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Gary Levy

Two Cheers for Minority Government par Peter H. Russell Emond Montgomery Publications Limited, Toronto, 2008. 

Peter Russell est un éminent politologue canadien dont les recherches portent surtout sur la Cour suprême et la question autochtone. À la retraite, il s’est tourné vers un sujet d’actualité : la démocratie parlementaire, et plus particulièrement les gouvernements minoritaires.

Comme son titre l’indique, cet ouvrage apporte sa caution aux gouvernements minoritaires, avec quelques bémols, et plaide pour que ces épisodes deviennent un trait permanent de notre expérience parlementaire.

Les premiers chapitres du livre portent sur la fréquence des gouvernements minoritaires, tant au Canada (depuis 1921) que dans d’autres démocraties. L’auteur explique de façon fort convaincante qu’au Canada, les douze occurrences de gouvernement minoritaire étaient associées à une situation politique unique, de sorte qu’il est difficile d’échafauder une théorie générale. Il ajoute qu’en raison du nombre de gouvernements minoritaires qui nous ont gouvernés, nous devrions commencer à les voir comme un élément normal de notre processus politique, et non pas comme des aberrations ou une maladie à éradiquer.

Il s’attarde ensuite, trop longuement et de manière moins convaincante, aux différences entre un véritable gouvernement majoritaire (où un parti obtient 50 p. 100 des voix) et un gouvernement faussement majoritaire (où un parti obtient 50 p. 100 des sièges, mais moins de la moitié du vote populaire). Selon lui, il s’agit de la pire issue électorale possible et, bien que ce soit un bon argument en faveur de la représentation proportionnelle, ce n’est pas le meilleur point de départ pour une analyse des gouvernements minoritaires. Il serait de loin préférable — quoique plus difficile — de définir les caractéristiques d’un système parlementaire efficace, puis de mesurer à cette aune l’efficacité des gouvernements majoritaires et minoritaires.

L’auteur présente plutôt comme modèle normal le gouvernement majoritaire (en réalité, à fausse majorité), sans oublier tout ce qui cloche dans le genre de gouvernement majoritaire qui administre le Canada depuis des années. Le pouvoir démesuré du Cabinet du Premier ministre, la discipline de parti très rigide, et le fait que la majorité utilise souvent les règles à son avantage : voilà quelques-uns des problèmes que connaissent bien les spécialistes des questions gouvernementales.

À l’inverse, il brosse un tableau plutôt optimiste de la manière dont un gouvernement minoritaire devrait fonctionner. Il explique que ce type de gouvernement permet de circonscrire les pouvoirs du premier ministre, oblige les partis à discuter et à négocier, et donne aux députés un rôle plus important à jouer en tant que législateurs. Voilà assurément un tableau idyllique et certaines provinces, comme la Nouvelle-Écosse et le Québec, sont peut-être arrivées à faire fonctionner un gouvernement minoritaire. Ce ne fut malheureusement pas le cas à Ottawa, même si l’auteur soutient que nous n’aurions pas tenu de débat sur l’Afghanistan si le gouvernement avait été majoritaire.

Cependant, les deux gouvernements fédéraux minoritaires, sous la direction de Paul Martin en 2004 et 2005 et sous celle de Stephen Harper depuis 2006, n’ont pas fait grand-chose pour nous rendre fiers de nos institutions parlementaires.

Le Règlement est toujours utilisé comme une arme (cette fois par l’opposition majoritaire), plutôt que comme un ensemble de principes de fonctionnement justes, que ce soit en présence d’un gouvernement majoritaire ou minoritaire.

Il n’y a plus de motions d’attribution de temps pour le gouvernement, mais l’opposition se livre souvent à une obstruction systématique irrépressible lorsqu’elle est majoritaire au sein d’un comité et à la Chambre.

Des projets de loi d’initiative parlementaire tout à fait incompatibles avec les politiques gouvernementales sont présentés, et le gouvernement n’arrive à les arrêter qu’en recourant aux stratagèmes les plus astucieux et douteux sur le plan de la procédure.

Les partis ont tous pris certaines libertés avec la convention sur la confiance, qui est au cœur même de tout gouvernement responsable. Lorsque Paul Martin était au pouvoir, l’opposition a tenté de contrôler le déclenchement des élections. De son côté, le gouvernement Harper transforme tout en question de confiance, tandis que l’opposition officielle s’abstient continuellement de voter, esquivant les coups afin d’éviter le déclenchement d’élections.

