PDF
L'hon.
Howard Pawley
Daprès les sondages, les Canadiens ne respectent plus leurs partis et
leurs institutions politiques. Ils sont plus enclins à manifester ou à
travailler pour des groupes dintérêts pour influencer la politique publique,
considérant que les partis sintéressent moins à leurs vues quà des collectes
de fonds et à des manuvres électorales. Lauteur, qui se fonde sur des
dizaines dannées consacrées à la vie politique et à des études universitaires
de la politique, propose quelques idées qui pourraient permettre à nos
partis et à nos institutions de retrouver la faveur du public.
Aujourdhui, les partis ne font pas participer leurs membres à lélaboration
des politiques. Or, les membres souhaitent faire plus quarborer un macaron
pendant les campagnes électorales et recueillir des fonds le reste du temps.
Ils doivent prendre part à lélaboration des politiques. Les députés et
les candidats étaient mis à contribution pour aider à réaliser cet exercice
dans toute la province. Lidée de cette participation est née dune discussion
que jai eue avec Tommy Douglas pendant que je le ramenais en voiture à
Winnipeg, après un discours prononcé à Brandon. Je lui avais demandé conseil
au sujet des querelles internes qui avaient entraîné le départ de trois
membres du caucus. Il avait répondu : « Tenez les membres de votre caucus
occupés. Chargez-les détudier la politique publique. Les plus beaux jardins
sont ceux qui sont bien entretenus. Ils se sentiront plus utiles et pourront
contribuer davantage. En même temps, ils montreront au public quils appartiennent
à un parti dopposition disposé à écouter ceux quil souhaite gouverner. »
Plus je réfléchissais au conseil de Tommy, plus je me rendais compte quil
avait tapé dans le mille.
Au Manitoba, durant les années 1980, nous avions réussi, dans une très
grande mesure, à trouver des moyens novateurs de renforcer le rôle des
députés darrière-ban à lAssemblée législative. Nous avions de vrais votes
au caucus, des votes lors desquels tous les membres, y compris les ministres,
étaient traités en égaux. Des membres du caucus assistaient et participaient
aux réunions des comités du Cabinet, et ils en rendaient compte aux autres
membres. Le caucus avait toujours droit à des séances dinformation sur
les détails des prévisions budgétaires et des projets de loi envisagés.
Il devait approuver le calendrier détaillé du processus législatif. Je
crois personnellement que nous aurions dû aussi prévoir un plus grand roulement
des membres du caucus au sein du Cabinet. La proposition de Belinda Stronach
relative à lélection des ministres par le caucus a un certain mérite,
même si les éditorialistes lont trop facilement écartée dun revers de
main. Bien sûr, le premier ministre devrait continuer à désigner les ministres.
Les éditorialistes ont soutenu quun tel système favoriserait la formation
de factions au sein du caucus. Cest peut-être un peu vrai, mais il réduirait
aussi, dans une mesure raisonnable, le pouvoir excessif que certains premiers
ministres provinciaux exercent sur les affaires du caucus. Il conviendrait
peut-être denvisager un système plus équilibré, comme celui de la Nouvelle-Zélande
ou de lAustralie.
Nous pourrions aussi utiliser dune façon plus efficace nos adjoints législatifs.
Nous devrions recourir plus souvent aux membres du caucus au cours des
réunions de divers comités organisées avec le public avant le dépôt de
projets de loi. Enfin, davantage de motions et de projets de loi émanant
de simples députés devraient atteindre le stade du vote. La Chambre devrait,
en outre, jouer un plus grand rôle dans lapprobation des nominations importantes.
Même sil y a des cas où il faudrait encourager des votes libres, il faudrait,
selon moi, éviter un enthousiasme excessif dans ce domaine. Tout dabord,
si les membres dun caucus apprennent à travailler ensemble comme une seule
équipe, les votes libres deviennent peut-être moins nécessaires. Malheureusement,
ces votes peuvent monter les députés les uns contre les autres dans un
lieu public et créer des dissensions inutiles, ce quil est préférable
déviter. Ensuite, sil y a trop de votes libres, un député faible peut
céder aux pressions de puissants groupes de lobbying et se désolidariser
des autres membres du caucus, sexposant ainsi à être traité en paria.
Je me souviens des menaces que nous avons dû affronter lors de lintroduction
du régime public dassurance automobile en 1970 et, plus tard, de lexamen
de la loi imposant aux automobilistes le port de la ceinture de sécurité,
de la loi imposant le casque aux motocyclistes et des modifications législatives
touchant lorientation sexuelle. Les mêmes pressions se sont exercées au
sujet de notre loi controversée sur le bilinguisme.
