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Charles Robert

The Evolving Canadian Crown, sous la direction de Jennifer Smith et de D. Michael Jackson, Montréal, McGill-Queen's University Press, 2012, 248 pages.

En cette année du jubilé de diamant, la reine Elizabeth II, qui a accédé au trône au jeune âge de 25 ans en 1952 après le décès prématuré de son père, le roi George VI, célèbre ses 60 ans de règne. La plupart des observateurs s’entendent pour dire que ce règne a été un grand succès. En dépit des changements considérables qui se sont produits au Royaume-Uni, au Canada et dans le Commonwealth depuis 60 ans, la reine et le reste du clan royal ont, exception faite de quelques rares faux pas notoires, fait preuve d’une remarquable capacité d’adaptation à des circonstances et à des attentes en constante évolution.

Selon ce qui nous a été communiqué jusqu’à maintenant, tout indique que la reine profitera d’une joyeuse année de célébrations au Royaume-Uni, où ses sujets semblent disposés à lui manifester chaudement leur appréciation et leur affection en reconnaissance de tout ce qu’elle a fait pour eux en tant que souveraine ayant rempli avec grâce et dignité son engagement de consacrer sa vie à leur service. Compte tenu de son âge et de celui du prince Philip, la reine limitera son horaire chargé aux seules activités se tenant au Royaume-Uni, laissant aux autres membres du clan royal le soin d’assister aux activités tenues dans les différents pays membres du Commonwealth. Pour leur part, le prince de Galles et la duchesse de Cornwall viendront au Canada en mai.

Le jubilé de diamant et la visite au Canada de l’héritier de la Couronne alimenteront sans doute les spéculations sur l’avenir de la monarchie au Canada. Prévoyant le coup, les sénateurs Joyal et Segal ont présidé une conférence de collègues monarchistes en juin 2010 sur la colline du Parlement pour examiner le rôle et les perspectives de la Couronne au Canada. Il en est résulté la publication du recueil dont il est ici question, The Evolving Canadian Crown. L’ouvrage renferme quatorze essais précédés d’une introduction de la professeure Jennifer Smith. Ces essais sont groupés sous quatre thèmes liés d’une façon particulière au Canada, en plus d’un autre traitant de la situation en Australie et en Nouvelle-Zélande.

Les thèmes eux-mêmes illustrent les défis que doit relever la Couronne au Canada. Ainsi, le premier thème, la Couronne dans la perspective canadienne, comprend deux essais. Le premier, rédigé par Michael Jackson et Lynda Haverstock, traite du concept déroutant de Couronne combinée, selon lequel la reine est à la fois Sa Majesté « du chef de » chaque province et Sa Majesté « du chef du » pays tout entier. Dans une bonne partie de l’ouvrage, on rappelle l’histoire de la rivalité entre les représentants fédéral et provinciaux de la Couronne, le premier étant directement choisi par le souverain et non par le gouvernement fédéral, et les lieutenants-gouverneurs, par ce dernier.

La question du rôle des lieutenants-gouverneurs et de leurs relations avec la Couronne était ou bien embrouillée ou bien résolue, selon le point de vue de chacun, par les décisions du Comité judiciaire britannique du Conseil privé, qui a complètement changé l’objet de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique en créant la fiction juridique de Couronne combinée. Le deuxième essai constitue une dure critique de l’objet et du sens des lettres patentes de 1947 concernant la fonction de gouverneur général. Ce document, le plus important d’une série traitant de la fonction de gouverneur général et le premier à avoir été signé par un premier ministre canadien, a été invoqué pour revendiquer, pour le gouverneur général, le titre de « chef de l’État », parfois de facto, parfois de jure, mais toujours incorrectement, comme M. McCreery le montre clairement.

Le deuxième thème, qui porte sur la Couronne et le Parlement, concerne la prorogation inattendue de la session parlementaire en décembre 2008. Toute cette commotion a commencé lorsque le gouvernement Harper minoritaire a été confronté, de manière soudaine et inattendue, à la réelle possibilité d’une défaite sur une motion de défiance deux mois à peine après des élections générales et moins de trois semaines après le début de la première session de la nouvelle législature. Pour échapper à cette possibilité bien réelle, le premier ministre a cherché à mettre fin à la session en demandant une prorogation à la gouverneure générale. Rien d’aussi grave intéressant la prérogative de la Couronne ne s’était produit au Canada depuis 1926 et l’affaire King-Byng. Les médias ont beaucoup spéculé sur le bon usage du pouvoir discrétionnaire du gouverneur général dans les jours qui ont suivi la demande de prorogation. Les trois essais écrits par David E. Smith, Patrick Monahan et Andrew Heard et présentés à la conférence sont plus analytiques. Ce qui rend cette analyse intéressante, c’est le point de vue différent de deux des auteurs.

Patrick Monahan soutient la décision de la gouverneure générale d’accorder la prorogation alors qu’Andrew Heard s’y oppose. M. Heard invoque la disponibilité d’un gouvernement de rechange pour justifier le refus d’accorder la prorogation, tandis que Patrick Monaghan souligne le fait que le gouvernement Harper avait prouvé sa crédibilité en remportant un vote crucial sur l’adresse en réponse au discours du Trône grâce à l’appui de l’opposition libérale. Les différences de ces analyses renforcent quelque peu la démarche plus philosophique adoptée par le professeur Smith, qui avance des hypothèses au sujet de la nature du rôle du gouverneur général et des tendances paradoxales de notre démocratie moderne de se fonder sur l’intégrité d’agents qui n’ont pas à rendre de comptes pour veiller au bon fonctionnement de l’appareil parlementaire de nos élus.

