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Note procédurale sur le récent exercice du pouvoir parlementaire d'assigner des témoins
Derek Lee

En décembre 2007, la Chambre des communes canadienne a dû traiter d’une question de privilège concernant son pouvoir de convoquer des personnes et d’exiger la production de documents et de dossiers. Le Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique étudiait une question d’éthique après qu’on a appris qu’un ancien député et premier ministre avait reçu d’importants paiements en espèces d’un individu à la fin de son mandat, il y a environ 15 ans. Le Comité voulait que l’ex-député et le témoin en question, Karlheinz Schreiber, comparaissent tous les deux devant lui à l’occasion d’audiences publiques. Après l’adoption des motions voulues, le greffier du Comité leur a envoyé des invitations et ordonné de se présenter (sous forme d’assignation à témoigner). Les deux hommes ont accepté de comparaître (après en avoir discuté avec leurs avocats et conseillers), mais le fait que M. Schreiber était incarcéré dans une prison provinciale à ce moment-là en raison d’une ordonnance d’extradition fédérale semblait compliquer les dispositions à prendre pour sa comparution. Par ailleurs, on croyait que son expulsion vers un État d’outre-mer où le Comité n’avait pas compétence était imminente. Le présent article soulève certaines inquiétudes quant aux conséquences involontaires possibles de la procédure utilisée dans le cas de M. Schreiber. 

Le pouvoir de convoquer des personnes et d’exiger la production de documents et de dossiers — qui ressemble à l’assignation à comparaître dans la procédure civile — est un des privilèges incontestés du Parlement qui est reconfirmé à chaque nouvelle législature lors des délibérations sur le discours du Trône. Son origine remonte à des centaines d’années1, mais, comme une grande partie de la common law et des usages parlementai res britanniques, ce privilège n’a pas été codifié. À la Chambre des communes canadienne, ce pouvoir est accordé sans restriction à chacun des comités permanents par l’article 108 du Règlement (à moins que la Chambre en décide autrement). Toutefois, les comités n’ont à peu près jamais besoin d’exercer ce pouvoir officiel lors de leurs travaux, puisque les témoins comparaissent habituellement devant eux après y avoir été invités ou qu’on leur a demandé. La Chambre elle-même l’exerce rarement. On peut donc comprendre qu’un pouvoir aussi grand, qui n’est pas codifié et qui est rarement exercé puisse facilement prêter à confusion. 

Plusieurs facteurs obligeaient réellement le Comité à agir rapidement, notamment l’expulsion probable de Karlheinz Schreiber, qui faisait l’objet d’une procédure d’extradition. En effet, à 400 kilomètres de distance, à Toronto, les autorités de la prison où il était incarcéré s’estimaient tenues d’exécuter l’ordonnance judiciaire et ne savaient vraiment pas à quel point l’ordre du Comité était important et qu’il avait priorité sur tout autre document. Face à cette situation complexe, le Comité a décidé de recourir à un « mandat du président » pour essayer de lever, dans une certaine mesure, l’incertitude quant à son autorité. Pour ce faire, le Comité a présenté une demande en ce sens dans un rapport que la Chambre a adopté, ce qui a permis au président de préparer le document et de l’envoyer aux personnes concernées. Un mandat du président est considéré comme un document « facilitateur » qui exprime la volonté de la Chambre et du président agissant en son nom, et qui s’adresse aux parties intéressées. Vu que le Comité a fait valider son ordre par la Chambre, les questions juridiques complexes se sont clarifiées d’elles-mêmes (le fait que M. Schreiber semblait vouloir comparaître a aussi aidé, dans une certaine mesure). Le témoin a donc comparu conformément à l’ordre qui lui avait été donné, alors qu’il était toujours incarcéré et visé par une procédure d’extradition. 

La décision du Comité (de recourir à un mandat du président) soulève peut-être un problème de fond réel qui n’a pas encore été étudié publiquement. Même si ce mandat a été demandé pour renforcer l’ordre que le Comité avait déjà transmis, et ce, pour clarifier des questions de compétence complexes, cette façon de procéder a pu entraîner deux graves conséquences imprévues. 

