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Jean T. Fournier
Le présent article
examine l’adoption de régimes déontologiques par les assemblées législatives
canadiennes et montre en quoi les règles et les codes de déontologie contribuent
à une saine gouvernance. La première section donne un aperçu des règles qui
s’appliquent aux parlementaires canadiens en matière d’éthique et de conflit
d’intérêts. La seconde traite des modifications apportées récemment au Code
régissant les conflits d’intérêts des sénateurs. La troisième met en relief des
cas intéressants qui se sont présentés au Canada en 2008. Enfin, la dernière
section énonce certaines conclusions provisoires sur l’utilité des codes de
déontologie parlementaire à partir de l’expérience des vingt dernières années au
Canada.
Les parlementaires servent l’intérêt public et
jouent un rôle vital dans notre régime gouvernemental. Ce sont eux, par exemple,
qui examinent et adoptent les lois proposées par le gouvernement, qui proposent
des projets de loi d’intérêt privé pour régler un problème particulier, qui
saisissent le gouvernement des préoccupations de leurs administrés et qui
insistent pour l’apport de modifications à des politiques et à des programmes.
Les parlementaires de la Chambre des communes et du Sénat étudient et approuvent
les dépenses de l’État et exercent une surveillance en réclamant des comptes au
gouvernement sur ses gestes. Ils sont actifs aussi en comité, où ils tiennent
des audiences et rédigent des rapports sur une foule de questions d’intérêt
public.
Le service parlementaire étant un mandat de la
population, on s’attend des parlementaires qu’ils agissent en tout temps et en
toutes circonstances dans l’intérêt public, dans un esprit d’ouverture et de
transparence. Il leur est interdit de profiter de leur charge pour en tirer un
gain personnel ou des avantages pour leur famille ou pour des tiers. On s’attend
aussi que les parlementaires respectent des règles de conduite très strictes de
manière à éviter tout conflit d’intérêts, réel ou apparent. Ils doivent en outre
prendre les mesures nécessaires concernant leurs affaires personnelles pour
éviter les conflits d’intérêts et, s’il en surgit quand même, les régler de
manière à préserver la confiance de la population dans l’institution qu’ils
représentent. Ils doivent aussi respecter les obligations énoncées dans les
codes de la Chambre et du Sénat, et faire preuve d’intégrité et de transparence,
de manière que la population puisse poser un jugement éclairé sur leur conduite
et leur demander des comptes.
Les régimes de déontologie parlementaire au
Canada
Au Canada, les sénateurs sont assujettis
au Code régissant les conflits d’intérêts des
sénateurs (le Code). Le poste de conseiller
sénatorial en éthique a été institué par la Loi sur
le Parlement du Canada, et les fonctions et
attributions qui y sont rattachées sont énoncées dans le Code. La nomination du
premier titulaire de la charge, entré en fonction le 1er avril 2005,
a été entérinée par le Sénat.
Le conseiller sénatorial en éthique est un
haut fonctionnaire indépendant et non partisan du Sénat. L’interprétation du
Code et son application au cas particulier de chaque sénateur sont de son seul
ressort. L’aspect le plus important de son mandat est son rôle de conseiller.
Par les avis confidentiels qu’il leur prodigue, le conseiller sénatorial en
éthique aide les sénateurs à respecter leurs obligations aux termes du Code.
Ainsi, il leur signale les conflits d’intérêts réels ou apparents qui risquent
de se présenter et leur recommande les mesures à prendre pour les éviter. Ses
conseils portent sur diverses questions, comme les activités externes, les
cadeaux et d’autres avantages, les voyages parrainés, les déclarations
d’intérêts personnels et les contrats et arrangements commerciaux signés avec le
gouvernement.
Depuis ma nomination, j’ai donné des centaines
d’avis et conseils sur ces questions et bien d’autres encore. J’ai rencontré
chaque sénateur au moins une fois l’an. Mon travail consiste surtout à prévenir
les conflits d’intérêts plutôt que de réagir après coup. Au besoin, je peux
faire enquête sur les allégations de contravention aux dispositions du Code.
