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Pour une politique meilleure
Christopher Dornan; Chris Waddell

En septembre 2011, sous réserve de l’examen et de l’approbation du Conseil des études supérieures de l’Ontario, l’Université Carleton accueillera ses premiers étudiants inscrits à un nouveau programme d’études supérieures en gestion politique. Le diplôme est conçu comme une entreprise professionnelle innovatrice et intensive, bien qu’elle soit ancrée dans la compréhension et la critique universitaires des processus démocratiques existants. Son objectif sera de doter les diplômés de bases solides dans les compétences professionnelles qui conviennent pour travailler comme gestionnaire et stratège politique. Il affinera par la pratique le jugement et la réflexion des étudiants, non simplement dans l’optique d’un avantage partisan à court terme, mais aussi sous l’angle de l’intérêt public. Il insistera sur le comportement éthique comme principe directeur de tous les instants. L’article qui suit esquisse la genèse du programme.

Les universités de tout le Canada préparent leurs diplômés à des carrières importantes et lourdes de responsabilités dans une multitude de disciplines, et il ne saurait en être autrement. Imaginez qu’il n’y ait aucun programme d’études pour les infirmières, les enseignants, les économistes, les agronomes, les comptables, les journalistes, les vétérinaires et ceux qui assurent tous les autres services essentiels. Comment pourrions-nous nous débrouiller?

Imaginez le jeune enseignant qui en est à sa première journée de travail, soudainement responsable de l’éducation de toute une classe de cinquième année, mais sans avoir reçu de formation pratique structurée pour apporter ce qu’on attend de lui, et sans véritable mentorat.

Pareille chose est inconcevable, sauf dans les États en déroute. Bien sûr, nous préparons les enseignants à assumer leurs responsabilités, tout comme nous exigeons une formation préparatoire pour les officiers militaires et les travailleurs sociaux. C’est la marque d’un collectif politique mûr que de fournir et d’attendre une éducation pertinente dans toute une gamme de professions essentielles.

Et jusqu’ici, pourtant, il n’y a eu aucun programme d’études structuré au Canada pour un élément essentiel de la gouvernance démocratique. Imaginez à sa première journée au travail le jeune chef de cabinet d’un ministre. Considérez l’éventail des compétences et des savoirs qu’il devrait posséder pour bien servir le ministre et le processus politique. Considérez ce que peuvent coûter au ministre, à son ministère et à ses clientèles, au gouvernement, à la démocratie et, en fin de compte, au jeune chef de cabinet lui-même, les erreurs élémentaires commises par ce dernier pendant qu’il apprend sur le tas.

Si une formation universitaire en bonne et due forme est de mise pour les journalistes et les fonctionnaires, elle convient sûrement tout autant à ceux qui prennent les décisions en politique sur les plans législatif et électoral.

Le Canada possède d’excellentes facultés d’administration publique qui préparent les diplômés à une carrière de fonctionnaire. Les bonnes écoles de journalisme ne font pas défaut non plus, qui guident leurs diplômés et leur enseignent la meilleure façon de couvrir le monde politique. Ces programmes de formation existent parce qu’ils sont manifestement avantageux pour les étudiants et pour le projet civique plus vaste : le pays est mieux servi lorsque ses journalistes et ses bureaucrates ont reçu une formation en bonne et due forme pour exercer leurs responsabilités, lorsqu’on leur a fait acquérir les compétences essentielles, lorsqu’ils sont dotés d’un sens moral et lorsqu’on leur a appris à mener une réflexion critique sur les conséquences de leur travail.

Bien que le personnel politique à tous les niveaux — municipal, provincial et fédéral — exerce une autorité considérable à l’égard de la gouvernance des Canadiens, leur formation professionnelle a été, jusqu’à maintenant, au mieux improvisée, ce qui est à l’origine de faiblesses dans l’appareil de gouvernement.

Cherchant à servir le bien public, l’Université Carleton a donc annoncé, en mai 2010, son intention de mettre en place un programme de niveau supérieur d’un an pour préparer les étudiants à occuper des postes et à faire carrière dans le domaine de la politique sur les plans électoral et législatif : comme membres du personnel des ministres et des représentants élus, stratèges pour les partis politiques, consultants en relations gouvernementales et agents de liaison politiques pour les organisations de la société civile qui cherchent à influencer la politique et les priorités législatives. Le programme a été rendu possible par le plus important engagement philanthropique de l’histoire de l’Université, celle de Clayton H. Riddell, homme d’affaires de Calgary. Il s’agit à la fois d’une reconnaissance du besoin d’un tel programme d’études et d’une manifestation de confiance en la capacité de l’Université d’offrir un diplôme de qualité et précieux tant pour les diplômés eux-mêmes que pour l’ensemble du Canada.

