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James Cairns
Larticle présente les points saillants dune étude plus globale sur lévolution
de la couverture médiatique consacrée à la cérémonie douverture de la
législature ontarienne, au XXe siècle. La première section résume les limites
des méthodes traditionnellement employées pour couvrir linauguration des
sessions parlementaires. La deuxième section décrit lévolution observée
dans lapproche et la description journalistiques des séances inaugurales,
au fil du siècle dernier. Enfin, la dernière section tire des conclusions
générales sur les institutions parlementaires et la culture politique.
Les chercheurs en communication du Canada ont observé depuis longtemps
que « les médias façonnent notre environnement psychique, spécialement quant
aux sujets qui débordent notre expérience personnelle directe, un champ
qui recouvre la plupart des aspects de la chose politique »1. Le sociologue
britannique John B. Thompson emploie lexpression « publicitude médiatique »
pour mettre en lumière les façons dont les moyens de communication tels
que les journaux, la télévision et Internet instillent un sentiment dexpérience
commune parmi des observateurs politiques distants et diversifiés2.
De toute évidence, les mass media jouent un rôle clé dans la manière dont les
gens se perçoivent comme faisant partie de communautés politiques élargies.
Mais, comme l’implique l’expression utilisée par Thompson, il importe de se
rappeler que les médias non seulement véhiculent une information politique, mais
aussi contribuent à forger les schèmes mêmes de compréhension de la réalité
politique. Cette idée est centrale au champ d’étude parlementaire, parce qu’elle
laisse entendre que les fonctions de création de la réalité exercées par les
médias de masse sont à la fois dépendantes et révélatrices d’une compréhension
commune de la signification des institutions politiques.
Approches standard des séances inaugurales
Au Canada, les interprétations données à linauguration des sessions législatives
sont conceptuellement limitées par une prédisposition à appréhender lévénement
comme une activité exclusivement parlementaire. Dans les rares études consacrées
à ce thème, louverture est habituellement décrite comme sinsérant dans
ladministration du Parlement, dans les fonctions cérémonielles de la Couronne
ou dans le programme daction (explicite ou caché) du gouvernement. Les
ouvrages de science politique adoptent le même angle en interprétant louverture
comme le début dune nouvelle session législative, comme une commémoration
de lhéritage britannique du Canada ou comme une énumération des orientations
proposées par le gouvernement.
Il ny a donc pas lieu de se surprendre de labondante représentation des
questions parlementaires dans les ouvrages savants. Les ouvertures de session
sont une affaire parlementaire, mais est-ce tout ce quelles sont? Considérant
les trois perspectives selon lesquelles les politologues envisagent habituellement
le rituel de la vie citoyenne, il devient apparent quun élément a été
constamment évacué du débat : le peuple. Lévénement représente une promesse
dactivité politique parlementaire, tant littéralement que figurativement.
Mais comment laffaire prend-elle vie hors des murs du Parlement? La question
nest jamais posée. Même si les citoyens ne constituent pas lunique auditoire
de louverture, ils nen représentent pas moins un auditoire important,
peut-être pas par règle mais certainement par convention. Où se situe la
population par rapport à louverture des sessions législatives?
Les ouvertures vues par le prisme des mass media
« Pour la majorité des citoyens vivant dans une société de masse comme le
Canada, le principal lien constant quils entretiennent avec leurs leaders
et leurs institutions passe par les mots, les sons et les images que véhiculent
les mass media3. » Ainsi, en pratique, la signification des ouvertures parlementaires
pour les citoyens correspond à la couverture médiatique de ces inaugurations.
Comment la signification des ouvertures des législatures ontariennes a-t-elle
été présentée dans les grands journaux entre 1900 et 20074?
Dans les quatre premières décennies du XXe siècle, les journaux dépeignaient
la cérémonie comme telle la scène et son contexte à Queens Park comme
la caractéristique saillante du processus douverture.
En plus de respecter des obligations constitutionnelles, louverture était
perçue comme « un événement mondain, où de simples hommes dÉtat siégeaient
dans lobscurité des banquettes arrières [
] pendant que la société sébaudissait.
