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Lindsay Aagaard
  
 Aucune description de travail nexiste pour la fonction de député. Les
 politicologues, les fonctionnaires et les politiciens eux-mêmes tentent
 depuis longtemps de définir le dosage complexe dobligations morales et
 éthiques quon devrait respecter dans la relation entre les électeurs et
 les politiciens élus. Le présent article se penche donc sur la notion de
 responsabilité ou « dobligation », au sens des obligations que les députés
 ont envers leurs électeurs. Lauteure définit, dans un premier temps, les
 notions de relation fiduciaire et dobligation fiduciaire et résume brièvement
 comment, du point de vue du droit, la notion de relation fiduciaire a dépassé
 son acception d'origine de relation entre des fiduciaires et des bénéficiaires.
 Elle examine ensuite les obligations de nos représentants élus et présente
 les arguments militant en faveur de lapplication de lobligation fiduciaire
 aux membres élus du Parlement. Finalement, elle passe en revue les conséquences
 de cette application de lobligation fiduciaire, en expliquant précisément
 les avantages et les inconvénients dun tel changement. Cette démarche
 nous donne loccasion détudier de manière plus approfondie la relation
 qui existe entre le député et le citoyen, cest-à-dire de se pencher sur
 les fondements mêmes de cette relation et de découvrir  grâce à la notion
 dobligation fiduciaire  quil existe un seuil légal et minimal de responsabilité
 auquel tous les députés devraient se conformer.  
Lobligation fiduciaire est une notion qui a évolué à partir de l« equity »
 (principes déquité), un domaine du droit autrefois distinct de la common
 law et qui maintenant en fait partie. Les principes et recours en equity
 étaient auparavant régis par lancienne Cour de chancellerie, et le principe
 dobligation fiduciaire est apparu pour la première fois dans  
Walley v.Walley,
 un arrêt anglais de 1689. Comme le veut la maxime, « léquité, cest légalité »;
 on considère donc que les valeurs qui sous-tendent léquité sont tout simplement
 la bonne conscience, la raison et la bonne foi. Lequity a été conçu pour
 servir de complément à la common law, là où lapplication stricte de la
 loi existante causerait en fait plus dinjustice quelle ne rendrait justice.
 Pour reprendre les propos de lord Denning, « lequity a été introduite pour
 atténuer les rigueurs de la loi ». Selon la juge en chef Beverley McLachlin,
 le Canada a adopté cette conception de lequity avec enthousiasme1. 
 
Définition  
À lorigine, le terme « fiduciaire » signifiait « relatif à la fiducie ». « Lobligation
 fiduciaire » est lobligation de loyauté dune partie en relation de pouvoir
 par rapport à une partie plus vulnérable lorsque celles-ci sont liées par
 une relation fiduciaire. Cette dernière peut aussi être décrite comme un
 outil servant à imposer des obligations aux personnes qui détiennent un
 pouvoir sur les intérêts dautrui. Comme Leonard Rotman la écrit : « les
 bénéficiaires sont vulnérables face à labus de pouvoir ou au non-recours
 au pouvoir, et les fiduciaires se doivent dagir avec honnêteté, désintéressement,
 intégrité, fidélité et dans la plus entière bonne foi (uberrimae fidei)
 dans lintérêt du bénéficiaire »2. Lobligation fiduciaire a déjà été décrite
 comme « un moyen brutal de contrôler le pouvoir discrétionnaire », et elle
 est considérée par de nombreux universitaires comme le moyen par lequel
 les normes et les murs sociales sont inscrites dans la loi, et par lequel
 « la loi transmet sa fermeté éthique à lensemble des interactions humaines »3.
 Le droit fiduciaire a donc pour résultat dimposer des obligations, sous
 la forme dune norme de conduite, afin de régir le comportement des personnes
 en position de pouvoir4. 
Indices de larrêt Frame concernant les relations fiduciaires  
La notion dobligation fiduciaire, qui découle dune relation fiduciaire,
 pose, encore à ce jour, un problème pour les tribunaux. Bien quelle ait
 été décrite comme ayant « une résistance innée à la définition » et une malléabilité
 inhérente, un guide sommaire qui sappuie sur la jurisprudence a été établi
 afin de circonscrire plus facilement la catégorie des relations fiduciaires
 institutionnelles5. Dans larrêt Frame c. Smith, la juge Wilson a tracé
 les grandes lignes dun guide « sommaire et existant » qui définit les caractéristiques
 générales dune relation fiduciaire. Tout dabord, le fiduciaire « peut
 exercer un certain pouvoir discrétionnaire ». Ensuite, le fiduciaire peut
 « unilatéralement exercer ce pouvoir discrétionnaire de manière à avoir
 un effet sur les intérêts juridiques ou pratiques du bénéficiaire ». Enfin,
 le bénéficiaire est « particulièrement vulnérable ou à la merci du fiduciaire
 qui détient le pouvoir discrétionnaire »6. 
 
Ce guide a été accepté et utilisé dans plusieurs causes importantes entendues
 par la suite, dont Hodgkinson c. Simms. Dans cet arrêt, le tribunal a reconnu
 que ce guide savérait le plus utile lorsquon cherchait à établir une
 toute nouvelle catégorie de relation fiduciaire. De plus, le tribunal a
 fait valoir que ce guide donnait dimportants indices qui aidaient à établir
 la présence dune relation fiduciaire et aussi quil ne devait pas être
 considéré comme une liste déléments essentiels7. 
 
La relation entre un député et ses électeurs peut-elle devenir une nouvelle
 catégorie de relation fiduciaire?  
 
