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Edmund A. Aunger
De nouvelles
recherches démontrent que le Décret en conseil sur la Terre de Rupert et le
territoire du Nord-Ouest, une partie intégrante de la Constitution du Canada,
garantit effectivement le statut officiel de la langue française en Alberta. Le
2 juillet 2008, la
Cour provinciale
de l’Alberta a confirmé cette conclusion en décidant, dans la cause
Caron,
que la Traffic Safety Act
était inopérante parce qu’elle n’avait pas été adoptée en français. (La Couronne
porte actuellement cette décision en appel en Cour du banc de la Reine.) Dans le
présent article, un témoin expert dans la cause Caron résume les résultats de
ses recherches.
Le 25 février 1988, la Cour suprême du
Canada a reconnu, par l’arrêt Mercure, que le français était langue officielle
en Saskatchewan et, par implication, en Alberta, et ce, en vertu de l’article
110 de l’Acte des Territoires du Nord-Ouest,
une disposition adoptée pour la première fois en 1877. D’après cet article :
Toute personne pourra faire usage soit de
la langue anglaise, soit de la langue française, dans les débats de
l’Assemblée législative des territoires, ainsi que dans les procédures
devant les cours de justice. Ces deux langues seront employées pour la
rédaction des procès-verbaux et journaux de l’Assemblée; et toutes les
ordonnances rendues sous l’empire du présent acte seront imprimées dans ces
deux langues...
Cette disposition
linguistique était toujours en vigueur en 1905, quand le Parlement canadien a
créé les provinces de la Saskatchewan et de l’Alberta à partir des Territoires
du Nord-Ouest. L’article 16 des deux lois constitutives — l’Acte
de la Saskatchewan et l’Acte
de l’Alberta — prévoit le maintien des lois
existantes et leur modification éventuelle « par le parlement du Canada ou par
la législature de la dite province dans l’exercice de l’autorité qu’a le
parlement ou la dite législature […] », exception faite des lois d’origine
britannique. Lors des débats sur l’Acte de l’Alberta,
le ministre de la justice de l’époque, Charles Fitzpatrick, a confirmé que, dans
la mesure où l’article 110 était toujours en vigueur, il aurait « force de loi
dans la province après l’adoption du présent bill »1.
Néanmoins, la Cour suprême a également
conclu en 1988 que l’Acte des Territoires du
Nord-Ouest ne faisait
pas partie intégrante de la Constitution du Canada, et que la province était,
par conséquent, habilitée à le modifier unilatéralement — à condition de le
faire en français et en anglais. Forts de cette information, les gouvernements
de l’Alberta et de la Saskatchewan se sont empressés d’adopter chacun une loi
linguistique bilingue abrogeant l’article 110, et ce, afin de supprimer le
statut officiel de la langue française dans leur province. Le procureur général
de la province de l’Alberta, James Horsman, a expliqué,
[N]ous parlons de la réalité du fait
que l’arrêt Mercure
a déclaré qu’une loi adoptée en 1886 – qui n’avait jamais été utilisée dans
cette province, qui n’avait jamais été mise en œuvre et qui était tombée en
désuétude dans les Territoires du Nord-Ouest avant que l’Alberta devienne
une province en 1905 – est encore en vigueur à cause d’un point de détail…
La Cour suprême du Canada nous a maintenant dit comment nous y prendre pour
modifier cette loi archaïque et inutilisée qui persistait depuis 18862.
Cette assertion que la Constitution du Canada
ne protège pas le statut officiel de la langue française en Alberta et en
Saskatchewan est née d’une méconnaissance profonde des origines historiques et
des fondements constitutionnels de la dualité linguistique au Canada.
Malheureusement, de nombreux historiens ont perpétué cette méconnaissance en
soutenant que l’article 110 représentait un événement singulier, un accident de
parcours, sans racines et sans raisons. Le grand historien Donald Creighton, par
exemple, raconte que l’article 110 a été proposé en 1877 par un sénateur
conservateur agissant de son propre chef et accepté par un gouvernement libéral
agissant à contrecœur. D’après lui, la décision d’accorder un statut officiel à
la langue française dans les Territoires du Nord-Ouest était « précipitée et
hâtive » et « caractérisée, dans son ensemble, par le hasard et
l’improvisation »3. En outre, « cette tentative de fixer les
institutions politiques de l’Ouest avant que l’immigration et la croissance de
la population déterminent son caractère véritable et permanent constitue une
erreur que tout le Canada a chèrement payée ».