Et la société sen donnait à cur joie5! » Lentassement de la foule, les
toilettes flamboyantes des invités et la solennité de la procession royale
étaient présentés comme des exemples de la richesse et de la prospérité
de lOntario. Ainsi, en 1905, le Toronto Star interprétait la « scène à
lintérieur de la chambre » non seulement comme la confirmation de la capacité
de lélite sociale à organiser une fête, mais comme « une preuve indiscutable
[...] du caractère prospère et progressiste de lOntario »6.
Habituellement, les articles de presse étaient structurés chronologiquement.
Ils commençaient par décrire larrivée des spectateurs à lAssemblée législative
(beaucoup venant sinstaller dans les tribunes publiques de trois à cinq heures
avant le prononcé du discours du Trône), puis le spectacle de la procession
officielle, ensuite le déroulement des procédures administratives et le
discours du Trône comme tel, enfin le thé daprès-discours qui était habituellement
organisé dans les appartements du lieutenant-gouverneur. La cérémonie était
présentée comme revêtant une importance particulière pour les femmes, puisque,
avant 1944, elle constituait, pour ces dernières, lunique occasion légitime
de prendre place sur le parquet de lAssemblée législative ontarienne.
Même après lélargissement du droit de vote en 1917, la présence féminine
à louverture de la session méritait une mention dans les journaux : en 1925,
par exemple, on pouvait lire quune « vue de la tribune révélait un millénium
féministe, la transformation dun parlement dhommes en un parlement de
femmes »7. Les pages féminines des journaux énuméraient nommément les centaines
dinvités et décrivaient en détail les robes de la « gent officielle féminine
de lOntario »8.
En général, la couverture du discours du Trône consistait alors en un ou
deux grands reportages consacrés à lensemble du programme daction législative.
Les journalistes ne disséquaient pas le contenu du discours, nen évaluaient
pas les effets potentiels sur différents groupes sociaux ni ne rapportaient
la réaction des partisans ou des opposants du gouvernement. Par exemple,
après avoir décrit sur toute une colonne la scène et le contexte de lévénement
à Queens Park, un article du Star publié en 1915 poursuit ainsi : « Le discours
du Trône souligne que la province fait face à un déficit marqué, et prévoit
une taxe spéciale pour le combler. Les autres mesures prévues comprennent
ladoption du Moratorium Act, la modification du Workmens Compensation
Act et du Liquor License Act, lamélioration des règles dinspection des
chaudières et ladoption de bonnes mesures législatives sur la voirie »9.
Il est presque impossible dimaginer une époque où la discussion des déficits
et de la fiscalité de la province suivait une description détaillée du
« plein cérémonial dÉtat » et de la « procession du lieutenant-gouverneur »,
ou encore labsence de réactions de la part des politiciens et des associations
extra-parlementaires aux politiques proposées lors du rituel. Et pourtant,
toute analyse critique des orientations envisagées était, en règle générale,
suspendue pour la journée.
En puisant au langage du vaudeville pour expliquer la signification et
la popularité de la cérémonie de Queens Park, le Toronto Evening Telegram
signalait, en 1905 : « Louverture dune législature est à la fois une parade
mondaine, un défilé militaire et une démonstration politique. Un promoteur
capable de pourvoir son projet de tous ces attributs naurait pas besoin
demprunter de largent à ses proches10. » Malgré sa formulation partiellement
humoristique, cette observation résume bien le type de couverture accordée
aux cérémonies douverture par les journaux de la première partie du XXe siècle.
Sans aucun doute, les orientations proposées et les partis politiques étaient
perçus comme des éléments centraux de l’événement, mais ses significations
multiples, quelquefois contradictoires et loin d’être exclusivement législatives
étaient généralement dépeintes comme sa caractéristique essentielle.
