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Raynell Andreychuk, sénatrice
Le Canada a pris une part active à la rédaction de la Convention relative
aux droits de l'enfant des Nations Unies et aux efforts déployés pour gagner
le plus d'adhésions possible. La Convention a été adoptée dans sa forme
définitive en 1989 et le Canada l'a ratifiée en 1991. Il s'agit du premier
instrument international légalement contraignant qui décrit les droits
civils, culturels, économiques, politiques et sociaux propres aux enfants.
En 2004, le Comité sénatorial permanent des droits de la personne a entrepris
une étude sur les droits des enfants. Au cours des trois années suivantes,
le Comité a entendu des témoignages révélateurs d'enfants et de jeunes
dont l'avenir était menacé. Nous avons entendu des témoignages concernant
des enfants victimes de violence, exploités sexuellement, empêtrés dans
le système de justice, et des enfants handicapés qui ne recevaient pas
les services dont ils avaient besoin afin de développer pleinement leur
potentiel. On nous a aussi entretenus de ces enfants immigrants qui ont
été séparés de leur famille et de ces enfants contraints par le système
à se débrouiller seuls alors qu'ils commençaient à peine à reconstruire
leur vie.
La Convention pourrait devenir un mécanisme de protection efficace pour
ces enfants, car elle protège leurs droits en établissant des normes en
matière de santé et d'éducation, et de services juridiques, publics et
sociaux. Les traités internationaux relatifs aux droits de la personne
sont rarement intégrés directement au droit canadien. Ils sont plutôt mis
en uvre indirectement grâce à l'adoption de mesures pour rendre les lois
déjà en vigueur conformes aux obligations convenues dans une convention
particulière. Le Parlement n'intervient pas non plus dans leur ratification,
de sorte que les traités internationaux relatifs aux droits de la personne
qui ne sont pas directement intégrés aux lois nationales échappent au processus
parlementaire. La mise en uvre d'un traité international ayant une incidence
sur les lois et les politiques provinciales relève de la responsabilité
du gouvernement fédéral et des provinces et territoires.
De nombreux témoins se sont dits inquiets du degré de méconnaissance de
la Convention et des droits qui y sont consacrés tant au gouvernement et
au Parlement que dans la population en général. Au fil de nos audiences,
nous en sommes venus à la conclusion que la Convention est très peu connue
en dehors des milieux universitaires et des groupes de défense des droits
de l'enfant. Le Canada fait bien rapport au Comité des droits de l'enfant
des Nations Unies et reçoit les observations finales de ce Comité, mais
à peu près aucune autre mesure n'est prise.
Au gouvernement, même parmi ceux qui s'efforcent de protéger les droits
des enfants, la connaissance de cette Convention qui a maintenant presque
20 ans est au mieux lacunaire. Le Comité a découvert que certains agents
gouvernementaux qui travaillent à la protection des droits de l'enfant
semblent s'acquitter de leurs tâches en ignorant l'instrument international
qui est à leur disposition. À de nombreux égards, la Convention n'est tout
simplement pas utilisée comme instrument ou comme cadre de protection des
droits de l'enfant.
Dans son rapport déposé le 26 avril 2007, le Comité estime que l'approche
adoptée par le gouvernement fédéral pour se conformer aux dispositions
qui régissent les droits des enfants, et à la Convention en particulier,
est inadéquate. Les subtilités des champs de compétence, l'absence d'institutions
efficaces, une approche incertaine à l'égard du droit des droits de la
personne ainsi que le manque de transparence et de volonté politique indiquent
que la Convention est appliquée de manière inefficace dans le contexte
canadien.
Pour faire avancer ce dossier et pour promouvoir le respect du processus
démocratique, il faut exiger une plus grande responsabilité de tous les
intervenants, favoriser l'intervention du Parlement et du public, et adopter
une approche plus ouverte à l'égard du respect de nos obligations de manière
à accroître la transparence et à débloquer la volonté politique.
La Convention relative aux droits de l'enfant n'est pas solidement enchâssée
dans le droit canadien, dans nos politiques, pas plus que dans la psyché
nationale. Les gouvernements et les tribunaux n'y voient qu'un principe
directeur catégorique, auquel ils essaient de s'assurer que les lois se
conforment, plutôt que de se considérer comme liés par elle.
De plus, aucun organisme n'est chargé de s'assurer que la Convention est
appliquée de manière efficace au Canada et il n'y a pas de volonté politique.
La mise en application est essentielle si on veut que la Convention joue
son rôle. Pour que le Canada puisse soutenir qu'il respecte pleinement
les droits et libertés de ses enfants et demeure un chef de file dans le
dossier des droits de la personne sur la scène internationale, il doit
rehausser son niveau de conformité. Le gouvernement doit prendre les devants
dans le dossier de l'application de la Convention.
Le Comité a proposé d'adopter des mesures pour garantir la surveillance
systématique de la mise en uvre de la Convention et forcer ainsi son respect.
