PDF
Alan McIsaac, MAL
Depuis près dune cinquantaine dannées, les prix de certains produits
agricoles, dont le lait, les ufs et la volaille, sont réglementés au moyen
dun système appelé gestion de loffre. Le présent article décrit les origines
du système et fait valoir que ce régime demeure profitable aussi bien pour
les producteurs que pour les consommateurs.
Aujourdhui, le thème de lalimentation est dune brûlante actualité. Il
suffit de lire un journal ou découter un bulletin de nouvelles pour entendre
parler des diverses controverses entourant notre approvisionnement alimentaire :
émeutes alimentaires en Asie et au Mexique; rappel de tomates en Amérique
du Nord; débat sur lopportunité de privilégier la nourriture ou le carburant;
hausse marquée du prix des aliments importés dans de nombreux pays; interrogations
sur linnocuité de certains produits alimentaires au Canada; inquiétudes
sur la façon de répondre aux besoins alimentaires dune population mondiale
toujours croissante. Et, par-dessus le marché, bon nombre des agriculteurs
qui produisent nos aliments connaissent leur plus grave crise financière
depuis la Dépression.
Ce quest la gestion de loffre
La gestion de loffre a vu le jour dans les années 1960, période où les
agriculteurs faisaient face à une volatilité croissante des marchés, perdaient
le contrôle de leurs marchés et ne faisaient pas le poids face aux transformateurs
et aux détaillants. Les agriculteurs étaient vulnérables à lun des problèmes
fondamentaux de lagriculture la périlleuse fluctuation en dents de scie
des prix associée aux cycles non réglementés demballement et deffondrement
qui caractérisent une offre surabondante ou insuffisante.
Dans un « libre marché », le prix est déterminé par loffre et la demande.
Les marchandises agricoles sont produites par un nombre relativement élevé
dagriculteurs qui agissent indépendamment. Il en résultait une offre excédentaire
par rapport à la demande et, ainsi, de faibles prix. Cette période était
suivie dune diminution de la production et, donc, de pénuries et de hausses
de prix.
De longues années de fluctuation ont entraîné la faillite dexploitations
agricoles et déconomies rurales. Une planification efficace à long terme
savérait pratiquement impossible. Malgré cela, ces variations de prix
de marchandises primaires avaient peu dincidence sur les coûts finals
payés par les consommateurs, puisque les transformateurs et les détaillants
en accaparent une si forte proportion. Les problèmes financiers ainsi causés
aux agriculteurs par cette situation coûtaient aux contribuables des millions
de dollars en subventions ou en opérations de renflouement.
Face à ce type de problèmes, il existe essentiellement trois options. Il
y a tout dabord loption du statu quo, cest-à-dire continuer de subventionner
et de renflouer les agriculteurs avec largent public. Une deuxième stratégie
consiste à autoriser ou à encourager lintégration verticale de lagriculture
par des intérêts plus solides, capables de supporter linstabilité des
marchés, ce qui aurait pour effet de concentrer notre production alimentaire
dans les mains dune poignée dacteurs. La troisième stratégie consiste
à donner aux agriculteurs une meilleure prise sur la production et la fixation
des prix.
Cest ainsi que, dans les années 1960, les agriculteurs ont commencé à exiger
de leurs gouvernements la création doffices de mise en marché qui leur
donneraient une plus grande maîtrise de leurs propres affaires. À cette
fin, les agriculteurs avaient besoin de contrôler trois fonctions vitales :
la production, les importations et les prix. Un consensus national a émergé
selon lequel la meilleure façon de stabiliser le marché était déquilibrer
loffre et la demande. Pour ce faire, on a délégué des pouvoirs fédéraux
et provinciaux qui permettaient aux offices de commercialisation contrôlés
par les producteurs de maîtriser la production, la fixation des prix et
la mise en marché grâce à des quotas individuels de production à la ferme
et par une commercialisation à comptoir unique. Les gouvernements ont offert
un soutien supplémentaire en protégeant contre les importations au moyen
dun système de contingents tarifaires. Ce sont là les éléments de base
de ce quest maintenant le système canadien de gestion de loffre.