Dans laprès-guerre, la mise en évidence graduelle du discours du Trône
a constitué une tendance clé dans la couverture journalistique. Dans lactuel
bassin de savoir journalistique présumé, le programme législatif proposé
a acquis une importance telle que même les journalistes de la tribune de
la presse à Queens Park désigneront rarement louverture autrement que
« la journée du discours du Trône11 ». Considérée comme symptomatique des
virages conceptuels opérés au long du XXe siècle,
cette révision terminologique laisse croire que la signification de l’événement
a connu un changement non pas de degré mais bien d’essence. Le tableau
ci-dessous révèle que l’approche journalistique dominante d’antan a subi un
renversement complet dans l’après-guerre.
Les pages de journaux exclusivement consacrées au discours du Trône illustrent
bien les interprétations contemporaines de la signification des ouvertures
de session législative. Ces « pages du discours du Trône » figurent quelque
part dans le premier cahier du journal. Tout en pouvant véhiculer plus
dune douzaine darticles sur différents projets de politique, cette nouvelle
forme de nouvelles se distingue par la présence, en haut de page, dun
bandeau qui unit les divers articles et images sous un thème central, par
exemple « Le plan ennuyant de Bill12 », « Le discours du Trône des Tories13 »,
« Le discours du Trône de lOntario14 » ou, simplement, « Le discours du Trône15 ».
La prolifération et la professionnalisation des analyses consacrées au
discours du Trône ont une conséquence imprévue, à savoir une montée dintérêt
envers les sujets absents du discours. La conférence de presse marquant
louverture de la législature, résultante de lère télévisuelle, constitue
le forum typique où ces absences sont soulignées. La conférence de presse
est importante pour deux raisons. Tout dabord, lattitude toujours plus
inquisitrice des journalistes y oblige le gouvernement à répondre de son
discours du Trône dune façon non exigée par la procédure parlementaire.
Soulignons toutefois que les conférences de presse représentent également,
pour le gouvernement, une tribune publique idéale afin de promouvoir ses
projets législatifs. Deuxièmement, dans une optique de politique partisane,
la conférence de presse offre ce que la Chambre elle-même noffre pas :
une plate-forme où lopposition parlementaire peut formuler des critiques
durant la journée de louverture.
Ni en 1950, ni en 1955, les journaux ne citent lopposition, mais, dans
chaque échantillon examiné après 1960, tous présentent au moins une réaction
de lopposition au discours du Trône. En quatre occasions différentes,
parmi léchantillonnage daprès-guerre, lopposition a été citée dans six
articles lors dune même année. Contrairement au type de couverture qui
caractérisait le début du XXe siècle, où lon considérait que louverture
de la législature marquait une pause dans le traditionnel processus daffrontement
politique, lévénement fait dorénavant partie des luttes partisanes qui
constituent le lot quotidien de la politique ontarienne. Cette tendance
sest exacerbée après-guerre par lavènement de chroniqueurs dopinion
provocateurs qui mettent en lumière et évaluent les stratégies partisanes
marquant la journée douverture.
Enfin, depuis les années 1970, la couverture de la journée douverture inclut
de nouveaux types dapports émanant dindividus et de groupes extra-parlementaires.
Par exemple, en 1990, le Globe and Mail a publié en manchette un article
qui débutait ainsi : « Sil nen tient quà Vyrn Peterson, la nouvelle centrale
nucléaire de lOntario sera construite tout juste en aval de cet atelier
de soudure encombré, en bordure de la route transcanadienne à Blind River16. »
Cet article a été rédigé en vue du discours du Trône de cette journée,
dans le contexte de la prise imminente dune décision gouvernementale sur
lopportunité dintensifier la production dénergie nucléaire. Mais qui
est Vyrn Peterson? Ce nest pas un politicien, mais un citoyen intéressé.
Les lecteurs ont aussi droit à lopinion dEd Burt, « un éleveur de bufs
et de porcs », qui juge « tout simplement stupide » lidée daménager une
centrale nucléaire à Blind River. Plus loin dans larticle, le vice-président
de lAssociation nucléaire canadienne présente le point de vue de lindustrie.
Bref, quelques heures avant la présentation en Chambre du discours du Trône,
les journaux se faisaient lécho dintervenants extra-parlementaires débattant
du programme législatif de la province.
