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Gary O'Brien
Tony Blair, A Journey, London, Arrow Books, format de poche, 2011, 718 p.
Ce livre perpétue la tradition des premiers ministres britanniques qui, à la fin de leur carrière, se remémorent leur vie et ce qu’ils laissent en héritage. John Major, Margaret Thatcher, Edward Heath, Harold Wilson, Anthony Eden, Clement Attlee, Ramsay MacDonald, Lloyd George, Arthur James Balfour, sans oublier Winston Churchill, Robert Peel et Robert Walpole, ont, en effet, tous écrit leurs mémoires.
Cette tradition n’a pas été aussi forte au Canada, peut-être parce que nous avons tendance à être plus modestes et effacés. S’il est vrai que Tupper, Borden, Diefenbaker, Pearson, Trudeau, Mulroney, Campbell, Chrétien et Martin ont tous publié des mémoires sur leur vie politique, Macdonald, Mackenzie, Abbott, Thompson, Bowell, Laurier, Meighen, Bennett, Saint-Laurent, Clark et Turner y ont, eux, renoncé. Il en est de même pour William Lyon Mackenzie King, le premier ministre canadien qui a servi le plus longtemps, même si son journal personnel a été publié plus tard.
À première vue, l’héritage de Tony Blair semble fragile. Ses tentatives de transformation du Parti travailliste en un parti moderne, progressiste, pragmatique et centriste se sont soldées par un échec cuisant avec l’élection d’Ed Miliband au poste de chef du parti en septembre 2010. Les premiers articles parus dans les journaux après cette élection avaient pour manchette « Miliband déclare la mort du New Labour ». Les jeunes émeutiers qui sont descendus l’été dernier dans les rues du Royaume-Uni ont été baptisés « les enfants de Tony Blair », car ils ont été élevés sans espoir ni aspirations.
Les guerres d’Irak et d’Afghanistan dont il a été un des instigateurs ont laissé un goût amer dans la bouche de nombreux Britanniques. Son espérance de modifier la façon de faire de la politique a, en outre, été anéanti par le scandale du « cash for honours » qui a éclaté vers la fin de son mandat, en 2007. Toutefois, une telle évaluation accorde trop d’importance au rôle joué par une personne, même s’il s’agit d’un leader mondial, dans le modelage des forces politiques, économiques et sociales qui existent sur la scène nationale et internationale. Pour juger de l’héritage d’une personne, il est préférable d’évaluer si cette dernière a bon cœur. Il y a de nombreux signes qui indiquent que c’était le cas avec Tony Blair.
Dans son livre, M. Blair affirme qu’il écrivait lui-même ses discours (p. 457). Le 22 février 2001, il a pris la parole devant le Parlement canadien, et tout porte à croire qu’il était bien l’auteur de son discours, car celui-ci reflète la plupart des thèmes abordés dans A Journey. En s’adressant au Parlement, il a évoqué l’importance de ramener la paix en Irlande du Nord (et a loué, comme il l’avait fait dans son livre, le travail du général canadien John de Chastelain en matière de désarmement). Il a fait allusion aux menaces que sont « le terrorisme ou la prolifération des armes nucléaires, chimiques et biologiques » et insisté sur l’importance de l’alliance transatlantique entre le Royaume-Uni et l’Amérique du Nord qu’il a qualifiée de « roc sur lequel reposent notre sécurité et notre prospérité ». Il a également parlé de son credo :
Notre croyance commune dans les valeurs de la démocratie institutionnelle, dans les avantages de la suprématie du droit, dans l’importance primordiale du marché en tant que moteur de croissance, dans une société forte et inclusive capable de corriger les injustices du marché, dans la puissance créatrice de l’individualisme et dans la nécessité absolue de protéger les droits de la personne.
Bon nombre des quelque 700 pages de son ouvrage sont consacrées à l’étude approfondie de ces thèmes.