Il faudrait en faire beaucoup plus encore pour remédier aux lacunes du
système de parti. Premièrement, nous devons décourager la pratique consistant
à garantir la candidature des titulaires ou à permettre aux chefs de parti
de désigner des candidats locaux. Deuxièmement, nous devons nous débarrasser
davantage de linfluence des grandes organisations. Ne nous leurrons pas,
ceux qui paient veulent tenir les rênes. Il faut reconnaître que le gouvernement
Chrétien, avec lappui des partis dopposition, a limité les contributions
des sociétés, des syndicats et des particuliers et a assuré un certain
financement public aux partis politiques. Il faut également reconnaître
que lactuel gouvernement conservateur, également avec lappui de lopposition,
réduit encore plus les contributions des sociétés et des particuliers.
Même si les lois contiennent encore bien trop déchappatoires, ce sont
dimportantes mesures. Malheureusement, les doutes qui subsistent au sujet
de lapplication de ces dispositions sont renforcés par lincapacité du
directeur général des élections de veiller à ce que les partis fédéraux
nenfreignent pas les règles relatives au financement politique.
Troisièmement, nous devons combattre les abus liés à la publicité de tiers
afin déviter les problèmes qui assaillent les campagnes politiques américaines.
Quatrièmement, il faut rétablir léquilibre dans les règles du jeu régissant,
dune part, les organisations qui défendent les intérêts des consommateurs
et des défavorisés et, de lautre, les lobbyistes travaillant pour le compte
des riches et des puissants qui bénéficient de généreuses subventions fiscales.
Beaucoup des récentes controverses qui ont terni la réputation du gouvernement
libéral précédent étaient liées aux liens réels ou perçus entre les contributions
politiques et les faveurs accordées par la suite.
Notre gouvernement a été, avec quelques autres gouvernements provinciaux,
parmi les premiers à faire adopter des lois sur les conflits dintérêts
et la liberté daccès à linformation. Des mesures ont été prises pour
assurer le financement des bureaux de circonscription, ce qui a permis
aux députés provinciaux de mieux servir leurs électeurs. Des limites ont
été imposées sur les dépenses électorales des partis politiques, qui ont
reçu des fonds publics pour payer ces dépenses. Ces initiatives ont joué
un rôle important dans la réduction de linfluence disproportionnée des
riches et des puissants sur le processus démocratique.
Importance de la consultation
Peu après les élections de 1969, qui avaient porté Ed Schreyer au pouvoir
comme premier ministre du Manitoba, jai appris une leçon qui ma convaincu
des avantages de la consultation de la population. Nouvellement nommé ministre
responsable du dossier controversé de lassurance automobile, je présidais
le comité qui avait entrepris une tournée de la province pour recevoir
des témoignages verbaux et des mémoires écrits sur la faisabilité dun
régime public dassurance automobile. Les automobilistes de la province
nous avaient alors fait part de nombreuses expériences vécues. Même si
ce dossier a sans doute été lun des plus controversés de lhistoire du
Manitoba, lapport de la population sest révélé lélément capital qui
nous a permis de recommander ladoption dun régime public, malgré lopposition
farouche du secteur de lassurance.
Plus tard, dans les années 1980, jai été témoin dune expérience malheureuse
due au manque de consultation du public au sujet de lAccord de libre-échange
Canada-États-Unis. Le secteur des sociétés avait beaucoup participé aux
discussions avec Washington ainsi quà la négociation subséquente de lALENA,
mais lapport des autres secteurs de la société a été très réduit, sinon
nul. Mon gouvernement avait, en fait, organisé en 1987 une série daudiences
publiques destinées à connaître lopinion des gens sur lAccord de libre-échange.
La participation aux réunions a dépassé de loin toutes nos attentes et
a maintenu la tradition de la consultation des différentes communautés
de la province.
Avant ladoption, en 1987, de notre Loi sur lenvironnement, nous avions
transmis des documents à tous les groupes de la province qui pouvaient
sy intéresser, y compris les municipalités, les groupes environnementaux,
les organisations agricoles, les sociétés de production et de distribution
de produits chimiques, pour quils puissent étudier le projet de loi et
envisager de présenter des commentaires par écrit ou aux réunions organisées
partout dans la province. Les consultations ont, en fait, été très complètes.