Dès quon a établi quil y avait relation fiduciaire, l« equity vient alors
 exercer un contrôle sur ce rapport en imposant [au fiduciaire] lobligation
 de satisfaire aux normes strictes de conduite auxquelles le fiduciaire
 est tenu de se conformer »8. Cette ligne de conduite vient donner corps
 à la « conceptualisation de la loyauté », qui est présente dans la doctrine
 de la relation fiduciaire, et exige, à tout le moins, quun fiduciaire
 nintervienne pas lorsquil y a conflit entre ses intérêts et ses obligations
 envers un bénéficiaire, et quil renonce à tirer profit de sa position.
 Il y a violation dobligation fiduciaire lorsquil y a eu « conflit ou profit
 non autorisés », cest-à-dire lorsque les fiduciaires font passer leurs
 intérêts avant ceux des personnes quils sont tenus de servir9. 
 
Application de lobligation fiduciaire aux députés  
Comment pourrait-on soutenir quun député a établi une relation fiduciaire
 avec ses électeurs? Lévolution de la notion de relations fiduciaires « institutionnelles »
 au-delà de la notion de relation fiduciaire-bénéficiaire directe sest
 produite au fil de nombreuses années dans les tribunaux canadiens. Par
 exemple, lobligation fiduciaire a été étendue par la loi aux administrateurs
 dune entreprise, exigeant deux quils agissent de bonne foi et au mieux
 des intérêts de lentreprise. On a aussi jugé que les parents avaient une
 obligation fiduciaire envers leurs enfants à certains égards. 
 
Donc, dans le cas des députés, la première question à se poser est : « À
 qui ont-ils une obligation dêtre loyaux? » Les députés sont assujettis
 à un nombre incalculable dobligations incontournables et tout à fait prévisibles.
 Ils ont des obligations envers leur association de circonscription, leur
 parti, leurs partisans et le pays dans son ensemble. Par exemple, au début
 du processus électoral, chaque membre dun parti doit, sil souhaite se
 porter candidat, sengager  de façon implicite ou explicite  à respecter
 les règles de la formation politique. Bien que létendue de la discipline
 de parti fasse toujours lobjet dun débat, le concept desprit déquipe
 et les diverses « dettes » quaccumule un député élu à Ottawa font encore
 naturellement partie de la vie politique. Toutefois, ces obligations  qui
 sont extrêmement variées et qui font partie de la réalité quotidienne des
 députés  ne viennent que sajouter à au moins trois autres obligations
 primordiales dans notre régime démocratique : les obligations envers la
 Couronne, les obligations concernant la primauté du droit et les obligations
 envers les électeurs. 
Obligations envers la Couronne 
Le statut de monarchie constitutionnelle du Canada ressort clairement dans
 le serment dallégeance que doivent prononcer les députés au début de chaque
 mandat. Étant donné que la reine est le chef de lÉtat, les travaux parlementaires
 sont accomplis en son nom. Toutefois, comme Eugene Forsey le fait remarquer,
 lautorité nécessaire à laccomplissement de ces travaux émane des citoyens
  les électeurs , comme nous le verrons dailleurs sous peu. Énoncé à la
 cinquième annexe de la Loi constitutionnelle de 1867, le serment exige que
 le député soit « fidèle » et porte « vraie allégeance » à Sa Majesté, et il
 a été prévu pour garantir la suprématie du monarque britannique dans tous
 les domaines10. Le serment dallégeance est une manifestation à la fois
 officielle et essentiellement impérative dune obligation qui se trouve
 au cur de notre système de gouvernement : lobligation dêtre loyal au
 souverain. Lallusion au souverain dans le serment ne signifie pas que
 les députés doivent être loyaux à la reine personnellement, elle sert plutôt
 à évoquer la reine en tant que « symbole ou personnification du pays, de
 sa Constitution et de ses traditions, ainsi que des principes comme la
 démocratie ». Comme la écrit James Robertson, les élus occupent des postes
 de confiance et, en prêtant le serment dallégeance, ils promettent de
 se conduire de façon « patriotique et conforme à lintérêt supérieur du
 pays »11. 
Ce serment représente donc un élément central du statut de monarchie constitutionnelle
 du Canada. Toutefois, il faut souligner que le mode de fonctionnement du
 serment contribue aussi à rehausser limportance du rôle joué par les électeurs.
 En effet, comme lécrit Robertson, la Jurisprudence parlementaire de Beauchesne
 indique que le serment a pour objet de permettre à un député doccuper
 son siège à la Chambre12. Toutefois, pour être admis à prêter serment,
 le député doit dabord avoir été dûment élu. On peut donc dire que ce nest
 pas le serment qui confère à une personne la fonction de « député », mais
 quil permet plutôt aux députés  après avoir été dûment élus  de bien sacquitter
 de leurs fonctions. Car, au bout du compte, sils nont pas prêté serment,
 les députés ne peuvent pas siéger à la Chambre et sont donc incapables
 de participer aux travaux du Parlement. Le serment fait partie des exigences
 qui découlent logiquement de lengagement dun député, et lallégeance
 à la Reine constitue, par conséquent, un élément essentiel de la fonction
 de député. Il convient toutefois de noter que, sil na pas prêté serment,
 un élu demeure tout de même le représentant de ses électeurs. 
 
