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Christopher Dunn
Au Canada, la déclaration de guerre, ou son équivalent fonctionnel, est
encore un pouvoir qui relève de la prérogative. Cela ne devrait pas être
le cas.
A.V. Dicey, dans son ouvrage intitulé Law of the Constitution, a décrit
la prérogative comme le résidu du pouvoir discrétionnaire qui demeure en
tout temps entre les mains de la Couronne. Cela signifie, en réalité, que
tout pouvoir dont le monarque était autrefois l'unique détenteur et que
le Parlement ne s'est pas approprié, demeure intact.
En tant que pouvoir du gouvernement, la prérogative est à la fois importante
et sans conséquence. Le domaine vaste et très étendu de la politique étrangère,
qui comprend, entre autres, la conclusion des traités, les déclarations
de guerre, le déploiement des forces armées dans les conflits internationaux,
la nomination des ambassadeurs, la reconnaissance des États et l'accréditation
des diplomates, est régi, dans une large mesure, par la prérogative. Elle
comporte également des aspects plus courants, comme la délivrance des passeports,
l'octroi de distinctions honorifiques, la nomination des conseils de la
Reine et la clémence.
Certains pouvoirs discrétionnaires relevant de la prérogative appartiennent
au monarque, comme la nomination du premier ministre et de ses ministres,
la sanction royale, la dissolution du Parlement et les pouvoirs d'urgence;
puis, il y a ceux que le monarque a délégués aux ministres de la Couronne,
qui agissent au nom de celle-ci, notamment les pouvoirs en matière de politique
étrangère décrits ci-dessus. Les ministres peuvent exercer ces pouvoirs
sans avoir forcément à en référer au Parlement. En fait, historiquement,
le Parlement a généralement été écarté des décisions concernant l'attribution
de cette prérogative ministérielle.
C'est ce dernier usage de la prérogative celui qui est délégué que
les Canadiens et Canadiennes doivent surveiller, surtout en ce qui concerne
l'engagement de nos forces armées. Le Parlement a été consulté, mais il
n'a jamais revendiqué expressément le droit de déclarer la guerre (ou son
équivalent) ou de prononcer le moment où elle se termine ou la façon dont
elle doit être menée. Cela devrait pourtant être le cas.
Le Canada n'a pas déclaré la guerre depuis près de 70 ans. La guerre a
toutefois des équivalents fonctionnels évidents. La participation à des
conflits armés, les opérations collectives de maintien de la paix et les
opérations entreprises en vertu de conventions de défense collective :
tous ces éléments ont placé les Forces canadiennes en service actif et
en danger.
En général, le Canada est entré en guerre et a pris part aux conflits internationaux
en vertu de la prérogative nationale. Au XXe siècle, la Première Guerre
mondiale a fait exception. Le 4 août 1914, le Canada est entré en guerre
à la suite de la déclaration de guerre du gouvernement impérial. De ce
fait, suivant les pratiques de l'époque, les dominions, les colonies et
les dépendances de l'Empire étaient automatiquement en guerre. Cependant,
le Canada a pris un certain nombre de décrets pour mettre en uvre son
entrée dans le conflit.
En 1939, alors que la Grande-Bretagne a déclaré la guerre le 3 septembre,
le Canada a, pour sa part, attendu, afin de souligner son autonomie. Un
débat parlementaire (le 9 septembre) a précédé le décret déclarant la guerre
(le 10 septembre). Une procédure semblable a été suivie quand le Canada
a déclaré la guerre à l'Italie en 1940. De fait, un seul décret a rendu
la déclaration de guerre formelle. Cela a été véritablement mis en relief
en 1942, lorsque la guerre a été déclarée contre le Japon, la Roumanie,
la Hongrie et la Finlande par une simple proclamation et sans aucun débat
parlementaire ni l'approbation d'aucune adresse.
Au début du conflit coréen, le Parlement n'a pas adopté de résolution autorisant
l'envoi de troupes en Corée. La Loi sur la défense nationale nouvellement
modifiée prévoyait que le Parlement soit convoqué dans un délai de 10 jours
suivant une proclamation mettant les forces en service actif. Cependant,
le 8 septembre 1950, le premier ministre Saint-Laurent a déclaré : « Voici
ce qui en est, à mon avis, de la position constitutionnelle. Le parlement
n'a pas à prendre de mesure spécifique sous forme de décision dans l'affirmative. »
Il en a été de même avec les missions de l'OTAN et de l'ONU (Suez, 1956;
Congo, 1960; Chypre, 1964; Namibie, 1989; golfe Persique, 1990) : le Parlement
devait se réunir dans un délai de 10 jours, mais son rôle n'était pas précisé.
Le Parlement s'est contenté d'examiner les décisions du gouvernement. Des
procédures semblables ont été appliquées à l'occasion de la récente mission
du Canada en Afghanistan, à l'exception du fait que la participation du
Parlement a pris la forme d'un débat exploratoire exposant les intentions
du gouvernement.
Quel est donc le problème? Le pouvoir exécutif ne s'est-il pas acquitté
de façon appropriée et judicieuse de sa tâche jusqu'à présent? On pourrait
le soutenir. Mais le passé n'est pas un guide fiable pour l'avenir. Existe-t-il
d'autres solutions?
