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L'hon. 
Bill Blaikie
  
 
En avril 2008, le Centre détude de la démocratie de lUniversité Queens
 a publié une étude intitulée Lancien redevient actuel : Observations sur
 la réforme parlementaire. Le 30 mai dernier, lauteur du rapport, Tom Axworthy,
 en a discuté lors dun colloque organisé par la Bibliothèque du Parlement.
 Le vice-président de la Chambre des communes avait également été invité
 à parler des idées présentées dans ce rapport. Voici une version révisée
 de ses commentaires. 
 
Depuis ma première élection à la Chambre des communes en 1979, jai été
 de toutes les grandes tentatives de réforme parlementaire. Jai siégé au
 Comité Lefebvre, au Comité McGrath et aux comités de modernisation. Ce
 nest que récemment, comme vice-président, que je nai pas participé aux
 travaux de réforme. 
 
De façon générale, je dirais que le rapport Axworthy1 compte un peu trop
 sur un apport de ressources pour régler les problèmes qui sont apparus.
 Mais avant de formuler des commentaires précis, je tenterai de déterminer
 ce qui sest passé au Parlement et de cerner, en particulier, certains
 facteurs extérieurs.  
 
Le rôle du Parlement a cédé du terrain à lune de ses propres créations,
 la Charte canadienne des droits et libertés. Ce constat nest pas nécessairement
 négatif. Les tribunaux décident maintenant beaucoup plus de choses. Et
 même certaines qui semblent aujourdhui décidées par le Parlement le sont
 essentiellement à la suite de décisions qui ont déjà été rendues par les
 tribunaux. 
 
De la même façon, des accords commerciaux comme lALENA et des organismes
 comme lOrganisation mondiale du commerce ont amputé certains champs de
 décision du Parlement. Beaucoup de dossiers ont été exclus de larène parlementaire.
 On pourrait se réjouir du fait que certaines dispositions ont été inscrites
 dans ces accords. Mais, peu importe le point de vue, des dossiers sur la
 politique culturelle, les médicaments génériques, leau et la politique
 énergétique, qui étaient autrefois du ressort du Parlement, lui échappent
 maintenant, à moins que nous annulions ou modifiions dune façon quelconque
 les divers accords commerciaux auxquels nous sommes liés. 
 
Le rôle des premiers ministres constitue un autre exemple. La dernière
 réorganisation majeure du régime dassurance-maladie a eu lieu lors dune
 conférence des premiers ministres, alors que, par le passé, le Parlement
 sacquittait de cette responsabilité en modifiant la Loi canadienne sur
 la santé et en faisant appel au Comité permanent de la santé et du bien-être
 social. Le Parlement a réglé de cette façon les problèmes de la surfacturation
 par les médecins et des frais modérateurs. 
 
Par ailleurs, lessor des sondages dopinion publique a relégué au second
 rang le recours aux députés pour renseigner la direction du parti sur ce
 que les gens pensent. Les partis et les chefs font appel à trop de groupes
 témoins pour prêter autant dattention quavant aux députés. 
 
Enfin, il ne faut pas oublier ce que jappelle le culte du dénigrement
 des politiciens, qui sest développé au début des années 1990. Ce phénomène
 sest manifesté dans le rejet écrasant de lAccord de Charlottetown, qui
 a été considéré comme un pur produit des politiciens au sens péjoratif
 du terme. De plus, je crois quil sest passé quelque chose à cette époque
 qui na pas encore été élucidé. Lélection de 1993 sest également traduite
 par une grande perte de mémoire institutionnelle. À mon avis, certains
 des problèmes que nous vivons maintenant trouvent leur origine dans cette
 élection particulière.  
Si lon veut réformer le Parlement, il faut donc reconnaître quil occupe
 une place moins importante quavant à certains égards. Cela peut nous aider
 à comprendre comment le public le perçoit et pourquoi il se conduit parfois
 comme il le fait à son endroit. 
 