En 1970, lindustrie laitière est devenue la première au Canada à exploiter
un système national de gestion de loffre. Au fil des ans, ce régime a
assuré lémergence dun environnement stable qui a permis à lindustrie
laitière de relever les défis associés à la mutation des marchés intérieurs
et des règles commerciales internationales. En tant quancien producteur
laitier, je peux personnellement témoigner de limportance cruciale de
la gestion de loffre pour le succès de lindustrie laitière.
Lindustrie de la volaille les producteurs dufs, de poulets et de dindes
a également profité de ladoption dun système de gestion de loffre.
Aujourdhui, les denrées agricoles soumises à un tel régime demeurent parmi
les produits agricoles canadiens les plus fructueux.
Permettez-moi dexposer rapidement ce que signifie la gestion de loffre
pour les agriculteurs, pour les transformateurs et pour les consommateurs.
En deux mots, elle permet aux agriculteurs de toucher un juste prix pour
leurs produits. Ce prix est établi selon une formule de coûts de production
qui assure aux agriculteurs dobtenir un rendement équitable en retour
des ressources et de la main-duvre investies, ce rendement provenant
du marché lui-même et non de subventions gouvernementales ou dautres mécanismes
de soutien.
Les transformateurs profitent également de la gestion de loffre, puisquils
connaissent la quantité de produits qui leur seront livrés, et à quel prix.
En outre, les produits quils reçoivent sont dune qualité optimale. Cette
prévisibilité leur permet dinvestir dans leurs usines, dans leurs équipements
et dans le développement de leurs marchés.
Quant aux consommateurs, la gestion de loffre leur assure laccès à un
approvisionnement sûr, éprouvé et fiable en produits de haute qualité,
et ce, à des prix abordables. Malgré certaines critiques voulant que les
produits à offre réglementée présentent des coûts intrinsèques plus élevés,
les prix au détail des produits laitiers sont hautement concurrentiels
et, en fait, sont, en moyenne, demeurés inférieurs à ceux pratiqués aux
États-Unis depuis dix ans.
Avec lamalgamation croissante observée aussi bien dans le secteur de la
transformation que dans celui de la vente au détail, la gestion de loffre
savère encore plus essentielle aujourdhui quà ses débuts. Lorsquun
petit nombre dacheteurs sont en présence de nombreux vendeurs, ces acheteurs
possèdent alors un poids énorme. Au Canada, les trois principales chaînes
dalimentation au détail contrôlent 60 % du marché. Les trois plus grands
transformateurs traitent 75 % des produits laitiers transformés au pays.
Dans dautres secteurs non assujettis à un régime de gestion de loffre,
on a assisté à des déséquilibres causés par une amalgamation accrue des
transformateurs de détail. Cest pourquoi les producteurs de marchandises
à offre réglementée sont en mesure dagir collectivement et dassurer un
équilibre dans un marché toujours plus concentré.
On avance quelquefois que la gestion de loffre, en raison du degré de
protection et de stabilité quelle assure aux producteurs, entrave lefficacité.
Rien ne pourrait être plus éloigné de la vérité. Depuis 1971, la taille
moyenne des troupeaux au Canada a triplé, et la production de lait par
exploitation a quintuplé. Les producteurs laitiers canadiens ont enregistré
des gains de productivité comparables ou supérieurs à ceux des producteurs
du reste de la planète. La quantité de lait produite en moyenne par chaque
vache a augmenté de 120 % au Canada, contre 91 % aux États-Unis, 69 % au Royaume-Uni
et 39 % en Nouvelle-Zélande, des pays sans régimes de gestion de loffre.
En outre, grâce à la stabilité offerte par la gestion de loffre, les producteurs
laitiers ont mis en place de rigoureux programmes danalyse, denregistrement
du lait et dévaluation génétique, qui se sont traduits par la création
dun troupeau laitier dont les caractéristiques génétiques sont les meilleures
au monde. Assurés dobtenir un juste rendement, les producteurs laitiers
ne sont pas tenus dadopter le type de modèle dexploitation industrielle
qui se répand de plus en plus dans certaines régions des États-Unis. En
accordant plus dattention à chaque vache, les éleveurs canadiens peuvent
compter sur des troupeaux plus sains et produire un lait plus sûr. Grâce
à leurs revenus stables, ils peuvent davantage investir dans les soins
à long terme, dans les équipements ainsi que dans lalimentation et lhébergement
de leurs troupeaux, pour en préserver la santé. Et lorsquil sagit de
protéger lenvironnement, les producteurs laitiers ne cèdent leur place
à personne, compte tenu de leurs investissements dans les bonnes pratiques
de gérance et de production durable.