À mon avis, s’il y a des erreurs que le Canada
a dû payer cher, elles ne se trouvent pas dans le bilinguisme officiel instauré
par des dirigeants politiques, mais dans les distorsions pernicieuses
introduites par de grands historiens. L’article 110 n’est nul autre que l’arbre
qui cache une forêt — l’indice d’une dualité linguistique déjà bien enracinée et
bien florissante dans l’Ouest canadien. D’après mes recherches, le français
jouissait d’un statut de langue officielle dans les vastes territoires de
l’ouest et du nord, reconnu en droit et par la coutume, et ce, dès 1835. Le
Canada cherchait résolument à annexer ces territoires et, en 1867, il s’est
engagé solennellement à respecter les droits existants, engagement qu’il a
inscrit dans sa constitution en 1870. Examinons rapidement ces recherches.
Nouvelles recherches
Ces vastes territoires, tellement convoités
par le Canada, comprenaient la Terre de Rupert, accordée à la Compagnie de la
Baie d’Hudson en 1670 par le roi d’Angleterre Charles II, et composée de toutes
les terres dont les cours d’eau se jetaient dans la baie d’Hudson. Ils
englobaient aussi le Territoire du Nord-Ouest, également sous le contrôle de la
Compagnie, mais se trouvant à l’ouest de ce bassin. Ces territoires s’étendaient
de l’Alaska jusqu’au Labrador et couvraient une superficie estimée à
7,2 millions de kilomètres carrés, c’est-à-dire à 79 p. 100 de la superficie
actuelle du Canada. À titre de comparaison, notons qu’à cette époque, le Québec
ne s’étendait que sur un demi-million de kilomètres carrés et l’Ontario, que sur
un quart de million.
Pour subvenir aux besoins d’une population
métisse croissante, la Compagnie a établi, à partir de 1835, un gouvernement
civil, centralisé dans le district d’Assiniboia — les environs de la ville
actuelle de Winnipeg —, et composé d’un gouverneur, d’un recorder et d’une
dizaine de conseillers. Ce conseil d’Assiniboia était doté de pouvoirs
exécutifs, législatifs et judiciaires, et ses membres constituaient également la
cour suprême de la Terre de Rupert, communément appelée Cour générale. Le
recorder de la Terre de Rupert cumulait les fonctions de ministre de la Justice,
de procureur général et de juge en chef, et il présidait les séances de la cour.
Le statut officiel du français
Plusieurs indices nous permettent de conclure
que le français jouissait d’un statut officiel au Conseil d’Assiniboia et à la
Cour générale. D’abord, pour le Conseil d’Assiniboia, nous avons découvert : que
le Conseil a ordonné en 1845 que ses lois soient lues à haute voix, en anglais
et en français, au moins deux fois par année lors des réunions de la Cour
générale et à d’autres moments, lors des réunions convoquées à cette fin par le
gouverneur.
Que le greffier, pour justifier sa commande
d’une presse équipée d’accents français, a informé la Compagnie de la Baie
d’Hudson, en 1851, que tout document imprimé par le Conseil devait l’être en
anglais et en français.
Que le Conseil a adopté des consolidations de
lois révisées en 1852, et encore en 1863, et les deux fois, en anglais et en
français.
Deuxièmement, pour la Cour générale, nous
avons découvert : que le gouverneur de la Terre de Rupert a signalé au premier
recorder, en 1838, qu’une maîtrise du français constituait une condition
préalable à l’exercice de ses fonctions judiciaires : « Je présume que vous êtes
capable de vous exprimer en français avec une parfaite facilité, étant donné
qu’on peut, dans une large mesure, le considérer comme la langue du pays et que
vous ne seriez pas qualifié pour le poste si vous ne le possédiez pas4. »
Que le Conseil d’Assiniboia a exigé du
recorder, en 1849, qu’il s’adresse à la Cour générale en français et en anglais
à chaque occasion impliquant des intérêts canadiens ou métis.