Ce phénomène a creusé l’écart entre le Parlement et le gouvernement, écart qui transforme lentement notre système britannique en un genre de Parlement européen où les législateurs adoptent toutes sortes de motions et de lois, dont les gouvernements des États membres font d’ailleurs fi, n’y voyant là guère plus que de simples opinions.

Russell admet que les gouvernements minoritaires comportent des problèmes — d’où le double bravo (« two cheers ») —, mais il croit que la plupart de ceux-ci seront résolus au fur et à mesure que nous nous familiariserons avec les gouvernements minoritaires. Il soutient que le chaos dans lequel ont récemment sombré les travaux des comités a été amplifié par les personnes emportées par la tourmente parlementaire quotidienne. Les sondages semblent étayer son affirmation selon laquelle les Canadiens, à l’extérieur de la capitale nationale, ne se préoccupent pas trop de ce qui se passe dans leur parlement. Mais il ne faudrait surtout pas prendre l’indifférence et le cynisme pour un appui retentissant.

L’auteur conclut en prônant une démocratie délibérative qui mette l’accent sur les processus de communication plutôt que sur le simple pouvoir des chiffres. Il existe cependant de nombreux exemples de comités qui ont produit, en période de gouvernement majoritaire, des rapports unanimes et utiles sur des enjeux épineux de politique publique. La distinction ne se situe pas tant entre un gouvernement majoritaire et un gouvernement minoritaire, mais bien au niveau des règles, des procédures et des conventions : celles qui étaient prévues, et ce qu’elles sont devenues. Il est peut-être temps, comme David Smith l’a indiqué ailleurs, de charger une commission royale d’étudier nos institutions parlementaires. Or, les deux derniers gouvernements minoritaires se sont moins intéressés à la réforme parlementaire que tous les gouvernements de la dernière génération. Les députés ont-ils besoin d’un incident comme celui du pipeline ou d’un épisode des cloches pour comprendre que quelque chose ne va pas dans nos institutions démocratiques?

Si Russell a raison et que, dans un avenir imminent, nos gouvernements seront minoritaires, il est peut-être temps d’examiner sérieusement certaines de nos règles et coutumes de base. Et soyons assez ouverts d’esprit et radicaux quant à ce qui doit être fait. Par exemple, si nous décidons de tenir des élections à date fixe, pourquoi ne pas également insister pour avoir des « motions de défiance constructives » comme dans de nombreux pays européens? Ainsi, les motions de défiance devraient comprendre une proposition de gouvernement de rechange, tandis que le simple rejet d’un projet de loi, ou même d’un budget, ne pourrait servir d’excuse pour le déclenchement d’élections. Si nous souhaitons promouvoir la démocratie délibérative, pourquoi ne pas garantir la permanence du mandat des membres des comités et accorder aux présidents de ces derniers le même statut que le président de la Chambre en ce qui concerne les décisions (c.-à-d. qu’elles ne pourraient être portées en appel)? Pourquoi ne pas introduire le concept de majorité qualifiée (disons 66 p. 100) pour certaines questions de procédure, ce qui permettrait d’arriver à un consensus plutôt que de laisser la majorité (du gouvernement ou de l’opposition) prévaloir? Pourquoi ne pas adopter des idées « étrangères », comme des ententes écrites entre les partis, comme on en trouve dans de nombreuses démocraties européennes, et même en Ontario dans les années 1980?

Jusqu’à maintenant, les gouvernements minoritaires n’ont pas véritablement suscité de réflexion créative à propos du régime parlementaire. Peter Russell a tenté d’entamer un dialogue et il faut l’en féliciter. De nombreux lecteurs préféreront, tout comme lui, les avantages théoriques des gouvernements minoritaires, mais il semble ironique que ces gouvernements n’aient fait qu’exacerber des caractéristiques désagréables des gouvernements majoritaires, notamment le pouvoir accru du premier ministre, la partisannerie extrême, et la confrontation au détriment de la conciliation.

Gary Levy 
Directeur


Canadian Parliamentary Review Cover
Vol 31 no 2
2008






Dernière mise à jour : 2020-09-14