Obligations liées à la primauté du droit 
Limportance de la primauté du droit dans notre société et notre système
 de gouvernance a été établie clairement dans plusieurs décisions judiciaires
 importantes. Dans le Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba,
 invoqué dans des jugements marquants comme le Renvoi relatif à la sécession
 du Québec et larrêt Colombie-Britannique c. Imperial Tobacco Canada Ltée,
 la Cour suprême du Canada a écrit : 
 
[La mention de la primauté du droit dans le préambule de la Loi constitutionnelle
 de 1982 montre qu] il y a là reconnaissance explicite que « la primauté
 du droit [est] un des postulats fondamentaux de notre structure constitutionnelle »
 (le juge Rand, Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, à la p. 142). La
 primauté du droit a toujours été considérée comme le fondement même de
 la Constitution anglaise qui caractérise les institutions politiques dAngleterre
 depuis lépoque de la conquête normande (A.V. Dicey, The Law of the Constitution
 (10th ed. 1959), à la p. 183). Elle devient un postulat de notre propre
 structure constitutionnelle en raison du préambule de la Loi constitutionnelle
 de 1982 et de son inclusion implicite dans le préambule de la Loi constitutionnelle
 de 1867, en vertu des mots « avec une constitution reposant sur les mêmes
 principes que celle du Royaume-Uni »13. 
Lorsque les députés sont élus à la Chambre des communes, ils deviennent
 des participants et, dune certaine manière, des instruments de notre système
 de gouvernance. On exige de chaque élu du Parlement quil sengage à défendre
 la primauté du droit, à se conformer aux règles imposées aux parlementaires,
 de même quà soutenir et à maintenir notre système démocratique lorsquils
 sacquittent des fonctions qui leur sont confiées dans notre démocratie
 représentative et responsable. Cette obligation envers le « système » est
 imposée à tous les députés. 
 
Obligations envers les électeurs 
Alors que les obligations envers la Couronne et celles liées à la primauté
 du droit sont primordiales, cest sur le plan des obligations envers les
 électeurs que le droit fiduciaire pourrait jouer un rôle. En effet, lobligation
 quont les députés de représenter les intérêts de leurs électeurs se trouve
 vraiment au cur de leur mandat. En labsence délecteurs à représenter,
 les députés nauraient pas de rôle à jouer au sein de notre régime de gouvernement
 actuel, ils nauraient pas à prêter un serment dallégeance, il ny aurait
 pas de démocratie représentative à défendre et les partis nauraient pas
 à procéder à des changements ou à préserver le statu quo. Les obligations
 des députés découlent du pouvoir qui leur est conféré par la population.
 Bien que le député dépende du pouvoir détenu par lélectorat, une fois
 quil est élu, ce sont les électeurs qui dépendent totalement du député,
 puisquils sattendent à ce quil exerce les pouvoirs liés à ses fonctions
 de façon responsable et de manière à préserver les principes de la démocratie
 représentative. 
 
Mais en quoi consiste cette obligation envers les électeurs et comment
 les députés sen acquittent-ils? Comment un député représente-t-il ses
 électeurs? En agissant comme ils le souhaitent ou en faisant sa propre
 évaluation de chaque situation? Quels sont les « intérêts » des électeurs
 et comment pourrait-on définir « leurs intérêts supérieurs »? Lorsquon tente
 de définir cette obligation de représentation des électeurs, on songe immédiatement
 aux divers modèles de représentation, chacun prévoyant une façon particulière
 de sacquitter de cette obligation. En fait, le processus décisionnel choisi
 par un député pour déterminer lintérêt supérieur de ses électeurs dépend
 du modèle de représentation que le député décidera dadopter. Selon David
 Docherty, il y a trois modèles principaux de représentation. Il y a tout
 dabord le modèle du fiduciaire, qui sapplique aux législateurs qui croient
 quon les envoie à Ottawa afin dexercer leur jugement personnel sur les
 problèmes qui leur sont présentés. Le deuxième modèle est celui du délégué,
 qui est très souvent associé aux politiques populistes comme celles qui
 ont permis la montée du Parti réformiste en 1993, et qui veut que les députés
 soient les délégués de leurs électeurs, qui sattendent donc à ce que les
 élus prennent leurs décisions en fonction des préférences de la majorité
 de leurs mandants. Le modèle intermédiaire est celui du politicien, qui
 est le préféré des députés qui consultent leurs électeurs lorsque cest
 possible, mais qui croient cependant que ce nest pas toujours possible
 ou souhaitable de le faire14. 
Toutefois, un sentiment important se cache derrière ces modèles de représentation
 et les perpétuels débats sur la façon dont les électeurs devraient être
 représentés. Dans son livre The Parliament of Canada, le professeur C.E.S.
 Franks cite un discours dEdmund Burke quil qualifie de « déclaration la
 plus souvent citée en anglais sur les fonctions dun représentant élu ».
 Voici les propos de Burke : « Il est de son devoir [celui du député] de sacrifier
 son repos, ses loisirs et ses plaisirs aux leurs [ceux de ses électeurs]
 et, par-dessus tout, toujours et dans tous les cas, de faire passer leurs
 intérêts avant les siens15. » Il y a donc une obligation sous-jacente pour
 les députés  une obligation que jélèverais dailleurs au rang dobligation
 fiduciaire , comme lexprimait Burke : lobligation de représenter les électeurs
 de façon honnête, désintéressée et transparente, et ce, peu importe le
 modèle de représentation choisi par le député. Par conséquent, lobligation
 fiduciaire, soit lobligation dagir dans lintérêt du bénéficiaire, pourrait
 servir de base à chaque modèle de représentation. Autrement dit, la notion
 dobligation fiduciaire pourrait garantir que, peu importe la façon dont
 les députés conçoivent leurs fonctions dans un gouvernement représentatif,
 ils devront respecter certaines obligations sous-jacentes pour garantir
 lirréprochabilité non pas tant des décisions que du processus décisionnel. 
 