Afin de se conformer à la Convention, le Canada doit établir un poste de
commissaire à l'enfance et mieux coordonner, au palier fédéral, les dossiers
qui concernent les enfants par l'entremise d'un groupe de travail interministériel
sur les enfants.
Le Comité a aussi mis l'accent sur la nécessité de sensibiliser davantage
le public, tant à la Convention qu'au traitement juridique des droits qui
y sont enchâssés. Plus important encore, par l'entremise de ses recommandations,
le Comité a tenté de renforcer la participation active des enfants à toutes
les institutions et démarches qui ont une incidence sur leurs droits. Le
point de vue des enfants est rarement pris en compte dans les décisions
gouvernementales, même s'ils forment l'un des groupes les plus touchés
par l'action ou l'inaction du gouvernement. Les enfants ne sont pas simplement
sous-représentés, ils ne sont pratiquement pas représentés du tout. Notre
Comité croit fermement que les enfants devraient être consultés de manière
significative sur toutes les questions importantes ayant des répercussions
sur leurs droits et sur leur vie.
Le droit de l'enfant de participer et d'être entendu est un droit politique
important c'est en fait l'un des principes les plus fondamentaux de la
Convention relative aux droits de l'enfant. Notre Comité a entendu des
témoins lui affirmer à maintes et maintes reprises que les enfants et les
jeunes se plaignent de n'être pas consultés et de voir leurs points de
vue mis de côté, souvent sur des questions qui ont une incidence significative
sur leur vie. Les articles 12 et 15 de la Convention prévoient que dans
des circonstances appropriées, l'enfant a le droit d'être entendu sur toute
question qui a des répercussions sur son bien-être. Non seulement c'est
un droit, mais c'est également un volet important de la prise de décision
et des l'élaboration de politiques.
Il faut aussi assurer la participation active des enfants aux décisions
relatives aux lois et aux politiques qui les concernent. Parents, éducateurs,
pouvoirs publics peuvent aider à traiter les problèmes de ces groupes en
veillant à impliquer et à consulter les enfants dans les dossiers d'intérêt
pour eux; en se familiarisant avec les droits que confère la Convention
ainsi qu'avec leurs propres droits et responsabilités et ceux des enfants;
en incluant la Convention dans les programmes scolaires; en adoptant des
lois et en élaborant des politiques qui tiennent compte des droits des
enfants; et en s'assurant que la volonté politique est là et qu'elle conduit
à une meilleure protection des droits des enfants.
Pour ce qui est des droits spécifiques, le Comité a formulé diverses recommandations
dont les suivantes :
-
adopter une stratégie nationale de lutte contre l'intimidation;
-
élaborer et mettre en uvre une stratégie de lutte contre l'exploitation
sexuelle commerciale des enfants;
-
élaborer une stratégie fédérale de lutte contre la pauvreté infantile qui
doit comprendre des mesures préventives visant des familles particulièrement
vulnérables, ainsi qu'une stratégie de logement universelle;
-
le gouvernement fédéral, les provinces, les territoires ainsi que les parents
doivent veiller à ce que les enfants qui travaillent le fassent dans des
conditions sécuritaires, reçoivent de l'information sur leurs droits et
soient encouragés à poursuivre leurs études.
Pour ce qui est des enfants autochtones, le gouvernement fédéral doit :
-
accorder la priorité au financement des « mesures les moins perturbantes »
pour promouvoir le bien-être des enfants et mettre davantage l'accent sur
la prévention et l'intervention précoce;
-
faire du logement une grande priorité et élaborer des initiatives plus
efficaces afin de promouvoir le développement économique dans les réserves;
-
accorder plus de fonds au maintien des services d'aide destinés aux enfants
autochtones vivant hors réserve;
-
examiner les services qui sont fournis aux collectivités autochtones afin
de s'assurer que l'approche et le contenu sont suffisamment adaptés aux
besoins précis des enfants, des jeunes et des familles autochtones et,
pour ce faire, collaborer directement avec les collectivités autochtones
à l'élaboration de programmes et de services qui répondront à leurs besoins;
-
élargir la portée des services de santé afin qu'ils soient aussi offerts
à domicile et puissent intervenir tôt auprès des enfants à domicile;
-
accélérer ses discussions avec les ministres de l'éducation des provinces
et des territoires au sujet des mesures pouvant être prises afin d'encourager
les Autochtones à exercer le métier d'enseignant dans les réserves;
-
veiller à ce que toutes les politiques et mesures législatives fédérales
concernant les enfants autochtones insistent sur la nécessité de tenir
compte des besoins culturels de ces enfants.
En 2005, 7 millions d'enfants vivaient au Canada. Ces enfants sont des
citoyens et à ce titre, ils ont des droits et des responsabilités. Si nous
voulons que nos enfants développent pleinement leur potentiel lorsqu'ils
grandissent et deviennent des citoyens adultes, nous avons la responsabilité,
en tant que pays, de leur offrir le meilleur départ possible dans la vie.
La mise en application de la Convention relative aux droits de l'enfant
au Canada serait un excellent moyen de faire un pas dans la bonne direction.
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