Le système canadien de gestion de loffre est également avantageux pour
les autres pays. Dans un environnement commercial planétaire qui se caractérise
de plus en plus par le dumping et les subventions à lexportation, il convient
de souligner que la gestion de loffre, puisquelle concerne au premier
chef le marché intérieur, ne fausse ni ne perturbe la production dans les
autres pays, y compris les pays en développement.
En résumé, la gestion de loffre a profité à la fois aux producteurs, aux
transformateurs et aux consommateurs. Aujourdhui, les producteurs qui
peuvent compter sur un système de gestion des approvisionnements comptent
parmi les plus efficaces et les plus autosuffisants au Canada.
En cette époque où le gouvernement a, un peu partout au pays, investi des
milliards de dollars depuis lan 2000 en paiements de soutien agricole,
les producteurs régis par un système de gestion de loffre nont demandé
aucune aide des contribuables. Pendant que de nombreux autres secteurs font
face à une crise réelle, les producteurs de marchandises à offre réglementée
continuent de jouir dune stabilité. Cest là le réel atout de la gestion
de loffre dans notre pays.
Les producteurs bénéficiant dune gestion de loffre peuvent conserver
une plus grande portion du rendement de la production alimentaire.
Quant on regarde les rendements touchés par les producteurs dautres marchandises,
il nest pas difficile de comprendre pourquoi ces derniers considèrent
avec envie la gestion de loffre. À titre dillustration, depuis 20 ans,
le prix de détail moyen du buf a augmenté de 5,67 $ le kilogramme, alors
que, durant la même période, le prix à la ferme du buf a crû dà peine 0,14 $.
Dans le cas du porc, les prix au détail ont augmenté en moyenne de 3,51 $
le kilo, tandis que le prix moyen touché par les producteurs a, en fait,
chuté de 0,15 $.
Pour ce qui est des produits laitiers, par contre, les producteurs ont
relativement mieux réussi à conserver leur part du montant payé par le
consommateur. Durant cette même période de 20 ans, les prix au détail du
lait ont augmenté de 110 %, et les producteurs laitiers ont vu leurs rendements
saccroître de 44 %.
Le Canada peut se targuer de figurer parmi les pays où la nourriture coûte
le moins cher. À lheure actuelle, la facture alimentaire représente un
peu moins de 10 % du revenu total, alors que la proportion était de 12,5 %
il y a 10 ans. Au cours des 20 dernières années, la production alimentaire
sest accrue de 13,8 %, tandis que les recettes agricoles, y compris les
paiements de soutien provenant des gouvernements (et donc des contribuables),
ont augmenté dà peine 2,1 %. Il ny a pas lieu de se surprendre que de nombreux
secteurs de lindustrie agricole canadienne soient en situation de crise.
Cest pourquoi il est si important, durant lactuel cycle de négociations
commerciales menées sous légide de lOrganisation mondiale du commerce,
de maintenir et de protéger notre système de gestion de loffre. Lors des
derniers cycles, le Canada a pu obtenir une protection pour les industries
du lait et de la volaille. Jai bon espoir que le Canada continuera de
défendre sa position dans le cycle actuel. Je constate avec plaisir que
les chefs de nos quatre partis politiques nationaux ont aussi publiquement
déclaré leur appui à la gestion de loffre.
Celle-ci fait la preuve de ses avantages depuis près de 40 ans maintenant.
Elle a bien fonctionné, elle fonctionne toujours bien et tout porte à croire
quelle continuera de bien fonctionner dans les années à venir. Le grand
succès du système est dassurer aux agriculteurs la possibilité de toucher
un revenu stable contre la production daliments de haute qualité, sans
coûter un sou aux contribuables. Le régime garantit également une stabilité
des prix et des approvisionnements, tout en offrant aux consommateurs des
prix assurés. À mes yeux, il est temps que le marché reconnaisse et récompense
davantage tous les producteurs canadiens qui travaillent fort, sans compter
leurs heures, pour nous approvisionner en produits alimentaires sûrs et
de haute qualité.
Je prie instamment tous les parlementaires dappuyer la gestion de loffre.
Si jamais notre pays a eu besoin de défendre ses agriculteurs et la sécurité
de son approvisionnement alimentaire, cest bien maintenant.
|