Si louverture de la législature était autrefois dépeinte comme la représentation
de tout un ordre social hiérarchique sarticulant autour de la haute société,
elle symbolise aujourdhui le marché concurrentiel des idées dune société
libérale-pluraliste idéale. Ce constat, de même que les autres observations
formulées ci-dessus, mérite une explication plus approfondie. Cependant,
la discussion précédente ne visait pas à expliquer, mais plutôt à mettre
en évidence, des tendances jusque-là négligées.
Comparaison des thèmes abordés dans la couverture médiatique
de l'ouverture de la législature
|
Nombre total d'articles
|
Thème principal : lieu et contexte
|
Thème principal : discours du Trône/politique partisane
|
|
1900-1945
|
1950-2007
|
1900-1945
|
1950-2007
|
1900-1945
|
1950-2007
|
Globe and Mail
|
83
|
119
|
58 (70 %)
|
40 (34 %)
|
25 (30 %)
|
79 (66 %)
|
Toronto Daily Star
|
76
|
163
|
45 (59 %)
|
45 (28 %)
|
31 (41 %)
|
118 (72 %)
|
Toronto Evening Telegram / Sun
|
76
|
143
|
63 (83 %)
|
55 (38 %)
|
13 (17 %)
|
88 (62 %)
|
Total
|
235
|
425
|
166 (71 %)
|
140 (33 %)
|
69 (29 %)
|
285 (67 %)
|
Conséquences pour le secteur des études parlementaires
Cette étude de cas vient étayer largument voulant que la couverture journalistique
révèle une évolution du savoir social concernant lévénement central du
calendrier parlementaire. À la lumière de la couverture de la journée douverture
de la session législative en Ontario, quelles conclusions générales peut-on
tirer sur les avantages détudier les affaires parlementaires en empruntant
le point de vue des mass media? Tout dabord, ladoption dune perspective
médiatique donne une idée de lambiguïté entourant la signification des
institutions politiques centrales du Canada. Contrairement aux résultats
prévisibles quon peut obtenir en tentant de cerner exactement ce quest
louverture de la session parlementaire, un projet qui sefforce de montrer
les diverses perceptions de ce rituel dans la couverture journalistique
permet de lenvisager comme un événement à la fois pratique et rituel,
anachronique et pertinent, capable à la fois dexciter et de calmer. Cette
perspective met en lumière à la fois les politiques et laffectation, les
plans et les incertitudes, les craintes et les assurances. Elle souligne
les promesses et les échecs, le pouvoir et la fragilité, le passé et lavenir.
La recherche sur les législatures au Canada « na jamais été hautement théorique17 »,
comme le souligne le récent appel de Malloy en faveur dune nouvelle génération
détudes législatives qui transcendent les conceptions classiques de gouvernement
responsable pour se « pencher davantage sur dautres conceptions de la représentation
et de la responsabilité démocratique »18. En
abordant le domaine parlementaire selon une approche médiatique, on dispose de
la latitude théorique nécessaire pour explorer le fait que le Parlement exerce
constamment une multiplicité de rôles et de formes d’autorité.
Deuxièmement, létude de cas révèle quune approche médiatique peut aider
à éclairer lévolution historique du Parlement. Certes, la couverture médiatique
dantan nest pas toujours aussi riche que ce reportage paru en 1930 dans
le Globe de Toronto, où la cérémonie douverture de cette année-là était
vue par les yeux du fantôme du parlementaire et mémorialiste britannique
Samuel Pepys (1633-1703). Cet article est cependant un exemple exceptionnel
et intrigant qui permet de faire valoir un argument général, à savoir que
les conceptions populaires du Parlement ne sont pas fixes. Au contraire,
elles sont temporellement marquées et peuvent évoluer au fil des ans. Dans
une perspective moderne, la couverture historique peut sembler étrange,
mais il ne faut pas oublier ce qua écrit Robert Darnton, célèbre historien
culturel : « Quand on ne peut saisir la signification dun proverbe, dune
blague, dun rituel ou dun poème, on sait quil y a quelque chose à débroussailler.
