Une Lobbyiste d’Ottawa réfléchit sur la manière dont les changements à la Loi
sur le lobbying ont affecté le travail quotidien des lobbyistes. Ces derniers
doivent respecter une série de règlements. L’interaction entre la réglementation
et le réglementé peut souvent ralentir l’objectif avoué de la Loi, la
transparence.
Permettez-moi de commencer en faisant remarquer que le lobbying est considéré comme une profession et est, de par la loi, légitime. Ils sont nombreux ceux qui, à Ottawa, comprennent comment les politiques et les règlements sont élaborés et les consultations menées; néanmoins, pour de nombreuses entreprises et organisations du secteur privé et du secteur des ONG, les prises de décision gouvernementales peuvent sembler très difficiles à comprendre. Mes collègues lobbyistes et moi-même disons que parfois, nous agissons comme un système de positionnement global et que, parfois, nous agissons comme traducteurs du gouvernement, à savoir que nous traduisons « ce qu’il » dit et
expliquons « comment » les processus fonctionnent. Nous résolvons les problèmes, nous trouvons des solutions créatives et nous travaillons sur toute une série de dossiers qui évoluent constamment. En outre, nous nous
autoréglementons par le biais de l’Institut de relations gouvernementales du Canada afin de nous conformer à la Loi sur le lobbying et à ses règlements.
Je suis lobbyiste de première catégorie depuis 1993; c’est un travail qui m’apporte vraiment beaucoup de plaisir. Au fil du temps, j’ai travaillé avec de nombreuses administrations gouvernementales où j’ai été directement témoin des changements apportés aux exigences en matière de rapports auxquelles les lobbyistes doivent répondre. Au tout début, quand j’ai commencé, tous les formulaires étaient en papier; en gros, on les remplissait et on ne les revoyait plus jamais. Le système a évolué et j’ai aujourd’hui mon propre site Internet dans le bureau de la commissaire au lobbying où je peux voir l’état de mes dossiers.
Permettez-moi de dire quelques petites choses sur la manière dont la relation entre les lobbyistes et les fonctionnaires chargés de la réglementation a évolué au fil des ans. D’abord, aujourd’hui, certains individus sont interdits de lobbying pendant cinq ans parce qu’ils sont intervenus dans le processus politique. J’estime avoir beaucoup de chance de faire partie du bassin « bénéficiant de droits acquis » des lobbyistes de première catégorie. Je suis arrivée au lobbying après avoir travaillé en tant qu’adjoint législatif d’un député. J’ai pu découvrir le système de gouvernement de première main et j’ai vite compris que c’est le système de gouvernement qui est important, et non la personne qui a accès à un gouvernement « bleu » ou « rouge ».
Le bassin actuel de lobbyistes a considérablement diminué à cause des nouvelles lois. Bon nombre de ceux qui travaillent pour le gouvernement aujourd’hui feraient de remarquables lobbyistes parce qu’ils ont de l’expérience dans des secteurs particuliers. Ils comprennent comment on élabore des règlements, comment un gouvernement promeut un secteur de programme et prend ses décisions. De mon point de vue, l’interdiction limite le nombre de personnes qui, dans le bassin, peuvent devenir mes concurrents directs. Je pense que, du point de vue des politiques publiques, il est nécessaire de renouveler continuellement le bassin de lobbyistes, d’y amener de nouvelles énergies et d’y introduire de nouvelles perspectives.
À l’heure actuelle, vous pouvez quitter la Colline et devenir « conseiller » ou « spécialiste des affaires publiques »; mais si vous ne parvenez pas à devenir lobbyiste au nom de votre client, les services que vous pouvez lui offrir sont limités.
Je suis aussi convaincue qu’inversement, cette interdiction limite la capacité du gouvernement à convaincre les gens de venir travailler dans des ministères à Ottawa. Avant l’interdiction, je pense que les ministres et les cadres supérieurs de la fonction publique parvenaient à attirer les employés du secteur privé possédant des connaissances spécialisées, ayant déjà travaillé pour le gouvernement et possédant donc cette connaissance ainsi qu’une expérience importante.
Il y a des exemptions possibles à l’interdiction de cinq ans, et quelques exceptions ont été faites. Mais l’employé ou le cadre supérieur moyen ne demande pas à bénéficier de l’exemption.
L’autre point que je veux régler, c’est la différence entre un lobbyiste et un spécialiste des affaires publiques. Comment accède-t-on au poste de lobbyiste dans un dossier? Ce n’est pas quelque chose de facile à comprendre. Je suis conseillère en affaires publiques pendant 99,9% de mon temps. Demander la tenue d’une réunion au nom d’un client ou avoir une conversation à propos du point de vue de mon client avec un titulaire de charge publique désignée sont des activités qui occupent le 0,1% restant de mon temps. Mais, à cause de l’embrouillamini des règles actuelles, il y a une immense confusion entre communication et conversation dans la communauté des lobbyistes.
Je n’avais jamais rencontré, par exemple, la commissaire au lobbying Karen Shepherd. Mais que se passe-t-il si je participe à un groupe de discussion avec elle aujourd’hui? Je vais préconiser des changements aux politiques qu’elle met en œuvre. Est-ce du lobbying? Devrais-je remplir dans les 30 jours un rapport de communication avec un titulaire d’une charge publique désignée?
