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Michel Bissonnet
S'appuyant sur ses 27 années d'expérience à titre de député et ses 5 années
au poste de Président, l'auteur nous livre dans cet article ses réflexions
sur les qualités requises pour présider les séances de l'Assemblée.
Est-ce qu'il y a une recette particulière pour être un bon président d'assemblée?
Je pense qu'on pourrait répondre oui et non à cette question. Bien entendu,
il y a des ingrédients incontournables au succès d'une présidence, mais
il faut savoir bien les doser et les utiliser avec parcimonie, au gré des
événements auxquels nous devons faire face. Et cela est vrai dans les trois
rôles de la présidence. Parmi ces ingrédients, il y a, évidemment, la neutralité,
l'impartialité, le respect, la délicatesse, la compréhension, l'écoute,
l'équilibre, la psychologie, la sensibilité et, parfois, l'humour, mais
il y a aussi la fermeté, l'ordre, l'autorité et la détermination. En d'autres
mots, une main de fer dans un gant de velours. Afin de ne soulever aucun
doute quant à sa neutralité et à son impartialité, il est sage de garder
une distance totale face à la politique partisane, et ce, même dans sa
propre circonscription électorale.
En somme, il y a des qualités humaines intrinsèques incontournables pour
être un bon président, mais, aussi, beaucoup d'apprentissage. Il faut bien
connaître ce monde très particulier qu'est la politique. Il faut être conscient
que les personnes sur lesquelles on exerce une autorité ont toutes reçu
la confiance de leurs électeurs et, par conséquent, qu'elles méritent le
respect. Il faut également avoir à l'esprit que les députés sont des gens
« vulnérables », c'est-à-dire des personnes qu'on cherche toujours à prendre
en défaut. La présidence doit donc, dans la mesure du possible, éviter
d'accroître cette pression. De plus, il ne faut pas nier que les rapports
humains dans un parlement sont également teintés par le contexte de confrontation
politique. En somme, face à une situation difficile, la présidence doit
souvent s'en remettre à la bonne vieille notion de « bon père ou de bonne
mère de famille », bref, à son « gros bon sens ». Je dois dire que mon expérience
de président de caucus des députés a constitué un bon apprentissage. C'est
dans le cadre des réunions du caucus et c'est encore plus vrai lorsqu'il
s'agit du caucus des députés ministériels qu'il faut permettre aux députés
d'exprimer en toute liberté leurs points de vue et, parfois, leurs désaccords.
Il y a aussi des arbitrages à faire entre la position majoritaire du caucus
et la position des membres du gouvernement, positions qui ne sont pas toujours
compatibles.
Bien sûr, même si elle s'applique à tous les aspects de sa fonction, la
« sagesse présidentielle » prend toute son importance dans l'exercice du
premier rôle de la présidence, soit celui de diriger les séances de l'Assemblée.
C'est sans contredit dans ce rôle que le président est le plus vulnérable,
puisque, tel un arbitre, il doit appliquer un cadre réglementaire formalisé
à une « joute » oratoire politique, dont l'objectif est de marquer des points
contre ses adversaires. Dans ce contexte, le président est souvent pris
entre l'arbre et l'écorce; il ne doit pas « voler le show », mais il doit
s'assurer que les règles élémentaires du décorum sont respectées. Après
tout, l'image de l'Assemblée repose en grande partie sur la capacité du
président à faire respecter les règles du jeu, tout en permettant au débat
politique de se faire.
Contrairement à d'autres assemblées, les rappels au Règlement sont permis
à l'Assemblée nationale lors de la période de questions. Afin d'éviter
que trop de temps soit pris à débattre de l'application du Règlement, au
détriment de sujets d'intérêt public faisant l'objet des questions et des
réponses, je demande régulièrement la collaboration des députés, afin que
des propos non parlementaires ne soient pas prononcés. À moins qu'un propos
contrevienne clairement au Règlement, je m'efforce de ne pas nommer un
député. En plus de demander d'une manière générale la collaboration des
députés, il m'arrive régulièrement de faire des signes aux députés pour
leur faire comprendre de ralentir leur ardeur. Bien entendu, lorsqu'un
député prononce des propos qui enfreignent nos règles, je n'hésite pas
à me lever et à lui demander de les retirer. De toute manière, si je ne
le fais pas, ce sera probablement un des leaders parlementaires qui me
demandera de le faire. Dans ces circonstances, j'aime mieux prendre les
devants, afin d'éviter qu'une partie importante de la période de questions
devienne une bataille de procédure.
Une autre particularité de ma présidence est de ne pas favoriser une approche
trop procédurière. J'évite le plus possible de citer des articles du Règlement
en me limitant à énoncer de grands principes d'une manière simple et compréhensible.