Cette rigueur dans lapproche fiduciaire est nécessaire en raison du caractère
 fondamental, dans notre système démocratique, de lobligation dun député
 envers ses électeurs. En effet, le maintien de notre système démocratique
 exige que les électeurs, cest-à-dire les 32 millions de Canadiens qui ne
 sont pas parmi les 308 qui siègent à la Chambre, soient représentés comme
 il se doit. Dans une démocratie représentative comme la nôtre, les intérêts
 des citoyens ne sont pris en considération au Parlement que par lentremise
 de leurs représentants élus; il sensuit quil doit y avoir un minimum
 de normes en place pour régir la conduite des députés (ce qui ne suppose
 pas que ces normes soient insuffisantes ou déficientes). Des normes visant
 à garantir lintégrité du processus décisionnel sont bien en place, mais
 jestime que le meilleur moyen de garantir une représentation convenable
 est dadopter officiellement une structure de responsabilisation qui tienne
 compte des exigences dune relation fiduciaire. Au bout du compte, représenter
 comme il se doit une circonscription et ses habitants devrait figurer au
 premier plan des préoccupations des députés, même sil sagissait seulement
 que chaque député jure daccomplir ses fonctions en respectant les plus
 hautes normes éthiques possibles, comme lexige lobligation fiduciaire,
 afin de préserver le caractère sacré de cette relation. 
 
Les indices de larrêt Frame et les députés  
Comment pourrait-on soutenir que la relation entre un député et ses électeurs
 est de nature fiduciaire? 
 
Le premier indice dune telle relation qui est inclus dans larrêt Frame
 est que le fiduciaire peut exercer un certain pouvoir discrétionnaire.
 Cela sapplique indubitablement aux députés. En effet, les députés jouissent
 de pouvoirs discrétionnaires parmi les plus importants au pays, puisque
 leurs votes, leurs arguments et leur participation influent sur les règles
 qui façonnent notre société. Ces activités font partie intégrante des fonctions
 dun député, à un point tel que ce pouvoir discrétionnaire pourrait être
 perçu comme ce qui caractérise la fonction de député. 
 
Le deuxième indice dune relation fiduciaire est que le fiduciaire peut
 unilatéralement exercer ce pouvoir discrétionnaire de manière à avoir un
 effet sur les intérêts juridiques ou pratiques du bénéficiaire. Lexercice
 unilatéral du pouvoir discrétionnaire peut être constaté, par exemple,
 dans la façon dont les députés prennent leurs décisions individuelles relativement
 aux questions législatives. Il ne sagit pas dun exercice unilatéral du
 pouvoir en ce sens que les décisions législatives sont habituellement prises
 par lensemble des députés, mais il sagit certainement dun geste unilatéral
 et individuel du député. Même sils peuvent se sentir contraints par leur
 parti, les députés ont toujours la possibilité de voter comme ils le souhaitent,
 ce qui indique quils ont la capacité duser de leur pouvoir discrétionnaire
 comme ils lentendent. Les décisions législatives prises par les députés,
 grâce à lexercice de leur pouvoir discrétionnaire, peuvent certainement
 avoir un effet sur les intérêts des électeurs. 
 
En outre, si lon se penche sur dautres exemples dexercice du pouvoir
 discrétionnaire des députés, on peut songer au travail quils accomplissent
 directement pour leurs électeurs. Quil sagisse dun problème de passeport,
 dimmigration ou de pension, les électeurs sadressent à leur député quand
 ils sont aux prises avec une situation plus ou moins difficile qui peut
 être réglée grâce à lexercice du pouvoir discrétionnaire du député. Vue
 sous cet angle, même la décision initiale du député de venir en aide ou
 non à un électeur constitue un exercice de son pouvoir discrétionnaire
 qui a un effet sur les intérêts du bénéficiaire. 
 