Que la Compagnie de la Baie d’Hudson a
congédié le juge Adam Thom en 1852 en raison de son manque de compétence en
français, et qu’elle l’a remplacé par un recorder bilingue formé en France.
Que la procédure à la Cour générale se
déroulait habituellement en français et que les jurys étaient composés
uniquement de francophones, lors des procès où les intimés et les appelants
étaient francophones.
Que la procédure à la Cour générale se
déroulait communément dans les deux langues, avec interprétation en anglais et
en français, et que les jurys étaient composés à égalité d’anglophones et de
francophones lors des procès où les intimés et les appelants étaient constitués
de membres des deux communautés linguistiques
Finalement, nous avons
découvert le témoignage de l’évêque de Saint-Boniface, Alexandre Taché, qui, en
apprenant que le gouvernement du Canada se proposait de nommer, dans les
territoires annexés, une administration composée largement d’anglophones, s’est
empressé d’informer George-Étienne Cartier, en 1869, que : « La langue Française
est non seulement la langue d’une grande partie des habitants du N.O. elle est
de plus elle aussi langue officielle et pourtant la plupart des membres de la
nouvelle administration ne parlent pas cette langue; c’est assez fixer le sort
de ceux qui n’en parlent pas d’autre5. »
L’engagement solennel
L’Acte de
l’Amérique du Nord britannique de 1867, intitulé
aujourd’hui Loi constitutionnelle de 1867
et faisant partie intégrante de la Constitution du Canada, a prévu l’admission
de la Terre de Rupert et du Territoire du Nord-Ouest dans la fédération
canadienne « aux termes et conditions, dans chaque cas, qui seront exprimés dans
les adresses et que la Reine jugera convenable d’approuver […] » (article 146).
Le 17 décembre 1867, lors de sa toute première session, le Parlement du Canada a
adopté une adresse à la Reine, la priant d’unir la Terre de Rupert et le
Territoire du Nord-Ouest à la Puissance du Canada, et l’assurant de son
engagement « à prendre les mesures nécessaires pour que les droits légaux de
toutes corporation, compagnie ou particulier soient respectés et placés sous la
protection de cours de juridiction compétente ». L’Arrêté en conseil de Sa
Majesté admettant la Terre de Rupert et le territoire du Nord-Ouest, en date du
23 juin 1870, maintenant intitulé Décret en conseil sur la Terre de Rupert et le
territoire du Nord-Ouest, et faisant partie intégrante de la Constitution du
Canada, a repris cet engagement et l’a sanctionné.
Quand les habitants métis de la Terre de
Rupert et du Territoire du Nord-Ouest ont manifesté leur opposition à toute
annexion faite sans leur consentement, le gouverneur général du Canada, sir John
Young, a cherché à les concilier en leur communiquant directement les termes de
cet engagement. Le 6 décembre 1869, il a émis une proclamation au nom de la
reine Victoria, adressée aux « fidèles sujets de Sa Majesté la Reine dans Ses
Territoires du Nord-Ouest » et déclarant que : « Par l’autorité de Sa Majesté Je
vous assure donc que sous l’Union avec le Canada, tous vos droits et Privilèges
civils et religieux seront respectés, vos propriétés vous seront garanties, et
que votre Pays sera gouverné, comme par le passé, d’après les lois anglaises et
dans l’esprit de la Justice Britannique. » (Il est particulièrement frappant
que, parmi les 154 proclamations inscrites au registre officiel du Canada
pendant la période de 1867 à 1874, cette proclamation, adressée aux habitants
des Territoires du Nord-Ouest, se révèle la seule qui soit rédigée en français.)
Le même jour, sir John Young a fait parvenir
une copie de cette proclamation au gouverneur d’Assiniboia, William McTavish,
avec l’expression d’assurance suivante :
Les habitants de la Terre de Rupert, de
toutes classes et de toutes confessions, peuvent être certains que le
gouvernement de Sa Majesté n’a pas l’intention d’entraver ou d’annuler, ni
de permettre à d’autres d’entraver ou d’annuler les droits religieux et les
franchises dont ils bénéficiaient jusqu’ici ou qu’ils peuvent mériter plus
tard6.
