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Gary Levy
The People's House of Commons : Theories of Democracy in Contention,
par David E. Smith, Toronto, University of Toronto Press, 2007.
Au cours des quarante dernières années, David Smith a été l'un des piliers
de l'establishment des sciences politiques. Cet ouvrage est le dernier
d'une trilogie consacrée au Parlement, les deux premiers étant The Invisible
Crown et The Canadian Senate in Bicameral Perspective.
Bien qu'il soit maintenant retraité de l'Université de la Saskatchewan,
David Smith est encore fréquemment sollicité pour témoigner devant des
comités parlementaires et participer à des conférences portant sur les
institutions politiques canadiennes. Il est reconnu pour ses connaissances
approfondies des principes et des conventions du régime de Westminster,
qu'il a d'ailleurs partagées avec des générations d'étudiants, dont beaucoup
sont aujourd'hui devenus législateurs.
Au fil des ans, les propositions de réforme portant, par exemple, sur l'élection
du Sénat, la représentation proportionnelle et la tenue d'élections à date
fixe, ont dû résister à son analyse perspicace. S'il prend souvent position
en faveur du statu quo, c'est toujours après s'être interrogé sérieusement
sur les mérites du statu quo et de la réforme proposée. Un ouvrage de lui
qui traite d'une de nos plus importantes institutions politiques représente
donc une lecture incontournable.
Le premier chapitre reprend les principes constitutionnels sur lesquels
se fonde la Chambre des communes ainsi que les aspects qui différencient
la Chambre canadienne de son homonyme britannique. Il passe en revue les
contestations dont la Chambre fait l'objet, que ce soit en raison de l'intervention
des tribunaux, de la prolifération de hauts fonctionnaires parlementaires
maintenant investis de fonctions qui devraient normalement être dévolues
aux députés ou de l'action d'organisations de citoyens autoproclamées comme
Démocratie en surveillance et le Mouvement pour la représentation équitable
au Canada.
Les trois chapitres suivants ont pour thème la démocratie parlementaire,
la démocratie constitutionnelle et la démocratie électorale. Avec la rigueur
qu'on lui connaît, l'auteur passe en revue les ouvrages universitaires
et populaires traitant de chacune de ces questions, sans vraiment révéler
son point de vue sur bon nombre des critiques recensées. Son observation
la plus révélatrice est sans doute celle selon laquelle si le Canada s'est
distingué auparavant par sa détermination à faire uvre de pionnier en
matière de démocratie parlementaire fédérale, sa principale particularité
réside maintenant dans la priorité qu'il accorde aux valeurs plutôt qu'aux
institutions. Cette transformation revêt une importance peu commune pour
l'avenir de l'assemblée populaire au sein du Parlement (p. 50). M. Smith
laisse toutefois au lecteur le soin de tirer ses propres conclusions de
l'expérience d'autres pays qui ont élevé les valeurs au rang de croyances,
et de décider si nous voulons vraiment que le Canada leur emboîte le pas.
Il explique aussi comment de nombreuses influences américaines se sont
peu à peu insinuées dans le tissu même de la Constitution et de la Chambre
des communes canadiennes. Les campagnes électorales s'étendent maintenant
sur toute l'année entière. Le travail de circonscription s'est énormément
accru. À la Chambre, on réclame davantage de freins et contrepoids et on
demande, par exemple, à ce que les parlementaires participent aux processus
de nomination. Bien sûr, la notion de freins et contrepoids reflète l'opinion
selon laquelle le gouvernement est une force négative qui a constamment
besoin d'être mise au pas. La fusion de l'exécutif et de l'assemblée législative
qui caractérise le gouvernement de style Westminster témoigne d'une perspective
très différente.
Après avoir passé en revue toutes les critiques formulées par différents
spécialistes au sujet de la Chambre des communes, Smith en arrive à une
conclusion plutôt curieuse dans l'avant-dernier chapitre de son ouvrage.
Il y affirme, en effet, que le Canada possède une meilleure chambre des
communes que ce qu'en disent ses détracteurs et que celle-ci est peut-être
même meilleure que ce qu'en disent les théories (p. 116). Dans cette section,
il se lance dans une digression utile pour s'attarder au débat sur les
avantages de la représentation proportionnelle par rapport au système uninominal
à un tour. Il soutient que le mécanisme utilisé pour choisir les députés
ne peut faire abstraction de la qualité des candidats choisis. Si nous
sommes insatisfaits de la façon dont nos assemblées législatives fonctionnent,
il est logique de s'attarder à la façon dont leurs membres sont choisis
d'où l'étude engagée depuis une dizaine d'années sur la représentation
proportionnelle au Canada.
Il fait ensuite valoir, bien qu'indirectement, que les partisans d'une
réforme électorale ne devraient pas tant miser sur les chiffres, c'est-à-dire
sur la correspondance exacte du nombre de sièges remportés avec le vote
populaire. Ils devraient plutôt invoquer comme argument que la forme particulière
de représentation proportionnelle qu'ils proposent conférerait une plus
grande crédibilité au fonctionnement de l'assemblée législative. C'est
certes là un conseil utile et d'actualité à adresser à ceux qui tenteront
de défendre l'idée de la représentation proportionnelle lors des élections
prochaines en Ontario et subséquemment en Colombie- Britannique.