Les députés fédéraux, eux, sont
assujettis au Code régissant les conflits d’intérêts
des députés, adopté en 2004. Mon homologue à la
Chambre des communes, la commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique,
veille à son application. Elle est aussi responsable de l’interprétation et de
l’application de la Loi sur les conflits d’intérêts.
Cette loi relativement nouvelle (elle a été adoptée en 2006) s’applique aux
ministres, aux ministres d’État, aux secrétaires parlementaires, au personnel et
aux conseillers ministériels, aux sous-ministres et à la plupart des personnes
nommées par le gouverneur en conseil qui servent à temps plein ou à temps
partiel dans un organisme fédéral.
Avant l’adoption de cette loi, ces
titulaires de charge publique étaient assujettis au
Code régissant la conduite des titulaires de charge publique en ce qui concerne
les conflits d’intérêts et l’après-mandat. Ce
document, qui remontait à 1985, a été remanié plusieurs fois. Auparavant, la
conduite des ministres fédéraux était régie par des lignes directrices établies
par le premier ministre en exercice.
Pour leur part, les assemblées législatives
des provinces et des territoires ont toutes adopté des lois sur les conflits
d’intérêts des députés, lois qui sont, dans chaque cas, interprétées et
appliquées par un commissaire à l’éthique indépendant. D’ailleurs, les provinces
et les territoires se sont donné des régimes déontologiques bien avant le Sénat
et la Chambre des communes. L’Ontario a été la première (1988), et les autres
lui ont emboîté le pas, en commençant par la Colombie-Britannique puis
l’Alberta, en 1990 et en 1992 respectivement. En 2002, les provinces et les
territoires étaient tous dotés d’une loi sur les conflits d’intérêts ou
l’éthique. Au niveau fédéral, le régime déontologique s’appliquant aux
législateurs — autrement dit aux sénateurs et aux députés — a été établi par une
loi en 2004 seulement. À la Chambre des communes, le bureau du commissaire et le
code de conduite ont été institués cette année-là et au Sénat, l’année suivante1.
Les régimes déontologiques en vigueur au
Canada présentent de nombreuses caractéristiques communes. Tous sont administrés
par un commissaire à l’éthique indépendant, aussi appelé, selon le cas, agent
d’éthique, commissaire aux conflits d’intérêts ou commissaire à l’intégrité, qui
conseille les législateurs sur les conflits d’intérêts ou les questions
d’éthique en général. À mon avis, le principe de l’indépendance du commissaire
est indispensable au succès de mon bureau comme des autres bureaux de
déontologie parlementaire du Canada et constitue l’attribut distinctif du modèle
canadien de déontologie parlementaire. En fait, cette indépendance est vitale si
l’on veut que les parlementaires et la population en général aient confiance
dans la manière dont les commissaires à l’éthique s’acquittent de leurs
responsabilités.
Dans le cas du Sénat, l’indépendance du
conseiller sénatorial en éthique est garantie dans la
Loi sur le Parlement du Canada.
Celui-ci est nommé par le gouverneur en conseil, après consultation du chef de
chacun des partis reconnus au Sénat et approbation de la nomination par
résolution du Sénat. Cette démarche fait en sorte que le titulaire bénéficie de
l’appui le plus large des sénateurs, tous partis confondus. Le conseiller
sénatorial en éthique est nommé pour un mandat renouvelable de sept ans et il
peut être démis de ses fonctions, pour un motif valable, par le gouverneur en
conseil sur adresse du Sénat.