Civilité et collégialité 
 
Ces notions sont essentielles dans des institutions parlementaires efficaces
 et je crois quil y a eu érosion des deux par rapport à lépoque où je
 suis arrivé au Parlement. Certaines raisons sont purement technologiques.
 En effet, il ny avait pas de téléviseur dans mon bureau en 1979. Maintenant,
 rien ne nous oblige à nous rendre à la Chambre des communes pour entendre
 les délibérations. Cest pratique, mais quel tort cela a-t-il causé à la
 collégialité et au regroupement des gens? 
 
Les téléphones cellulaires et les BlackBerry nous ont rendus plus individualistes.
 Auparavant, dans le taxi partant de laéroport, japprenais à connaître
 non seulement les députés de ma propre province, mais également ceux des
 autres partis. Maintenant, lorsquon partage un taxi avec quelquun, cest
 pour lécouter parler au cellulaire. Aussi bien prendre le taxi seul. 
 
Il en va de même dans les vestibules. Les gens sont là, assis, mais ne
 se parlent pas. Ils sont collés à leur BlackBerry ou à leur téléphone cellulaire.
 Les gens ne se réunissent plus dans la salle à manger. Tout cela découle
 du culte du dénigrement des politiciens, la salle à manger étant perçue
 comme une prérogative abjecte quil fallait rayer de la carte. 
 
Ainsi, les députés des différents partis ne se rencontrent pas. Ils ne
 font pas non plus la connaissance des membres de leurs familles. Ils ne
 sont pas aussi sociables quils pourraient lêtre sils mangeaient tous
 ensemble. 
 
Jai connu la fin dune époque où tout le monde se précipitait à la Chambre
 pour y entendre Trudeau ou un autre dirigeant. Certains dossiers y étaient
 débattus. Cétaient les débats constitutionnels, des enjeux de taille. 
 
Je me rappelle également certains dirigeants (John Turner et Joe Clark
 me viennent à lesprit) qui se donnaient beaucoup de mal pour respecter
 et faire régner la collégialité à la Chambre des communes, qui représentait,
 pour eux, un lieu de rassemblement. Quand Joe Clark était ministre des
 Affaires étrangères, il se servait de la Chambre pour y faire des annonces
 et des déclarations ministérielles. Jaimerais bien que davantage de ministres
 suivent cet exemple. 
 
Le décorum pose également problème, tant à la Chambre quen comités. On
 a tenté par tous les moyens possibles de le rehausser, mais regardons la
 situation dans son contexte : un comportement indiscipliné constitue peut-être
 le reflet de ce qui se passe dans la société en général. Il consacre aussi
 le fait que les médias valorisent constamment la mauvaise conduite.  Toutefois,
 si vous consultiez des articles parus dans les années 1960 et changiez
 quelques noms, ils pourraient évoquer ce qui se passe à la Chambre ces
 jours-ci. 
 
Questions de procédure 
 
Je crois quun certain nombre de modifications à la procédure amélioreraient
 le fonctionnement du Parlement. En ce qui concerne les secrétaires parlementaires,
 je suis daccord pour dire quils ne devraient pas être membres du Conseil
 privé. Je crois que le premier ministre Paul Martin a commis là une erreur.
 Selon moi, ils devraient être choisis plus soigneusement, remplacés moins
 souvent et, peut-être, nommés pour toute une législature. Toutefois, leur
 participation aux comités devrait être interdite, sinon il faut repenser
 totalement ces derniers. 
 
En fait, dans les années 1980, les secrétaires parlementaires étaient exclus
 des comités. Le comité McGrath a profité de larrivée récente du premier
 ministre Mulroney au Parlement et du fait quil ne savait pas à quoi il
 renonçait! Cette expérience a été de courte durée, mais je pense quil
 faut revoir le rôle des secrétaires parlementaires. 
 
Jappuie certainement le recours aux groupes de travail parlementaires,
 comme cétait le cas à la fin des années 1980 et au début des années 1990.
 Jai collaboré au Groupe de travail parlementaire sur les accords fiscaux
 entre le gouvernement fédéral et les provinces, un des cinq ou six organismes
 utiles qui ont contribué à lélaboration des politiques publiques dans
 plusieurs domaines ne faisant pas lobjet dune division partisane profonde. 
 
