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Courrier des lecteurs


Monsieur,

Merci de m’avoir invité à commenter la prorogation du Parlement par la gouverneure générale en décembre 2008.

Il s’agit d’une situation sans précédent. Le gouverneur général agit habituellement au nom de la reine et exerce les fonctions de chef de l’État, mais, depuis la Conférence impériale de 1926, on reconnait que le gouverneur général n’est pas le représentant du monarque (au sens d’agir selon ses instructions), mais qu’il remplit un rôle équivalent tout en agissant sur l’avis du Cabinet. Toutefois, comme Vernon Bogdanor le souligne dans son livre The Monarchy and the Constitution : « La Conférence impériale n’a donné aucune indication quant aux circonstances précises où le souverain ou le gouverneur général sont censés agir sur l’avis du Cabinet, et les circonstances où ils peuvent user de leurs pouvoirs discrétionnaires. »

Il est arrivé qu’un gouverneur général utilise ces pouvoirs, par exemple quand sir John Kerr a congédié le gouvernement Whitlam en Australie, en 1975, mais ces cas demeurent rares. Il y a une contrainte qui s’applique au gouverneur général et non au souverain : un gouverneur général peut être destitué de ses fonctions (sur la recommandation du gouvernement), ce qui n’est pas le cas de la reine. Si Gough Whitlam avait recommandé à la reine de destituer M. Kerr avant que ce dernier ait eu la chance d’exercer ses pouvoirs discrétionnaires, M. Kerr aurait été relevé de ses fonctions. Dans ce cas-ci, M. Kerr a agi le premier en congédiant M. Whitlam qui, n’étant plus le premier ministre, n’avait plus qualité pour agir à l’égard du gouverneur général.

Dans le cas qui nous intéresse ici au Canada, la gouverneure générale se trouvait, pour ainsi dire, entre l’arbre et l’écorce. Pour autant que je sache, il n’existe aucun précédent ou ligne directrice permettant d’accepter une prorogation dans de telles circonstances. S’il avait été question d’une demande de dissolution, il aurait été possible de s’en référer à quelques lignes directrices esquissées par sir Alan Lascelles, au Royaume-Uni (la gouverneure générale n’aurait toutefois aucunement été liée par ces lignes directrices).

La gouverneure générale devait donc décider d’agir sur l’avis du premier ministre, comme le veut la convention, ou de refuser de le faire en raison de circonstances exceptionnelles. Bien qu’à première vue, il semble que cette demande avait pour but d’éviter un vote de confiance, la position officielle est que le premier ministre a agi alors qu’il jouissait toujours de la confiance de la Chambre (ou plutôt qu’il ne l’avait pas perdue). Ainsi, la gouverneure générale a peut-être jugé que les arguments penchaient en faveur de la demande, surtout que cette demande n’empêchait pas la Chambre des communes, à son retour, de voter sur une motion de censure. Il y a aussi le principe selon lequel il faut assurer la continuité du gouvernement de Sa Majesté. Enfin, la gouverneure générale a peut-être aussi songé à quel point elle est plus vulnérable que la reine. Si elle avait rejeté la demande du premier ministre, elle aurait également déclenché une crise constitutionnelle.

Ce cas met donc en lumière la nécessité d’établir des lignes directrices pour régir ces situations. Et cela vaut pour le Commonwealth et non seulement pour le Canada. Que serait-il arrivé en 1977 si James Callaghan, devant la perspective de perdre un vote de confiance, avait demandé à la reine de proroger le Parlement afin de gagner du temps pour négocier avec les autres partis, au lieu de négocier rapidement une entente avec le Parti libéral? En fait, plus les directives régissant l’exercice de ces pouvoirs discrétionnaires seront claires pour les cas où il n’y a pas de précédent ou d’ouvrages faisant autorité, plus il sera facile de tenir Sa Majesté ou le gouverneur général au-dessus des disputes partisanes.

The Lord Norton of Louth
University of Hull
Royaume-Uni


Canadian Parliamentary Review Cover
Vol 32 no 1
2009






Dernière mise à jour : 2020-09-14