Aux termes de la
Loi sur le Parlement du Canada,
le conseiller sénatorial en éthique dirige son bureau tout à fait indépendamment
du Sénat. Par exemple, le budget de son bureau, qu’il dresse lui-même, est
distinct de celui du Sénat. Il est soumis au président du Sénat qui, après
l’avoir examiné, le transmet au président du Conseil du Trésor qui le dépose à
la Chambre des communes avec les prévisions budgétaires du gouvernement pour
l’exercice financier. Le conseiller sénatorial en éthique jouit, par ailleurs,
d’une immunité d’origine législative. Ces éléments de la
Loi sur le Parlement du Canada
(articles 20.1 à 20.7) confèrent indépendance et autonomie au Bureau du
conseiller sénatorial en éthique et le protègent efficacement contre toute
influence indue. Ainsi, le conseiller dispose de toute la latitude voulue pour
tirer ses propres conclusions et donner des avis judicieux de façon tout à fait
impartiale et transparente, sans influence ni contrainte externe.
Autre élément des régimes de déontologie
parlementaire qui est commun à toutes les législatures canadiennes, le
commissaire à l’éthique est également chargé de faire enquête sur les
allégations de contravention aux règles sur les conflits d’intérêts. Après son
examen, il fait rapport soit directement à l’assemblée législative, soit à une
autre entité, en l’occurrence au Comité permanent sur les conflits d’intérêts
des sénateurs dans le cas du conseiller sénatorial à l’éthique.
Les règles sont à peu près les mêmes partout
au Canada. Elles couvrent plusieurs sujets, notamment les cadeaux et d’autres
avantages, les voyages parrainés, les activités externes, la déclaration des
intérêts personnels, le trafic d’influence ou d’informations et les marchés
publics. Dans presque tous les cas, les députés ou les sénateurs sont tenus de
déclarer annuellement certains intérêts financiers au commissaire à l’éthique à
titre confidentiel. Celui-ci intègre ensuite cette information sous forme
sommaire à un registre ouvert au public. Le Québec est le seul endroit au Canada
où ce processus de déclaration n’existe pas, mais un commissaire indépendant,
appelé jurisconsulte, conseille les députés québécois. Comme les règles sur les
conflits d’intérêts couvrent sensiblement les mêmes questions, les commissaires
à l’éthique, conscients de l’importance d’entretenir des contacts avec leurs
homologues de tout le Canada pour échanger des informations, se renseigner sur
les pratiques exemplaires et discuter de sujets d’intérêt commun, ont constitué,
en 1992, le Réseau canadien des commissaires aux conflits d’intérêts. Celui-ci
réunit les 15 commissaires à l’éthique fédéraux, provinciaux et territoriaux qui
administrent les règles applicables aux législateurs et aux titulaires de charge
publique de haut rang, mais qui ont par ailleurs parfois d’autres attributions,
concernant, par exemple, les lobbyistes et les dénonciateurs.
Modifications apportées au Code du Sénat
Le Comité sénatorial permanent sur les
conflits d’intérêts a effectué un examen des dispositions du Code l’année
dernière. Cette tâche constitue, d’après moi, l’une des plus importantes
responsabilités du Comité aux termes du Code. Comme tout cadre réglementaire, un
code d’éthique a besoin d’être périodiquement révisé et peaufiné. Le Code du
Sénat prévoyait d’ailleurs un réexamen de ses dispositions dans les trois ans de
son entrée en vigueur, afin de voir s’il y avait lieu d’en améliorer certaines.
Quand il a procédé à cet examen, le Comité a entendu des juristes et des experts
en procédure, notamment le greffier du Sénat, le légiste et conseiller
parlementaire du Sénat, ainsi que des sénateurs qui ont souhaité contribuer à
l’étude. J’ai moi-même été consulté et j’ai soumis des recommandations qui ont
pour la plupart été adoptées, d’abord par le Comité, puis par le Sénat2.