En décortiquant le document là où il est le plus opaque, on peut être en
mesure de percer au jour un système de signification étranger19. »
La narration faite par le fantôme de Pepys commence à séclairer quand
on la considère en tenant compte du fait que « jusquà la Seconde Guerre
mondiale au moins, la monarchie et lEmpire britannique avaient presque
statut de culte dans la société canadienne »20. Témoin de nombreuses cérémonies
douverture au premier de tous les parlements, Pepys était idéalement placé
pour porter un jugement sur la pompe impériale du Dominion. (Son verdict?
Des éloges sans réserves.) Ce serait déborder le champ dintérêt du présent
article que dapprofondir les liens entre louverture des sessions législatives
et la culture britannique en Ontario. Mais il convient de souligner que
ces liens se précisent quand on lit le récit de Pepys à la lumière des
questions suivantes : Qui a produit ce récit, à qui sadresse-t-il, et pourquoi?
Que révèle le récit au sujet de lautorité du producteur? Que laisse-t-il
entendre au sujet des attentes du lecteur? Et, au premier chef : Quels sont
les messages implicites du récit, cest-à-dire les éléments non explicites
mais quil faut postuler pour donner un sens au récit?
La formulation dune liste de questions constitue une bonne façon dintroduire
le point final argué dans le présent article, puisque les particularités
et les virages observés dans la couverture des journées douverture indiquent
que ladoption dune approche médiatique engendre de nouvelles questions
sur le mode de fonctionnement de lautorité parlementaire au niveau culturel.
Au risque dobscurcir sous une couche de jargon théorique la valeur pratique
de cette idée, il convient dapporter une certaine clarification, car le
terme « culture » est hautement contesté. Aux fins de la discussion, on peut
définir la culture comme « un système de conceptions héritées, exprimées
en formes symboliques par lesquelles [les humains] communiquent, perpétuent
et enrichissent leurs connaissances et leurs attitudes à légard de la
vie »21.
Point nest besoin de caractériser les citoyens comme de naïfs faibles
desprit qui croiront tout ce quils voient à la télévision pour apprécier
le fait quétudier les affaires parlementaires dans une optique médiatique
permet dintégrer la population au cadre danalyse. Afin de circonscrire
les hypothèses communes mais non énoncées sur la signification des institutions
et des acteurs politiques pour les gens quils représentent, il est essentiel
de poser des questions sur la couverture médiatique. De telles questions
se révèlent être de riches occasions de savoir comment le citoyen moyen
(lecteur de journaux) perçoit le Parlement. Cela ne signifie pas quune
expérience de réflexion créatrice peut se substituer à lefficacité politique.
Mais, si lon souhaite que la recherche sur les législatures conserve sa
pertinence en cette époque de constant perfectionnement et de généralisation
croissante des technologies de communication, il faut que les chercheurs
conçoivent de nouvelles façons dappréhender la politique législative selon
loptique des mass media. À ceux qui affirment que la culture ressortit
à un quelconque autre champ danalyse, nous répondons que la couverture
médiatique fait tout autant partie de ce quest le Parlement que le jour
du budget et les sonneries dappel au vote. Les experts en matière parlementaire
sont idéalement placés pour tracer de nouvelles voies dans ce domaine détude;
ils sont, après tout, des spécialistes du Parlement.
Quelles parties du Parlement sont couvertes de près et, dans la couverture
médiatique, quel type dinformation est explicite et implicite sur leur
forme et leur fonction? Quelles caractéristiques du Parlement ne sont pas
couvertes mais mériteraient une meilleure attention médiatique; est-ce
que, dans les autres provinces ou territoires, on a des idées sur la façon
daméliorer la situation au Canada? Est-il possible de cerner les erreurs
récurrentes dans les descriptions médiatiques du Parlement ainsi que leur
incidence sur la démocratie canadienne? Quen est-il du Sénat canadien
en quoi ses formes et ses fonctions sont-elles façonnées par les mass media?
