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Frances H. Ryan
Le présent article fait état de quatre exemples de situations où les députés fédéraux et les partis politiques exercent leur influence sur les usages, les conventions et la procédure qui régissent la période des questions. Il analyse ensuite quelques propositions de réforme et se penche, en dernier lieu, sur les raisons qui expliquent la réticence des députés à s’attaquer au défi que représente la réforme de la période des questions.
Une démocratie libérale efficace exige des outils de responsabilisation qui le sont tout autant. Ils sont nécessaires, parce que leur existence et leur utilisation par les députés sont essentielles à la préservation de la légitimité du Parlement en tant qu’institution. Si les outils de responsabilisation ne fonctionnent pas comme ils le devraient ou ne sont pas employés aux fins auxquelles ils sont censés servir, la confiance de la population canadienne dans l’autorité — ou la légitimité — du Parlement est compromise.
La période des questions mérite une attention particulière quand on étudie l’obligation de rendre compte au Parlement. C’est dans le cadre de cette activité que nos représentants débattent quotidiennement des enjeux avec lesquels les milieux politiques canadiens sont aux prises. La période des questions constitue le moment névralgique de l’ordre du jour parlementaire, puisque c’est celui où les députés de tous les horizons politiques, régionaux et idéologiques se réunissent pour interroger le gouvernement. Elle est aussi généralement perçue comme l’outil le plus puissant dont dispose l’opposition pour obliger l’exécutif à rendre compte de ses actes.
Par ailleurs, la période des questions a acquis de l’importance en raison de l’intense battage médiatique dont elle fait l’objet. De courts extraits de la période des questions sont régulièrement diffusés aux bulletins de nouvelles de fin de soirée, et c’est à partir de ces extraits que les citoyens se font une opinion du Parlement. En fait, dans l’esprit de bien des Canadiens, la période des questions en est venue à incarner l’institution.
Pourquoi l’opinion publique importe-t-elle?
Il ne fait aucun doute que la population canadienne a graduellement perdu foi dans le Parlement et dans les parlementaires. Même si bien des Canadiens et des érudits voient la période des questions comme un outil de responsabilisation essentiel, ils estiment que le manque de décorum, de collaboration et de discussions de fond en a compromis l’efficacité comme moyen d’obliger le gouvernement à rendre compte de ses décisions.
Déjà en 1991, la « Commission Spicer » faisait état du désabusement de la population canadienne à l’égard du Parlement. Environ 400 000 citoyens ont pris part aux audiences publiques de la Commission, dont la création s’inscrivait dans la foulée des efforts déployés par le gouvernement Mulroney pour élaborer l’Accord de Charlottetown. Les participants estimaient qu’il fallait modifier le mode de fonctionnement du Parlement parce qu’ils avaient perdu confiance dans la capacité du régime politique en place de prendre des décisions qui « reflètent leurs valeurs et leurs aspirations pour le pays ».
Des années plus tard, il semble que les citoyens n’aient pas changé d’avis. Conscient du mécontentement public à l’égard des institutions démocratiques canadiennes, le gouvernement Harper a commandé en 2007 un rapport de recherche intitulé Consultations publiques sur les institutions et les pratiques démocratiques du Canada, dans lequel les auteurs font la constatation suivante :
D’une part, quelques participants se dont dit convaincus que le débat ouvert de la période des questions est essentiel à la démocratie. D’autre part, de nombreux autres souhaiteraient voir plus de décorum et de substance et, dans une certaine mesure, une plus grande coopération parmi les députés qui prennent la parole durant la période des questions 1.
La population canadienne n’a que faire des « bouffonneries de cour d’école » et s’en désintéresse. À son avis, ce spectacle ne constitue pas un reflet ni une représentation de sa nature et de ses intérêts. Ainsi, pendant le scandale des commandites, les cotes d’écoute de la période des questions diffusée par la Chaîne d’affaires publiques par câble, dont les échanges étaient alors assez houleux, sont passées de 70 000 à 14 000 auditeurs par minute 2.
Qu’est-ce qui motive les députés?
Un examen des ouvrages spécialisés montre que deux écoles de pensée s’affrontent au sujet de l’efficacité de la période des questions comme outil de responsabilisation. D’un côté comme de l’autre, on en reconnaît le caractère essentiel, mais on ne s’entend pas sur la question de savoir s’il est possible d’en déterminer l’efficacité uniquement en observant son utilisation par les députés.