L’une des modifications les plus importantes
que le Sénat a adoptées a consisté à affirmer dans le Code l’indépendance du
conseiller sénatorial en éthique. La question n’a jamais vraiment posé problème,
mais j’avais quand même recommandé que le fait soit formulé explicitement dans
le Code, non seulement pour en faire ressortir l’importance, mais aussi pour
parer à l’impression que pourraient avoir eue certains que je ne jouissais pas
d’une totale indépendance quand j’offrais des conseils personnalisés aux
sénateurs. Une autre modification, elle aussi importante, concerne les
déclarations publiques d’intérêts personnels. Au Canada, la plupart des règles
relatives aux conflits d’intérêts des législateurs obligent ceux-ci à déclarer
publiquement quand leurs intérêts personnels sont en jeu dans une question dont
sont saisis soit l’assemblée législative, soit l’un de ses comités. Le Sénat ne
fait pas exception. Ainsi, dans la version antérieure du Code, les sénateurs
étaient tenus de faire une déclaration soit devant le Sénat, soit en comité,
selon l’endroit où la question était abordée la première fois. Il était clair
que le sénateur concerné ne pouvait pas voter sur la question, mais rien
n’indiquait en revanche s’il pouvait quand même participer au débat. Le Code a
donc été modifié pour préciser qu’un sénateur ne peut participer à un débat sur
une question dans laquelle il a des intérêts personnels en jeu, et que, si la
question est soumise à un comité, il doit se retirer des délibérations de
celui-ci.
Je suis heureux de pouvoir dire que
je n’ai jamais eu à faire enquête, car aucune allégation n’a encore
été portée contre un sénateur depuis l’adoption du Code. Cela est
tout à l’honneur des sénateurs et confirme l’utilité du travail de
mon bureau.
Une autre modification
permet au conseiller sénatorial en éthique de rencontrer un sénateur quand il
l’estime nécessaire pour régler une question survenue dans le contexte du
processus annuel de déclaration. C’est un changement important, car, à l’instar
de bon nombre de mes homologues provinciaux et territoriaux, j’estime qu’une
rencontre en tête-à-tête constitue souvent le moyen le plus efficace de résoudre
un problème. Elle fournit l’occasion d’obtenir un complément d’information sur
la situation financière du sénateur, de dissiper les ambiguïtés et les
contradictions quand la déclaration confidentielle du sénateur en contient et de
discuter des mesures que le sénateur pourrait devoir prendre pour remplir ses
obligations aux termes du Code.
Ces entretiens annuels sont importants aussi
en raison de leur caractère préventif et formateur. Autrement dit, ils
permettent souvent de déceler les problèmes avant même qu’ils ne se présentent
et de déterminer les mesures à prendre, ce qui donne éventuellement la
possibilité d’éviter des enquêtes coûteuses qui ne sont pas toujours
nécessaires, ni dans l’intérêt public. Ici comme ailleurs, mieux vaut prévenir
que guérir. Il y a fort à parier que d’autres modifications seront apportées au
Code au fil du temps.
Exemples de l’application des codes canadiens
Le tableau suivant indique le nombre
d’enquêtes menées par les commissaires à l’éthique fédéraux, provinciaux et
territoriaux en 2008, et les années précédentes. Voici un aperçu de certains cas
de 2008.
Premièrement, la commissaire aux conflits
d’intérêts et à l’éthique a fait enquête sur des allégations voulant qu’un
député fédéral, Robert Thibault, ait contrevenu aux dispositions du Code des
députés en participant aux travaux du comité permanent chargé d’étudier la
question dite de l’affaire Airbus, laquelle mettait en cause un ancien premier
ministre, Brian Mulroney. Le problème tenait à ce que M. Mulroney avait intenté,
contre M. Thibault, des poursuites sur une question connexe qui étaient toujours
devant les tribunaux3.
Il fallait déterminer si M. Thibault avait des
« intérêts personnels » en jeu au sens du Code de la Chambre et, plus
précisément, si une poursuite constituait un « passif » et, par conséquent, des
« intérêts personnels » au sens du Code. Dans l’affirmative, M. Thibault aurait
été tenu de déclarer publiquement ces intérêts et de s’abstenir de participer au
débat et de voter sur la question.