L’électeur d’un député qui tombe sur celui-ci pendant les vacances et se plaint de la taxe de vente harmonisée (TVH) n’est pas obligé de faire enregistrer son activité de lobbying. Les députés ne sont pas dans la liste des titulaires de charges publiques désignées. Mais, Ottawa est une petite ville et il est tout à fait normal de tomber sur un ministre, sur des cadres politiques et sur des fonctionnaires du niveau des SMA lors d’événements ou dans la rue. C’est la période des fêtes et je sais que j’ai beaucoup d’invitations dans ma corbeille d’arrivée. Je ne sais pas « qui » participe à ces manifestations. Il n’est nul besoin de remplir un formulaire après une conversation informelle. Mais comment définit-on une conversation informelle? Que se passe-t-il si on me pose des questions à propos de mes dossiers — auxquelles je réponds — et que quelqu’un qui a entendu la conversation porte plainte?
La nécessité de déclarer les rencontres avec des titulaires de charges publiques désignées a eu deux effets évidents : en premier lieu, ce processus est utilisé par des consultants en tant qu’outil de marketing. En second lieu, il est considéré comme une source de renseignements permettant de suivre les activités des concurrents dans des dossiers particuliers et sur des sujets particuliers.
Le Canadien moyen bénéficie-t-il de plus de transparence grâce à ces déclarations? Oui, en ce sens qu’il sait qui rencontre qui. Mais déclarer les rencontres se résume à cela — on sait qu’une rencontre a eu lieu avec une personne travaillant au niveau supérieur du gouvernement.
L’embrouillamini de règles instaurées dans le sillage de la Loi fédérale sur la responsabilité a rendu le processus de lobbying beaucoup plus complexe. Dans les bureaux des ministres, on veut connaître le numéro d’inscription du lobbyiste d’un client quand nous appelons. Parfois, nous le savons, et parfois, nous ne le savons pas.
Les lobbyistes sont souvent amenés à s’occuper rapidement, et tardivement, d’un dossier. Le processus de déclaration auprès du bureau du commissaire peut prendre des semaines, voire des mois. Parfois le courriel annonçant l’enregistrement officiel arrive le même jour que l’échéance de six mois prévue pour la mise à jour des communications. Inversement, au moment où enfin, un lobbyiste est enregistré, un processus visant à annuler son enregistrement est lancé.
Ce n’est pas très utile de déclarer aux employés du ministre que nous avons produit des déclarations. En général, ils veulent en avoir la preuve. Ce système lent d’enregistrement a donc des conséquences directes et négatives sur nos affaires. Ce n’est pas le but de la commissaire et de son personnel. Appelons cela les conséquences imprévues de la mise en place d’un embrouillamini de règles.
Je suis convaincu que les règles complexes qui déterminent le processus de déclaration m’empêchent en fait de donner à mes clients le meilleur de moi-même. Les exigences relatives aux déclarations sont elles-mêmes à l’origine de problèmes opérationnels. En raison des changements apportés à la Loi fédérale sur la responsabilité, un groupe de fonctionnaires en perpétuelle expansion au sein du bureau de la commissaire est sensibilisé au processus visant l’élaboration de la terminologie et des politiques, mais de quelle somme de renseignements ont-ils vraiment besoin?
Permettez-moi de vous donner trois exemples. Un fonctionnaire travaillant au bureau de la commissaire au lobbying téléphone à un lobbyiste pour qu’il l’aide à mieux comprendre un sujet en rapport avec une question figurant dans un des récents budgets. Le lobbyiste répond qu’il aimerait bien lui donner ces détails, mais qu’il ne peut travailler qu’à partir de ce que le budget lui fournit. On se retrouve plus ou moins dans une impasse, le temps que le fonctionnaire parvienne à délimiter le domaine de politique. Mais le lobbyiste ne sait vraiment pas et dans son travail, on ne joue pas aux devinettes. Nous pouvons être pénalisés pour avoir produit une déclaration incorrecte; nous ne jouons donc pas aux devinettes.
Voici mon deuxième exemple. Des coups de téléphone sont passés du bureau de la commissaire au lobbying à une entreprise du secteur privé, et ce, pour en savoir plus sur un domaine particulier de politique, dont les objectifs de cette entreprise. Il s’en suit une grande confusion dans l’entreprise privée étant donné que son domaine d’intérêt a été enregistré, mais l’équipe n’est pas disposée à fournir des renseignements concurrentiels concernant des détails intrinsèques particuliers relatifs aux changements recherchés. Nulle part dans la Loi sur le lobbying il n’est dit que nous devons révéler ce que nos clients espèrent accomplir.
Voici mon troisième exemple. Le débat fait rage entre les fonctionnaires et les lobbyistes de première catégorie quant à « ce que » la réglementation ou la politique recouvrent. Il faut un certain temps pour expliquer comment on élabore un règlement — et clarifier les différentes étapes du processus jusqu’à la mise au point finale — ou un processus politique. Pendant ce temps, la demande du lobbyiste n’a toujours pas été approuvée et le grand public n’est pas au courant de ses activités.
Avec le temps, nous devrons trouver des solutions à ces problèmes. Cependant, je pense qu’il faut, au minimum, que les employés du bureau de la commissaire aient une meilleure compréhension des dossiers actuels de politique publique et de la nature des règlements, et de la manière d’élaborer des politiques dans les organismes et ministères.