Cétait loccasion de rencontrer les Manitobains, de les écouter et aussi
de les convaincre de la nécessité dadopter des mesures législatives environnementales
plus strictes et plus étendues. Même ceux qui sinquiétaient de certains
aspects du projet de loi, estimant quil leur imposerait un lourd fardeau,
étaient reconnaissants parce quils avaient eu la possibilité dexprimer
leur point de vue.
Nous avions entendu le témoignage de quelque 400 citoyens, membres de la
communauté des affaires, environnementalistes et agriculteurs, et avions
reçu une soixantaine de mémoires. Ce fut une occasion de susciter la confiance
et de persuader ces gens de la nécessité pratique de mesures plus sévères
pour protéger notre environnement, mesures qui assureraient au Manitoba
une économie plus saine à long terme. Les consultations se sont révélées
utiles pour tous les intéressés, y compris notre gouvernement, à titre
de promoteur du projet de loi. Nous avons reçu des observations très utiles
qui nous ont aidés à améliorer celui-ci. Cétait le genre de projet de
loi qui aurait pu nous causer tous les ennuis du monde à lAssemblée et
en comité si nous navions pas associé des Manitobains de différents secteurs
au processus de rédaction. Ce fut le début dune nouvelle ère de protection
de lenvironnement au Manitoba.
À lépoque, cétait, de toutes les lois environnementales du Canada, celle
qui avait la plus grande portée et qui était la plus complète, la plus
actuelle et la plus axée sur lavenir. Même aujourdhui, elle reste pertinente
presque sans avoir subi de modifications. Les gouvernements, tant au niveau
fédéral que dans les provinces, auraient beaucoup à apprendre de ce processus
de consultation.
La consultation implique aussi de permettre aux députés de lopposition
de jouer un rôle plus utile. Je me souviens, du temps où jétais procureur
général du Manitoba, des avantages quil y avait à associer des députés
de lopposition aux décisions. Nous avions réussi à persuader certains
dentre eux de travailler avec nous sur ce qui était, à lépoque, le projet
de loi le plus progressiste du pays sur la répartition à parts égales des
biens entre les époux en cas de divorce. Quelques-uns de ces députés ont
même voté pour le gouvernement sur cette question.
Le fait daller de lavant sans consulter suffisamment nuit à la qualité
des propositions, quelles soient constitutionnelles ou autres.
Responsabilité et transparence
Je crois quil est essentiel de se méfier sérieusement de la tendance à
remédier à toutes les lacunes en matière de responsabilité et de transparence
en adoptant simplement de nouvelles lois. Trop souvent, nous ne nous rendons
pas compte quaucune loi ne suffira à prévenir les abus de pouvoir des
gouvernants. À mon avis, la meilleure façon de pallier le manque de jugement
consiste, le plus souvent, à inculquer plus de sensibilité et de conscience
aux décideurs.
Les problèmes du gouvernement découlent fréquemment non de ses principales
responsabilités ministérielles, mais des organismes et sociétés dÉtat
qui échappent au contrôle direct des ministres. Le politicologue Paul Thomas,
de lUniversité du Manitoba, a bien résumé la situation dans le passage
suivant :
« Il sagit dorganismes qui ne font pas partie des grands ministères, mais
dont les ministres doivent rendre compte à lAssemblée législative, sans
en être directement responsables. La réputation des ministres et du gouvernement
peut cependant être atteinte lorsque des choses se passent. À mesure que
les gouvernements réduisent la taille de leur fonction publique et comptent
de plus en plus sur des organismes extérieurs pour concevoir et mettre
en uvre leurs programmes, la chaîne de responsabilité sallonge et finit
souvent par comprendre un maillon faible au sein des conseils dadministration
qui ne fait pas preuve dune prudence suffisante1. »
Il arrive souvent que lopposition et les médias jouent sur les deux tableaux
pour ce qui est du rôle des ministres dans la gestion dune société dÉtat.
Autrement dit, ils tiennent les ministres directement responsables de toute
difficulté connue par une société dÉtat, et même parfois par un organisme
public, de même que, bien entendu, des mesures à prendre pour y remédier.
En même temps, ils vont taxer une intervention ministérielle directe d« ingérence »
qui compromet lindépendance de la société ou de lorganisme dans la définition
et lapplication de son propre plan dactivités.
Les sociétés dÉtat et les organismes publics doivent faire attention non
seulement à leurs résultats, mais aussi à leur rôle au service de la collectivité.
