PDF
Paul Manson
Uneasy Neighbo(u)rs: Canada, the USA and the Dynamics of State, Industry and Culture par David Kilgour and David T. Jones
On a déjà décrit les relations canado-américaines comme « le plus vieux
cliché non défendu au monde ». La contiguïté des deux pays et de leurs cultures
a toujours généré une symbiose complexe qui, même si elle est remarquablement
salutaire à bien des égards, constitue souvent aussi une source de frictions.
Dans leur récent ouvrage, intitulé Uneasy Neighbo(u)rs, David Jones et
David Kilgour nous proposent une étude fascinante et exhaustive de la relation
canado-américaine, telle qu'elle est vue de chaque côté de la frontière.
Le premier est un ex-agent principal du service extérieur américain qui
a notamment été affecté à l'ambassade des États-Unis à Ottawa au cours
de sa carrière diplomatique. Plus récemment, il s'est fait connaître par
des articles francs sur les affaires étrangères et des questions de défense
touchant ce pays qui sont parus dans des médias canadiens. Son coauteur,
David Kilgour, est bien connu au Canada, puisqu'il a représenté une circonscription
d'Edmonton pendant de nombreuses années comme député libéral, progressiste-conservateur
ou indépendant. Il a aussi été secrétaire d'État (Amérique latine et Afrique),
secrétaire d'État (Asie-Pacifique) et vice-président de la Chambre.
Cette relation difficile qu'ils analysent sous tous ses angles tient à
des facteurs qui vont de différences insignifiantes, comme celle à laquelle
fait allusion le titre du livre, à des questions très importantes qui ont
divisé et parfois beaucoup les Canadiens et les Américains au fil des
ans. Actuellement, il s'agit du bois d'uvre, de la maladie de la vache
folle, de la souveraineté de l'Arctique et du partage du fardeau de la
défense. Au cours des dernières décennies, ces conflits ont souvent porté
surtout sur le commerce, que ce soit le libre-échange ou d'autres questions.
Étant donné l'orientation naturelle nord-sud des voies de communication,
il n'est pas surprenant que le commerce ait dominé aussi souvent. Aujourd'hui,
par exemple, ces échanges de biens et de services entre nos deux pays se
chiffrent à 2 milliards de dollars par jour, un sommet planétaire. Peu importe
la question de l'heure, on sent une susceptibilité particulière dans cette
relation, une susceptibilité qui doit être examinée et comprise des deux
côtés de la frontière.
Malgré la contiguïté de ces deux cultures nord-américaines, la liste de
leurs différences demeure longue. Ces différences sont souvent subtiles,
par rapport à celles qui existent aujourd'hui avec d'autres cultures, mais
elles peuvent amener le Canada et les États-Unis à suivre des voies divergentes,
ce qui mène parfois à des querelles et à des propos excessifs (habituellement
de la part des Canadiens). Les auteurs examinent en détail les principales
divergences qui existent dans des domaines comme le gouvernement, la gestion
des ressources, les soins de santé, l'éducation, la religion, la culture,
les lois sur les armes à feu, la peine de mort, le rôle du pays dans le
monde et la défense.
Étant donné l'importance et le nombre de ces dissemblances, les Canadiens
se vexent facilement d'entendre souvent les Américains déclarer : « Tiens!
Vous êtes exactement comme nous! » Ultrasensibles au sujet de leur identité
et ne désirant pas être considérés comme des clones de leurs voisins du
Sud, les Canadiens s'inquiètent de vivre aussi près de la seule superpuissance
qui reste dans le monde et qui, pour une raison ou pour une autre, semble
faire peu de cas de leur pays.
Pour leur part, les Américains se méfient de ce qu'ils considèrent comme
des tendances socialistes au Canada - où les citoyens ont toujours eu des
opinions assez différentes des leurs sur le rôle de l'État dans leur vie
quotidienne, notamment dans le domaine de la santé, qui prend de plus en
plus d'importance. En outre, à la suite des attentats du 11 septembre 2001,
les États-Unis en sont venus à croire que leur voisin du Nord ne possédait
pas la force nécessaire pour empêcher la nouvelle menace terroriste d'accéder
aux États-Unis par la voie terrestre. Cette attitude a entraîné l'imposition
de restrictions à l'entrée dans ce pays, ce qui a contribué au malaise
des Canadiens.
En effet, c'est dans le domaine des affaires internationales et de la défense
que la relation entre Canadiens et Américains est la plus éprouvée en ce
début du XXIe siècle, et ici, on s'aperçoit que MM. Jones et Kilgour sont
relativement d'accord sur cette question, alors qu'ils ne le sont pas sur
d'autres. Ils soulignent tous les deux que le déclin des Forces canadiennes,
surtout durant les années 1990, a extrêmement limité l'influence du Canada
sur la scène internationale. Un autre déclin moins bien connu, mais sérieux,
soit celui du Service extérieur canadien, a aussi nui à la situation et
à la réputation du Canada à l'étranger. Les auteurs reconnaissent que le
Canada joue un rôle important en Afghanistan, mais ils sont très pessimistes
quant à la possibilité que notre défense et notre diplomatie retrouvent
leur statut d'autrefois, du moins à court terme.
L'ouvrage présente un historique détaillé et vraiment très utile de la
relation canado-américaine dans chacun des principaux domaines de collaboration
entre nos deux pays. Cette démarche se révèle particulièrement utile parce
que chaque événement historique est présenté alternativement du point de
vue canadien et du point de vue américain, ce qui permet au lecteur de
jeter un regard fascinant sur les causes profondes, pour ainsi dire, des
enjeux qui définissent actuellement notre relation. Fait intéressant, Jones
et Kilgour utilisent beaucoup la première personne tout au long du texte
et, la plupart du temps, sans préciser qui parle. C'est une technique peu
commune, mais qui fonctionne vraiment, tout simplement parce que le contexte
parle par lui-même.
Du début à la fin, les auteurs montrent qu'ils possèdent une connaissance
approfondie des sources, de la nature et des conséquences des différences
qui divisent les Canadiens et les Américains. Ensemble, ces deux experts
ont cerné et analysé les problèmes, et ils nous communiquent leurs constatations
avec une grande clarté. Il en résulte un exposé intéressant et très agréable
à lire de la relation remarquablement étroite et durable mais parfois
explosive entre le Canada et les États-Unis.
Deux messages importants ressortent de la lecture de ce livre. Premièrement,
la relation entre les Canadiens et les Américains a connu des hauts et
des bas au fil des ans. Malheureusement, l'année 2007 correspond à un bas
en raison de certains problèmes difficiles, aggravés par la suffisance
traditionnelle des Canadiens à l'égard de ce qui est américain et l'habituelle
indifférence des Américains à l'égard de leur voisin du Nord.
Deuxièmement, étant donné leur conception différente de la nation, les
citoyens de nos deux pays se doivent d'apprendre à mieux connaître les
voisins qui vivent de l'autre côté de cette frontière non défendue, frontière
qui nous sépare, mais qui, en même temps, nous unit intimement. Notre relation
est d'ailleurs unique dans l'histoire, parce qu'elle s'est bâtie à coup
d'amitiés et de débats intelligents plutôt que de conflits armés.
Dans cet excellent ouvrage, David Jones et David Kilgour ont donné aux
Canadiens et aux Américains les moyens de préserver cette relation
exceptionnelle.
Général Paul Manson
Ex-chef d'état-major de la Défense
Président de l'Institut de la Conférence
des associations de la défense
|