Durant les années de gouvernements minoritaires, les analystes politiques ont maintes fois déploré l’état de notre démocratie parlementaire canadienne et souvent fait valoir qu’il fallait engager un dialogue sérieux à cet égard. Bien que les chercheurs aient tenté de faire la lumière sur certains enjeux, ils ont essentiellement vilipendé le premier ministre, préconisé une attitude moins partisane, proposé la représentation proportionnelle ou évoqué le besoin d’un manuel à l’intention du Cabinet qui établirait les règles de gouvernance. Or, ces propositions n’auraient réglé quoi que ce soit.
Aujourd’hui, grâce à la publication de ce livre, nous pouvons enfin discuter sérieusement de la question. Les auteurs ont mené une analyse approfondie des problèmes de notre démocratie parlementaire et formulé certaines propositions sérieuses pour les résoudre. Les circonstances qui ont emporté Peter Aucoin en juillet 2011, soit quelques semaines après la publication de cet ouvrage, sont tragiques. Toutefois, ce livre témoigne dignement d’une carrière consacrée à l’étude et à la réforme de nos institutions parlementaires.
Selon les auteurs, le problème canadien est double : constitutionnel et parlementaire. Sur le plan constitutionnel, le problème tient au fait qu’un premier ministre peut « abuser de ses pouvoirs constitutionnels pour convoquer, proroger et dissoudre la Chambre des communes, et ce, dans le but de faire avancer les intérêts partisans du parti au pouvoir » (p. 4). Sur le plan parlementaire, il réside dans le fait que le premier ministre peut abuser des règles et des procédures de la Chambre des communes qui visent à permettre au gouvernement de gérer les travaux de celle-ci de façon ordonnée.
Les auteurs soulignent les exemples d’abus aujourd’hui bien connus qui ont eu lieu au cours des dernières années. Toutefois, ils insistent, et à juste titre, sur le fait que le premier ministre Harper est loin d’être le seul et unique premier ministre à être coupable d’un tel comportement. En effet, celui-ci est endémique dans notre système. Pensons notamment à la décision de Joe Clark d’attendre 142 jours avant de convoquer le Parlement après avoir été élu, en 1979. On n’aurait jamais toléré une telle chose dans d’autres démocraties qui s’inspirent du modèle de Westminster. Jean Chrétien a eu recours à la prorogation afin de retarder le dépôt du rapport de la vérificatrice générale sur le scandale des commandites jusqu’à ce que son successeur entre en fonction. Les exemples abondent.
Un chapitre du livre est consacré au gouvernement responsable en Australie, en Nouvelle-Zélande et au Royaume-Uni, mais ne conclut pas pour autant que nous devons adopter leur pratique consistant à répertorier les conventions dans un manuel à l’intention des membres du Cabinet. Dans notre cas, un recueil de précédents se résumerait à un catalogue de mauvaises pratiques. Le message des auteurs semble être : « Dotons-nous d’un système fonctionnel avant même d’essayer d’en mettre les pratiques par écrit! »
Les auteurs se penchent sur le rôle des conventions non écrites dans notre régime parlementaire. Selon eux, le fait que certaines conventions ne fassent jamais consensus nous laisse dans une sorte d’impasse constitutionnelle où nous avons très peu de protection contre le pouvoir arbitraire.
Un autre chapitre porte sur la formation du gouvernement et s’en prend au principe peu judicieux selon lequel un gouvernement ne peut être formé qu’à l’issue d’une élection et que seul le parti qui remporte le plus grand nombre de sièges lors d’une élection peut être appelé à former un gouvernement.
Au début de la dernière campagne électorale fédérale, des déclarations tant du premier ministre, Stephen Harper, que du chef de l’opposition,
Michael
Ignatieff, ont ajouté à la confusion au sujet de cette convention constitutionnelle. En fait, personne n’est « appelé » à former un gouvernement après des élections. Le gouvernement au pouvoir demeure au pouvoir. Ce n’est que lorsqu’un gouvernement démissionne ou qu’il est défait à la Chambre que la question de la formation du gouvernement se pose. Cette question a rarement posé problème au Canada, mais elle est si fondamentale que le fait d’omettre de préciser cette convention affaiblit notre pays et risque de mener à son effondrement un jour ou l’autre.