La commissaire a déterminé qu’une poursuite en
dommages-intérêts à l’endroit d’un député constitue un passif éventuel et, par
voie de conséquence, un passif au sens du Code de la Chambre et, donc, des
intérêts personnels aux fins de l’application des dispositions pertinentes
(articles 8, 12 et 13).
Enquêtes menées par les commissaires à l’éthique des
assemblées législatives (2004-2008)*
|
|
Date de création du bureau
|
Nombre de législateurs
|
2004
|
2005
|
2006
|
2007
|
2008
|
Ontario
|
1988
|
103
|
3
|
1
|
2
|
1
|
2
|
Colombie-Britannique
|
1990
|
58
|
1
|
0
|
1
|
0
|
1
|
Nouvelle-Écosse
|
1991
|
52
|
0
|
0
|
0
|
0
|
0
|
Alberta
|
1992
|
83
|
1
|
1
|
0
|
3
|
0
|
Terre-Neuve-et-Labrador
|
1993
|
48
|
0
|
0
|
0
|
0
|
0
|
Saskatchewan
|
1994
|
58
|
2
|
1
|
0
|
0
|
2
|
Québec
|
1996
|
125
|
n.d.
|
n.d.
|
n.d.
|
n.d.
|
n.d.
|
Territoires du Nord-Ouest
|
1998
|
19
|
1
|
0
|
0
|
0
|
0
|
Île-du-Prince-Édouard
|
1999
|
27
|
0
|
0
|
0
|
0
|
2
|
Nouveau-Brunswick
|
2000
|
55
|
0
|
0
|
1
|
1
|
0
|
Nunavut
|
2000
|
19
|
1
|
0
|
0
|
0
|
2
|
Manitoba
|
2002
|
57
|
0
|
0
|
0
|
0
|
0
|
Yukon
|
2002
|
18
|
0
|
0
|
0
|
0
|
2
|
Chambre des communes
|
2004
|
308
|
0
|
3
|
4
|
1
|
6
|
Sénat
|
2005
|
105
|
n.d.
|
0
|
0
|
0
|
0
|
Total
|
|
|
9
|
6
|
8
|
6
|
17
|
* Toutes les assemblées législatives ont un commissaire indépendant et
appliquent des règles ou un code de conduite
Source : Réseau canadien des commissaires aux conflits
d’intérêts
|
La commissaire a cependant recommandé de ne
pas sanctionner le contrevenant parce que l’affaire soulevait des questions qui
n’avaient jamais été examinées et parce que les obligations des députés à cet
égard manquaient donc peut-être de clarté. En revanche, elle a recommandé que
M. Thibault divulgue la nature de ses intérêts personnels au président de la
Chambre.
Fait intéressant, après la publication du
rapport de la commissaire, la Chambre des communes a adopté une motion modifiant
le Code de la Chambre de manière à exclure des intérêts personnels à déclarer
ceux « qui ont trait au fait d’être partie à une action en justice relative à
des actes posés par le député dans l’exercice de ses fonctions ». La Chambre a
ensuite demandé à la commissaire de revoir ses conclusions à la lumière de cette
modification. Après avoir réexaminé les faits, la commissaire a déterminé que,
si la modification avait été antérieure à sa décision, M. Thibault n’aurait pas
été considéré comme ayant contrevenu aux dispositions du Code de la Chambre. En
conséquence, à compter de la date de la modification, celui-ci n’avait plus, aux
termes des dispositions concernées du Code, d’obligations relativement aux
intérêts personnels mis en cause par la poursuite.
Une plainte déposée par Démocratie en
surveillance — groupe d’intérêt public militant pour la réforme démocratique, la
responsabilisation des pouvoirs publics et la responsabilité sociale des
entreprises — a donné lieu à un cas intéressant. L’affaire mettait en cause le
premier ministre Stephen Harper et le ministre de la Justice, Rob Nicholson.
Cependant, contrairement à l’affaire Thibault, elle concernait la
Loi sur les conflits d’intérêts.