Certains universitaires présument que l’existence même d’un outil de responsabilisation comme la période des questions suffit à faire en sorte que l’opposition tienne le gouvernement responsable de ses actes. En 1987, C.E.S Franks a affirmé que la période des questions « doit avoir son utilité, sans quoi même les lents mécanismes de transformation de la procédure parlementaire auraient fini par en modifier les règles de fonctionnement »3.
Peter Aucoin écrit, pour sa part, que « […] malgré toutes ses lacunes prétendues et évidentes en pratique, il y a la période des questions, qui est d’une conception fort efficace »4. Tom Axworthy, lui, soutient que « la démocratie fédérale canadienne mérite notre confiance » 5. Ce que ces auteurs omettent de prendre en considération, c’est que la façon dont les députés utilisent l’outil en pratique est aussi importante que l’existence de celui-ci.
De l’avis d’un autre groupe d’universitaires, l’existence de cette tribune ne suffit pas à elle seule à en garantir l’efficacité en pratique. Ces érudits estiment que la confiance dans le système n’est pas inhérente ou naturellement méritée et qu’il incombe à ceux qui dirigent l’institution de la gagner. Ils conviennent que la manipulation partisane de la période des questions par les députés nuit à son efficacité comme outil de responsabilisation. Peter Dobell et John Reid estiment que les députés ont tendance à « simplifier excessivement les questions, cachant ainsi la complexité des politiques6 ». Hugh Segal soutient que les questions des députés sont « établies et organisées d’avance7 » et que cela se répercute négativement sur la capacité des députés de passer au peigne fin les mesures gouvernementales. Le député Michael Chong affirme que l’usage fait par les députés de la période des questions a fait en sorte que celle-ci « n’est pas pertinente », « est rhétorique » et « est incompréhensible »8. En 2008, Franks est maintenant d’avis que les agissements des députés durant la période des questions contribuent à banaliser les enjeux importants.
Comment les députés utilisent-ils la période des questions et qu’est-ce qui les motive?
Si la façon dont les députés utilisent la période des questions constitue un déterminant de son efficacité, il importe alors de comprendre ce qui les incite à se comporter comme ils le font. Deux éminents politologues canadiens, Dickerson et Flanagan, nous rappellent que « le succès électoral constitue l’objectif primordial d’un parti politique dans un régime démocratique »9. Matti Wiberg et Nizam Ahmed se sont penchés sur cette évidence indiscutable dans leurs études respectives des modes d’interrogation parlementaire10.
Wiberg et Ahmed voient tous deux les députés comme des « intervenants rationnels » qui doivent, tout simplement, décider de la meilleure façon d’utiliser le plus efficacement leurs occasions limitées de poser des questions à la Chambre. Wiberg soutient que la fonction de responsabilisation n’est pas ce qui motive le plus les députés lors de la période des questions; ils sont limités par des considérations politiques partisanes et par l’autorité de leurs dirigeants politiques respectifs. S’ils ont le choix entre s’acquitter de la fonction de responsabilisation ou se faire du capital politique, c’est ce dernier choix qui va primer. On dit qu’un député cherche à se faire du capital politique lorsqu’il défend le programme politique de son parti et agit de façon à accroître sa notoriété personnelle et à faire progresser sa carrière. C’est ce qui rend la période des questions inefficace et fait en sorte que les séances à la Chambre sont houleuses et manquent de décorum.
Nizam Ahmed soutient que le Parlement tient le gouvernement responsable avec des facteurs structurels en plus de facteurs comportementaux. Une analyse structurelle est importante, car elle « établit les paramètres devant orienter le comportement » des députés. Comme nous savons maintenant que les députés sont motivés par le désir de se faire du capital politique plutôt que par le souci de s’acquitter de la fonction de responsabilisation, il serait malavisé et contre-productif de leur permettre d’influer sur la structure de la période des questions. Si on le faisait, l’outil de responsabilisation deviendrait inefficace.
Quelques problèmes inhérents à la période des questions
La période des questions dure 45 minutes et a lieu chaque jour de séance. Le nombre de questions que chaque parti a le droit de poser est généralement proportionnel au nombre de sièges remportés à l’élection générale. Les dirigeants politiques ont obtenu le pouvoir de négocier de façon informelle une limite de temps pour chaque question et chaque réponse. La limite actuelle est de 35 secondes dans les deux cas. Ce laps de temps ne permet rien de plus qu’une déclaration partisane rapide et est idéal d’un point de vue journalistique. Cette stricte limite de temps restreint toutefois la discussion et incite les députés à intervenir simplement pour la forme et à fournir des réponses évasives.