Par exemple, contrairement au secteur privé, la Société dassurance publique
du Manitoba ne fixe pas de taux différents en fonction de lâge et du sexe,
estimant que, même si ces facteurs sont mesurables, ils nont pas à être
pris en compte dans une saine politique publique. À linstar de lancienne
Société de téléphone du Manitoba, la Régie de lhydro-électricité applique
une politique dinterfinancement pour baisser le tarif des services en
milieu rural et dans le nord de la province parce quelle croit que tous
les citoyens, où quils vivent au Manitoba, ont droit à des services publics
de base dun niveau équivalent.
Il arrive, malheureusement, que les sociétés dÉtat se fixent des objectifs
à court terme ou des objectifs de survie qui entrent souvent en conflit
avec les objectifs sociaux ou économiques à long terme du gouvernement.
Les mesures qui sont alors prises peuvent être coûteuses pour les contribuables.
Léchec est souvent attribuable à une mauvaise gestion. Il est arrivé,
par exemple, que les processus assurant la responsabilité de la société
dÉtat envers le ministre, le Cabinet, lAssemblée et la population ne
soient pas assez robustes. Trop souvent, les grandes décisions stratégiques
reflètent la vision de fonctionnaires plutôt que celle des politiciens.
Il arrive aussi que ceux-ci tentent déchapper à des responsabilités qui
leur incombent très clairement. Il nest pas difficile de trouver des exemples
sous quatre gouvernements successifs.
Limpression que les sociétés dÉtat « échappent à tout contrôle » persiste
dans le public. Des ministres sont tenus responsables malgré des circonstances
potentiellement indépendantes de leur volonté. Des conseils dadministration
nont pas su comprendre leur rôle parce quils concentraient leur attention
davantage sur les opérations que sur les enjeux stratégiques et la politique
publique. Peut-être ce rôle ne leur avait-il pas été clairement expliqué
dans leur mandat. Parfois, des organismes comme la Société dassurance
publique du Manitoba ou la Société de téléphone du Manitoba nont pas su
prévoir des difficultés ou recourir à des techniques appropriées de gestion
des crises pour limiter les dégâts. Au début de notre mandat, nous avions
malheureusement omis de mettre en uvre des réformes dans le secteur des
sociétés dÉtat afin de resserrer la responsabilité. Si nous lavions fait,
nous aurions peut-être évité certaines des difficultés que nous avons connues
pendant nos deux dernières années au pouvoir.
En 1986, mon équipe était persuadée que de meilleurs processus étaient
essentiels au maintien de la responsabilité des sociétés dÉtat. Le gouvernement
et les électeurs exigeaient une pleine responsabilité.
Considérant tous les facteurs intervenant dans la responsabilité, le contrôle,
lautonomie et le rendement des sociétés dÉtat, le gouvernement a fait
adopter en 1987 la Loi sur lobligation redditionnelle des corporations
de la Couronne. Malheureusement, cette mesure législative a, par la suite,
été radicalement modifiée. La structure quelle établissait était conçue
pour définir avec précision les responsabilités de tous les intéressés.
Un système dalerte était nécessaire pour avertir les responsables politiques
de toute mesure envisagée par les sociétés. La responsabilité politique
se traduisait dans le droit quavait le public dêtre au courant des intentions,
des succès et des échecs.
La transparence est également essentielle lors de lapprobation des tarifs.
Par exemple, les tarifs dassurance automobile annoncés par mon gouvernement
en décembre 1987 avaient suscité une réaction hostile parce que le public
nétait convaincu ni de leur équité ni de leur nécessité. Il est dailleurs
malheureux que nous nayons pas songé à faire faire une étude indépendante
des tarifs dassurance automobile. Après notre mandat, le gouvernement
conservateur, tirant la leçon de notre expérience, a imposé lapprobation
de toutes les hausses de tarif par la Régie des services publics. Une plus
grande transparence était essentielle.
La transparence revêt également une importance capitale en cas dallégations
sérieuses dinconduite de la part des ministres. Je suis fier du comportement
de mes ministres pendant notre mandat, mais il y a eu quelques cas où la
divulgation des faits et une démission simposaient.
Il y a eu un cas de ce genre en 1987. Lun de mes ministres avait eu un
petit accrochage en voiture après avoir pris quelques verres. Il mavait
téléphoné pour men informer très tôt le lendemain matin. Je lui ai dit :
« Cest une situation où on ne peut pas gagner, mais vous avez au moins
la possibilité de paraître très honnête. Convoquez une conférence de presse
avant que les médias naient vent de laffaire et annoncez votre démission. »
Ce fut un moment très triste, parce que cet homme sétait montré hautement
compétent dans ses fonctions ministérielles. Contrairement à dautres,
il navait pas essayé de se soustraire à ses responsabilités. La réaction
du public à son annonce a été favorable. Il a plaidé coupable, a payé lamende,
sest inscrit à un centre de désintoxication et a pris volontairement la
décision détendre à cinq ans la suspension dun an de son permis de conduire.
