-from-oregon-mod>.
4 Edna F. Einsiedel, « Assessing a controversial medical technology: Canadian public consultations on xenotransplantation », Public Understanding of Science, vol. 11, nº 4 (octobre 2002), p. 315-331.
5 Devidas Menon et Tania Stafinski, « Engaging the public in priority-setting for health technology assessment: findings from a citizens’ jury », Health Expectations: An International Journal of Public Participation in Health Care and Health Policy, vol. 11, nº 3 (septembre 2008), p. 282-293.
6 Si la méthode avait été adoptée, Edmonton serait devenue la première municipalité de l’Alberta à s’engager dans l’essai du vote par Internet dans une élection exécutoire.
7 Les réponses aux questions attitudinales devaient être fournies selon une échelle de Likert de sept points. Les valeurs de la population d’Edmonton sont entre parenthèses.
8 Michel Callon, Pierre Lascoumes et Yannick Barthes, Agir dans un monde incertain : Essai sur la démocratie technique, Paris, Seuil, 2001.
9 Archon Fung, « Varieties of participation in complex governance », Public Administration Review, vol. 66, suppl. s1 (décembre 2006), p. 67.
10 Nicole Goodman, « Internet Voting in a Local Election in Canada », dans Bernard Grofman, Alex Trechsel et Mark Franklin, dir., Internet and Democracy in Global Perspective, Springer Verlag, publication prévue en 2013; Jon Pammett et Nicole Goodman, Key Social Issues in the Planning, Implementation and Use of I-Voting, Élections Canada, publication prévue en 2013.
Tableau 1 : Caractéristiques démographiques des membres du jury de citoyens par rapport à la population d’Edmonton
Trait démographique
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Jury de citoyens
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Population d’Edmonton
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Groupe d’âge
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18-29
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22 % (4 jurés)
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25,35 %
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30-49
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22 % (4 jurés)
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36,82 %
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50+
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50 % (9 jurés)
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37,83 %
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Sexe
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Masculin
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44 % (8 jurés)
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49,85 %
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Féminin
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50 % (9 jurés)
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50,15 %
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Scolarité
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École secondaire ou moins
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33 % (6 jurés)
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43,43 %
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Collège ou formation d’apprenti
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39 % (7 jurés)
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30,06 %
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Certificat ou diplôme universitaire
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22 % (4 jurés)
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26,51 %
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Ethnicité
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Asiatique du Sud ou Chinois
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6 % (1 juré)
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11,57 %
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Autochtones, Inuits, Métis ou membre d’une Première Nation
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17 % (3 jurés)
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5,28 %
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Autre minorité visible
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11 % (2 jurés)
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11,34 %
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Membre ne faisant pas partie d’une minorité visible
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78 % (14 jurés)
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77,09 %
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Incapacité (difficultés à accomplir certaines activités/limitations)
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28 % (5 jurés)
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17,60 %
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Ménages avec enfants
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17 % (3 jurés)
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41 %
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Revenu personnel
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0 à 29 999 $
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28 % (5 jurés)
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50,96 %
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29 999 à 59 999 $
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39 % (7 jurés)
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30,01 %
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59 999 $ et plus
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19 % (3 jurés)
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19,03 %
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Quartiers 1 à 12
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1 juré pour chaque quartier
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8/12 représentés
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Tableau 2 : Caractéristiques attitudinales des membres du jury comparativement à la population d’Edmonton6
Attitude
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Pas beaucoup (1 à 3)
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Un peu (4)
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Beaucoup (5 à 7)
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Confiance envers les autorités municipales
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11 % (24 %)
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33 % (33 %)
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50 % (41 %)
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Efficacité externe
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6 % (38 %)
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39 % (32 %)
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50 % (29 %)
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Efficacité interne
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6 % (28 %)
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11 % (32 %)
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78 % (38 %)
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Probabilité d’utiliser le vote par Internet
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17 % (28 %)
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11 % (4 %)
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67 % (67 %)
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Confiance dans le scrutin en ligne
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11 % (27 %)
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33 % (18 %)
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50 % (55 %)
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Confiance dans les ordinateurs
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11 % (25 %)
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11 % (19 %)
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72 % (56 %)
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Utilisation de l’argent des contribuables pour le vote en ligne
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6 % (28 %)
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33 % (37 %)
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56 % (43 %)
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Edmonton prête pour le vote en ligne
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0 % (23 %)
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11 % (30 %)
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83 % (46 %)
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Le vote doit être privé et anonyme
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6 % (9 %)
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6 % (12 %)
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83 % (77 %)
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Accès à Internet
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22 % (17 %)
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17 % (26 %)
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56 % (56 %)
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Méthodes de prévention de la fraude nécessaires
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6 % (4 %)
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0 % (13 %)
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89 % (81 %)
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Rendement ($) intéressant
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6 % (10 %)
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0 % (23 %)
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89 % (65 %)
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