Le lendemain, le secrétaire d’État pour les
provinces, Joseph Howe, a écrit au lieutenant-gouverneur désigné, William
McDougall, lui signalant l’expédition d’une proclamation prise par le gouverneur
général sur l’ordre de Sa Majesté, lui demandant d’en faire une grande diffusion
et lui déclarant :
Dans vos communications avec les résidants
du Nord-Ouest, vous serez maintenant en mesure de leur assurer : — 1. Que
leurs libertés civiles et religieuses et leurs privilèges seront respectés
de façon sacrée.
2. Qu’ils continueront à bénéficier de
toutes les propriétés, de tous les droits et des ressources d’équité de
toute sorte dont ils jouissaient sous le gouvernement de la Compagnie de la
Baie d’Hudson7 […]
Quelques jours plus tard, le 10 décembre 1869,
le gouverneur général a nommé, comme commissaire spécial, un haut fonctionnaire
de la Compagnie de la Baie d’Hudson, Donald Smith (le futur lord Strathcona), et
l’a chargé « d’expliquer aux habitants les principes par lesquels le
gouvernement du Canada entend administrer le pays et de dissiper tout malentendu
susceptible d’exister sur ce sujet »8. Lors des réunions publiques
tenues à Fort Garry les 19 et 20 janvier 1870, Smith a fait part des différentes
communications engageant le gouvernement canadien à respecter les droits
existant dans la Terre de Rupert et le Territoire du Nord. Néanmoins, les
habitants métis se méfiaient de promesses si abstraites et voulaient obtenir des
garanties plus précises. Assurés que Smith était autorisé à leur donner ces
garanties, ils ont fait élire une convention — composée de 20 francophones et de
20 anglophones — pour dresser la liste des droits revendiqués.
Le 7 février 1870, la convention a présenté à
Donald Smith une charte comprenant dix-neuf droits, dont deux en matière
linguistique : « Que l’anglais et le français soient d’usage à l’Assemblée
législative et dans les tribunaux et que l’ensemble des documents publics et des
lois de l’Assemblée législative soient publiés dans les deux langues », et « Que
le juge de la Cour suprême parle français et anglais ». À l’égard de ces deux
revendications linguistiques, Smith a répondu : « À ce sujet, je dois dire que
leur justesse est si évidente qu’on y donnera suite indiscutablement9. »
La convention a également élu trois
délégués pour traiter directement avec Ottawa, et le gouvernement provisoire les
a armés d’instructions précisant que le bilinguisme officiel était
« péremptoire ». En avril 1870, ces délégués ont négocié une entente avec le
premier ministre du Canada, John A. Macdonald, et son principal lieutenant,
George-Étienne Cartier, pour reconnaître les droits revendiqués et permettre
l’union territoriale. Le 12 mai 1870, le Parlement du Canada y a donné suite en
adoptant l’Acte du Manitoba
et, le 24 juin 1870, l’Assemblée législative de la Terre de Rupert lui a emboîté
le pas. D’après Noël-Joseph Ritchot, le principal délégué et le seul à faire
rapport à ses électeurs métis, cette loi canadienne était conforme à leur liste
de droits et garantissait leur bilinguisme officiel.
L’Acte du
Manitoba
L’Acte du
Manitoba, intitulé aujourd’hui
Loi de 1870 sur le Manitoba et
faisant partie intégrante de la Constitution du Canada, a admis la Terre de
Rupert et le Territoire du Nord-Ouest à la fédération canadienne, et a établi
deux nouvelles entités — la province du Manitoba et les Territoires du
Nord-Ouest — dotées de gouvernements jumelés et d’institutions communes.