Après une période raisonnable, il a été réintégré dans le Cabinet et sest
fort bien acquitté de ses fonctions de ministre.
Un autre incident sest produit peu après notre réélection, en 1986. Cherchant
à ternir la réputation dun membre important et très respecté du Cabinet
et de notre gouvernement, un journal de Winnipeg a publié de graves accusations
en manchette, affirmant quun « associé » du ministre avait obtenu un contrat
de la Régie de lhydro-électricité. Au cours du week-end de la fête de
Victoria, le journal a publié six articles exposant en détail les investissements
du ministre dans un édifice du centre-ville, alléguant quil avait attribué
un contrat de services consultatifs à un consultant et à un locataire de
lédifice. Lopposition sest mise de la partie, réclamant la démission
du ministre. Le dimanche, jai discuté avec lui de la situation. Nous venions
dapprendre quun rédacteur en chef qui venait de charger un journaliste
de couvrir lAssemblée législative lui aurait dit, sur un ton mi-sérieux
mi-plaisant, quil sattendait à la démission dun ministre avant Noël.
Jétais sûr quil ny avait pas de conflit dintérêts, mais nous avons
quand même décidé déviter toute perception dun tel conflit.
Au cours de notre conversation téléphonique, nous avons décidé quil était
préférable que le ministre annonce sa démission du Cabinet et que jannonce,
de mon côté, linstitution dune enquête judiciaire sous la direction de
lancien juge en chef Samuel Freedman. Freedman était un éminent juriste,
fort respecté dans tous les milieux du Manitoba. Il a terminé son enquête
en juillet et a totalement exonéré le ministre. Ce faisant, il a formulé
quelques remarques cinglantes à lendroit du Winnipeg Free Press. Il a
déclaré, par exemple, quen disant du locataire quil était lassocié du
ministre, sans autres explications, le journal « avait ridiculement abusé
de la langue ». Freedman a conclu non seulement que le ministre ne sétait
pas placé dans une situation de conflit dintérêts, mais quon ne pouvait,
en fait, rien lui reprocher. Léquipe denquêteurs du journal avait omis
dinterroger directement les locataires. Si elle lavait fait, elle aurait
constaté que les locataires ayant les plus gros contrats avaient emménagé
dans lédifice avant larrivée au pouvoir du gouvernement néo-démocrate
et avant que le ministre ninvestisse de largent dans lédifice. Elle
aurait également découvert que quelques-uns des principaux locataires avaient
des liens avec les conservateurs et avaient obtenu des contrats du gouvernement
pendant que ceux-ci étaient au pouvoir. Le juge Freedman a bien résumé
laffaire en affirmant que « bien des efforts ont été déployés, tout à fait
à tort, pour ternir une réputation ».
Après la publication du rapport Freedman, le journal a reconnu quil avait
combiné toute une série de faits sans lien les uns avec les autres pour
leur donner un aspect sinistre. Malheureusement, cet aveu est venu trop
tard. Le ministre avait été dénigré en public, et lorsque les éditorialistes
lont reconnu, il avait déjà été exonéré : cétait de la vieille histoire.
À son retour au Cabinet, le ministre a été chaudement accueilli. Il a pu
continuer à travailler pour nous dans les domaines de la santé et de lénergie.
Relations fédérales-provinciales
On ne peut exercer pendant une dizaine dannées les fonctions de premier
ministre dune province sans apprendre quelques leçons au sujet des relations
fédérales-provinciales. À mon avis, il faut déployer tous les efforts possibles
pour favoriser les mécanismes de coopération fédéraux-provinciaux, car
il est essentiel que les gouvernements coordonnent mieux leur action et
fassent preuve dune plus grande efficacité pour sattaquer aux problèmes
de plus en plus graves que connaissent aujourdhui les Canadiens. Il est
impératif déviter, à lavenir, les changements unilatéraux comme ceux
que nous avons vus dans les arrangements fédéraux-provinciaux portant,
par exemple, sur la péréquation et dautres programmes de partage des coûts.
Les gouvernements doivent travailler tous ensemble pour inverser la tendance
à laggravation des problèmes dont nous sommes témoins au Canada de nos
jours. La période de laprès-guerre a été marquée par une forte coopération.
En ce nouveau millénaire, nous ne pouvons ni tolérer ni nous permettre
les querelles partisanes et de compétence.