Envisagées dans le contexte de leur influence sur les politiques et les priorités d’intérêt public, les tâches des membres du personnel politique sont redoutables. Ces gens sont des conseillers politiques, traitant avec leur parti politique et aidant à élaborer les propositions de politique que le ministre soumettra au Cabinet. Ils préparent le ministre pour la période des questions et d’autres activités parlementaires, et ils échangent notamment avec les porte-parole de l’opposition. Ils gèrent la progression des projets de loi parrainés par leur ministre dans le processus législatif. Ils contrôlent l’agenda et les activités du ministre. Ils contrôlent l’accès au ministre. Ils constituent le point de contact principal dans les relations avec le cabinet d’autres ministres et des organismes centraux comme le Cabinet du premier ministre ou celui de premiers ministres provinciaux et leurs bureaucraties. Ils représentent également le lien clé dans les relations avec les fonctionnaires du ministère et avec des groupes d’intérêt de l’extérieur. Ils doivent gérer des bureaux qui comptent parfois plus d’une cinquantaine d’employés et s’occuper notamment de l’embauche et de l’évaluation du personnel ainsi que de toutes les questions de ressources humaines qui surgissent dans un milieu de travail de cette ampleur. Ils gèrent, en outre, les communications du ministre et peuvent jouer un rôle crucial dans la création de l’image publique du ministre. Ils doivent encore s’intéresser aux affaires de la circonscription du ministre et jouer un rôle dans le positionnement du ministre pour améliorer ses perspectives de réélection. Enfin, ils peuvent souvent être les conseillers et confidents de leur ministre, lui livrant leurs réactions, écoutant ses problèmes et proposant des solutions ou agissant en son nom dans les relations avec d’autres membres du parti, le gouvernement, le Parlement et sa circonscription.

La même chose vaut pour les bureaux des dirigeants des partis de l’opposition et même ceux des simples députés et membres des assemblées législatives. Le personnel des bureaux de député est certes moins nombreux que celui des cabinets de ministre, mais il faut gérer et dominer en gros les mêmes enjeux, avec la difficulté de surcroît que chaque membre du personnel doit assumer plusieurs des responsabilités à exercer.

Les longues heures, la pression et les exigences constantes, et le terrible accaparement de la vie personnelle par les activités du député ou du ministre ont pour conséquence que, dans la plupart des cas, ces postes sont occupés par des jeunes dont l’enthousiasme compense le manque d’expérience. Et le problème a été encore exacerbé au niveau fédéral depuis l’adoption de la Loi fédérale sur la responsabilité, en 2006, qui empêche les titulaires de postes politiques fédéraux (y compris le personnel des députés et des sénateurs) et les hauts fonctionnaires de faire du lobbying auprès du gouvernement dans les cinq ans suivant leur départ d’un poste politique. L’un des effets de cette loi a été de dissuader les personnes qui sont au milieu de leur carrière d’accepter des postes dans les personnels politiques, car cela entrave et limite leurs perspectives ultérieures. Par conséquent, on trouve de plus en plus dans les bureaux politiques du gouvernement des personnes qui sont au début de la vingtaine, qui ne possèdent ni l’expérience ni la mémoire institutionnelle nécessaires et qui ne peuvent compter sur l’encadrement de mentors de la génération précédente. Des effets semblables se feront bientôt sentir dans les associations industrielles et les maisons de lobbying, car elles ont, elles aussi, beaucoup compté sur les anciens hauts fonctionnaires et membres du personnel politique pour recruter un personnel de talent.

Aux yeux de beaucoup, les contraintes du travail sont largement compensées par l’expérience acquise, la possibilité d’être proche de la prise de décisions ou même d’y participer, le caractère très prenant de la politique et la chance de côtoyer le pouvoir. Plus on occupe ces postes longtemps, plus ces avantages tendent à s’amenuiser, et beaucoup utilisent leur travail au sein d’un personnel politique comme atout pour se lancer dans autre chose. Certains souhaitent briguer les suffrages. D’autres préfèrent s’orienter vers la fonction publique pour se donner un avenir plus prévisible et assuré. D’autres encore se serviront de la période passée dans le monde politique comme d’une expérience précieuse dans le secteur privé.