Deux réserves méritent toutefois d'être formulées au sujet de cet ouvrage.
D'abord, l'auteur ne fournit guère de détails sur les réformes de la procédure
susceptibles d'améliorer sensiblement le fonctionnement de la Chambre et
n'approfondit pas non plus certaines des autres questions qu'il aborde,
comme le conflit entre le privilège parlementaire et la Charte. Cependant,
David Smith n'est pas un spécialiste de la procédure et que ce genre d'idées
devra venir d'ailleurs.
L'autre réserve a trait à sa proposition portant sur la création d'une
commission royale sur la constitution qui serait chargée d'étudier la loi,
les conventions, les usages et les interprétations coutumières qui servent
de balises au gouvernement parlementaire au Canada (p. 140). Toutefois,
son argument selon lequel la clé du changement doit procéder d'une compréhension
du passé, en particulier du passé parlementaire britannique, est moins
convaincant.
Ce raisonnement élude deux questions cruciales. D'abord, une démocratie
assujettie à un processus électoral constitue-t-elle la meilleure façon
de choisir les personnes appelées à exercer les fonctions dévolues à une
chambre des communes? Ensuite, va-t-il vraiment de soi que les institutions
parlementaires telles que nous les connaissons sont les mieux habilitées
à gérer les affaires publiques?
Lorsque vient le temps de formuler des politiques, les fonctionnaires et
les groupes de réflexion interviennent beaucoup plus que le Parlement dans
le travail d'élaboration et de consultation qui précède l'adoption de politiques
gouvernementales.
Lorsque vient le temps de passer les programmes au peigne fin, l'intervention
du vérificateur général, d'une multitude d'organismes non gouvernementaux
et d'une presse libre suffit amplement à garantir la reddition de comptes
souhaitée.
Lorsque vient le temps de parler de liberté, c'est à notre système judiciaire
indépendant que nous faisons appel pour protéger nos droits.
Lorsque vient le temps de parler de représentation, les sondages d'opinion
donnent une idée à peu près aussi fidèle de la volonté du peuple qu'un
scrutin, et Internet assure un lien direct entre l'État et les citoyens.
La véritable question à poser est peut-être la suivante : collectivement,
notre qualité de vie en souffrirait-elle si les activités du Parlement
étaient suspendues pour une décennie? Une telle interruption s'est effectivement
produite à l'époque de Cromwell et, plus récemment, à Terre Neuve dans
les années 1930. Dans les deux cas, le Parlement a été rétabli. Il reste
cependant que nous devons réfléchir aux choses que nous aurions à perdre
si nous renoncions à avoir un Parlement et aux raisons pour lesquelles
nous tenons à avoir un.
La réponse à cette question ne se trouve pas seulement dans l'histoire
britannique. Par contre, l'expérience de certaines entités récemment constituées,
comme les assemblées de citoyens créées en Colombie- Britannique et en
Ontario pour se pencher sur la réforme électorale, peut être utile à cet
égard. Dans les deux cas, les membres de ces assemblées ont été choisis
au hasard plutôt que par élection, et pourtant, dans chaque cas, leur composition
s'est avérée plus représentative que celle de notre chambre élue. Dans
les deux cas, ces assemblées ont eu à se pencher sur une question d'intérêt
public et elles ont commencé par se documenter sur la question. Elles ont
mené de vastes consultations et, au bout du compte, elles ont délibéré
de façon civilisée et respectueuse avant d'en arriver à une décision. N'est-ce
pas exactement là ce à quoi nous nous attendons de la part d'une chambre
des communes? Les assemblées de citoyens se sont réunies de façon ponctuelle
et n'ont pas disposé d'autant de ressources que les députés fédéraux et
provinciaux. Dans les deux cas, la participation a été élevée et les membres
se sont attelés à leur tâche avec enthousiasme. Les deux assemblées en
sont arrivées à des décisions différentes, mais leur légitimité n'a pas
été remise en question parce que le processus qu'elles ont suivi a été
perçu comme étant juste et impartial. Bien sûr, la portée de cette analogie
est limitée. Les assemblées de citoyens n'avaient pas à trouver de façon
de financer leur proposition ou à en prendre la responsabilité; elles n'avaient
pas non plus à jongler avec plus d'une question à la fois. Cependant, leurs
travaux ont été suffisamment concluants pour nous inciter à envisager la
possibilité que les élections, les partis politiques et les institutions
législatives, dans leurs formes actuelles, ne soient peut-être pas la meilleure,
ni la seule façon d'atteindre nos objectifs de croissance économique, de
stabilité sociale, de pluralisme et de liberté individuelle. Se pourrait-il
que la création d'une assemblée de citoyens à temps partiel dont les membres
seraient choisis au hasard parmi les personnes intéressées, jumelée à l'intervention
de toutes les autres entités extraparlementaires qui ont vu le jour, nous
assure un aussi bon gouvernement que n'importe quelle autre chambre des
communes réformée à laquelle une recommandation de commission royale pourrait
donner naissance?
L'ouvrage de David Smith est le fruit d'une profonde réflexion et il soulève bon
nombre de questions importantes. Il semble cependant que certaines sont passées
sous silence, même par un des plus prolifiques auteurs d'études sur le Parlement
que le Canada ait jamais produit.
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