Dans un article récent, Michael Chong trouve inacceptable d’accorder 35 secondes pour poser une question ou donner une réponse. Il est difficile de poser une question pertinente et de donner une réponse exhaustive en si peu de temps. Cette limite de temps incite les députés à recourir à la tactique beaucoup plus facile et politiquement souhaitable qui consiste à s’en prendre à leurs opposants ou à se lancer des fleurs dans l’espoir d’attirer l’attention des médias.
En guise de solution, Chong propose de prolonger le temps alloué pour poser une question ou y répondre à « une (ou deux) minute » et affirme que, de cette façon, « on aurait des questions significatives », puisque chaque parti disposerait de plus de temps pour formuler une question et une réponse exhaustives. Dans son étude de 1995 sur les modes d’interrogation parlementaire dans les parlements d’Europe de l’Ouest, Wiberg convient que, si l’objectif est d’obtenir une véritable réponse de la part du gouvernement à propos d’un enjeu particulier, il serait souhaitable de prolonger le temps alloué. Les courts délais accordés, soutient-il, « ne sont pas toujours les plus informatifs sur le plan administratif ». Tant et aussi longtemps que les partis politiques pourront négocier la limite de temps allouée pour chaque question, l’inefficacité de la période des questions perdurera et il est peu probable que cette limite de temps soit modifiée puisqu’il est politiquement avantageux d’avoir un court échange.
Présence obligatoire
L’exigence concernant la présence obligatoire représente un autre problème. Tous les députés, y compris le premier ministre et tout le Cabinet, doivent assister à la plupart des périodes des questions. Cette contrainte rend difficile la tenue d’une discussion ciblée, incite à aborder superficiellement de nombreux enjeux et encourage le positionnement partisan. Peter Dobell et John Reid sont d’avis que l’opposition tient pour acquise sa capacité d’exiger quotidiennement des réponses du premier ministre. En conséquence, les questions de l’opposition ne sont pas aussi ciblées ou pertinentes qu’elles pourraient l’être, si celle-ci mesurait à sa juste valeur la chance qu’elle a de pouvoir interroger le premier ministre quotidiennement. L’opposition penserait sans doute ainsi si le premier ministre était moins souvent disponible.
Il en va de même des questions adressées aux ministres, qui pourraient être plus ciblées si les ministres étaient moins souvent disponibles, mais l’étaient pendant de plus longues périodes. Puisque tout le Cabinet est présent à la majorité des périodes des questions, les députés, qui ne veulent pas rater leur chance d’interroger le gouvernement, sont souvent forcés de concevoir leurs questions en quelques heures seulement. C’est pourquoi ils dépendent fortement de questions politiquement orientées qui se formulent plus facilement. Comme Wiberg le fait observer, les médias de masse et les groupes de pression constituent souvent les sources les plus rapides et fiables d’information dont s’inspirent les députés au lieu de réaliser des recherches solides et factuelles qui peuvent prendre plus de temps. Bref, la présence obligatoire exacerbe le problème des questions et réponses de 35 secondes. Sous la pression, il est plus facile et plus avantageux politiquement pour un député de faire une déclaration à saveur partisane ou de poser une question pour la forme.
Dobell et Reid comparent la période des questions à un « combat de gladiateurs quotidien » et soutiennent qu’il serait possible de réduire l’importance accordée à ce conflit si l’on adoptait un système de style britannique. À la Chambre des communes du Royaume-Uni, le premier ministre est disponible pour répondre aux questions une fois par semaine pendant 30 minutes, et les ministres sont présents à la Chambre selon un système de tableau de service. L’adoption d’un tel système permettrait, à leur avis, de faire une place plus grande à des débats de fond plus sérieux. Conformément au système de tableau de service, un ministre serait présent à chaque séance. Cette façon de procéder, en vertu de laquelle les questions doivent porter sur un sujet particulier (relevant du ministère dont est responsable le ministre présent ce jour-là) serait avantageuse à plusieurs égards : elle permettrait à tous de préparer des questions et des réponses significatives; elle libérerait les ministres pour qu’ils puissent s’occuper des affaires de leur ministère; elle laisserait plus de temps à l’opposition pour effectuer des recherches et formuler des questions réfléchies; elle contribuerait à la publication de reportages plus ciblés et plus approfondis.
