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L'hon.
Monte Solberg
Dans les années 1960, Marshall McLuhan a prononcé sa phrase aujourd’hui célèbre : « Le message, c’est le médium ». Cela signifie que chaque média rejoint d’une façon qui lui est propre le public qui lit, voit ou entend son message. Dans le présent article, l’auteur propose l’idée qu’en ce qui concerne les médias sociaux et leurs répercussions sur le processus politique et les politiques publiques, nous devons nous attarder davantage au contenu plutôt que conclure que le média lui-même est tranformationnel.
La question des médias sociaux peut être abordée sous de nombreux angles, c’est pourquoi je cernerai d’abord le débat en posant quelques questions.
- Qu’est-ce que les médias sociaux? Pour mon propos, je m’en tiendrai aux blogues, à Twitter, à YouTube et à Facebook, mais je précise que les sites Web, les textos et les courriels, entre autres, sont aussi souvent associés à ce type de médias dans les discussions de ce genre.
- Dans quelle mesure les utilisateurs de médias sociaux ont-ils une influence sur le programme du gouvernement et des partis et sur les enjeux sur lesquels ils décident de se pencher? À mon avis, cette influence n’est pas aussi importante que ce que les gens croient ou, du moins, pas plus importante que celles des méthodes de communication traditionnelles.
- Dans quelle mesure les politiciens, les partis politiques et leurs partisans exercent-ils une influence sur le public grâce aux médias sociaux? Encore une fois, je soutiens que cette influence n’est pas très grande. À mon avis, les médias sociaux ne représentent qu’une autre façon de communiquer, tout simplement.
- Peut-on, par l’analyse des médias sociaux, déterminer si les chefs et leurs partis respectifs transmettent des points de vue et des messages qui trouvent écho auprès des gens? Je réponds que oui, mais dans une certaine mesure seulement. Toutefois, ce type d’analyse ne pourra jamais révéler autant que les analyses sur lesquelles les partis politiques ou les députés fondent leur travail.
- Quels sont les meilleurs moyens d’utiliser les médias sociaux? À mon avis, la meilleure façon de s’en servir consiste à les considérer comme des journaux électroniques qui font tout ce que les journaux papier font.
Commençons avec un peu de mise en contexte. Lorsque j’étais député, il y avait, dans ma circonscription de Medicine Hat, un citoyen bien connu : le sénateur Bud Olson, un ancien député et ministre du Cabinet libéral. Un jour, son épouse Lucille m’a raconté à quoi ressemblait la vie familiale d’un député dans les années 1950. Elle disait que Bud prenait le train pour Ottawa en septembre et qu’elle ne le revoyait qu’en décembre. Un jour, les voisins sont passés; Bud se trouvait à Ottawa depuis de nombreuses semaines. Ils ont demandé au jeune fils, Bud junior, comment allait son papa. « Mon père est mort » a alors répondu le jeune garçon le plus sérieusement du monde.
Bien sûr, Bud n’était pas mort, malgré le sentiment de son fils. Mais il n’était pas aisé de communiquer avec sa famille qui se trouvait à 2 000 milles de distance, ou même de communiquer avec ses électeurs. Le principal moyen de communication était la poste, suivi du téléphone, mais les appels interurbains constituaient alors un luxe extrêmement coûteux. Autrement, les députés espéraient voir leur nom dans les journaux pour avoir parrainé un projet de loi populaire ou pour s’être exprimés sur un dossier important.
À mes tout débuts à Ottawa en 1993, le courriel venait de faire son apparition. Les gens possédaient un ordinateur, mais presque personne n’avait d’adresse de courriel. La poste était encore le mode de communication privilégié par les électeurs, et les bulletins parlementaires (dont les dix-pour-cent) constituaient la meilleure façon de transmettre des messages. À cette époque, quand on recevait 15 ou 20 lettres sur un dossier, on pouvait conclure que celui-ci touchait une corde sensible. Après tout, il faut du temps, des efforts et beaucoup d’espoir pour composer une lettre, la mettre dans une enveloppe, la poster et attendre une réponse. Il y a 20 ans, les députés, déjà, faisaient peu de cas des lettres types envoyées massivement si le dossier était impopulaire et si un organisme de pression en était à l’origine. Dans le monde de la politique, il est plus payant d’envoyer un petit nombre de messages authentiques et sincères sur un enjeu donné plutôt que d’organiser l’envoi massif de messages identiques, surtout si ceux-ci étaient envoyés par des gens d’autres circonscriptions.
Les choses ne pourraient pas être plus différentes aujourd’hui. Les députés de tous les partis possèdent d’énormes bases de données de courrier électronique. Ils ont leur propre site Web, une page Facebook, un compte Twitter, un profil dans LinkedIn, et ils tiennent des blogues. Ils reçoivent chaque jour des centaines de courriels, de gazouillis, de textos et de messages sur Facebook.