Il était allégué que le premier ministre se
trouvait en situation de conflit d’intérêts quand il a pris certaines décisions
concernant la suite à donner aux allégations portées à l’endroit de l’ancien
premier ministre Brian Mulroney, étant donné que M. Mulroney avait conseillé
M. Harper dans le passé et que le ministre de la Justice avait servi dans le
Cabinet Mulroney. Démocratie en surveillance soutenait que les décisions prises
par M. Harper conféraient un traitement préférentiel à l’ancien premier ministre
et avait fait valoir que les deux titulaires de charge publique concernés
avaient des intérêts personnels en jeu, dans la mesure où ils avaient agi de
manière à protéger leur propre réputation. La commissaire a statué qu’il n’y
avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour conclure que le
premier ministre Harper et son ministre de la Justice manquaient d’impartialité
et se trouvaient en situation de conflit d’intérêts. Démocratie en surveillance
a contesté cette décision devant la Cour fédérale du Canada, laquelle a rejeté
l’appel au début de 2009, statuant que l’organisme ne disposait pas, selon la
loi, du droit de faire examiner sa plainte par la commissaire aux conflits
d’intérêts et à l’éthique.
Une autre affaire réglée cette année concerne
le ministre des Finances, James Flaherty, et l’intérêt que celui et sa femme
détenaient dans une hypothèque accordée à une école privée. M. Flaherty avait
participé aux discussions qui avaient abouti à une mesure, intégrée au budget
fédéral de 2007, qui étendait aux élèves du primaire et du secondaire
l’exonération fiscale à l’égard du revenu provenant d’une bourse d’études ou de
recherche. Un député de l’opposition alléguait que M. Flaherty possédait un
intérêt dans une école privée qui avait des chances de tirer profit de
l’exonération fiscale et se trouvait donc peut-être en situation de conflit
d’intérêts.
La commissaire a jugé l’affaire en
regard du Code régissant la conduite des titulaires
de charge publique en ce qui concerne les conflits d’intérêts et l’après-mandat
et non de la Loi sur les conflits d’intérêts,
puisque le conflit d’intérêts allégué était antérieur à l’adoption de cette loi.
La commissaire a conclu que, bien que
M. Flaherty ait participé au processus décisionnel qui a abouti à l’inclusion de
l’exemption fiscale dans le budget de 2007, il n’existait pas de lien direct et
spécifique entre l’exemption fiscale et l’intérêt financier de M. Flaherty en
tant que cocréancier hypothécaire de l’école en question. Celle-ci n’offrant pas
de bourses d’études ou de recherche, la participation de M. Flaherty aux
délibérations budgétaires ne pouvait pas avoir d’influence quelconque sur son
intérêt personnel, et celui-ci n’avait donc pas à se récuser.
Un autre cas intéressant s’est produit en
Colombie-Britannique. Le ministre provincial des Forêts et du Territoire avait
pris deux décisions discrétionnaires visant l’industrie forestière, dans
laquelle son frère était employé. Il était allégué qu’il se trouvait en
situation de conflit d’intérêts apparent dans l’exercice de ses pouvoirs ou de
ses fonctions du fait de l’emploi de son frère dans des sociétés sur lesquelles
les décisions du ministre avaient des répercussions positives.
Le commissaire a déterminé que le ministre ne
se trouvait pas en situation de conflit d’intérêts apparent puisque son frère
était cadre intermédiaire et non cadre supérieur et que les responsabilités de
celui-ci concernaient exclusivement les opérations et ne touchaient en rien
l’orientation de l’entreprise ou son organisation. En outre, le frère du
ministre n’était pas partie aux discussions ou négociations concernant les
questions dont traitait le ministre et n’avait obtenu aucun avantage, d’ordre
financier ou résultant d’une promotion, du fait des décisions prises par le
ministre.