Dans son 81e rapport publié en 1993, le Comité permanent de la gestion de la Chambre se disait favorable à l’adoption d’un système de tableau de service. Il y soulignait que le gouvernement Trudeau avait tenté en vain d’instaurer un tel système dans les années 1970, mais que l’idée méritait d’être réexaminée. À partir de sa propre expérience de ministre, Chong défend, lui aussi, l’adoption d’une telle liste de présence. Ce modèle a été appliqué avec succès dans d’autres pays et pourrait fonctionner dans le contexte canadien. Wiberg fait observer qu’en Europe de l’Ouest, où bien des parlements ont adopté le système de tableau de service et d’autres mesures pour favoriser la tenue de débats plus focalisés sur les politiques, la période des questions ne retient pas autant d’attention de la part des médias nationaux que les débats ciblés.
Le troisième problème tient à l’utilisation de listes et à l’attribution de questions supplémentaires. Il est difficile d’établir avec exactitude à partir de quand le président a commencé à accepter que les whips lui remettent des listes détaillées d’intervenants de chaque parti. Peu importe la date où cette convention est apparue, l’usage en vigueur jusque-là au Canada prévoyait que le président donne la parole aux chefs des partis d’opposition et que, par la suite, les députés se lèvent et essaient « d’attirer son attention » afin d’obtenir la parole pour pouvoir à leur tour poser leurs questions. Avec les listes, même les questions supplémentaires, dont l’attribution devrait idéalement être laissée à la discrétion du président, lorsque celui-ci juge que la première question n’a pas reçu de réponse satisfaisante, sont attribuées à un intervenant précis. Cette façon de procéder nuit à la continuité et à la pertinence du dialogue et incite le gouvernement à répondre de façon évasive.
Les partis exercent un pouvoir considérable grâce à ces listes et peuvent forcer la main du président en l’obligeant à ne donner la parole qu’aux intervenants dont les noms y figurent. À cet égard, Robert Marleau cite l’exemple de la présidente qui avait averti une formation politique qu’elle allait sévir contre un de ses députés qui s’était mal conduit en refusant de lui accorder la parole à la Chambre. Le parti a alors riposté. Il a forcé la présidente à donner la parole au député en question, puisqu’il l’avait désigné comme intervenant pour chaque question inscrite sur la liste en vue de la période des questions de cette journée-là11.
Le 81e rapport du Comité permanent de la gestion de la Chambre recommande aussi de limiter le recours aux listes et de faire en sorte que l’utilisation des questions supplémentaires « ne soit permise qu’à la discrétion du Président »12. Le Comité souligne que les listes se sont à ce point « allongées […] que le nombre de questionneurs excède le temps alloué »; il ne reste donc aucune place à la spontanéité ou à des questions qui n’ont pas été préparées à l’avance et approuvées par la direction du parti. Pour atténuer ce problème, le Comité recommande que les partis ne désignent que les deux ou trois premiers intervenants. Il est également d’avis que les questions supplémentaires ne devraient plus être considérées comme un « droit », mais qu’il devrait appartenir au président, s’il le juge à propos, d’en permettre l’utilisation, parce qu’il arrive beaucoup trop souvent que les questions se transforment en discours préparés à l’avance. Tant que les partis seront autorisés à établir des listes, où tous les intervenants et toutes les questions (principales et supplémentaires) sont déterminées à l’avance, la période des questions continuera d’être inefficace.
Le quatrième problème découle du fait que les députés d’arrière-ban du parti ministériel sont tenus à l’écart lorsque vient le temps d’interroger sérieusement le gouvernement. Aucune période de temps, ni aucune tribune désignée ne sont actuellement prévues à leur intention au moment de la période des questions. Cet état de choses limite la discussion libre et incite les députés d’arrière-ban du parti ministériel et les ministres à intervenir pour la forme. Certains pensent que le problème tient au fait que les parlementaires ne s’acquittent plus du rôle qu’ils sont censés jouer. Le rôle du Parlement n’est pas de gouverner, mais d’obliger ceux qui gouvernent à rendre des comptes — sa principale fonction est d’assurer un contrepoids. La moitié des députés ministériels, en l’occurrence ceux qui occupent les banquettes arrière, n’assument pas ce rôle de surveillance, parce que le parti les confine dans celui de meneurs de claques.
Le gouvernement se voit attribuer un certain nombre de questions que les députés d’arrière-ban peuvent poser aux ministres, mais les règles strictes régissant la discipline de parti les empêchent de poser des questions épineuses, ce qui restreint les discussions sérieuses. Les questions qu’ils adressent aux ministres sont dites « sympathiques » ou « soufflées ». Il est aisé d’y répondre et, pour reprendre une analogie sportive, elles offrent aux ministres l’occasion de frapper un coup de circuit. En outre, les députés d’arrière-ban du parti ministériel s’en tiennent à ces questions « soufflées », parce qu’ils s’exposent aux réprimandes des dirigeants de leur parti s’ils posent des questions lourdes de sous-entendus.
