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Fatima Houda-Pepin, députée, Assemblée nationale
Au Québec, les femmes sont autour de 30 % depuis la dernière élection du 8 décembre 2008. Elles ont surtout tardé à faire leur entrée à l’Assemblée nationale. La pionnière, Marie-Claire Kirkland, a été élue le 14 décembre 1961 et a siégé, seule, parmi une centaine d’élus masculins, dans ce temple de la démocratie, pendant 12 ans, avant que Lise Bacon ne lui succède en 1973. En 1976, le parlement s’enrichit de quatre nouvelles députées du Parti Québécois, Lise Payette, Louise Sauvé Cuerrier, Jocelyne Ouellet et Denise Leblanc-Bantey, en plus de Lise Bacon qui est réélue. À l’automne 2012, un monument sera érigé sur la colline parlementaire en hommage aux femmes en politique.
La place des femmes en politique est l’un des sujets qui revient dans l’actualité au gré des élections. Combien sont-elles? Que font-elles? Font-elles la politique différemment des hommes? Représentent-elles vraiment les intérêts des femmes? Autant de questions pertinentes qui nous font souvent oublier que le combat des femmes pour les droits politiques est une lutte inachevée et qu’il y a encore beaucoup de place pour elles dans ce monde, trop longtemps réservé aux hommes. Au plan international, au 31 octobre 2011, les femmes élues aux parlements représentaient à peine 19,5 %.
La mobilisation pour le droit de vote et d’éligibilité des femmes au Québec constitue une véritable épopée qui mérite d’être racontée, particulièrement aux jeunes, qui pourraient y trouver une inspiration.
Pendant près d’un quart de siècle, les militantes pour le droit de vote des femmes avec, à leur tête, trois suffragettes, Thérèse Forget-Casgrain, Marie Lacoste Gérin-Lajoie et Idola Saint-Jean, ont tenté d’ébranler les colonnes du temple, réclamant des députés l’adoption d’un projet de loi à cet effet. À treize reprises, de 1922 à 1939, des projets de loi ont été déposés à la Chambre et rejetés par nos augustes députés, avec tout ce que l’intelligence pouvait leur conférer comme argument. Voici quelques extraits de cette époque :
L’expérience nous enseigne que l’homme est supérieur en politique et que la femme est supérieure au foyer. Pour que chacun garde sa supériorité, il faut qu’ils tiennent tous deux leur place.
J.-C.-E. Ouellet, Dorchester, le 10 mars 1927
Cette demande d’accorder le droit de suffrage aux femmes est contraire au bonheur domestique, à l’ordre social, à la religion elle-même [...] Le Concile de Québec de 1909 a désapprouvé le suffrage féminin comme étant contraire aux idées chrétiennes.
Ernest Poulin, Montréal-Laurier, le 22 février 1933
Le droit de vote des femmes n’est aucunement nécessaire. Le Canada a été découvert alors que les femmes n’avaient pas ce droit et personne n’a eu à s’en plaindre.
Pierre Gauthier, Portneuf, le 20 mars 1935
Il y a trop de renards dans la politique pour y introduire des poules.
Robert-Raoul Bachand, Shefford, le 20 mars 1935
Si ce droit leur est accordé, il s’ensuit qu’elles pourront être députées, ministres, se lancer dans la politique. C’est pourquoi je refuse de participer à un geste aussi lourd de conséquences.
Albiny Paquette, Labelle, le 27 mai 1936
Ce discours misogyne va prendre fin avec le retour d’Adélard Godbout au pouvoir à titre de premier ministre libéral de 1939 à 1944. Le 9 avril 1940, il déposa lui-même le projet de loi nº 18, Loi accordant aux femmes le droit de vote et d’éligibilité. Maurice Duplessis, qui s’y est toujours opposé, a été égal à lui-même, affirmant du haut de son autorité : « Dans la province de Québec, l’on a rien à gagner en accordant le droit de suffrage aux femmes [...] On ne devrait pas enlever les femmes de leur foyer. » M. Godbout se tint debout face aux sarcasmes de Duplessis, face à la farouche opposition de l’Église catholique, face aux pétitions interminables des anti-suffragettes, allant même jusqu’à menacer de démissionner.
Sa réplique ne s’est pas fait attendre. Dans un ultime plaidoyer, prononcé le 25 avril 1940, le jour même de la prise de vote sur ce projet de loi historique, il déclara :
« Les conditions dans lesquelles nous vivons font de la femme l’égale de l’homme. Elle a souvent les mêmes devoirs et les mêmes obligations [...] Pourquoi lui refuser les mêmes droits, surtout quand bien des questions dont nous avons à décider relèvent plus de sa compétence que de la nôtre? [...] Notre société a besoin des femmes [...] Je réclame donc le droit de vote pour la femme afin d’élever le niveau de nos discussions politiques. »
Malgré cet acquis significatif, le Québec mettra plus de 20 ans avant que la première femme élue fasse son entrée au Parlement. Lorsque Marie-Claire Kirkland, fraîchement élue, arriva à Québec pour louer un appartement, elle ne pouvait signer son bail. Il fallait la signature de son mari. Les femmes étaient alors des « incapables » au plan juridique. Nommée ministre dans le gouvernement de Jean Lesage, Mme Kirkland va user de son pouvoir législatif pour en finir avec la mise en tutelle des femmes. Elle fait adopter, en 1964, la Loi sur la capacité juridique de la femme mariée. Depuis, les Québécoises peuvent signer des documents à caractère juridique et faire des transactions commerciales et bancaires en leur propre nom.
C’est cette histoire que raconte le monument en hommage aux femmes en politique, initiative de l’Assemblée nationale, en collaboration avec la Ville de Québec, la Commission de la capitale nationale et le Conseil du statut de la femme. Il sera érigé juste à côté de l’imposante statue de Maurice Duplessis, celui-là même qui s’est opposé, avec l’énergie du désespoir, au droit de vote et d’éligibilité des femmes.
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