En Ontario, un cas concerne le président de
l’Assemblée législative, Michael Brown. Après une élection générale, alors qu’il
était toujours président, M. Brown avait participé à un banquet de la victoire
réunissant les membres du caucus libéral. On lui a reproché d’avoir ainsi
contrevenu à la convention parlementaire qui veut que le président s’abstienne
de toute activité partisane. La commissaire à l’intégrité par intérim a conclu
que la question ne relevait pas de son mandat, laissant à l’Assemblée
législative le soin de déterminer elle-même quels types d’activités risquent de
compromettre l’impartialité du président.
Ce ne sont là que quelques cas parmi la
douzaine d’enquêtes qui ont été menées en 2008 par les commissaires à l’éthique
fédéraux, provinciaux et territoriaux. On trouvera des renseignements
complémentaires sur ces cas et les autres sur les sites Web des commissaires.
En terminant, j’attire votre attention sur les
résultats d’une étude comparative effectuée par le professeur Ian Greene de
l’Université York, qui a analysé le nombre de conflits d’intérêts signalés dans
les provinces et les territoires avant et après la création des postes de
commissaire à l’éthique indépendant et l’adoption de règles de déontologie
parlementaire il y a une vingtaine d’années4. Son étude n’englobe pas
le Sénat et la Chambre des communes, car ni l’un ni l’autre n’avait encore de
régime de déontologie parlementaire à l’époque des travaux de M. Greene. Il
reste que les conclusions de cette étude, publiée en 2005, sont particulièrement
intéressantes et valent la peine qu’on les reprenne ici.
Premièrement, M. Greene a observé une « chute
spectaculaire du nombre des cas de conflit d’intérêts signalés dans les médias
depuis la création des postes de commissaire à l’éthique » et un recul encore
plus remarquable du nombre des cas avérés dans la plupart des provinces et des
territoires. Ce constat est d’autant plus important que, dit-il, « contrairement
à la situation qui prévalait avant la création des postes de commissaire aux
conflits d’intérêts, il existe maintenant une façon rapide et crédible de
résoudre les allégations de conflit d’intérêts », ce qui incite plus à porter
plainte. Pourtant, ajoute-t-il, « on observe une réduction substantielle du
temps d’antenne consacré à des conflits d’intérêts à la télévision et à la radio
et du nombre de colonnes mobilisées par ces questions dans la presse écrite... »
Ces résultats en disent long sur le succès du
modèle canadien de déontologie parlementaire aux niveaux provincial et
territorial et tendraient à montrer que, ensemble, un code ou des règles de
conduite explicites et un commissaire à l’éthique indépendant chargé de les
faire respecter constituent un cadre solide. Maintenant que le Sénat et la
Chambre des communes se sont, eux aussi, dotés d’un cadre d’éthique, on peut
espérer que les allégations de conflit d’intérêts vont diminuer au niveau
fédéral également. À terme, cela devrait renforcer la confiance de la population
dans l’appareil politique et dans le gouvernement en général. Tout cela ne fait
que confirmer l’importance cruciale de l’application rigoureuse de codes
d’éthique stricts si l’on veut développer la confiance de la population dans nos
institutions parlementaires. Cela dit, il reste encore beaucoup à faire pour
restaurer la confiance des Canadiens dans leurs institutions politiques, à en
juger par le faible taux de participation à la dernière élection générale et la
piètre estime dans laquelle on tient les parlementaires, ce dont témoignent de
nombreux sondages d’opinion réalisés au fil des ans.
Notes
1. Jean T.
Fournier, « Emergence of a Distinctive Canadian Model of Parliamentary Ethics »,
Journal of Parliamentary
and Political Law, vol. 11, no 3, 2009.
2. Bureau du conseiller sénatorial en
éthique, Rapport annuel du conseil sénatorial en
éthique 2007-2008.
3. Commissariat aux conflits d’intérêts
et à l’éthique, Rapport annuel 2007-2008 ayant trait
au Code régissant les
conflits d’intérêts des députés.
4. Ian Greene, Présentation lors d’un atelier sur les conflits
d’intérêts, Centre for Practical Ethics, Collège McLaughlin, Université York, 24
mars 2005.
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