Où que se dirige ce personnel politique, on y observe un renouvellement considérable et constant au cours du cycle normal d’une législature, soit de quatre à cinq ans. Des élections qui se soldent par un changement de gouvernement entraînent un bouleversement complet, car tout le personnel est remplacé par des nouveaux venus qui auront peut-être besoin de plusieurs mois de formation sur le tas pour acquérir les compétences nécessaires pour servir efficacement leur ministre ou leur député.

Bien qu’ils viennent d’horizons divers, les membres du personnel politique possèdent en commun, dans une grande mesure, certaines caractéristiques et qualités. Ils manifestent l’esprit de parti à des degrés divers, mais leur emploi dépend, dans tous les cas, de la réélection de leur député ou de leur parti. Ils connaissent certains aspects du fonctionnement du régime et des institutions politiques, bien que, presque toujours, ils les aient acquises au cours de leurs études plutôt que par l’expérience pratique. Ils sont nombreux à ne pas très bien maîtriser les enjeux politiques particuliers dont ils doivent s’occuper, et ils sont loin d’avoir autant d’expérience que les fonctionnaires et les représentants de groupes d’intérêt, qui possèdent une bien meilleure connaissance de la politique et de son contexte, connaissance qui va souvent de pair avec une meilleure compréhension de la façon dont le gouvernement, le milieu des affaires et le public se comportent et perçoivent les enjeux. Les membres du personnel politique n’ont pas non plus l’avantage des fonctionnaires ou des gens de l’extérieur qui, souvent, ont déjà étudié plusieurs fois l’enjeu en cause avec d’autres ministres et sous d’autres gouvernements. Ils doivent avoir la capacité de susciter et de forger le consensus entre des intérêts concurrents et parfois contradictoires au sein du gouvernement et de la fonction publique, à l’intérieur des partis politiques et au Parlement, et parmi les groupes d’intérêt et les représentants du grand public. Ils doivent être bien organisés, bien se comporter sous la pression et s’adapter à un ensemble en constante mutation d’exigences et de délais, sans jamais perdre de vue les objectifs à plus long terme.

Le programme de diplôme reconnaît la nature sectaire de la politique et tient compte du fait que les étudiants proviendront de divers horizons partisans, mais il sera lui-même ouvertement œcuménique sur le plan politique.

 Les étudiants admis au programme devront être, comme tous les jeunes déjà attirés par le travail politique, des éléments brillants, enthousiastes, voués au bien public et formés dans des disciplines diverses, depuis l’histoire jusqu’aux sciences politiques. Il ne sera pas possible en moins d’un an, si intense soit le programme d’études, de préparer les étudiants à tout ce qui risque de se produire dans l’arène impitoyable de la politique partisane, mais on pourra certainement leur donner de très solides connaissances et compétences afin qu’ils soient bien préparés à occuper des postes de responsabilité dans le domaine politique.

Il y a actuellement 308 députés fédéraux aux Communes et 105 sénateurs, et ils ont tous besoin d’un personnel politique. Les divers partis politiques ont également besoin de personnel, tout comme les politiciens des niveaux provincial et municipal. Les membres des personnels politiques au Canada se comptent donc par milliers. Le programme d’études supérieures Clayton H. Riddell en gestion politique n’acceptera qu’environ 25 étudiants par année qui pourront obtenir un diplôme, mais, dans les concours visant à doter les postes auprès des politiciens les plus haut placés, celui qui possédera un diplôme après avoir suivi un programme réputé en pratique politique jouira indéniablement d’un avantage. Ces diplômés pourront également trouver du travail ailleurs : groupes de promotion et de défense, ONG, maisons de lobbying et services des relations gouvernementales d’organisations privées, publiques et du secteur de l’économie sociale. Nous souhaitons que la réputation du diplôme soit servie par la qualité des étudiants qu’il saura attirer et des réalisations des diplômés; que ceux-ci assumeront des rôles de leadership en politique canadienne et ailleurs; qu’avec le temps, ils constituent un cadre professionnel dans les couloirs de la politique.

Selon nous, l’ouverture à tous les partis est à la fois nécessaire et avantageuse pour le diplôme. Des étudiants aux convictions politiques différentes devront travailler ensemble, collaborant souvent à des projets de groupe. À tout le moins, ils établiront des liens professionnels qui leur seront précieux lorsqu’ils entreront dans le monde de la pratique politique, même s’ils ne sont pas situés du même côté du clivage entre les partis. Nous pouvons espérer, sans oser le promettre, que cette interaction étroite avec des opposants favorisera le respect pour des adversaires honorables et tempérera donc un peu l’inutile rancœur et les vitupérations qui caractérisent trop souvent la politique de nos jours.