Finalement, le bénéficiaire  les électeurs dans ce cas-ci  doit être particulièrement
 vulnérable ou à la merci du fiduciaire qui détient le pouvoir discrétionnaire.
 La vulnérabilité des électeurs par rapport à leurs députés peut être considérée
 comme étant à la fois théorique et tout à fait concrète. Ainsi, conformément
 à la théorie de la représentation démocratique, y a-t-il plus vulnérable
 que de devoir compter sur une personne qui ne vous connaît probablement
 pas et pour laquelle vous navez peut-être même pas voté pour exprimer
 vos préoccupations et défendre vos intérêts et pour être votre seul porte-parole
 dans une institution qui établit les lois qui régissent tous les aspects
 de votre vie? Pour ce qui est du caractère plus concret de la vulnérabilité
 des citoyens, il y a des problèmes qui cadrent parfaitement avec le champ
 daction des politiciens fédéraux, cest-à-dire des dossiers pour lesquels
 les citoyens doivent compter sur leur député pour les aider, par exemple
 les problèmes de passeport ou dimmigration. 
On retrouve donc les trois indices de larrêt Frame dans la relation entre
 les députés et leurs électeurs. Il est éclairant danalyser cette relation
 à la lumière de ces critères classiques pour établir la présence dune
 relation fiduciaire, car on fait ainsi ressortir le pouvoir discrétionnaire
 des députés et le déséquilibre qui existe entre les pouvoirs des deux parties.
 Il apparaît donc clair et sans équivoque quil faut absolument agir avec
 désintéressement et éviter tout conflit dintérêts. 
Javancerais donc que la relation entre un député et ses électeurs devrait
 constituer un nouveau type de relation fiduciaire de catégorie institutionnelle.  
La catégorie des relations fiduciaires institutionnelles, qui inclut les
 fiduciaires et les administrateurs dentreprises, ne devrait pas être considérée
 comme une catégorie fermée. Comme lécrit Lionel Smith dans son commentaire
 sur larrêt Hodgkinson c. Simms, les relations fiduciaires institutionnelles
 surgissent automatiquement, en raison de la loi, et lorsquune personne
 sengage dans une relation fiduciaire institutionnelle, « il ou elle renonce
 à ses intérêts personnels en vertu même de la loi, même si ce nest pas
 volontaire ». Smith précise que la création dune nouvelle catégorie pourrait
 se faire pour des raisons « communautaires », cest-à-dire des raisons qui
 revêtent une importance si grande quelles lemportent sur les préjudices
 que pourraient subir des personnes qui se retrouvent dans une relation
 rigoureusement contrôlée16. Lextension de lobligation fiduciaire à des
 relations entraînant des préjudices qui ne sont pas dordre financier a
 été qualifiée de « théoriquement valable » par Robert Flannigan. Il suffit
 de penser aux parents qui entretiennent une sorte de relation de fiduciaire
 avec leurs enfants ou au médecin qui est tenu à certaines obligations de
 fiduciaire envers son patient. Par conséquent, la relation entre un député
 et ses électeurs est de celles qui requièrent la plus grande loyauté et
 la plus grande intégrité, et elle semble réunir toutes les caractéristiques
 habituelles dune relation fiduciaire selon la grille danalyse décrite
 dans larrêt Frame17. 
Appui actuel à lapplication de lobligation fiduciaire  
Un examen des obligations et des aspects éthiques du rôle de « député » serait
 particulièrement opportun à ce moment-ci, étant donné la défaite du gouvernement
 libéral dans la foulée du scandale des commandites et le dépôt de la Loi
 fédérale sur la responsabilité (LFR). Dans leur rôle de représentant, les
 députés sont assujettis aux dispositions du Code criminel, de la Loi sur
 le Parlement du Canada, ainsi quaux dispositions pertinentes de la Loi
 électorale du Canada. Dailleurs, la Loi sur les conflits dintérêts promulguée
 par la LFR a donné force de loi à de nombreuses dispositions de lancien
 code régissant la conduite des titulaires dune charge publique, même si
 elle na quune faible incidence sur le code régissant actuellement la
 conduite des simples députés (c.-à-d. de ceux qui ne sont pas ministres). 
 
Ce dernier code, qui régit la conduite des députés lors dun processus
 décisionnel, est le Code régissant les conflits dintérêts des députés
 (ci-après le Code). Le Comité permanent de la procédure et des affaires
 de la Chambre la examiné dans son 54e rapport, déposé en juin 2007. Ce rapport
 est donc le dernier en plus de trois décennies de débats pour déterminer
 la meilleure façon de régir les intérêts des parlementaires. Le processus
 sétait amorcé avec le rapport Les membres du Parlement et les conflits
 dintérêts, déposé en 1973. Le rapport du Comité de la procédure recommande
 de modifier le Code afin de tenir compte de la LFR de même que de la nécessité
 de le rendre plus clair et den assurer une meilleure interprétation. En
 gros, le Code précise les exigences concernant les renseignements à divulguer,
 la publication de certains renseignements divulgués, les mesures à prendre
 en cas de conflit, et les enquêtes relatives à des situations qui ont compromis
 ou qui pourraient compromettre la crédibilité dun député. Ces exigences
 sont le reflet de ce qui devrait être exigé de toute personne qui souhaite
 sacquitter dobligations fiduciaires. Il pourrait savérer très instructif
 de procéder à une étude plus approfondie de la pertinence de ces règlements
 et de vérifier sils respectent les normes élevées qui sappliquent aux
 relations fiduciaires. 
 
Pour notre propos ici, il est important de préciser que les députés sont
 déjà tenus de prendre des mesures pour assurer lintégrité de leur processus
 décisionnel, et que leur obligation de prendre des décisions sans favoriser
 leurs intérêts personnels ou ceux de leur famille est mise en évidence
 jusquà un certain point. De plus, lobjet et les principes du Code que
 lon retrouve aux articles 1 et 2 décrivent limportance de préserver la
 confiance du public à légard des représentants élus, de veiller à ce que
 les députés fassent passer lintérêt public avant leurs intérêts personnels,
 et de souligner que les intérêts des députés devraient faire lobjet dun
 examen public minutieux. Ces articles reprennent presque tous les objectifs
 et les principes qui accompagneraient, selon moi, limposition de lobligation
 fiduciaire aux députés. Bien sûr, je soutiens que le respect de ces principes
 et objectifs commande quon leur accorde le poids et le statut juridique
 de lobligation fiduciaire, mais il nen demeure pas moins que les articles 1
 et 2 du Code  et, dans une large mesure, les exigences imposées aux députés
 dans ses autres dispositions  montrent quil y a une volonté dassujettir
 les députés à des normes de conduite minimales et rigoureuses et que ce
 travail est déjà passablement avancé. 
Avantages et inconvénients  
La reconnaissance dune relation fiduciaire entre les députés et leurs
 électeurs pourrait avoir de nombreuses conséquences. Selon Shepherd, il
 y a conflit dintérêts lorsquun fiduciaire doit choisir entre les intérêts
 du bénéficiaire et les intérêts de toute autre personne, y compris ses
 propres intérêts. Ainsi, le député serait tenu de prendre toutes ses décisions,
 que ce soit dans les réunions de caucus, à la Chambre ou à son bureau,
 de façon transparente et désintéressée pour garantir, dans un premier temps,
 labsence de conflit et, dans un deuxième temps, que tout conflit ferait
 lobjet dun examen minutieux. Cest là la norme minimale, à la fois exigeante
 et essentielle, qui devrait sappliquer à lensemble des députés, et ce,
 peu importe leur façon de concevoir leur rôle (par exemple, délégué ou
 fiduciaire), et peu importe leur façon dinterpréter les intérêts de leurs
 électeurs. Le pouvoir dont est investi un député et la vulnérabilité des
 électeurs font en sorte que les décisions dun député ne doivent pas être
 prises dans le but de le favoriser lui-même ou sa famille, mais plutôt
 strictement dans le cadre de son rôle de représentant. Ceci aurait entre
 autres conséquences directes que les députés, ainsi que les membres de
 leur famille immédiate, devraient divulguer de manière détaillée des données
 financières personnelles. Il faudrait divulguer tout conflit dintérêts
 possible et, dans les cas où le député se trouve dans limpossibilité de
 prendre une décision sans quil y ait apparence dirrégularité, il devrait
 alors se récuser. 
Les avantages de la reconnaissance dune relation fiduciaire sont nombreux,
 et ils montrent quil faut approfondir ce débat. 
 