Premièrement, la demande et l’utilisation du mandat ont peut-être donné l’impression à la population qu’à lui seul, l’ordre du Comité était sans valeur, inefficace ou inexécutable. Si cette perception est le moindrement confirmée au Parlement ou dans la population en général, il y a lieu de s’inquiéter qu’on ne respecte pas dorénavant les ordres des comités concernant leur pouvoir de convoquer des personnes et d’exiger la production de documents et de dossiers. N’oublions pas que la Chambre délègue ce pouvoir aux comités sans restriction, de sorte que les ordres donnés en vertu de ce pouvoir ont, sur le plan juridique, le même poids qu’un ordre semblable de la Chambre. De surcroît, parce que la procédure relative à l’exercice de ce pouvoir n’est pas codifiée, un seul abus ou une seule erreur à ce chapitre risquerait de devenir un précédent sur lequel s’appuierait2 désormais la Chambre ou la population. Si on invoquait la décision du Comité en l’isolant de son contexte, on pourrait possiblement miner, aux yeux de la population, l’autorité ou le poids des ordres futurs des comités concernant la convocation de personnes ou la production de documents ou de dossiers. 

Deuxièmement, la décision rapide du Comité de recourir à la Chambre pour obtenir un mandat du président a été prise dans le contexte d’un « gouvernement minoritaire ». Les députés de l’opposition étaient majoritaires tant au sein du Comité qu’à la Chambre et, grâce à la collaboration de leurs partis, ils ont réussi à surmonter la résistance possible des députés ministériels et rapidement obtenu un ordre de la Chambre autorisant le président à agir. Il est loin d’être certain qu’un gouvernement majoritaire aurait collaboré de la même façon et acquiescé à la demande du Comité aussi rapidement. Bref, il ne sera pas toujours aussi facile d’obtenir un mandat du président, et cette mesure ne devrait donc pas être considérée comme une composante normale des ordres des comités concernant la convocation des personnes ou la production de documents ou de dossiers. 

Il serait peut-être utile de souligner que, si un témoin refusait d’obéir à un ordre de comparution de la Chambre ou d’un comité, ce refus serait probablement considéré comme un outrage, et qu’il faudrait, dans les deux cas, que la Chambre en soit saisie pour prendre des mesures. L’exécution des ordres de la Chambre et des comités (outrage, arrestation, etc.) demeure du ressort de la Chambre et n’a pas été déléguée aux comités permanents.  

Il est clair qu’il est impossible de réduire l’ensemble des privilèges parlementaires prévus par la Constitution à moins que la Chambre décide de les changer, mais il est probablement vrai aussi que la Chambre pourrait, au fil du temps, réduire l’étendue et l’usage de ces privilèges à coup de précédents. Ainsi, dans ce contexte, la pertinence des procédures parlementaires à venir pourrait dépendre de la pertinence des procédures suivies au cours de la présente législature. Dans le dossier qui nous intéresse ici, le Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique a agi convenablement et selon les règles, a respecté les témoins et bien servi les intérêts du public et du Parlement. On ne devrait toutefois pas considérer que sa décision de demander l’aide du président dans le cas du témoin Karlheinz Schreiber a sapé de quelque façon que ce soit la validité de son ordre initial, mais plutôt qu’elle a aidé à clarifier la situation complexe dans laquelle se trouvait le Comité en raison d’un conflit de compétence avec les autorités responsables de l’incarcération de M. Schreiber et du peu de temps dont le Comité disposait pour agir. 

Notes 

1. « Les privilèges de la Chambre dont il s’agit dans l’enquête devant la Cour sont incontestables, parce que, premièrement, la Chambre en question, qui constitue le grand jury de la nation, a le pouvoir d’entreprendre des enquêtes, de citer des témoins à comparaître et, en cas de désobéissance à cet ordre, […] de les faire arrêter et comparaître devant elle pour les interroger; et, deuxièmement, s’il y a accusation d’outrage ou d’atteinte au privilège, et qu’elle ordonne à l’accusé de comparaître devant elle afin de répondre à cette accusation et que celui-ci désobéit volontairement à cet ordre, la Chambre a incontestablement le pouvoir de le faire arrêter et comparaître devant elle pour répondre à l’accusation qui pèse sur lui; en outre, il incombe à la Chambre, et à elle seule, de décider à quel moment l’un ou l’autre de ces pouvoirs doit être exercé. » – Gosset v. Howard (1847)(Court of the Exchequer) 10 Q.B. 411, p. 451. 

2. On se rappelle le cas du député comparaissant à la barre de la Chambre des communes canadienne « en 1992 » et réprimandé pour avoir tenté de prendre la Masse à la fin d’une séance. Toutefois, selon les usages parlementaires, il est clair que les députés doivent « se tenir debout à leur place » lorsqu’ils font l’objet de mesures disciplinaires et que seuls les membres du public comparaissent à la barre. Compte tenu de la rareté de tels événements, on doit se demander si cette procédure erronée servira de précédent lorsque la Chambre des communes du Canada devra, un jour, punir un autre député (voir Débats, 31 octobre 1991, p. 4309). 


Canadian Parliamentary Review Cover
Vol 31 no 1
2008






Dernière mise à jour : 2020-09-14