En 2002, le Parlement britannique a cherché à résoudre ce problème en instituant la « déclaration ministérielle écrite ». Celle-ci offre au gouvernement l’occasion de faire des annonces officielles sans que le whip du gouvernement ait à demander à ses députés d’arrière-ban de poser des questions précises13.
Au Canada, le problème pourrait être réglé, selon Dobell et Reid, si on limitait la période de temps contrôlée par les partis d’opposition. Si ces formations politiques ne se voyaient accorder que les 15 ou 20 premières minutes, on libérerait du temps à la fin de la période des questions pour des interventions des députés d’arrière-ban. Dobell et Reid admettent que « pour limiter les chances que les whips des partis orchestrent les questions, ceux qui désirent poser des questions pourraient indiquer leur nom par écrit à l’Orateur [sic], qui procéderait quotidiennement à un tirage immédiatement avant d’entrer en Chambre ». À moins que la période des questions ne puisse être restructurée de façon à réduire l’influence exercée par les partis politiques sur leurs députés d’arrière-ban, elle constitue, pour ceux du parti ministériel, un moyen inefficace d’obliger le gouvernement à rendre des comptes.
Pourquoi n’y a-t-il pas eu de réforme de la période des questions?
Déjà en octobre 1963, le président Alan Macnaughton a tenté de réduire la durée de la période des questions, mais il s’est heurté aux protestations du gouvernement et de l’opposition. Le gouvernement jugeait précieux le temps disponible pour ses propres fins politiques, tandis que les partis d’opposition se sont farouchement dressés contre toute restriction de leur droit à l’information. Dès 1967, la période des questions a cessé de constituer un outil efficace pour obtenir de l’information névralgique de nature urgente, mais, comme le souligne l’actuel président dans un document rédigé il y de nombreuses années, les partisans d’une réforme doivent faire preuve de prudence14. Personne ne devrait s’attendre à l’instauration de changements sans l’appui des députés eux-mêmes. En outre, il est possible que ces modifications ne soient couronnées de succès que si les parlementaires en prennent l’initiative. Si ces affirmations sont exactes, cela veut dire que seule la volonté du premier ministre ou, dans un gouvernement minoritaire, la volonté concertée des partis d’opposition, permettra de modifier de quelque façon les usages, les conventions et la procédure qui régissent de façon informelle la période des questions.
Peter Dobell et John Reid font, pour leur part, valoir qu’une réforme de la période des questions est peu probable, car :
[…] il serait inéquitable de demander aux chefs de l’opposition de renoncer à une partie de l’influence qu’ils exercent sur la période des questions, et ces chefs s’y refuseraient sans doute, à moins que soient apportées au fonctionnement de la Chambre des communes des modifications appréciables permettant de redonner au régime un certain équilibre15.
On peut déduire que ce que Dobell et Reid entendaient par « redonner au régime un certain équilibre », c’était accorder aux députés plus de pouvoirs de prendre des décisions qui lient le gouvernement. Hugh Segal soutient que la décision prise à la fin des années 1960 de retirer aux comités parlementaires le pouvoir de décider en dernier ressort de l’adoption du Budget principal des dépenses du gouvernement a été préjudiciable aux partis d’opposition. Selon lui, cette perte de contrôle sur les dépenses a privé les formations politiques d’un moyen d’influencer directement le gouvernement. Depuis, l’opposition a senti le besoin de trouver d’autres façons d’attirer l’attention, comme la période des questions, et elle aurait tort de renoncer de nouveau à une partie de son pouvoir d’obliger le gouvernement à rendre des comptes16.
Le premier ministre Stephen Harper a récemment déclaré ce qui suit : « Nous devrions, en tant qu’élus qui les [les Canadiens] représentent, être déterminés à mettre de côté des considérations clairement partisanes et tenter, dans la mesure du possible, de travailler ensemble pour le bien du Canada »17. Ces propos ont le ton voulu; toutefois, comme le démontre le présent article, tant que les usages, les conventions et la procédure devant orienter le comportement des députés continueront d’être influencés par des intérêts politiques partisans, la période des questions ne fonctionnera pas efficacement. Si le problème n’est pas réglé, celle-ci ne constituera pas le forum créatif de discussions engagées qu’elle est censée être et, en conséquence, elle portera ombrage à la légitimité du Parlement. Il est peu probable que les parlementaires soient prêts à embrasser la cause de la réforme de la période des questions et à donner suite aux propositions de changement suggérées dans le présent article, puisqu’il faudrait, pour cela, qu’ils renoncent à modeler et à manipuler les résultats de la période des questions en leur faveur.