Je suis d’avis que le « slacktivisme » est plus populaire que l’activisme, parce que, dans de nombreux cas, les gens qui sont actifs dans les médias sociaux n’iront pas faire campagne pour leur parti ou leur candidat favori. Bien souvent, ils ne vont même pas voter.
Nos façons de communiquer ont connu une profonde évolution, mais, dans certains des aspects les plus importants, bien peu a changé. Les députés et leur personnel savent, comme l’a fait remarquer Malcolm Gladwell — qui est plutôt sceptique à l’égard des médias sociaux —, qu’il existe si peu d’obstacles pour quiconque souhaite communiquer son point de vue aux élus, que ceux-ci ne peuvent se permettre de prendre toutes les opinions au sérieux.
Après tout, ce n’est pas tout le monde qui envoie des messages qui vote. Dans certains dossiers, les gens qui s’expriment le plus sont également ceux qui sont le moins susceptibles d’aller voter. Le sondeur Frank Graves appelle ce phénomène l’activisme désengagé (le « slacktivisme »). Autrement dit, les utilisateurs des médias sociaux, trop souvent, ne font que partager sur Twitter l’idée d’un autre ou signer une pétition Facebook, ce qui leur donne l’impression de participer à la démocratie.
Sur Rabble.ca, Harrison Samphir a écrit ceci : « Le 2 mai 2011, date de la dernière élection au Canada, près de 2 millions de jeunes sont restés loin des urnes. Fait étonnant, seulement 37,4 p. 100 des Canadiens de 18 à 24 ans ont voté. »
Depuis l’élection, ce taux de participation historiquement faible a fait l’objet de bien des analyses, dont une qui a conclu à un détachement général à l’égard du processus politique, voire à la passivité. Le taux de participation de 61,1 p. 100 à la dernière élection est, après tout, le troisième plus bas de toute l’histoire canadienne.
Qu’est-ce qui peut expliquer le déclin si prononcé de l’intérêt des jeunes à l’égard de la politique et leur détachement supposé à l’égard de leurs droits de citoyens?
Samphir poursuit ainsi :
De par leur nature, les technologies Internet font graviter de nombreux jeunes vers l’éclat luminescent de l’écran des ordinateurs portatifs et des cellulaires. Les enjeux qui, autrefois, exigeaient une action sociale et une participation politique ont été réduits en messages de 140 caractères. Dans de nombreux cas, il en est résulté une apathie croissante chez les jeunes, le genre de passivité engendrée par l’anonymat dont on jouit en ligne et par la conviction répandue que, d’un simple clic, on peut se retirer d’une conversation dont on n’a cure ou d’enjeux controversés.
La candidate à la direction du Parti libéral, Joyce Murray, a constaté le phénomène lorsqu’elle a censément obtenu l’appui de dizaines de milliers d’activistes en ligne par l’entremise d’organisations comme Avaaz et À l’action. Il ne fait aucun doute que ces gens appuyaient Mme Murray et ses idées progressistes, mais leur appui a été tout sauf utile. En fin de compte, il s’agissait davantage d’activistes désengagés que d’activistes. Presque aucun d’eux ne s’est donné la peine de voter pour elle.
Bien que nous n’ayons pas encore obtenu l’analyse de l’élection de la Colombie-Britannique, il semblerait que les groupes environnementaux, les syndicats et d’autres groupes progressistes ne sont pas allés appuyer le NPD malgré des commentaires en ligne sans précédent. Il semble que les vieilles technologies, comme la télévision et la radio, auxquelles les libéraux ont recouru pour diffuser des publicités négatives ont été beaucoup plus efficaces que tout ce que nous avons vu dans les médias sociaux.
Ainsi, exactement comme quand j’ai été élu pour la première fois il y a 20 ans, les élus d’aujourd’hui doivent faire la distinction entre ce que j’appelle les commentaires bidon et les commentaires authentiques. Avant, les commentaires bidon arrivaient par lettres. Aujourd’hui, ils sont communiqués par courriel, par Twitter, dans les pétitions ou sur Facebook; ce sont des moyens de communication très faciles d’accès.
Pour dire les choses autrement, tout est dans le contenu. Convainquez 20 personnes d’écrire un courriel réfléchi qui critique la position d’un député, et vous obtiendrez son attention, que vous ne capteriez jamais si vous demandiez simplement à 20 personnes de retransmettre sur Twitter une critique personnelle virulente.
Je suis souvent la cible d’attaques personnelles. J’évite les partisans qui m’insultent sans vouloir discuter. Leur attitude est antidémocratique et, à mon avis, il faut les stopper plutôt que dialoguer avec eux. Malheureusement, surtout sur Twitter, ce genre de réponses partisanes est très courant.