Premièrement, la reconnaissance de lexistence dune relation fiduciaire
 entre les députés et leurs électeurs soulignerait encore davantage lobligation
 quont les députés dagir avec désintéressement en raison du grand pouvoir
 qui leur est conféré. Si nous croyons en limportance de la démocratie
 (ce qui est certainement le cas) et de notre gouvernement représentatif
 (ce qui ne fait encore une fois aucun doute), nous devons faire tout ce
 qui est en notre pouvoir pour veiller à ce que la fonction de « représentant »
 soit accomplie avec la plus grande honnêteté, la plus grande intégrité
 et dans le plus grand respect de léthique. Bien que certaines exigences
 régissent déjà la conduite des députés, comme celles qui sont prévues par
 le Code par exemple, elles ne semblent pas suffisamment officielles pour
 rendre justice aux principes fondamentaux quelles sont censées protéger.
 Comme cest le cas jusquà un certain point à lheure actuelle, les règles
 sur les conflits dintérêts devraient être fondées sur de solides définitions
 de la loyauté, de lhonnêteté et du désintéressement, qui sont des éléments
 centraux des obligations dun parlementaire. Ces éléments créent une norme
 minimale, mais néanmoins exigeante, qui se trouve à la base de lobligation
 de représentation quassument tous les députés après leur élection. À la
 différence du Code actuel, lobligation fiduciaire apporte avec elle des
 siècles de jurisprudence et de doctrine qui rendraient crédibles toute
 application de cette obligation aux députés dans un contexte moderne, en
 plus de peser de tout le poids dun régime juridique depuis longtemps établi
 et qui met laccent sur limportance des exigences connexes. Ainsi, on
 institutionnaliserait les exigences en matière de dessaisissement, de divulgation
 et de récusation dune façon quun code  qui peut apparemment être modifié
 par le Parlement selon son bon vouloir  ne pourrait pas le faire. 
 
Jaccueillerais favorablement certaines conséquences concrètes dune plus
 grande insistance sur le « désintéressement ». Avant tout, un régime plus
 strict axé davantage sur le désintéressement et la loyauté viendrait renforcer
 le fait que la fonction qui consiste à représenter convenablement des dizaines
 de milliers de personnes ne permet pas vraiment de « faire campagne constamment »,
 un comportement observé fréquemment dans le cas de gouvernements minoritaires.
 Les députés sont élus pour représenter leurs électeurs le plus fidèlement
 possible pendant leur mandat. Afin dassurer lavenir de leur carrière
 politique, les députés peuvent toujours espérer quils prendront, pendant
 la durée de leur mandat de représentation de leur collectivité, suffisamment
 de décisions à la fois médiatisées et populaires pour garantir leur réélection,
 Cependant, idéalement, on devrait sattendre à ce que leur réélection ne
 fasse pas le moindrement partie de leurs priorités dans leurs activités
 quotidiennes. Ils devraient servir lensemble de leurs électeurs, partisans
 ou non, et ils devraient prendre le temps de rencontrer divers derniers,
 même si ces groupes ne les aideront pas sur le plan politique. 
 