L’administration des territoires a été confiée au lieutenant-gouverneur du
Manitoba, qui portait, en plus, le titre de lieutenant-gouverneur des
Territoires du Nord-Ouest (article 35). Mais les fonctionnaires de l’ancienne
Terre de Rupert avaient conservé leurs charges dans la nouvelle province et pour
les territoires adjacents (article 36). Par conséquent, l’article 23,
reconnaissant le bilinguisme officiel des chambres législatives et des tribunaux
de la province, avait également pour effet de mettre en place le bilinguisme
officiel des institutions territoriales.
En ce qui concerne le pouvoir exécutif et
législatif, nous avons découvert : que le lieutenant-gouverneur des Territoires
du Nord-Ouest, Adams Archibald, a promulgué ses proclamations en anglais et en
français et qu’il a même erré en signant la toute première « Lieutenant
Gouverneur de Manitoba ».
Que le Conseil des Territoires du Nord-Ouest,
siégeant à Winnipeg, était largement composé de députés tirés des chambres
législatives du Manitoba et que son déroulement suivait les mêmes procédures
bilingues.
Que le Conseil des Territoires du
Nord-Ouest a adopté ses projets de loi en anglais et en français et qu’il les a
fait publier dans ces deux langues par la Gazette de
Manitoba.
En ce qui concerne le pouvoir judiciaire, nous
avons découvert : que le recorder, Francis Johnson, s’adressait à la cour en
anglais et en français, et qu’il signait ses décisions « Recorder du Manitoba et
des Territoires du Nord-Ouest ».
Que le poste de recorder a été remplacé en
1872 par celui de juge en chef du Manitoba, mais que sa juridiction pour la
province et les territoires est restée la même.
Que la Cour générale a continué ses fonctions
comme cour d’appel pour le Manitoba et les Territoires du Nord-Ouest, et ce,
même après qu’elle a été rebaptisée Cour du banc de la Reine pour le Manitoba en
1872.
Que la procédure à la Cour générale se
déroulait comme par le passé, en français quand l’intimé et l’appelant étaient
francophones, en anglais quand ils étaient anglophones, et dans les deux langues
quand ils étaient et francophone et anglophone, chacun s’exprimant dans sa
langue officielle.
En 1875, le premier ministre libéral du
Canada, Alexander Mackenzie, a décidé de séparer les gouvernements du Manitoba
et des Territoires du Nord et de déplacer la capitale territoriale à Battleford,
où elle resterait pendant quelques années, avant de déménager à Regina. En 1876,
il a fait proclamer son nouvel Acte des Territoires
du Nord-Ouest et a fait nommer, au même moment, un
nouveau conseil territorial composé d’un lieutenant-gouverneur et de trois
magistrats, tous anglophones et tous unilingues. Alors, Joseph Royal,
propriétaire du journal Le Métis,
procureur général du Manitoba et futur lieutenant-gouverneur des Territoires du
Nord-Ouest, a protesté avec véhémence contre cette loi « inique », et a demandé
un retour au « système actuel » pour assurer « le droit d’être jugé dans sa
propre langue »10. Marc Girard, ancien premier ministre du Manitoba
et ancien premier conseiller des Territoires du Nord-Ouest, s’est également
opposé à cette loi « inutile » et a soutenu que les francophones des territoires
avaient le même droit à la reconnaissance officielle de leur langue que les
francophones du Québec et du Manitoba11. Ainsi, le sénateur Girard a
proposé, avec succès, que la loi soit modifiée pour reconnaître le bilinguisme
officiel dans les Territoires du Nord-Ouest. Voilà les origines de l’article
110, une disposition traitée d’accidentelle, d’inexplicable et d’indésirable par
des générations d’historiens.
Conclusions
L’impact de ces recherches dépendra en
partie des résultats de délibérations judiciaires. Le 2 juillet 2008, dans la
cause Caron, le juge Leo
Wenden de la Cour provinciale de l’Alberta a conclu, en se reposant largement
sur cette nouvelle preuve, que le statut officiel de la langue française en
Alberta était consacré
dans la Constitution du Canada. Par
conséquent, il a jugé que la
Loi linguistique de 1988, qui a
supprimé l’article 110, avait empiété sur les droits linguistiques du défendeur
francophone, Gilles Caron. Il a également décidé que la
Traffic Safety Act était
inopérante, parce qu’elle avait été adoptée uniquement en anglais. La Couronne
conteste cette décision, prétendant que le juge aurait dû se borner à
l’application de l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire
Mercure.