La nécessité de renforcer l’image et l’attrait de la Couronne constitue le point central du thème de la Couronne et de la société civile. Paul Benoit fait valoir que l’on peut présenter davantage la Couronne comme une force unificatrice en conférant plus de faste et de solennité aux cérémonies officielles auxquelles participe le gouverneur général durant les fêtes nationales, comme la Fête du Canada, la fête de Victoria et le jour du Souvenir. Dans son second essai de cet ouvrage collectif, M. McCreery souligne qu’on peut améliorer le rôle de la Couronne comme organe dispensateur d’honneurs en clarifiant certains aspects du régime de distinctions honorifiques qui a été établi au Canada depuis le règne du roi George V. David Arnot, pour sa part, estime nécessaire que l’on rétablisse le rôle de la Couronne comme agent de médiation entre les gouvernements fédéral et provinciaux, d’une part, et les Premières Nations, peuples autochtones du Canada, d’autre part, afin de mieux garantir la reconnaissance des droits ancestraux et des droits issus des traités signés au nom du souverain.

Deux essais présentent un point de vue différent sur le Commonwealth. Le premier traite des événements entourant le référendum tenu en 1999 en Australie sur l’option républicaine, et le second, de la position stable de la Couronne en Nouvelle-Zélande. Enfin, le quatrième thème, qui a été sans doute le plus important de la conférence, porte sur les questions auxquelles la Couronne doit maintenant faire face au Canada. Le père Jacques Monet et le sénateur Hugh Segal présentent tous deux des idées qui font écho aux propositions faites par Paul Benoit. Le père Monet fait plusieurs « propositions modestes » pour rehausser le prestige de la fonction vice-royale. La première consiste à allonger le mandat du gouverneur général, le faisant passer des 5 années habituelles à pas moins de 15 ans. Une autre idée quelque peu farfelue, semblable au processus d’élection du pape, consiste à enfermer les conseillers privés de moins 80 ans dans l’édifice de l’Est, afin qu’ils désignent le prochain gouverneur général en cas de vacance. Une autre est le rétablissement de la pratique de communications et de séances d’information plus fréquentes entre le gouverneur général et le premier ministre. Une suggestion plus réaliste et encore plus modeste est celle du sénateur Segal, qui a proposé que l’on abandonne la pratique de demander aux juges de la Cour suprême de faire office de suppléants vice-royaux pour donner la sanction royale aux projets de loi adoptés par la Chambre des communes au nom du gouverneur général s’il est incapable de le faire. En faisant cette proposition, le sénateur Segal tente d’éviter l’apparence de conflit d’intérêts entre l’exécutif et les tribunaux relativement à des projets de loi controversés sur le plan juridique.

La crainte sous-jacente pour l’avenir de la monarchie qui représente le revers de la médaille des cérémonies du jubilé de diamant est examinée plus en profondeur dans le dernier essai de la collection, rédigé par le sénateur Serge Joyal. Celui-ci catalogue les nombreux facteurs et événements différents qui ont miné le rôle de la Couronne au Canada et qui ont contribué à la diminution lente et apparemment irréversible de son prestige et de son utilité. Le plus important de ces facteurs est, à n’en pas douter, le fait que la reine n’habite pas au Canada. Son rôle doit donc être rempli par un suppléant.

Cependant, quelles que soient les qualités du gouverneur général, une « Couronne suppléante » risque de plus en plus de devenir une piètre option. Elle n’est tout simplement pas assez réelle et, paradoxalement, la « canadianisation » de la Couronne ne semble qu’empirer le problème en mettant en évidence la différence de stature entre la reine et ses gouverneurs généraux. La reine reste une importante figure publique et constitutionnelle au Royaume-Uni, mais son gouverneur général au Canada semble de plus en plus accessoire et marginal. La situation nous rappelle l’allégorie de la caverne de Platon. Les Canadiens, tant le public que la classe politique, semblent moins disposés à accepter les ombres projetées sur le mur de la caverne comme la réalité. Le gouverneur général ne jouit pas des mêmes traits sur le plan du mythe, de la stature et de la durée qui sont au cœur même de l’attrait de la monarchie. Le charme inaltérable de la Couronne au Royaume-Uni repose sur des traditions, des coutumes et des cérémonials qui sont complètement absents au Canada. En dépit de tous leurs efforts, nos gouverneurs généraux n’ont tout simplement pas le même profil ou ne disposent pas des mêmes moyens pour soutenir l’image de la Couronne. Ils ne sont que l’ombre projetée sur le mur de la caverne.

Les participants à la conférence d’Ottawa sur la monarchie sont très conscients des défis auxquels fait face la Couronne au Canada. Parallèlement, ils reconnaissent clairement le rôle que joue la Couronne dans notre régime constitutionnel et, par leurs essais, ils s’emploient à trouver des moyens de le soutenir. L’avenir nous dira si leurs efforts seront couronnés de succès. En attendant, la célébration du jubilé de diamant de la reine confirme que la monarchie survivra au Canada durant le reste du règne d’une souveraine des plus révérées et admirées. On sait toutefois moins comment elle le fera lorsque son successeur accédera au Trône. Quoi qu’il soit, aucun gouverneur général ne pourra jamais espérer jouer un rôle semblable à celui joué par la reine. Par son titre, cet ouvrage collectif, The Evolving Canadian Crown, se présente certes comme un aperçu prospectif fondé sur notre histoire, mais il pourrait bien se révéler être un hommage à un système en fin de course qui ne peut plus vraiment croître et se développer dans sa forme actuelle. Saura-t-il trouver d’autres moyens de croître ou de s’adapter comme la reine l’a fait? Les auteurs l’espèrent.

Charles Robert
Greffier principal
Bureau de la Chambre et de la procédure
Le Sénat


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Vol 35 no 2
2012






Dernière mise à jour : 2020-09-14