De graves erreurs ont été commises dans le passé lors des négociations
constitutionnelles. En rétrospective, il est clair que le processus du
lac Meech na pas permis aux Canadiens de participer au débat. Les discussions
constitutionnelles doivent aller au-delà des gouvernements. Comme la signalé
Allan Cairn, « la Charte met en jeu les intérêts des élites des groupes
qui y sont reconnus, qui sont passées du rôle de spectateurs à celui de
joueurs. Il en est de même des peuples autochtones pour qui la Constitution
peut devenir un moyen déchapper à leur situation de marginalisés » 2.
Aujourdhui, les gouvernements ne sont plus les seuls intéressés dans le
processus constitutionnel. La population doit être consultée dune manière
plus active que dans le passé. Si le rapatriement de la Constitution en
1982 et les négociations du lac Meech (1987-1990) avaient suivi un processus
différent, nous aurions peut-être aujourdhui plus dunité au Canada plutôt
que moins. En 1981, Hugh Winsor a eu raison daffirmer que les Canadiens
nétaient pas du tout sûrs que les premiers ministres provinciaux et le
premier ministre fédéral parlaient en leur nom dans le domaine constitutionnel.
Cest encore le cas aujourdhui3.
Le processus du lac Meech comportait plusieurs erreurs, dont les suivantes :
-
Les premiers ministres provinciaux auraient dû surmonter les déceptions
et lamertume qui ont découlé des conférences constitutionnelles sur les
droits des Autochtones des années 1980. La question de lautonomie gouvernementale
des Autochtones aurait dû faire partie de lordre du jour du lac Meech.
-
Avant daccepter laccord, les premiers ministres provinciaux auraient
dû insister pour obtenir les détails du processus que le gouvernement fédéral
se proposait de suivre pour consulter les Canadiens. La voie empruntée
par la suite a été extrêmement mal pensée et a fini par aboutir à des résultats
autodestructeurs. De toute évidence et indépendamment des motifs invoqués,
le processus aurait dû être beaucoup plus ouvert. Il aurait fallu tenir
des audiences à léchelle nationale et inviter tous les intéressés à y
participer, comme cela sest produit au Manitoba. Les premiers ministres
provinciaux, y compris moi, auraient dû refuser de rester à la séance de
négociation qui sest prolongée pendant 18 heures à lédifice Langevin.
Le processus était mauvais en soi, sans compter que, pour les gens, ce
nétait rien de plus que « onze hommes en cravate » qui assumaient trop de
responsabilités au détriment du processus démocratique.
-
Cétait une erreur daller de lavant en affirmant quaucun changement
ne pouvait être entrepris, à moins davoir à remédier à une erreur monumentale.
Cette impression régnait à la réunion tenue par les premiers ministres
à St. Johns en 1987, lorsque les premiers ministres Ghiz et Peterson et
moi-même avions essayé, sans succès, de convaincre nos homologues de la
nécessité de préciser le libellé de laccord concernant la protection des
droits à légalité dans la Charte. Malheureusement, nous avons été confrontés
à la même position catégorique plus tard lorsquon nous a dit que des négociations
complémentaires étaient inacceptables.
-
La fixation dun délai ferme a également été une erreur. Par ailleurs,
il naurait pas fallu attendre dêtre à quelques semaines de lexpiration
dune exigence constitutionnelle de trois ans pour rechercher une solution
définitive. Comme nous lavons constaté plus tard dans le cas de lAccord
de Charlottetown, il est imprudent de donner ou de sembler donner un ultimatum.
-
En ce qui concerne le Manitoba des années 1980, un autre point est évident :
mon gouvernement a eu tort dhésiter un peu trop longtemps à accepter la
tenue daudiences publiques sur la controverse du français. Les gens ont
pris pour de larrogance notre préoccupation au sujet de la participation
du public. Cette impression a été renforcée par le fait que notre gouvernement
a semblé vouloir faire abstraction de lopinion publique, telle quelle
sétait exprimée dans les différents plébiscites locaux tenus à lépoque.
Lintervention du gouvernement fédéral dans cette affaire, notamment ladoption
de deux résolutions unanimes à la Chambre des communes, na certainement
pas aidé, suscitant des réactions plus négatives que positives un peu partout
dans la province. Laction fédérale a été interprétée à tort comme étant
inspirée par le Québec. Au mieux, elle na pas eu deffets; au pire, elle
a sensiblement nui à nos efforts destinés à régler le problème dans le
cadre du processus politique manitobain. Pour les gens, Mulroney et Trudeau
cherchaient à défendre les intérêts du Québec au niveau fédéral, et leurs
interventions nétaient que des pilules empoisonnées au Manitoba, comme
partout ailleurs dans lOuest. Il y a de précieuses leçons à tirer des
erreurs que nous avons commises en essayant de modifier la Constitution.