Deuxièmement, un régime fiduciaire ferait non seulement ressortir les divers
 aspects des obligations des députés envers leurs électeurs, mais il mettrait
 aussi en lumière le rôle unique et essentiel quils jouent dans notre grand
 système démocratique. Limposition dobligations juridiques strictes aux
 députés, qui les forceraient à se détourner des mauvaises influences et
 à se récuser au besoin, aiderait la population à faire davantage confiance
 à ses représentants, aux décisions quils prennent et, finalement, au gouvernement
 dans son ensemble. De plus, lobligation fiduciaire constitue un moyen
 de faire prendre conscience aux députés eux-mêmes de leur obligation dêtre
 des représentants dignes de confiance, et de faire une distinction entre
 cette obligation et les nombreuses autres obligations des députés. Ainsi,
 on pourra garantir aux électeurs une représentation adéquate, caractérisée
 par une conduite conforme à des normes éthiques minimales. Cette plus grande
 insistance sur lobligation fiduciaire est nécessaire, car, lorsquils
 se retrouvent face aux réalités de leurs fonctions, les députés peuvent
 facilement perdre de vue leur rôle au sein de notre démocratie parlementaire,
 dautant plus que la Chambre peut parfois ressembler à une institution
 où linfluence dun seul député savère quelque peu insignifiante. Il ne
 fait aucun doute que les exigences liées à la fonction de député sont déjà
 considérables. En effet, les déplacements constants, les journées de travail
 éreintantes et la nécessité dêtre incroyablement informé sur une pléthore
 de sujets transforment leur travail en une tâche redoutable. De plus, comme
 leurs faits et gestes sont constamment scrutés à la loupe, ils se retrouvent
 pratiquement toujours sous les feux de lactualité. Nous devons toutefois
 les encourager à ne pas oublier leur « rôle institutionnel », en ce sens
 quils représentent réellement le seul instrument dont chaque citoyen majeur
 dispose pour participer au processus démocratique. Si nous veillons avant
 tout à ce que les décisions soient prises dans un contexte transparent
 et libre de tout conflit, la relation entre les électeurs et les députés
 sen trouvera également protégée, ce qui convient tout à fait pour une
 relation aussi importante. 
Enfin, limposition de lobligation fiduciaire préserverait lintégrité
 du processus décisionnel. Pour que la Chambre des communes soit réellement
 responsable devant les Canadiens, les décisions prises par les députés
 doivent pouvoir être évaluées. Ces décisions doivent donc être rendues
 publiques, comme cest actuellement le cas. Cependant, pour évaluer ces
 décisions  suis-je bien représenté ou cette décision devait-elle être prise? ,
 les Canadiens doivent non seulement savoir quelle a été la décision, mais
 pouvoir constater comment elle a été prise. À cet égard, même si le public
 a facilement accès aux transcriptions de la plupart des débats et des réunions
 de comités, les discussions entourant les décisions prises dans les caucus
 ou dans les réunions du Cabinet restent hors de notre portée. Il sensuit
 que nous devons avoir la conviction que nos représentants garderont nos
 intérêts en tête lorsquils prendront ces décisions à huis clos, et quils
 ne se laisseront pas influencer par leurs intérêts personnels ou les intérêts
 de toute autre personne que leurs électeurs. Le désintéressement et la
 conduite rigoureuse que le droit fiduciaire exige du député, qui, idéalement,
 renonce à tout intérêt personnel pendant la durée de son mandat, devraient
 être considérés comme une partie intégrante des fonctions du député autant
 que son vote. Cest donc dire que les motifs du vote sont tout aussi importants
 que lacte de voter lui-même. Cela nabolit pas pour autant le privilège
 des députés de prendre leurs propres décisions; dailleurs, on pourrait
 débattre ad vitam æternam de la définition « des intérêts supérieurs des
 électeurs » et de nombreux motifs différents pourraient être invoqués. En
 fait, limposition de lobligation fiduciaire entraînerait simplement que
 le député doit défendre les intérêts des électeurs et soulignerait ce que
 les députés ne peuvent pas faire, à savoir prendre une décision en fonction
 de leurs intérêts personnels ou de ceux dun parent, par exemple. 
Il y a aussi de nombreux inconvénients à la reconnaissance de lexistence
 dune relation fiduciaire entre les députés et les électeurs. Premièrement,
 comme il est déjà difficile dattirer des gens talentueux en politique,
 limposition dobligations fiduciaires rendrait le travail du politicien
 encore plus ardu sur le plan juridique. Bien que jestime que cette obligation
 fiduciaire fasse partie des exigences permettant de garantir que ce travail
 soit fait correctement, nous devrions tenir compte de son impact sur le
 bassin de candidats. Cette décision soulèverait sans doute des protestations
 de la part dau moins quelques-uns des députés actuels, qui pourraient
 présenter des arguments convaincants, comme le fait queux-mêmes et les
 membres de leur famille sont déjà tenus de divulguer une très grande quantité
 de renseignements personnels, dont beaucoup sont rendus publics. 
 
Deuxièmement, toute imposition de lobligation fiduciaire devrait se faire
 avec prudence, et conformément à la jurisprudence et à la doctrine qui
 se sont constituées au fil des siècles. À elle seule, cette tâche pourrait
 se révéler impossible, en particulier à la lumière de la complexité de
 la doctrine fiduciaire et des difficultés que ce concept a posées pour
 nos propres tribunaux, deux facteurs bien connus. Il est essentiel que
 toute extension de la catégorie des relations fiduciaires institutionnelles
 repose sur des fondements solides, ce qui représente, pour le moins, tout
 un défi. 
 
Troisièmement, lapplication de lobligation fiduciaire aux députés entraînerait
 de nombreux problèmes de logistique qui pourraient eux-mêmes constituer
 des obstacles insurmontables. Ces problèmes sont très proches des difficultés
 rencontrées pour assurer lapplication et le respect du Code qui, même
 sil nen a ni le titre, ni leffet juridique, rassemble certainement bon
 nombre des principes et objectifs qui accompagneraient limposition de
 lobligation fiduciaire. Par exemple, on peut se demander si cette obligation
 fiduciaire pourrait être officiellement imposée aux députés par voie législative.
 Une telle démarche nous obligerait à suivre un processus complexe et délicat
 qui exigerait une codification attentive des normes minimales que tous
 les députés doivent respecter à légard de leurs électeurs. Or, une codification
 dune telle complexité  il faudrait, en effet, tenir compte de facteurs
 historiques, théoriques et pratiques  représente une entreprise risquée,
 non seulement parce quil pourrait être impossible de la mener à bien de
 façon aussi élaborée que nécessaire, mais aussi parce que la codification
 de cet aspect de la fonction de député aurait un impact sur dautres aspects
 de son travail aussi. Parmi les autres problèmes à régler, il faudrait,
 entre autres, déterminer qui serait chargé dexaminer la conduite des députés,
 si les tribunaux pourraient intervenir automatiquement, quelle pourrait
 être la « sanction » imposée aux députés qui manquent à leur obligation fiduciaire,
 et si les électeurs pourraient eux-mêmes exercer un recours. 
 