M. Blair aborde deux sujets intéressants pour ceux qui étudient les affaires publiques et qui ont souvent été négligés dans les critiques de son livre jusqu’à présent : sa relation avec le parlement et son attitude à l’égard des services publics. Il a eu la réputation de n’avoir jamais été « un homme de la Chambre des communes », et on suppose qu’il n’aurait jamais répondu comme M. Churchill l’avait fait lorsqu’on lui avait demandé ce qui lui avait fait le plus plaisir dans sa vie — « être connu comme le député Winston Churchill ». Il ressemble toutefois beaucoup à Churchill lorsqu’il raconte sa première visite à Westminster pour rencontrer un député nommé Thomas Pendry. « J’ai traversé l’immense hall où les députés rencontrent le public, et me suis arrêté, stupéfait. J’avais eu soudain une révélation. C’était là que je voulais être. […] [S]ur le moment, j’ai eu un véritable pressentiment : c’était ici que j’allais être. Tel était mon destin. J’avais trouvé mon foyer politique. Je ferais tout ce que je pourrais pour y entrer. » (p. 48)
S’il reconnaît qu’il haïssait la période des questions au premier ministre — il la qualifie de « cauchemar » (p. 354) avec ses « affrontements, tous compliqués, tous peu engageants » (p. 748) —, il était tout à fait approprié que son dernier geste à titre de premier ministre fût de répondre à ces questions. Et voici ce qu’il a dit à la Chambre :
On peut dénigrer la politique, mais nous qui la pratiquons savons que c’est là que l’on marche la tête haute. Malgré les rivalités, les disputes violentes, la politique reste cette arène où le cœur bat à tout rompre. Si elle est parfois le lieu de basses combines, elle demeure le plus souvent l’endroit où se défendent les nobles causes.(p. 752)
J’aurais aimé qu’il explique comment son expérience parlementaire avant de devenir premier ministre (par exemple son travail dans les comités) l’a influencé et pourquoi il n’a pas achevé la deuxième étape de la réforme de la Chambre des lords après l’adoption de la House of Lords Act en 1999, qui retirait le droit de siéger à la Chambre haute à tous les lords, sauf 92 membres héréditaires. A-t-il simplement perdu la motivation ou a-t-il trouvé que la résistance à d’autres réformes constitutionnelles était trop farouche?
Comme il est indiqué dans des livres tels Instructions to Deliver: Fighting to Transform Britain’s Public Services (Londres, Methuen, 2007) de Michael Barber, qui raconte comment le New Labour a réussi à changer concrètement la façon de fournir les services publics, une des grandes contributions de M. Blair a manifestement été son appui à la mesure du rendement dans la prestation de ces services. S’il était fier de ses réalisations en matière de politique étrangère, il l’était tout autant d’avoir réussi à axer la prestation des services dans les domaines de la santé, de l’éducation et de l’aide sociale sur l’optimisation des ressources. Voici ce qu’il a dit à ses fonctionnaires : « [N]’allez pas croire un seul instant que, dans un autre cadre, vous dépenseriez de telles sommes d’argent sans exiger que la rentabilité soit évaluée. » Et le plus important, c’est peut-être son refus de déléguer la supervision de sa Direction de l’action publique à un autre ministre. Voici un extrait :
[…] la réforme des services publics exigeait de s’atteler à la mise en pratique et à la réalisation des objectifs de façon bien plus précise. Les [p]remiers ministres ressemblent de plus en plus aux P-DG des grandes entreprises. Ils doivent définir une ligne politique, veiller à ce qu’elle soit suivie, rassembler des données relatives à sa mise en œuvre et mesurer les résultats.(p. 387)
M. Blair recevait des notes mensuelles sur les progrès accomplis dans l’application de chacune de ses politiques nationales prioritaires ainsi que des rapports semestriels détaillés sur les principales mesures à prendre. Les gestes qu’il a posés dans ce domaine à titre de premier ministre serviront dorénavant de points de repère pour les autres qui suivront.
Ce livre s’adresse à un éventail de lecteurs : parlementaires, historiens, spécialistes de la politique étrangère, citoyens engagés ou encore premiers ministres et présidents en poste. Ils trouveront tous que cet ouvrage est intéressant et qu’il enrichit la littérature politique.
Gary W. O’Brien
Greffier du Sénat
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