Il est possible de les éviter à lavenir, car, tôt ou tard, il faudra bien
sy remettre.
Le contrat dentretien des CF-18 a suscité une autre crise. En 1986, les
gens de lOuest ont été furieux lorsque le gouvernement fédéral a rejeté
une soumission plus avantageuse et moins coûteuse dune entreprise de Winnipeg
pour attribuer le contrat à une société montréalaise. Ottawa avait alors
invoqué des considérations spéciales pour justifier la nécessité de faire
faire le travail dans le Canada central. Le fait, pour le gouvernement
fédéral, de favoriser une région ne peut manquer doccasionner dans les
autres des conflits aux graves conséquences politiques. Cette affaire a
donné naissance au Parti réformiste qui a réussi, en lespace de quelques
années, à supplanter complètement les conservateurs dans lOuest. Le manque
de transparence dans lattribution du contrat dentretien des CF-18 a sérieusement
miné la confiance du public dans le processus de décision fédéral.
Réforme démocratique
Beaucoup dautres questions méritent notre attention. Il est essentiel
de réduire la concentration du pouvoir aux mains du premier ministre du
Canada et de son cabinet. Dans notre pays, les premiers ministres provinciaux
et fédéral possèdent probablement des pouvoirs inégalés dans les autres
pays démocratiques développés. Le premier ministre du Canada procède à
toutes les nominations importantes, y compris celles du gouverneur général,
des sénateurs, des juges de la Cour suprême et des dirigeants des principaux
conseils et commissions. Les mêmes préoccupations sappliquent aux assemblées
législatives provinciales. De ce fait, les médias ont tendance à concentrer
leur attention sur les dirigeants et choisissent ceux quils vont cibler.
Cela est attribuable au pouvoir personnel du premier ministre. Je vais
maintenant conclure en vous faisant part de quelques réflexions sur la
réforme démocratique.
Une vraie réforme démocratique de nos institutions politiques imposera
probablement de modifier la Constitution, ce qui pose un problème au Canada.
Je veux néanmoins mettre en évidence quelques domaines dans lesquels je
crois quil est impératif dagir.
Tout dabord, jestime que le Canada devrait se joindre à la grande majorité
des démocraties, qui ont aujourdhui une forme ou une autre de représentation
proportionnelle ou de vote transférable. Comme nous lavons constaté aux
dernières élections, notre système électoral récompense les partis qui
adoptent une identité régionale plutôt que nationale. Les libéraux au pouvoir
nont que peu ou pas dappui dans lOuest. Les conservateurs sont habituellement
sous-représentés au Québec. Le NPD a traditionnellement obtenu plus de
votes au niveau national quil na de sièges à la Chambre des communes.
Pour sa part, le Bloc Québécois est surreprésenté puisquil ne présente
des candidats quau Québec. Notre système uninominal à majorité simple
fait que nous avons aussi bien un parlement que des partis régionalisés.
Pour réussir, les partis politiques concentrent leurs efforts sur des régions
particulières, essayant de grossir les rangs de leurs partisans dans les
secteurs géographiques où ils sont les plus forts. Le système uninominal
à majorité simple contribue à cette forme daliénation.
Pour réduire les tensions régionales, le Canada pourrait être obligé denvisager
sérieusement des changements institutionnels. Un système mixte comprenant
une part de représentation proportionnelle, comme celui que la Nouvelle-Zélande
a adopté en 1990, mérite dêtre examiné avec soin. La représentation proportionnelle
est la plus susceptible daugmenter la participation régionale et dassurer
une représentation plus équitable des minorités actuellement sous-représentées.
Moins de Canadiens seraient alors tentés de dire, comme aujourdhui : « Je
nirai pas voter parce que mon vote ne compte pas. » Par ailleurs, il est
bien possible que les chances de succès de la représentation proportionnelle
ne soient pas beaucoup plus fortes que celles dune réforme du Sénat. On
pourrait en outre envisager, à part la représentation proportionnelle,
un mode de scrutin préférentiel comprenant la possibilité dun deuxième
et dun troisième choix sur le bulletin de vote. Ainsi, aucun candidat
ne pourrait être élu avec un pourcentage de votes très inférieur à 50 p.
100.