De surcroît, la réforme de la période des questions ne pourra être menée à bien que si les parlementaires en prennent l’initiative. Il faudra, à cette fin, rien de moins que la volonté du premier ministre (ou d’une coalition de partis d’opposition). La question de savoir à qui devrait incomber la responsabilité des usages, des conventions et de la procédure régissant la période des questions, si jamais les députés et les partis politiques renoncent à l’exercer, est un aspect auquel il faudra réfléchir plus à fond. Pour l’instant, il est essentiel de relancer l’intérêt des chercheurs à l’égard de la période des questions et de faire pression sur les parlementaires pour qu’ils la réforment, puisqu’il en va de sa légitimité même.
Notes
1. COMPAS Inc., Consultations publiques sur les institutions et les pratiques démocratiques du Canada : Rapport présenté au Bureau du Conseil privé, Ottawa, Frontier Centre for Public Policy, 2007, p. 34.
2. Chris Cobb, « Turned off Politics : Canadian voters are angry – and it seems they’re taking it out on CPAC », Ottawa Citizen, 10 décembre 2005, page B1.
3. C.E.S. Franks, The Parliament of Canada, Toronto, University of Toronto Press, 1987, p. 141. Voir aussi C.E.S. Franks, « The “Problem” of Debate and Question Period », dans John C. Courtney (dir.), The Canadian House of Commons: Essays in honour of Norman Ward, Calgary, The University of Calgary Press, 1985, p. 1-19.
4. Peter Aucoin, Nommer, blâmer et couvrir de honte : Améliorer la responsabilisation du gouvernement, après Gomery, Ottawa, Fédération canadienne des sciences humaines, mai 2006. Série de conférences Les petits déjeuners sur la Colline.
5. Tom Axworthy, Everything Old is New Again: Observations on Parliamentary Reform, Kingston (Ontario), Centre d’étude sur la démocratie, School of Policy Studies, Université Queen’s, 2008.
6. Peter Dobell et John Reid, « L’élargissement du rôle de la Chambre des communes — Partie I : Période des questions », Parliamentary Government, no 40 (avril 1992), p. 5-10.
7. Hugh Segal, « La démocratie au XXIe siècle : Que sont devenues les idées? », Revue parlementaire canadienne, vol. 28, no 2 (été 2005), p. 2-3.
8. Michael Chong, « Redéfinition de la période des questions et des débats à la Chambre des communes », Revue parlementaire canadienne, vol. 31, no 3 (automne 2008), p. 5-7.
9. Mark O. Dickerson et Thomas Flanagan, An Introduction to Government and Politics : A Conceptual Approach, 5e édition, Scarborough (Ontario), International Thomson Publishing, 1998.
10. Voir Matti Wiberg, « Parliamentary Questioning : Control by Communication? », dans Herbert Döring (dir.), Parliaments and Majority Rule in Western Europe, New York, St. Martin’s Press, 1995, p. 179-222, et Nizam Ahmed, Parliament and Public Spending in Bangladesh: Limits of Control, Dhaka, Bangladesh Institute of Parliamentary Studies, septembre 2000 (consulté le 18 août 2009). Internet : <http://www.spd-undp.org/Monograph/Nizam.pdf>.
11. Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, Témoignages, réunion no 30, 39e législature, 1re session, 21 novembre 2006, Ottawa.
12. Comité permanent de la gestion de la Chambre, Quatre-vingt-unième rapport, 1er avril 1993, Ottawa.
13. Richard Kelly, Oonagh Gay et Ross Young, Parliamentary questions – current issues, Londres, House of Commons Library, 20 février 2008. Standard Note SN/PC/04148.
14. Peter A. Milliken, Question Period : Developments from 1960 to 1967, Kingston (Ontario), Université Queen’s, 1968. Thèse de baccalauréat.
15. Peter Dobell et John Reid, op. cit., p. 7.
16. Hugh Segal, op. cit.
17. Stephen Harper, Un leadership fort pour protéger l’avenir du Canada, Bureau du Premier ministre (consulté le 31 août 2009). Internet : <http://pm.gc.ca/fra/media.asp?id=2314>.
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