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Gregory Tardi

Politicians above the Law: A Case for the Abolition of Parliamentary Inviolability, de J.P. Joseph Maingot avec David Dehler, Ottawa, Baico Publishing Inc., 2010.

Ce livre traite d’un sujet important qui peut intéresser un lectorat de spécialistes bien défini, mais assez limité. On y examine l’application de la primauté du droit, et en particulier l’application de ce principe aux parlementaires. On y compare également le traitement que la loi réserve aux parlementaires dans les pays qui appliquent l’immunité parlementaire et dans ceux qui ont adhéré à la doctrine de l’inviolabilité parlementaire.

L’essentiel de la question est que les membres de tous les parlements doivent bénéficier d’une certaine exemption du droit commun appliqué à l’ensemble de la population pour pouvoir exercer leurs fonctions officielles librement et sans entraves. Jusqu’à un certain point, cette idée découle du fait que les parlementaires doivent disposer d’une marge de manœuvre professionnelle dans le cadre de leur travail : au sein de leurs chambres respectives, ils doivent jouir d’une certaine liberté pour exprimer publiquement ce qui doit être dit et permettre ainsi à l’organe législatif auquel ils appartiennent de prendre les décisions qui s’imposent. Dans une certaine mesure, cette question constitue un facteur dans les relations, y compris les tensions, qui existent entre l’organe législatif et les autres, en particulier l’exécutif. Les législateurs ne doivent pas être exposés à des poursuites judiciaires de la part de l’exécutif pour avoir accompli leurs tâches, en allant parfois à l’encontre des politiques de l’exécutif. Ils ont également besoin d’autres libertés secondaires, en particulier de celles ayant trait à la primauté de leur travail législatif sur leurs autres tâches professionnelles.

La vraie question traitée dans cet ouvrage est l’étendue de l’exemption nécessaire. En général, Maingot classe tous les pays de la planète en deux groupes : d’un côté, les pays anglophones, à savoir le Commonwealth et les États-Unis, et de l’autre, le reste du monde. Les pays anglophones appliquent un régime d’immunité parlementaire qui limite l’exemption accordée aux parlementaires. Les autres pays ont, en revanche, adopté une série d’exemptions beaucoup plus larges, en l’occurrence, l’inviolabilité parlementaire. Dans le présent ouvrage, Maingot soutient que le deuxième type de régime est très vaste et que son existence est injustifiable dans un contexte démocratique moderne. Il y a du vrai dans ce qu’il affirme, mais, en dépit du respect qu’on devrait témoigner à un ancien légiste de la Chambre des communes du Canada, on doit dire qu’il aurait pu présenter ses arguments de manière plus convaincante.

On peut se demander pourquoi l’auteur a choisi de placer tous les pays non anglophones dans la même catégorie. Lorsqu’il regroupe l’ensemble des États qui adhèrent à la doctrine de l’inviolabilité parlementaire, il place de facto dans un seul groupe des pays de la tradition de droit civil, des États latino-américains qui ont adopté une variante de ce droit, des pays appliquant des lois arabes et la charia, des systèmes juridiques coutumiers, des systèmes juridiques de l’Asie de l’Est, ainsi que les récents héritiers des systèmes juridiques socialistes. Les pays de ce groupe très diversifié ont connu des histoires différentes, qui ne devraient peut-être pas toutes être subsumées sous un concept de la Révolution française, « la puissance des baïonnettes », le moyen préféré par l’exécutif pour mater ceux qu’il perçoit comme des législateurs récalcitrants. Dans ce sens, un livre ayant un thème plus limité et traitant des régimes parlementaires européens et nord-américains aurait pu être plus convaincant.

Une autre série d’arguments auraient aussi pu rendre ce livre plus utile. Ayant choisi d’inclure les régimes parlementaires du monde entier dans sa thèse contre l’inviolabilité parlementaire, Maingot aurait pu présenter les différents scénarios possibles de façon plus systématique et plus détaillée. Voici comment il aurait pu les formuler :

  • Poursuites avant d’être élu au parlement :

- pour des actes commis avant d’être élu au parlement.

  • Poursuites au cours du mandat de parlementaire :

- pour des actes commis avant d’être élu au parlement;

- pour des actes commis au cours du mandat de parlementaire;

- pour des actes qui relèvent du mandat de parlementaire;

- pour des actes qui n’en relèvent pas;

  • Poursuites après la fin du mandat de parlementaire :

- pour des actes commis avant d’être élu au parlement;

- pour des actes commis au cours du mandat de parlementaire;

- pour des actes qui relèvent du mandat de parlementaire;

- pour des actes qui n’en relèvent pas.

- pour des actes commis après la fin du mandat de parlementaire.