Son appel sera entendu par la Cour du banc de la Reine à partir du 19 janvier
2009.
Néanmoins, voici mes
conclusions quant aux implications de ces recherches.
La Constitution du Canada, et plus précisément
le Décret en conseil sur la Terre de Rupert et le territoire du Nord-Ouest, en
engageant le Canada à respecter « les droits légaux » alors existants, garantit
le bilinguisme officiel au sein des assemblées législatives et des tribunaux de
l’Alberta et de la Saskatchewan, de même que dans les provinces du Manitoba, de
l’Ontario et du Québec et dans les trois territoires.
Cette
garantie constitutionnelle reconnaît le droit de chaque personne à un procès
dans sa langue officielle, à savoir devant un juge comprenant sa langue et
devant un jury formé de locuteurs de celle-ci
, et elle dépasse ainsi les dispositions traditionnelles qui ne reconnaissent
que le droit à s’exprimer dans sa langue.
Composée à parité de
francophones et d’anglophones, la convention réunie à Fort Garry en 1870 pour
dresser une liste de revendications a conclu un pacte fondamental sur la
gouvernance du Nord et de l’Ouest canadiens et a entériné les principes
essentiels de dualité linguistique et de partenariat culturel.
Ce pacte, une fois sanctionné par le Canada en
1870, a constitué un deuxième acte de confédération aussi important que le
premier, liant les habitants de l’Est et de l’Ouest et faisant de la nation
métisse un des peuples fondateurs.
Dans le contexte de l’historiographie
traditionnelle, ces conclusions dérangent et étonnent. Elles contredisent les
idées reçues et les mythes traditionnels. La Confédération, s’agit-il d’un acte
d’union imposé par la puissance impériale et la législation britannique, ou d’un
pacte fédératif négocié entre l’Ontario anglais et le Québec français? Ni l’un,
ni l’autre. La réalité est plus complexe, plus riche et infiniment plus
intéressante.
Notes
1.
Débats de la Chambre des communes
(Fitzpatrick), vol. 73, 29 juin 1905, p. 8436.
2. Alberta
Hansard (Horsman), vol. 102, 30 juin 1988, p. 2171.
3. Donald Creighton, « Macdonald,
Confederation and the West », Towards the Discovery
of Canada: Selected Essays, Toronto, Macmillan,
1972, p. 240.
4. Lettre de George Simpson à Adam Thom, le 5
janvier 1838, Archives de la Compagnie de la Baie d’Hudson, Winnipeg, D4 23,
folio 155.
5. Lettre d’Alexandre Taché à George-Étienne
Cartier, le 7 octobre 1869, Fonds Corporation archiépiscopale catholique romaine
de Saint-Boniface, Série Taché, Centre du patrimoine, Saint-Boniface, Manitoba,
Ta4013.
6. Lettre de John Young à William
McTavish, le 6 décembre 1869, dans Correspondence
relative to the recent disturbances in the Red River Settlement,
Londres, William Clowes & Sons, for Her Majesty’s Stationery Office, 1870, p.
34.
7. Lettre de Joseph Howe à William
McDougall, le 7 décembre 1869, dans Correspondence
relative to the recent disturbances in the Red River Settlement,
Londres, William Clowes & Sons, for Her Majesty’s Stationery Office, 1870, p.
35-36.
8. Lettre de Joseph Howe à Donald Smith,
le 10 décembre 1869, dans Correspondence relative to
the recent disturbances in the Red River Settlement,
Londres, William Clowes & Sons, for Her Majesty’s Stationery Office, 1870, p.
51.
9. « Convention at Fort Garry »,
The New Nation, Winnipeg, le 11
février 1870, p. 3.
10. « Le Gouvernement du Nord-Ouest »,
Le Métis,
Saint-Boniface (Manitoba), le 12 avril 1877, p. 2.
11. Debates
of the Senate (Girard), le 9 avril 1877, p. 319.
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