Auparavant, les comités (et les groupes de travail) étaient saisis dun
 dossier par le gouvernement. Ils peuvent maintenant choisir leurs propres
 sujets détude et la liste est dailleurs toujours longue. Beaucoup sont
 utiles, mais certains sont des projets bidon. Les comités ne font jamais
 relâche, et à toutes les études sajoutent les affaires émanant des députés. 
 
À mon arrivée ici, les affaires émanant des députés ne pouvaient pas faire
 lobjet dun vote. À la suite de modifications apportées aux règles, certaines
 affaires ont pu être mises aux voix. Lorsque jai été leader du NPD, je
 me suis battu pour empêcher que chaque projet de loi émanant dun député
 fasse lobjet dun vote. Mais aujourdhui, ils peuvent tous être mis aux
 voix et tous les textes législatifs émanant des députés sont renvoyés aux
 comités. De plus, puisque la Chambre ne siège plus le soir, le travail
 est concentré dans une période beaucoup plus courte. 
 
Chaque réforme a des conséquences inattendues. En effet, lorsquon a éliminé
 les séances du soir, il était prévu que ce temps serait consacré aux travaux
 des comités. Or, on a plutôt tout concentré dans des journées et des semaines
 plus courtes. Les comités sont devenus plus frénétiques et moins utiles.
 Alors, quand je vois des propositions visant à intégrer dans les comités
 un processus quelconque de participation des citoyens, je me demande simplement
 comment ce serait possible.  
Je suis très conscient que les impasses et les autres problèmes constatés
 dans les comités illustrent la nécessité, pour le président, davoir plus
 de pouvoir. 
 
Réflexions finales 
 
Permettez-moi de conclure sur deux points. Lun concerne les partis; lautre
 revêt un caractère plus pastoral, qui reflète peut-être ma formation et
 mon point de vue de ministre de lÉglise Unie. 
 
Selon le rapport Axworthy, nos partis politiques doivent devenir des instruments
 à la fois de réflexion et dorganisation. Le document recommande dallouer
 des fonds publics aux partis pour financer des recherches en politiques
 et commanditer des groupes de réflexion. Pour ma part, il sagit là dun
 des points saillants de louvrage. Nous devrions nous inspirer de ce qui
 se fait ailleurs, surtout en Allemagne et dans la plupart des pays européens. 
 
Je dirais que mon parti, le NPD, tient régulièrement des congrès dorientation,
 et les chefs vous diront quils entretiennent encore des liens avec leurs
 membres en ce qui a trait aux orientations politiques. Par contre, le déclin
 général de la participation, le vieillissement de leffectif des partis
 et le manque de participation aux élections constituent des phénomènes
 dont tous les partis, daprès moi, devraient se préoccuper. 
 
Mon dernier point concerne la nature de linstitution et lattitude des
 gens qui y travaillent. Le Parlement nest pas un feuilleton télévisé.
 Ce nest pas non plus un match de football et il ne doit certainement pas
 devenir une sorte de combat ultime où absolument tout est permis. 
 
Ce quil faut et ce qui manque, selon moi, cest le sens du pardon. 
 
En ce moment, notre parlement est fortement animé par un sentiment de vengeance,
 du genre : « Vous avez exagéré nos propos et nos gestes, donc nous allons
 maintenant exagérer les vôtres. » Et ainsi de suite. Il va sans dire quà
 un moment donné, il faudra pardonner et poursuivre son chemin. 
 
Peut-être que ce moment ne peut arriver que dans le contexte daccalmie
 dun gouvernement majoritaire. Il ne sagit pas dun argument en faveur
 dun gouvernement majoritaire, mais seulement dune remarque de la part
 dun député qui observe la Chambre des communes depuis près de 30 ans.
 Il faut briser le cycle de la vengeance. Sinon, jai bien peur quun grand
 nombre des réformes judicieuses proposées dans le rapport Axworthy ne voient
 jamais le jour. 
 
Notes 
 
1. Voir Thomas Axworthy, Lancien redevient actuel : Observations sur la
 réforme parlementaire, Centre détude de la démocratie, Université Queens,
 mai 2008. Voir Thomas Axworthy, « Parliamentary Reform  Everything Old
 is New Again », Policy Options/Options politiques, vol. 29, juin 2008. 
 
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