Ce diplôme sera le premier du genre au Canada, mais il existe déjà des programmes analogues dans des universités d’ailleurs. Le mieux connu et le plus important est celui de la Graduate School of Political Management (GSPM), à l’Université George Washington, à Washington, qui a débuté comme école supérieure indépendante à New York, en 1987. Neil Fabricant, ancien directeur législatif de la New York Civil Liberties Union, a convaincu le Board of Regents de l’État de New York du fait que la politique démocratique profiterait d’un établissement dont la vocation serait de doter ses diplômés des compétences et de la compréhension qui conviennent à une carrière dans le personnel politique des représentants élus. Assez rapidement, l’établissement a pris conscience des avantages qu’il y aurait à tirer d’une implantation dans la capitale nationale plutôt qu’à New York. C’est ainsi qu’en 1991, il a commencé à offrir un programme sanctionné par un diplôme sur le campus de l’Université George Washington. Quatre ans plus tard, cette dernière a acquis la GPSM, qui est devenue une composante de la Columbian School of Arts and Sciences de l’Université1.

Lorsque la GPSM a ouvert ses portes, en 1987, elle a admis 24 étudiants. Aujourd’hui, l’établissement offre trois diplômes distincts — en gestion politique, en affaires législatives et en relations publiques — ainsi que des programmes de certificat en organisation communautaire, en relations publiques, en gestion de comités d’action politique, en politique en ligne et en stratégie de campagne. L’Université Carleton n’entrevoit pas d’expansion de son nouveau programme de gestion politique au-delà des inscriptions initiales de 20 à 25 étudiants. Mais, bien que tous ses diplômés ne soient pas destinés à travailler en politique fédérale, elle a en commun avec l’établissement George Washington l’avantage d’être située dans la capitale nationale. Outre le noyau de professeurs engagés en vue de la titularisation spécialement pour offrir le programme, nous pourrons faire appel à des praticiens — à d’anciens membres ou à des membres en poste du personnel de ministres et de députés, à des hauts fonctionnaires, à des politiciens et à des dirigeants de parti politique et de groupe d’intérêt — pour enseigner les divers éléments du programme, apportant leur expérience en salle de classe et ouvrant la possibilité de stages pour les étudiants lorsqu’ils approchent du diplôme.

En outre, le nouveau diplôme cadre parfaitement avec l’accent que l’Université Carleton met déjà sur la politique canadienne, fait qui a été tout récemment mis en lumière par la création de la chaire Bell en démocratie parlementaire canadienne. De surcroît, l’Université dispose déjà de professeurs compétents dans des domaines cruciaux pour une formation avec diplôme en gestion politique, notamment la politique électorale, la mécanique législative, le comportement des électeurs, la conception et l’analyse des sondages d’opinion, la défense d’intérêts politiques, la stratégie politique, les communications, les médias et la gestion, la politique des grandes orientations et la critique mesurée de la pratique politique actuelle. Nous imaginons donc que le programme Riddell en gestion politique complétera, mobilisera et étendra les compétences déjà établies à l’Université.

Enfin, le nouveau diplôme est fidèle aux traditions et à la personnalité de l’Université Carleton, établissement qui, dès sa fondation, s’est engagé à offrir de la formation dans des domaines négligés par les universités établies, mais où on peut néanmoins profiter d’un programme d’études rigoureux. En 1946, les premiers diplômés de Carleton avaient étudié en journalisme et en administration publique. À l’époque, il s’agissait de sujets entièrement nouveaux d’études universitaires au Canada. Au fil des ans, l’École de journalisme et de communication et l’École de politique et d’administration publiques se sont affirmées comme des chefs de file au Canada dans leurs domaines respectifs et comme des éléments prestigieux propres à l’Université Carleton.

Nous croyons que le programme d’études supérieures Riddell en gestion politique apportera également une contribution à la culture politique de notre pays.

Notes

1. Pour de plus amples renseignements sur la GSPM, voir Chris Arterton, « Une école pour politiciens et leur personnel politique », Revue parlementaire canadienne, vol. 30, no 3 (automne 2007), p. 19-23.


Canadian Parliamentary Review Cover
Vol 33 no 3
2010






Dernière mise à jour : 2020-09-14