Revue parlementaire canadienne

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La tradition parlementaire et l'héritage de la guerre de 1812
Gary O'Brien

Cette année, à l’occasion du bicentenaire de la guerre de 1812, de nombreux Canadiens célébreront la tradition militaire du pays. Nos traditions parlementaires remontent à plus de deux siècles et nous avons tendance à les tenir pour acquises. Si l’issue de la guerre contre les États-Unis avait été différente, nous aurions peut-être eu un autre régime de gouvernance. Il ne faudra jamais oubliée la dette parlementaire contractée envers les personnes qui se sont battues lors de ce conflit. Le présent article soutient que nous devrions prendre un peu de temps pour réfléchir à nos traditions parlementaires tout autant qu’à nos traditions militaires.

Notre tradition législative émane de deux sources principales. Il y a d’abord la législature de l’arrière-pays du Haut-Canada, dont la première séance s’est tenue le 17 septembre 1792 près de Niagara Falls, et, plus précisément, selon l’historien W.C. Croften, sous un arbre, une grosse pierre faisant office de bureau pour le greffier. Il y a ensuite la législature provinciale beaucoup plus nombreuse du Bas-Canada, qui s’est réunie à Québec dans une église du XVIIe siècle. Au moins cinq des grandes caractéristiques du Parlement canadien moderne découlent des procédures et des usages que ces assemblées ont établis avant 1812.

Premièrement, notre procédure législative n’a jamais été une réplique des procédures anglaises. Une fois leurs chambres constituées, les parlementaires s’assoyaient à des bureaux et non sur des bancs. Ils votaient par appel nominal plutôt qu’en entrant dans l’antichambre des « pour » ou l’antichambre des « contre » en vue d’un décompte par un scrutateur. Le dialecte anglo-normand n’a jamais été employé pour les cérémonies de sanction royale. Rien n’indique que les présidents portaient une perruque. Quand les Américains ont mis le feu aux édifices parlementaires de York (aujourd’hui Toronto), en 1813, ils se sont emparés de la perruque qui était suspendue au-dessus du fauteuil du président comme trophée de guerre. On dit souvent que c’était la perruque du président, mais c’était sans doute celle d’un juge, puisque la salle servait aussi de cour lorsque l’assemblée ne siégeait pas, ce qui était le cas au moment de l’invasion, en avril 1813. Enfin, contrairement à l’usage qui prévalait à Westminster, l’objectif ici était d’en arriver promptement à une décision, sans cérémonies élaborées et sans questions interminables.

Deuxièmement, le Parlement canadien est un modèle de bilinguisme pour le monde entier, depuis la toute première séance de la première session de la législature de 1792 du Bas-Canada. Bien que livré en anglais, le discours du Trône initial était accompagné d’une traduction française qui a été lue par l’un des commissaires chargés d’administrer le serment d’allégeance aux parlementaires. Les parlementaires francophones ont insisté pour que le premier projet de loi présenté à l’Assemblée le soit dans les deux langues. On a décidé très tôt que les Journaux, le compte rendu officiel de la Chambre, seraient bilingues et que « les Rapports des Comités de toute la chambre, ou spéciaux, adresses, messages, et toutes autres transactions ou délibérations de la chambre seront mis dans les deux langues et ainsi entrés dans les registres ». Cette résolution a généralement été reprise par le Parlement de la Province unie du Canada et, après 1867, par le Parlement du Canada.

Troisièmement, le Parlement canadien se caractérise par une lutte incessante pour amener le pouvoir exécutif à rendre des comptes au Parlement, en particulier à la Chambre, élue par le peuple. Il est vrai qu’à l’époque, les législatures locales n’avaient guère de pouvoir sur le financement gouvernemental et qu’avant 1817, personne ne demandait de fonds ou ne présentait de prévisions budgétaires. Néanmoins, les assemblées du Haut et du Bas-Canada étaient toutes deux déterminées à se prévaloir du pouvoir qu’elles détenaient pour exiger des comptes du gouvernement. Pendant la session de 1793-1794, les comptes de revenus de la province ont été imprimés dans leur intégralité dans les Journaux de l’assemblée du Bas-Canada, puis ont été examinés par le comité plénier. En 1812-1813, on a commencé à renvoyer les comptes à un comité spécial de cinq membres qui faisaient ensuite rapport de leurs observations. La destitution des hauts représentants comptait aussi parmi les procédures employées : en 1814, l’Assemblée a décidé, par scrutin officiel, de destituer le juge en chef de la province. Peu après la guerre, d’autres usages ont continué d’évoluer, comme le rejet d’une liste civile permanente, le refus de crédits et le fait de ne pas adopter un projet de loi tant qu’on n’aurait pas satisfait aux griefs de base.

Certains observateurs, comme l’ancien sénateur Lowell Murray, déplorent le fait que, ces dernières années, de nombreux parlementaires semblent avoir oublié la lutte pour le contrôle des cordons de la bourse, que les législateurs d’hier ont menée avec tant d’acharnement.

La défense farouche du privilège parlementaire semble avoir mieux survécu comme tradition. Le privilège englobe l’ensemble des droits dont jouissent les parlementaires et sans lesquels ils ne pourraient exécuter leurs fonctions. Selon les premiers avis juridiques émanant de Londres, il ne fallait jamais considérer le privilège de la Chambre des communes britannique et celui des assemblées des colonies comment étant égaux. Néanmoins, dès 1801, les présidents des deux assemblées ont revendiqué auprès du gouverneur général « la liberté de parole et de façon générale, tous les privilèges et libertés dont bénéficie la Chambre des communes de Grande-Bretagne, notre mère patrie ». Malgré le fait qu’ils outrepassaient souvent ses pouvoirs, les parlementaires ont exigé l’immunité d’arrestation en séance, le droit de s’acquitter de leurs fonctions sans avoir à subir de menaces ou de tentatives de corruption, le pouvoir d’envoyer chercher des témoins et de les interroger ainsi que le droit d’imposer des sanctions pour outrage. Ces éléments de base, qui constituent la définition moderne du privilègem sont antérieurs à 1812.

Enfin, la nature professionnelle et non partisane de l’administration de la Chambre a rapidement pris place. Dans toute l’histoire du Haut-Canada, quatre greffiers seulement se sont succédé à la Chambre d’assemblée, et trois seulement au Bas-Canada. La continuité professionnelle et la préservation de la mémoire institutionnelle dans la prestation des services aux parlementaires sont demeurées intactes. Dans la Province du Canada, trois personnes seulement ont occupé le poste de greffier du Conseil législatif, tandis que l’Assemblée législative n’a connu qu’un seul greffier. Depuis 1867, le Parlement n’a eu que 12 greffiers du Sénat et 12 greffiers de la Chambre des communes.

Même si le gouvernement parlementaire d’aujourd’hui ne fonctionne plus de la même façon, ces traditions parlementaires parmi d’autres représentent un héritage substantiel qui est digne d’être reconnu.


Canadian Parliamentary Review Cover
Vol 35 no 3
2012






Dernière mise à jour : 2020-09-14