La prérogative possède des caractéristiques intéressantes. La plus importante,
en ce qui nous concerne, est que la prérogative peut être supplantée par
une loi. Non seulement une loi peut abolir ou restreindre la prérogative,
mais la Couronne ne peut plus agir en vertu de la prérogative dans les
domaines couverts par des dispositions de la loi. Il n'est pas possible
de revenir en arrière.
Cela ne signifie toutefois pas une élimination insensée. La loi peut également
protéger certaines prérogatives, ou n'avoir qu'une incidence partielle
et sélective sur celles-ci, en laissant certains domaines entre les mains
du pouvoir exécutif et en en plaçant d'autres sous la compétence du Parlement.
Le corps législatif a toutefois été relativement indolent par rapport à
son pouvoir potentiel. C'est particulièrement le cas en ce qui concerne
la guerre et les conflits. Il pourrait en être autrement.
Pensons à la Constitution des États-Unis. Selon la section 8 de l'article
premier, le Congrès dispose expressément du pouvoir de déclarer la guerre.
Le président, lui, est le commandant en chef (article II, section 2). Quand
le président a persisté à ignorer le rôle du Congrès il y a de cela quelques
décennies, le Congrès a renforcé son rôle par le biais de la Résolution
sur les pouvoirs de guerre de 1973. Cette résolution a été appliquée lors
d'opérations de maintien de la paix et d'interventions armées majeures
auxquelles ont participé les troupes américaines depuis - Liban (1983),
opération Tempête du désert (1991), Somalie (1993-1994), Bosnie (1995),
Afghanistan (2001), Iraq (2002).
À défaut d'obtenir l'approbation du Congrès pour leurs interventions militaires,
les troupes américaines doivent se retirer dans un délai de 60 jours (après
une fenêtre de 48 heures, le président doit rendre compte de l'engagement
des forces américaines) ou à tout moment à la suite de l'adoption de résolutions
concordantes par les deux chambres. Le délai peut également être prorogé.
Bien sûr, certains présidents ont tenté de passer outre ces exigences dans
d'autres contextes ou d'en contester la validité constitutionnelle, mais
cela dépasse le cadre de notre propos. Le Congrès dispose, par ailleurs,
d'outils supplémentaires, mais il n'est pas nécessaire d'en discuter ici.
Le Canada devrait disposer de sa propre loi sur les pouvoirs de guerre.
Tout ce que le Parlement doit faire, c'est adopter des mesures législatives,
et reléguer ainsi à l'histoire le déficit démocratique existant en matière
de décisions concernant l'entrée en guerre et la participation aux conflits
armés. Celle-ci devrait être soumise à l'approbation du Parlement, soit
avant l'engagement des troupes, soit dans un délai précis. Il pourrait
y être apporté des exceptions qui découlent du bon sens, comme le droit
de légitime défense du pays ou les interventions en cas d'urgence.
La nécessité d'imposer des limites au pouvoir exécutif n'a jamais été aussi
évidente. Pensons à l'intervention des troupes canadiennes en Afghanistan.
Avant le débat concernant la date butoir de février 2009, on nous a dit
que la participation durerait jusqu'à la fin de 2006; puis, qu'elle durerait
deux ans de plus; enfin, le gouvernement a fait allusion à d'autres scénarios.
Cela ne suffit pas.
De quel type de limites avons-nous besoin? L'unité de surveillance de la
démocratie du Centre des droits de la personne de l'Université d'Essex
en a proposé quelques-unes. Le Parlement peut accorder des mandats significatifs,
sans être toutefois illimités, aux forces armées en matière de conflits.
Il peut préciser la nécessité de respecter les accords internationaux et
le droit international. Il peut exiger du pouvoir exécutif qu'il rende
des comptes de façon régulière et suffisante. Il peut exiger que certaines
interventions militaires jusque-là secrètes soient rendues publiques. Il
peut renforcer le nombre de ses instruments de contrôle et d'analyse et
de ses outils juridiques afin de surveiller les situations de conflit.
Il peut fixer des seuils au-dessus et au-dessous desquels une approbation
législative est ou n'est pas nécessaire. Il pourrait exercer le pouvoir
de convoquer le Parlement si le pays est en état de guerre, et l'exercice
des pleins pouvoirs par des comités spécialisés ou mixtes dans de telles
circonstances. Il pourrait modifier ces mandats pour tenir compte de changements
dans l'opinion publique.
Le Parlement a eu l'occasion de marquer un pas vers une loi sur les pouvoirs
de guerre en juin 2007 lorsque le premier ministre Stephen Harper a annoncé
qu'il cherchait à obtenir un accord entre tous les partis de la Chambre
des communes pour poursuivre la mission en Afghanistan au-delà de la date
butoir de février 2009. Tandis qu'un tel consensus ne semble pas exister,
les partis pourraient exiger davantage, y compris que le Parlement joue
un rôle dans la déclaration de guerre de tout gouvernement à venir.
La prérogative est un pouvoir dont le temps est manifestement compté. Quand
des vies sont en jeu, les débats exploratoires et de simples commentaires
consultatifs perdent de leur valeur comme solutions de rechange dans les
décisions les plus profondes. Une loi sur les pouvoirs de guerre éliminerait
la possibilité que le Parlement entre un jour en guerre comme un somnambule.
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