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Lucien Saumur
Monsieur,
Dans le numéro de l’hiver 2009, Scott Thurlow défendait le système majoritaire uninominal et s’opposait à son remplacement par la représentation proportionnelle. Dans le numéro du printemps 2010, Bronwen Bruch, présidente du Mouvement pour la représentation équitable au Canada, répondait en défendant ce dernier mode de scrutin.
Les partisans de la représentation proportionnelle ne critiquent pas le système majoritaire pour la façon dont il incite les gens à voter, mais plutôt pour la façon dont les votes sont dépouillés à l’issue des élections. Ils estiment que le vote des citoyens constitue l’expression de leur intention. Le dépouillement des votes, selon eux, ne respecte pas celle-ci. Bien sûr, ils désirent également modifier la façon dont le vote se déroule. Ces changements ne permettraient cependant pas aux citoyens de mieux exprimer leur intention, ils ne feraient que faciliter le dépouillement des votes.
Pour appuyer leur point de vue, les partisans de la représentation proportionnelle supposent que les électeurs votent seulement en fonction de leur idéologie et qu’ils choisissent le candidat qui s’en approche le plus. Si c’était le cas, chaque élection donnerait les mêmes résultats. Puisque les résultats changent, nous pouvons assumer qu’un certain nombre d’électeurs prennent en considération les titres et qualités du candidat au lieu de s’en tenir à leurs idéologies. Ils ne votent pas pour un candidat qui défend des idées marginales, mais ils n’hésitent pas à appuyer un candidat compétent soutenant des idées modérées.
Le système majoritaire laisse à désirer parce que les députés élus représentent avant tout un parti politique avant de représenter leurs électeurs. On pourrait ainsi considérer que le Parlement du Canada n’est pas composé de 308 membres, mais plutôt de 4 groupes de députés appuyant chacun l’un des 4 partis politiques. La proportionnelle ne corrigerait pas ce défaut. En fait, elle l’aggraverait. Dans le système majoritaire, les courses électorales semblent opposer des partis et non des candidats. Cette situation s’explique par le fait que chaque parti ne peut présenter qu’un seul candidat par circonscription. Autrement, les candidats d’un même parti « diviseraient le vote » et permettraient l’élection du candidat d’un autre parti. Les citoyens ont, par conséquent, l’impression de voter pour un parti politique lorsqu’ils choisissent le représentant de leur circonscription.
Pour desserrer l’emprise des partis sur les députés, il ne faut pas seulement modifier la façon dont les votes sont dépouillés; il faut d’abord changer la façon dont les citoyens votent. Les électeurs doivent être en mesure de faire valoir leur opinion autant que possible et de s’exprimer sur chacun des candidats. On devrait utiliser un mode de scrutin préférentiel où les électeurs pourraient classer les candidats dans l’ordre qu’ils veulent. Ces bulletins de vote seraient alors dépouillés de manière à déterminer quel candidat a été préféré à tous les autres par la majorité des électeurs d’une circonscription donnée.
S’il est appliqué correctement, le mode de scrutin préférentiel desserrera l’emprise des partis en permettant que plus d’un candidat puisse représenter une formation politique. Puisque les électeurs pourraient classer les candidats par ordre de préférence, les candidats d’un même parti ne « diviseraient pas le vote » et ne risqueraient pas de « faire perdre l’élection », comme dans le système majoritaire actuel. Le mode de scrutin préférentiel permettra la concurrence entre différentes factions d’un même parti et entre leurs idéologies respectives. Il entraînera l’émergence de candidats de compromis. Il tentera d’unir les citoyens dans la sélection de leur représentant au lieu de les diviser artificiellement, comme le font les systèmes électoraux fondés sur la représentation proportionnelle. Il assurera une certaine harmonie dès le dépôt du bulletin, ce que la représentation proportionnelle ne peut espérer qu’après les élections, et cela en vain.
Lucien Saumur
Kanata (Ontario)
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