Un futur gouvernement minoritaire pourrait essayer dorganiser un référendum
sur cette question, comme cela sest produit en Nouvelle-Zélande. Malheureusement,
les principaux partis politiques se montreront probablement réticents au
sujet dun tel changement. Seul un référendum peut imposer une réforme
institutionnelle. Quelques provinces commencent à faire preuve de leadership
à cet égard. En dernière analyse, au niveau aussi bien fédéral que provincial,
cest le public qui doit décider.
Nous devons ensuite nous attaquer au problème du Sénat. Personnellement,
jopterais pour la suppression pure et simple de la chambre haute. Toutes
les provinces ont aboli depuis longtemps leur seconde chambre. Aucune ne
la jamais regretté. Lappui accordé au gouvernement fédéral progressiste-conservateur
par les premiers ministres conservateurs de lAlberta et de la Saskatchewan
dans laffaire des CF-18 ma convaincu que le Sénat est incapable de protéger
les intérêts des régions. Les sénateurs saligneront vraisemblablement
sur la politique du parti au pouvoir. La réforme plutôt que la suppression
du Sénat serait difficile, mais non impossible. Quels sont les obstacles
à surmonter pour la réaliser?
Lidée dun sénat comptant un nombre égal de représentants de chaque province
est vouée à léchec. Toutefois, une formule équitable de représentation
pourrait réussir. Les généreuses concessions quil faudrait consentir au
Québec et à lOntario pour compenser une représentation provinciale égale
au Sénat ne manqueraient pas de susciter des réactions fatales dans lOuest.
Tous les pouvoirs accordés au Sénat doivent être liés à lexercice dun
gouvernement responsable dans une démocratie représentative. Il faudrait
probablement repenser les pouvoirs actuels du Sénat pour lui enlever de
droit dempêcher ladoption des projets de loi approuvés par la majorité
des membres de la Chambre des communes, tout en lui permettant de mettre
en évidence les questions et les préoccupations régionales.
La sélection des sénateurs par toute méthode autre que des élections directes,
comme la nomination de délégués par les gouvernements provinciaux, minerait,
à coup sûr, la crédibilité de toute chambre haute future.
Lélection directe des sénateurs dans le cadre dune formule de représentation
proportionnelle ou de vote transférable pourrait remplacer avantageusement
un système uninominal à majorité simple.
La Chambre devrait posséder le pouvoir dexaminer les nominations importantes
qui sont actuellement faites par le premier ministre, pour veiller à ce
que le processus de sélection tienne équitablement compte des préoccupations
régionales. Elle devrait également pouvoir se prononcer sur la modification
de programmes fédéraux essentiels qui ont des effets sur les régions, comme
la péréquation.
Dans une lettre à sa femme, lun des Pères de la Confédération, Georges
Brown, avait écrit : « Nous étions presque dans limpasse sur la question
de la répartition des membres de la chambre haute du Parlement fédéral.
Heureusement, nous avons réussi ce matin à nous entendre à lamiable, après
trois jours de vaines discussions. » La coopération a été la solution pour
les Pères de la Confédération. Elle est tout aussi essentielle aujourdhui.
Conclusion
Les Canadiens doivent être disposés à faire preuve de la prévoyance, du
courage et de la vision qui ont caractérisé laction des Pères de la Confédération.
Réagissant aux impératifs politiques, économiques et sociaux de leur époque,
ils avaient créé lÉtat fédéral du Canada. Aujourdhui, 140 ans plus tard,
la même vision et le même courage sont nécessaires pour relever les nouveaux
défis économiques et sociaux. Il ne sera pas facile daméliorer le fonctionnement
de nos institutions parlementaires. Sir Wilfrid Laurier avait bien raison
quand il a déclaré : « Mon but est de consolider la Confédération et de réunir
les gens depuis trop longtemps séparés, pour graduellement former une nation. »
Nous nous devons de relever le défi de Laurier et dadopter des changements
pouvant revivifier notre système parlementaire et notre démocratie. Je
reste optimiste quant à la possibilité de parvenir un jour à bâtir la société
juste dont avait rêvé le défunt premier ministre Pierre Trudeau ou ce « meilleur
des mondes » quenvisageait mon mentor politique, Tommy Douglas.
Notes
1. Paul Thomas, cité dans Francis Russell, « Its the Roads Stupid », 8 juillet
2006.
2. Alan C. Cairns, édité par Douglas E. Williams,
Disruptions: Constitutional
Struggles, from the Charter to Meech Lake, Toronto, McClelland & Stewart,
1991, p. 261.
3. Hugh Winsor, « A pall on a style of politics »,
The Globe and Mail, 19
novembre 1981.
|