Cela dit, si vous souhaitez y consacrer le temps nécessaire et affronter les critiques, il est possible d’obtenir un certain succès. Le président du Conseil du Trésor, Tony Clement, s’adresse souvent au public directement sur Twitter. Quelques députés, tous partis confondus, font, sans aucun doute, la même chose. Le ministre Clement discute avec ses abonnés, même si l’on peut se demander à quel point on peut avoir une discussion digne de ce nom par tranches de 140 caractères. D’autres députés n’ont pas eu ce succès dans les médias sociaux. Le député néo-démocrate Pat Martin a eu bien des conversations sur Twitter, dont certaines ont fait couler beaucoup d’encre. Il a pris la judicieuse décision de fermer son compte Twitter.
Néanmoins, malgré l’attention qu’obtiennent les médias sociaux, les partis politiques obtiennent encore la plupart de leur information de la même façon qu’ils le font depuis des années : ils vont de porte en porte, font des sondages et organisent des groupes de discussion. Il est certainement possible d’obtenir de l’information à partir de l’analyse des interventions dans les médias sociaux en recourant à des services comme ceux offerts par Sysomos, mais ces services et ces logiciels sont loin de remplacer le dialogue direct avec les gens pour leur demander ce qu’ils pensent.
Mais qu’en est-il de la communication dans l’autre sens? Lorsque les partis politiques s’adressent au public, quel est l’impact des médias sociaux? La réponse est que cet impact n’est pas plus grand que celui de n’importe quel autre média. Une fois encore, tout est dans le contenu.
Dans le Globe and Mail, Tom Flanagan a écrit récemment que, jusqu’ici, les médias sociaux ont eu peu d’influence sur les campagnes politiques canadiennes par comparaison avec ce qui se produit aux États-Unis. Il en attribue la cause aux différences culturelles et à la différence des régimes politiques.
Par contraste, les politiciens canadiens utilisent les médias sociaux de façon unilatérale. Ils affichent dans leur site Web et leur page Facebook des photos d’eux-mêmes, des membres de leur famille et de leurs animaux de compagnie, et ils diffusent des vidéos sur YouTube. Sur Twitter, ils parlent de leur dernier discours, critiquent leurs adversaires ou disent tout simplement de quoi leur journée a été faite. Ils tentent ainsi de présenter leur côté humain aux électeurs, mais, comme la communication est unilatérale, elle ne suscite en rien l’engagement politique.
Bien sûr, sauf pour quelques députés, comme Tony Clement et Matthew Dubé, Tom Flanagan a raison, je pense.
Retenons simplement que, jusqu’ici, l’influence des médias sociaux sur les élections canadiennes ou sur les programmes des gouvernements fédéral ou provinciaux est restreinte. Il n’y a qu’un cas, à ma connaissance, où les médias sociaux ont eu une influence sur le gouvernement fédéral actuel, et c’est celui du CRTC qui proposait de permettre aux importants fournisseurs de services Internet d’augmenter les frais des grands utilisateurs. Vous vous souviendrez de l’explosion que la nouvelle a suscitée sur Internet; le gouvernement a réagi et a clairement indiqué qu’il n’y aurait pas d’augmentation. Bien sûr, même sans le phénomène Twitter, le gouvernement aurait pu dire que l’idée était stupide et refuser la proposition. Tout de même, dans l’ensemble, il existe très peu de cas où les médias sociaux ont fait bouger le programme du gouvernement, en tout cas certainement pas à l’échelle fédérale.
Cela dit, les médias sociaux peuvent avoir une influence de la même façon qu’un bon vieil activiste qui rédige des lettres. Les médias sociaux offrent aux citoyens activistes un public potentiel bien plus vaste qu’auparavant. N’importe qui peut avoir un blogue, une page Facebook et un compte Twitter. Par conséquent, si les arguments sont bons et convaincants, il est possible de déclencher des débats et, peut-être, d’influencer les gouvernements. Mais, parfois, ça donne l’effet contraire.
À chaque élection ou presque, des blogueurs révèlent des histoires peu flatteuses sur les candidats dans le but de leur nuire le jour du vote. À la dernière élection, plusieurs candidats ont dû se retirer de la campagne en raison de ce qu’ils avaient publié sur Facebook ou dans leur blogue.
Quelle conclusion pouvons-nous donc tirer? Les médias sociaux constituent un outil au même titre que bien d’autres, et ils sont un moyen de communication ni meilleur ni pire que les autres. Ils sont plus récents, tout simplement. Bien sûr, ils permettent aux gens de rejoindre un public plus vaste, mais, jusqu’à présent, peu de personnes s’en servent efficacement. La question, d’après moi, est moins le mode de communication que le propos. Est-ce que nos arguments sont bons? Tentons-nous vraiment de persuader les autres?
Les médias vont et viennent. Le message, lui, demeurera toujours au cœur de la communication.
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