Quelles similitudes et quelles différences peut-on observer dans la couverture
médiatique de différentes législatures provinciales? Quelle est la place
des groupes extra-parlementaires (femmes, immigrants, chambres de commerce,
enfants, syndicats, Premières nations, conseils municipaux, etc.) dans
la couverture médiatique des affaires parlementaires? Cette couverture
a-t-elle changé au fil du temps?
David E. Smith, dans un ouvrage sur la Chambre des communes qui lui a valu
le prix Donner, nous encourage en soutenant que ces types de questions
commencent effectivement à occuper une place plus centrale dans les études
parlementaires au Canada. Dans lavant-dernier chapitre, Smith demande :
« Est-ce que les médias privilégient une rhétorique ou un modèle démocratique
par rapport à un autre, cest-à-dire parlementaire, constitutionnel ou
électoral22? » Une récente tendance observée dans la couverture journalistique
de louverture de la législature donne un exemple de fonctionnement médiatique
qui encourage un modèle de « démocratie électorale » selon Smith. Noublions
pas que, depuis la Seconde Guerre mondiale, la couverture des journées
douverture privilégie de plus en plus le débat entre parlementaires, groupes
extra-parlementaires et journalistes, dans ce quon pourrait appeler la
sphère élargie de la politique législative. À mesure que saffirme le rôle
des médias comme facilitateurs du débat politique, lAssemblée législative,
comme lieu, perd une partie de sa centralité et de son autorité. Reconnaissant
les limites dune unique étude de cas, nous nous contenterons toutefois
de conclure avec Smith que ces questions méritent dêtre approfondies.
Selon les thèmes et les échelles danalyse que privilégieront les chercheurs
à lavenir, le recours à différentes approches médiatiques en recherche
parlementaire nécessitera que lon aborde différemment le savoir scientifique
sur les mass media et la société. Certains chercheurs en matière parlementaire
pourraient lire abondamment sur les questions communicationnelles et culturelles
avant de formuler de nouvelles questions de recherche. De nombreux politologues
le font déjà, comme en témoignent de récents travaux concernant la couverture
médiatique des élections, de la publicité politique et des questions de
race et de genre23. Dautres pourraient choisir dexaminer de manière plus
informelle les contenus des médias, en utilisant la couverture médiatique
non pas comme une méthode visant à produire des conclusions, mais comme
une façon dinspirer les questions initiales. Quelles que soient les traditions
théoriques et méthodologiques particulières qui sous-tendront les nouvelles
approches médiatiques, laugmentation du nombre de chercheurs parlementaires
qui sintéressent à la perception de leur champ détude vu par la lorgnette
des mass media aura pour effet denrichir le secteur des études parlementaires.
Notes
1. Frederick J. Fletcher et Daphne Gottlieb Taras, « Images and issues: The
mass media and politics in Canada », dans Canadian politics in the 1990s,
3e éd., sous la direction de M.S. Whittington et G. Williams, Scarborough,
Nelson, 1990, p. 221.
2. John B. Thompson, The media and modernity: A social theory of the media,
Cambridge, Polity Press, 1995, p. 126.
3. Robert Everett et Frederick J. Fletcher, « The mass media and political
communication in Canada, » dans Communications in Canadian society, 5e éd.,
sous la direction de C. McKie et B.D. Singer, Toronto, Thompson Educational
Publishing, p. 167.