C'est lorsque je dois rendre une décision formelle, à la suite d'un délibéré,
que je favorise une approche plus légaliste. D'ailleurs, depuis le début
de la présente législature, j'ai dû le faire à plusieurs reprises. Pour
la première fois depuis l'adoption de l'actuel Règlement, en 1984, nous
avons trois groupes parlementaires reconnus. De plus, nous avons un gouvernement
minoritaire, ce qui ne s'était pas vu depuis 1878. J'ai dû, entre autres,
rendre une décision sur le cadre de la période des questions et réponses
orales ainsi que sur la répartition des affaires de l'opposition. Comme
il n'y a pas eu d'ententes entre les partis sur ces questions, c'est la
présidence qui devait trancher.
C'est dans des circonstances comme celles-là qu'il faut faire usage avec
doigté de tous les ingrédients dont je parlais précédemment. De plus, il
ne faut pas hésiter à avoir recours à l'expertise de nos spécialistes en
droit et en procédure parlementaires afin de rendre la meilleure décision
possible. Le maintien de l'équilibre démocratique dans le cadre des travaux
parlementaires commande une rigueur exemplaire. Le droit à l'erreur est
inexistant. C'est pourquoi, afin de mieux encadrer la présidence dans sa
délicate fonction de président de séance, nous avons recours, depuis quelques
années, aux nouvelles technologies pour maintenir une communication constante
entre la table et le fauteuil. Ainsi, le lien n'est jamais interrompu entre
le secrétaire général, ses adjoints et la présidence. La présidence a donc
moins à se soucier du numéro d'un article ou du contenu précis d'une règle
de procédure et peut se consacrer à apprécier le contenu des paroles qui
sont prononcées par les députés. De plus, cela permet à la présidence d'être
toujours en mesure d'intervenir rapidement lorsqu'elle a à souligner un
manquement au Règlement ou lorsqu'elle a à se prononcer sur un rappel au
Règlement.
Dans le but de dénouer certaines impasses dans le fonctionnement des travaux
de l'Assemblée, je prends parfois l'initiative de réunir les leaders parlementaires
pour leur exposer mon point de vue sur une question, ou pour entendre leurs
représentations sur la manière de procéder lors de circonstances particulières.
De même, en matière de réforme parlementaire, je m'assure que chaque leader
pourra exprimer son opinion pour que nous en arrivions au nécessaire consensus
qui doit être à la base de toute modification à nos règles de procédure.
Enfin, pour assurer l'unité de la présidence et pour favoriser une conduite
ordonnée et prévisible des travaux parlementaires, je réunis chaque semaine
les membres de la présidence, ma directrice de cabinet, le secrétaire général
et ses principaux conseillers autour d'un repas que nous avons baptisé
le déjeuner de la présidence. Nous discutons alors des problèmes que chaque
membre de la présidence a eu à affronter au cours de la semaine précédente
et de ceux susceptibles de se produire au cours de la semaine qui vient.
Chaque membre de la présidence a alors la possibilité d'émettre son opinion.
L'administration de l'Assemblée
À l'égard de l'administration, il revient au président de s'assurer que
les services nécessaires sont fournis aux députés pour qu'ils puissent
mieux exercer leurs fonctions. Il doit également préparer, chaque année,
les prévisions budgétaires, en consultant le Bureau de l'Assemblée nationale.
Enfin, le président est responsable de la sécurité des édifices et de la
protection des personnes.
Au même titre que dans ses rapports avec les leaders dans la bonne marche
des travaux parlementaires, je suis convaincu qu'un président ne peut assumer
efficacement ses fonctions administratives que s'il valorise l'ouverture,
la collaboration et l'écoute avec les whips des groupes parlementaires
qui sont ses interlocuteurs privilégiés au sein du Bureau de l'Assemblée
nationale. À la veille d'une séance du Bureau, je leur présente les sujets
à l'ordre du jour. Je m'assure de leur appui et m'efforce, en l'absence
d'un consensus, de trouver un terrain d'entente, afin que les décisions
du Bureau reflètent le mieux possible la volonté de l'ensemble des députés
sur des questions importantes qui les concernent au premier chef.
À cet égard, c'est le Bureau qui précise les ressources pouvant être mises
à la disposition des députés. Il détermine l'effectif dont l'Assemblée
a besoin pour ses services administratifs et approuve les prévisions budgétaires
annuelles. C'est aussi le Bureau qui doit autoriser les contrats de louage
de services ou d'acquisition de biens de plus de 75 000 $. Les whips coordonnent
les interventions de leur groupe au Bureau de l'Assemblée nationale. C'est
dire toute l'importance qu'ils ont dans l'administration de l'Assemblée.
La concertation et une communication constante entre la présidence et les
whips sont donc primordiales.
Malgré l'importance que j'accorde à mes rapports avec les leaders et les
whips, je me fais un point d'honneur de me rendre disponible auprès de
tous les députés et d'être à leur écoute; ma porte leur est ouverte. Je
tâte le pouls de mes collègues et suis attentif à leurs besoins, notamment
à l'égard des services que l'administration de l'Assemblée leur offre.