En outre, les privilèges accordés à la Chambre des communes et à ses députés
 pourraient présenter un obstacle à la reconnaissance dune obligation fiduciaire
 ou, du moins, nécessiter une application « spécifiquement parlementaire ».
 Bien quil existe déjà des régimes juridiques  par exemple, en matière
 de corruption  qui ont une influence sur les députés et sur leur façon
 de sacquitter de leurs fonctions, limposition de lobligation fiduciaire
 pourrait avoir pour conséquence dempêcher la Chambre de sanctionner les
 députés et, de manière plus générale, de réglementer ses affaires internes.
 Qui plus est, si le régime fiduciaire devait être établi par voie jurisprudentielle
 plutôt que législative, cela soulèverait également la question du privilège
 parlementaire dans un contexte de contrôle judiciaire. 
Conclusion  
En définitive, nous avons besoin dun concept qui permette de définir la
 notion de responsabilité de manière plus concrète pour les députés. Or,
 le concept dobligation fiduciaire le permet justement. 
 
Lobligation fiduciaire ne constitue daucune manière un système simple
 et rigide. Cependant, les incessantes discussions sur ce rôle du droit
 fiduciaire devant nos tribunaux et au sein des spécialistes  notamment
 pour déterminer jusquoù sétend lobligation fiduciaire et le sens à donner
 à cette obligation  devraient nous montrer quil ne faut pas fermer la
 porte à une extension de lobligation fiduciaire à la sphère publique,
 et aux députés en particulier. Lequity a permis de combler les failles
 de la common law et, selon moi, le concept dobligation fiduciaire pourrait
 compléter dautres notions comme la responsabilité et la représentation,
 tout comme lequity a complété la common law au fil des ans. 
 
Cette entreprise se butte toutefois à de sérieux obstacles, tant sur le
 plan juridique que sur celui des conventions parlementaires, mais ce débat
 doit, tout de même, avoir lieu. En examinant cette relation plus en détail
 et en énonçant certaines des obligations quelle comporte, nous pouvons
 entreprendre un examen approfondi de cette importante relation. Somme toute,
 je crois fermement que les députés sont vraiment motivés à bien faire leur
 travail et à bien servir leurs électeurs. La reconnaissance de lexistence
 dune relation fiduciaire ne ferait que renforcer et protéger cette relation
 essentielle en confirmant la place centrale quelle occupe dans notre système
 démocratique. Elle garantirait, en outre, que cette relation entre les
 députés et les électeurs  qui est nécessairement inégale, puisquune partie
 détient un pouvoir discrétionnaire sur une autre plus vulnérable  demeure
 une relation en laquelle les citoyens peuvent avoir la plus grande confiance. 
 
Notes 
1. Leonard Ian Rotman, Fiduciary Law, Toronto, Carswell, 2005, p. 13. La
 très honorable Beverley McLachlin, « The Place of Equity and Equitable Doctrines
 in the Contemporary Common Law World: A Canadian Perspective », dans Donovan
 W. M. Waters, dir., Equity, Fiduciaries and Trusts, Toronto, Thompson Canada
 Limited, 1993, p. 37-55, à la page 39. 
 
2. Lionel Smith, « Case Commentary on Hodgkinson v. Simms » (1995), 74 Revue
 du Barreau canadien 714, à la page 730. (Ci-après Smith.) Rotman, précité
 à la note 1, p. 2, 18 et 19. 
 
3. Rotman, précité à la note 2, p. 153, 2. 
4. P.D. Finn, « The Fiduciary Principle », dans T.G. Youdan, dir., Equity,
 Fiduciaries and Trusts, Toronto, Thompson Canada Limited, 1989, p. 1-56,
 à la page 2. (Ci-après Finn.) 
 
5. Smith, précité à la note 2, p. 717. Rotman, précité à la note 1, p. 2
 et 6. 
 
6. Frame c. Smith, [1987] 2 R.C.S. 99, paragraphe 60. 
7. Hodgkinson c. Simms, [1994] 3 R.C.S. 377, p. 409. 
8. Guerin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335, p. 384, citant larticle dErnest
 Weinrib intitulé « The Fiduciary Obligation » (1975), 25 University of Toronto
 Law Journal 1, p. 7. 
9. Matthew Conaglen, « The nature and function of fiduciary loyalty » (2005),
 121 Law Quarterly Review 452, p. 459-460. 
10. Eugene Forsey, Les Canadiens et leur système de gouvernement, 6e éd.,
 Sa Majesté la Reine aux droits du Canada, 2005, p. 1. 
11. Le serment se lit comme suit : « Je, A.B., jure que je serai fidèle et
 porterai vraie allégeance à Sa Majesté la Reine Victoria. N.B.  Le nom
 du Roi ou de la Reine du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et de lIrlande,
 alors régnant, devra être inséré, au besoin en termes appropriés. » James
 Robertson, Les serments dallégeance et la Chambre des communes du Canada,
 Ottawa, Bibliothèque du Parlement, révisé en septembre 2005, p. 16-17. 
 
12. Robertson, ibid., p. 3. 
13. Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S.
 721, paragraphe 63. 
14. David C. Docherty, Mr. Smith Goes to Ottawa: Life in the House of Commons,
 Vancouver, UBC Press, 1997, p. 143-144. Voir aussi Jack Stilborn, Le député
 fédéral au Canada : un rôle en mutation?, Ottawa, Bibliothèque du Parlement,
 31 mai 2002, p. 16-17. 
15. C.E.S. Franks, The Parliament of Canada, Toronto, University of Toronto
 Press, 1987, p. 57. 
16. Smith, précité à la note 2, p. 725. 
17. Robert Flannigan, « The Boundaries of Fiduciary Accountability » (2004),
 83 Revue du Barreau canadien, 35, à la page 72; M.(K.) c. M.(H.), [1992]
 3 R.C.S. 6; Norberg c. Wynrib, [1992] 2 R.C.S. 224. 
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