4. La série de textes examinés dans létude générale regroupe 660 articles
de journaux tirés de quatre quotidiens ontariens : le Toronto Evening Telegram
(le Toronto Telegram de 1949 à 1971), le Globe de Toronto (le Globe and Mail
depuis 1936), le Toronto Daily Star (le Toronto Star depuis 1971) et le Toronto
Sun. Si nous avons choisi ces publications particulières, cest à la fois
parce quelles traitent couramment de la politique ontarienne et en raison
de leur fort tirage. À partir dune méthode déchantillonnage avec écart
maximal, les textes ont été choisis en fonction des principes suivants :
En commençant par 1900 et par incréments quinquennaux, léchantillon textuel
comprend tous les articles de journaux qui concernent la première ouverture
de session législative dune année donnée et qui ont paru dans toute section
du Globe, du Star, du Telegram et du Sun, la journée même du discours du
Trône ou le lendemain des cérémonies douverture. La raison pour laquelle
léchantillon finit par une année se terminant sans « 0 » ou « 5 » sexplique
par labsence douverture législative en 2000, et quon a donc plutôt analysé
la première ouverture de 2001. Cinq années plus tard, comme il ny a pas
eu douverture en 2006, le corpus conclut sur la couverture de 2007. En nous
fondant sur des études méthodologiques concernant la narration et la mise
en contexte médiatiques, nous avons préparé un barème de codage incluant
les catégories aussi bien qualitatives que quantitatives. Après deux opérations
de codage expérimental visant mettre au point une approche systématique,
nous avons recouru à une unique feuille de codage pour analyser la totalité
des 660 articles du corpus. Cinq entrevues avec des journalistes et dautres
personnes travaillant à Queens Park viennent étayer la recherche textuelle.
Pour obtenir une copie du barème de codage final, veuillez communiquer
avec lauteur, à ladresse j3cairns@ryerson.ca.
5. Toronto Evening Telegram, 16 février 1915, p. 4.
6. Ibid., 23 mars 1905, p. 7.
7. Toronto Daily Star, 11 février 1925, p. 7.
8. Toronto Evening Telegram, 11 février 1925, p. 9.
9. Toronto Daily Star, 16 février 1915, p. 2.
10. Toronto Evening Telegram, 23 mars 1905, p. 9.
11. Thomas Walkom, interviewé par lauteur, 23 avril 2007.
12. Toronto Sun, 12 mars 1980, p. 3, 62-63.
13. Toronto Star, 5 juin 1985, p. A16, A17.
14. The Globe and Mail, 21 novembre 1990, p. A8.
15. Toronto Star, 30 novembre 2007, p. A19.
16. The Globe and Mail, 20 novembre 1990.
17. Michael M. Atkinson et Paul G. Thomas, « Studying the Canadian Parliament »,
Legislative Studies Quarterly, vol. 18, no 3 (août 1993), p. 424; voir également
Mark Sproule-Jones, « The enduring colony? Political institutions and political
science in Canada », Publius, vol. 14, no 1 (1984), p. 93-108.
18. Jonathan Malloy, « L'approche du gouvernement responsable » et son effet
sur les études législatives canadiennes, Groupe canadien détudes des questions
parlementaires, 2002, p. 15. Perspectives parlementaires, no 5.
19. Robert Darnton, The great cat massacre... and other episodes in French
cultural history, New York, Vintage Books, 1985, p. 5.
20. Daniel Francis, National dreams: Myth, memory, and Canadian history,
Vancouver, Arsenal Pulp Press, 1997, p. 53.
21. Clifford Geertz, The interpretation of cultures, New York, Basic Books,
1973, p. 89.
22. David E. Smith, The peoples House of Commons: Theories of democracy
in contention, Toronto, University of Toronto Press, 2007, p. 133.
23. Voir par exemple Elisabeth Gidengil et Joanna Everitt, « Filtering the female:
Television news coverage of the 1993 Canadian leaders debates », Women
& Politics, vol. 21, no 4, 2000, p. 105-31; Frederick J. Fletcher (dir.),
Sous lil des journalistes : la couverture des élections au Canada, Toronto,
Dundurn Press/Montréal, Wilson & Lafleur, 1991. Volume 22 des études de
recherche de la Commission royale sur la réforme électorale et le financement
des partis; Jonathan W. Rose, Making 'pictures in our heads': Government
advertising in Canada, Westport, Praeger, 2000; Linda Trimble, « Gender,
political leadership and media visibility: Globe and Mail coverage of Conservative
Party of Canada leadership contests », Revue canadienne de science politique,
vol. 40, no 4, 2007, p. 969-93; Yasmin Jiwani, Discourses of denial: Mediations
of race, gender, and violence, Vancouver, UBC Press, 2006.
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