Je m'assure ensuite de relayer les commentaires que j'ai reçus à notre
équipe administrative, dirigée par le secrétaire général, et je veille
à ce que les suites appropriées soient données.
Pour ce faire, une complicité de tous les instants avec mon secrétaire
général et ses principaux collaborateurs est essentielle. Cette collaboration
doit être franche, directe et empreinte de respect mutuel. Le personnel
de mon cabinet et moi-même agissons de même avec tous les employés de l'Assemblée.
La considération et la confiance sont gages d'employés plus heureux au
travail et mieux disposés à donner le meilleur d'eux-mêmes.
Le rôle de représentation du président
Le président a un rôle déterminant à jouer dans la définition et la conduite
des relations internationales de l'Assemblée. Le développement d'une expertise
parlementaire de pointe de même qu'une recherche élargie de solutions crédibles
représentent un formidable défi pour les députés. Or, en les mettant en
contact avec des partenaires d'autres régions et d'autres pays qui partagent
les mêmes préoccupations, les relations interparlementaires permettent
d'instrumenter les parlementaires pour les appuyer dans leur triple fonction
de représentant des populations, de législateur et de contrôleur du pouvoir
exécutif. Ce faisant, ils pourront contribuer de surcroît à consolider
la démocratie parlementaire et à faire connaître la culture et l'expertise
québécoises à l'étranger.
À titre de président, j'exerce la direction des relations internationales
de l'Assemblée nationale, ce qui signifie que j'en fixe les priorités et
que j'en organise la mise en uvre. Pour établir les priorités, je me base
sur les grands objectifs suivants :
- le renforcement de l'efficacité de l'institution parlementaire et des élus
dans leurs fonctions de législation, de contrôle de l'action du gouvernement,
de prise en considération de questions d'intérêt public et de représentation;
- le positionnement international de l'Assemblée nationale et son rayonnement
institutionnel au sein des réseaux interparlementaires;
- la participation active de l'Assemblée nationale à l'édification d'une
communauté mondiale fondée sur la démocratie, la paix, la justice et la
prospérité;
- le rayonnement accru de la société québécoise, notamment par la promotion
de ses secteurs d'excellence.
Cela dit, comme pour la direction des travaux de l'Assemblée et pour la
gestion administrative, je m'assure de recevoir l'adhésion des groupes
parlementaires pour fixer les grandes orientations en matière de relations
interparlementaires. Je m'assure également du strict respect du pluralisme
politique par la formation de délégations constituées de députés des divers
groupes parlementaires. Je vois également au respect de la séparation des
activités internationales de l'Assemblée par rapport à celles du gouvernement,
tout en m'assurant d'une cohésion à cet égard.
À l'égard du pluralisme politique, il m'incombe d'abord de m'assurer de
la représentation de chaque groupe parlementaire dans la répartition des
postes de responsabilité au sein des sections et délégations des organisations
interparlementaires.
Je ne limite pas mon rôle de représentation aux seules relations interparlementaires.
Un des aspects de ce rôle qui me tient particulièrement à cur est la mission
pédagogique de l'Assemblée. Au cours des dernières années, l'Assemblée
a développé plusieurs activités éducatives, dont cinq simulations parlementaires
qui visent des clientèles scolaires de tous âges. Il y a également une
simulation parlementaire qui vise les enseignants de tous niveaux ainsi
qu'une simulation qui s'intéresse aux personnes retraitées et préretraitées.
Toujours dans le cadre des activités pédagogiques, je fais, chaque année,
une visite d'une vingtaine d'écoles secondaires pour aller parler aux jeunes
de démocratie, du rôle de l'Assemblée et de celui des députés. J'invite
toujours les députés qui représentent la région visitée à assister à ces
rencontres.
Conclusion
J'aimerais insister sur un élément incontournable de la réussite d'un président,
soit le rôle de son secrétaire général et la relation qu'il entretient
avec lui, et ce, pour tous les aspects de sa fonction. Il importe que le
secrétaire général joue pleinement son rôle, particulièrement à l'égard
des travaux parlementaires et de l'administration de l'Assemblée. En aucun
cas, le cabinet du président ne doit s'immiscer dans les prérogatives du
secrétaire général. C'est parfois en parfaite cohésion, parfois en complémentarité
que le président et le secrétaire général doivent exercer leurs fonctions,
mais jamais en opposition. Autrement dit, le président a tout avantage
à établir une grande complicité avec le secrétaire général et ses principaux
collaborateurs.
Au-delà des principes de neutralité et d'impartialité qui doivent nécessairement
animer le travail de tout président d'une assemblée parlementaire, sa légitimité
et son ascendant reposent sur une multitude de facteurs. Même s'il n'y
a pas de recette miracle pour réussir, divers ingrédients, je l'ai mentionné
au cours de mon exposé, sont essentiels. Parmi ces ingrédients, je pense
avoir oublié le principal. Pour être un bon président, il faut d'abord
aimer son travail, mais il faut, par-dessus tout, aimer les députés.
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