Après avoir insisté sur tous les aspects dysfonctionnels de nos institutions, les auteurs proposent quatre solutions afin résoudre les problèmes d’ordre constitutionnel, quatre autres propositions de réforme de la gouvernance parlementaire et, enfin, deux propositions de réforme des partis politiques.
Leurs propositions d’ordre constitutionnel sont très semblables à celles présentées par le gouvernement de coalition en Grande-Bretagne à la suite des dernières élections. Voici en quoi elles consistent :
- établir des élections à date fixe, date qui ne pourrait être modifiée par le premier ministre à moins que la majorité des deux tiers des députés ait approuvé une motion visant à dissoudre le Parlement;
- adopter la procédure reposant sur la « défiance constructive », c’est-à-dire que l’opposition ne pourrait défaire le gouvernement qu’en présentant une motion de défiance explicite dans laquelle il serait également mentionné qui deviendrait le nouveau premier ministre;
- exiger le consentement de la majorité des deux tiers de la Chambre des communes pour proroger le Parlement;
- établir un délai de 30 jours tout au plus suivant des élections générales pour convoquer la Chambre des communes.
Ces modifications auraient pour but de remédier au problème central, à savoir que les premiers ministres peuvent abuser de leur pouvoir. Elles nécessiteraient toutes des modifications en bonne et due forme à la Constitution. Elles sont toutes fondamentales, si nous avons tiré des leçons de la période au cours de laquelle nous avons vécu sous des gouvernements minoritaires. Il est grand temps que nos élus, hommes et femmes, fassent abstraction du moratoire sur la modification de la Constitution qu’ils se sont imposé à la suite de l’échec de l’Accord du lac Meech et qu’ils commencent à nous libérer d’une forme de gouvernement dysfonctionnel pour en instaurer qui soit fonctionnelle.
Pour réformer le Parlement, les auteurs proposent que la Chambre :
- adopte une mesure législative visant à limiter le nombre de ministères à 25, et le nombre de secrétaires parlementaires, à 8;
- ait recours au mode de scrutin préférentiel secret pour la sélection des présidents des comités par les membres de ceux-ci pour la durée d’une législature;
- adopte un calendrier des journées consacrées à l’opposition à la Chambre qui ne puisse être modifié unilatéralement par le gouvernement;
- réduise de 50 p. 100 l’effectif du personnel politique (partisan) sur la colline du Parlement.
Bien entendu, il faut faire beaucoup plus pour réformer le Parlement, en particulier en ce qui concerne la façon dont le temps y est utilisé. Toutefois, ces propositions seraient un bon point de départ pour les députés de la 41e législature.
Pour réformer les partis politiques, les auteurs formulent les propositions suivantes :
- restaurer le pouvoir dont disposaient les caucus des partis pour destituer leurs chefs, y compris un premier ministre en fonction, et nommer un chef intérimaire;
- retirer aux chefs des partis leur pouvoir d’approuver ou de rejeter des candidats aux élections dans chaque circonscription.
Ces suggestions semblent faciles à mettre en œuvre, mais elles sont probablement plus difficiles à adopter que les propositions de réforme constitutionnelle, en fait. Quoi qu’il en soit, ces propositions font suite à une réflexion sur les problèmes constitutionnels et parlementaires et mériteraient peut-être d’être approfondies dans un ouvrage similaire, mais distinct, sur les partis politiques. Malheureusement, M. Aucoin n’est plus parmi nous pour contribuer à ce travail, mais espérons que ses deux collaborateurs poursuivront leur réflexion sur un gouvernement responsable.
Thomas Jefferson a écrit que « l’arbre de la liberté doit être revivifié de temps en temps par le
sang des patriotes et des tyrans ». Certes, un gouvernement responsable n’inspire pas des mots aussi dramatiques, mais il doit lui aussi être repensé et revivifié. Espérons que chacun de nos politiciens, fédéraux et provinciaux, trouvera le temps de lire cet ouvrage et prendra son message au sérieux.
Gary Levy
Directeur
Revue parlementaire canadienne