On pourrait appliquer différentes règles aux divers scénarios énumérés, à l’exception probablement du tout dernier. De plus, le livre aurait été meilleur si l’auteur avait présenté une solution de rechange à ces poursuites de l’exécutif dans le système judiciaire général, à savoir un procès devant le parlement.

Il est certes facile pour le critique de salon de décortiquer l’approche utilisée par Maingot pour arriver à sa thèse, mais il serait plutôt obtus de contredire son idée principale. Au regard d’un citoyen habitué au régime politique canadien, y compris au modèle de privilège parlementaire britannique qui prévoit une immunité parlementaire beaucoup plus limitée, il est bien certain que le fait d’accorder une inviolabilité totale aux parlementaires après qu’ils deviennent membres d’un organe législatif semble incongru. Plusieurs arguments militent en faveur de cette proposition.

Maingot fait allusion à plusieurs reprises à l’affaire Berlusconi qui n’en finit plus. Il cite également en passant les poursuites intentées contre l’ancien premier ministre français Alain Juppé. L’affaire Berlusconi en particulier, fondée telle qu’elle l’est sur le concept de l’inviolabilité, est un scandale qui a entaché la vie politique italienne et encore plus la démocratie elle-même. C’est un des rares cas où les machinations flagrantes et les subterfuges manifestes ont fait oublier aux gens que tout individu est innocent jusqu’à ce qu’il soit déclaré coupable, tant devant la loi qu’en politique. Maingot mentionne également le phénomène des criminels qui se font élire dans certains pays, en particulier pour éviter des poursuites judiciaires. Il a bien raison de considérer cette tactique comme une distorsion de la démocratie.

Une omission très importante dans cet ouvrage — et elle aurait renforcé les arguments de Maingot dénonçant l’impunité des titulaires de charges publiques — est le parallèle très frappant récemment établi avec l’évolution du droit de la responsabilisation dans les organes législatif et exécutif. En effet, les lois qui régissent les gouvernements démocratiques ont généralement tendance à favoriser de plus en plus la reddition de comptes au détriment de l’impunité. Il faut reconnaître, toutefois, que la pratique ne suit peut-être pas encore tout à fait ce que la loi prévoit dans ce domaine. En ce qui à trait à l’exécutif, le Statut de Rome, adopté en 1998, a entraîné une amélioration fondamentale de la responsabilisation avec la création de la Cour pénale internationale. L’article 27 de cet instrument prévoit qu’aucun représentant d’un gouvernement, ni même un chef d’État ou de gouvernement ne doivent être exonérés de la responsabilité pénale en raison de leur qualité officielle. S’il est vrai qu’il peut être extrêmement difficile d’étendre ce principe visant l’exécutif aux corps législatifs, l’article 27 pourrait tout de même servir de modèle pour faire évoluer la responsabilisation des parlementaires dans les pays qui adhèrent à la notion de l’inviolabilité.

Le critique ressent le besoin de dire un mot de plus sur deux questions connexes : la qualité technique de l’ouvrage et son éditeur. Baico Publishing Inc. est, en fait, un éditeur bien intentionné, mais inconnu auquel l’auteur a dû avoir recours parce que des maisons d’édition plus traditionnelles et bien établies ont refusé de publier son livre. Ce détail explique la qualité inégale du travail d’édition, quelques citations fautives et incohérentes ainsi que les occasionnelles fautes d’orthographe ou problèmes d’impression. Il va sans dire que Baico aurait pu procéder à une révision finale de l’ouvrage. Toutefois, ce qui est de loin plus significatif, c’est que si la supposition du critique relative au choix de l’éditeur est vraie, il est grand temps que les maisons d’édition canadiennes de haut niveau révisent leurs politiques d’acquisition. Qu’on soit d’accord avec la thèse ou les conclusions de Maingot ne change rien au fait que le thème du présent ouvrage mérite bien d’être traité. Si ce projet n’est pas viable sur le plan commercial, c’est justement parce que des éditeurs disposant d’un personnel spécialisé et d’un réseau de commercialisation pancanadien ont refusé de faire connaître cet ouvrage et de susciter l’intérêt des lecteurs. Les livres constituent, avant tout, des outils intellectuels, et non de simples produits de consommation. Il est temps que les méga-conglomérats du secteur de l’édition publient aussi des livres avantageux pour la société, et ce, même s’ils ne sont pas à grand tirage et qu’ils ne rapportent pas gros.

La prochaine édition de cet ouvrage — car l’intérêt porté à cette question exige qu’il soit réédité — devrait être améliorée.

Gregory Tardi
Directeur de la rédaction
Revue de droit parlementaire et politique
Ottawa


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Vol 34 no 2
2011






Dernière mise à jour : 2020-09-14